La Couronne de Cuivre

Il traversa la ville sans encombre. C'était un jour ordinaire, et la majorité des gens travaillaient le lendemain. Il y avait de l'animation, certainement, du côté de l'Université de la Magie, où les étudiants devaient profiter de la soirée, comme les jeunes qu'il avait laissés à la taverne des Joyeux Insurgés. Mais il ne fit que deviner la présence du bâtiment, au bout de la rue, sous le ciel clair.
Il parvint à l'auberge à une heure avancée de la nuit. S'il y avait eu la moindre animation musicale ce soir-là, elle était terminée, et seuls s'attardaient une poignée de jeunes -et moins jeunes- gens complètement ivres.
La jolie serveuse à laquelle il était habitué n'était pas visible. Une femme d'âge mûr, à la carrure impressionnante et à l'air revêche, l'accueillit d'un froncement de sourcil. Il l'avait déjà aperçue derrière ses fourneaux, et avait entendu quelques clients l'appeler "la Patronne".
" Une demi-heure de plus et vous trouviez porte close ! Faut prévenir quand vous rentrez tard ! J'vais pas attendre toute la nuit derrière le comptoir, et Tika non plus !

La journée avait été longue, et le Bon Barde n'était pas la porte à côté : Jordin était rentré plus tard que ce qu'il espérait. Prenant un air désolé, il répondit :

"Vraiment navré, j'ignorais moi-même totalement dans quoi je m'embarquais en suivant une amie dans un quartier loin d'ici. Je suis arrivé à Lumenis il y a quelques jours seulement, je n'ai pas encore trop la notion des distances. Je serai plus attentif la prochaine fois."

" Ça va pour cette fois ! Mais faut juste prévenir, vous comprenez !"
La voix s'était un peu radoucie, bien que restant autoritaire. Puis la patronne tourna derechef les talons et s'en retourna en cuisine, houspillant au passage les quelques clients attardés, qui semblaient enfin décidés à quitter les lieux, d'un pas incertain.
Jordin était libre de profiter de la fin de la nuit... et de la matinée du lendemain, puisqu'il avait rendez-vous en début d'après-midi seulement avec la journaliste.

Durant toute ces années passées dans un cloître, Jordin Tombétoile avait pris l'habitude de se coucher de bonne heure pour se lever avec les poules. Il ne traîna donc pas en chemin et fila se reposer. Malgré cela, il se réveilla plus tard que d'habitude ; la matinée était donc bien avancée lorsqu'il termina ses exercices matinaux et ses ablutions, avant de descendre dans la salle principale pour s'installer à une table et profiter du soleil qui perçait au-dessus des toits.

La salle était quasiment déserte. Il était un peu trop tôt pour les habitués de l'apéritif du midi. Mais Tika, la jeune serveuse avenante, avait repris son poste, et lui servit avec le sourire un petit déjeuner consistant -à défaut d'être goûteux.
" Y'a un type qu'est passé vous déposer un message, tôt ce matin...", annonça-t-elle.
Elle lui tendit un morceau de parchemin.

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" Il voulait être sûr que vous habitiez bien là. J'ai promis de vous le donner en main propre."

Le nom de Delcour évoquait autre chose à Jordin, mais il lui fallut quelques minutes pour se souvenir qu'il s'agissait du nom donné par leur contact de la Garde. Tomas Delcour. Le témoin du vol.

HRP : Du parchemin, carrément ! Il a les moyens, le marbrier

Bon sang de bois. Voilà qui compliquait son affaire. Il était ici avant tout pour fonder une école et non pour jouer aux enquêteurs ; d'un autre côté, son ordre l'avait justement choisi pour son esprit libre et ses capacités d'improvisation. Nul doute qu'ils refuseraient de s'acoquiner avec des fauteurs de troubles pareils. Car, après tout, l'Ordre de la Paume acceptait n'importe qui dans ses rangs, pourvu que le candidat soit respectueux de leurs pratiques et des autres pratiquants. On pouvait voir cela comme une forme d'humanisme universel. Par conséquent, s'opposer aux foulards blancs revenait presque à promouvoir la doctrine de la Paume, ou tout du moins à lui laisser plus de chances d'être acceptée.

Satisfait de son raisonnement, Jordin remercia Tika et roula le parchemin pour le ranger. Il ignora une petite voix dans sa tête lui reprochant cette explication fallacieuse et prit son repas tout en réfléchissant à la suite à donner à sa découverte.

Déjà, il était tout à fait possible que ce marbrier soit un homonyme. Il était difficile de savoir si Delcour était un patronyme répandu sur ces terres, mais une telle coïncidence appelait à la prudence. Ensuite, quelle était l'utilité d'une telle information ? Cécile possédait déjà suffisamment d'informations sur le présumé faux témoin pour retrouver sa trace, et il n'était pas dit que l'on pourrait le trouver à la marbrerie : il pouvait fort bien travailler ailleurs.

En revanche, s'il s'agissait effectivement de la même famille, alors son futur bailleur pourrait très bien faire annuler l'accord s'il apprenait que Jordin était lié aux ennuis qui ne manqueraient pas de tomber sur le dénommé Tomas. Auquel cas il faudrait à nouveau que Jordin se cherche un local. Cela dit, il y était préparé : à dire le vrai, il n'aurait jamais pensé en trouver un aussi vite.

Dans tous les cas, il lui fallait gérer ses priorités. Et sa priorité du moment semblait être son amitié naissante avec la famille d'Anatole.

Amitié. Le mot avait un son bizarre dans son esprit. Cela faisait si longtemps qu'il n'en avait eu l'usage qu'il se demanda s'il était approprié ici. Bah, après tout, il verrait bien avec le temps quel qualificatif utiliser.

Ses pensées finirent par l'amener à la Taverne de la Bienveillance, où il avait laissé le reste de ses affaires depuis l'avant-veille. Cela faisait une bonne marche d'ici jusqu'au port, mais s'il attendait trop, le propriétaire de la taverne risquait de bazarder ses précieuses notes et autres vêtements de rechange. Peut-être qu'en marchant d'un bon pas, il pourrait s'en occuper avant l'arrivée d'Hanssieux.

Laissant avec regret la quiétude relative du Grand Parc, Jordin s'engouffra dans les ruelles désertes et boueuses du quartier, et arriva à l'auberge du Bon barde en tout début d'après-midi. Quelques habitués -qu'il commençait à connaitre de vue, et parmi lesquels se trouvait Anatole- finissaient tout juste de prendre l'apéritif, et s'apprêtaient à rentrer chez eux, mais ne marchaient déjà plus très droit. D'autres clients, plus sobres, terminaient sagement un ragoût informe mais à l'odeur plutôt appétissante.
La jeune et jolie serveuse allait de table en table, et lui adressa un sourire en lui proposant un siège près de l'âtre -éteint. La journaliste n'était pas encore arrivée.

HRP : j'ai voulu attendre un jour ou deux au cas où tu trouverais le temps d'écrire le journal dont tu parlais, mais tant pis, on verra a posteriori

Jordin la remercia d'un sourire : après être allé déposer son bardas dans sa chambre, il retourna s'installer à la table désignée. Il étendit ses longues jambes sous la table et commanda à boire. Entendant plus qu'écoutant les conversations autour de lui, il tenta vaguement d'y déceler ce qui inquiétait ou passionnait la population ces temps-ci. Il préféra ne pas aborder Anatole : s'il se retrouvait embarqué dans une partie de dés, il allait devoir justifier de s'absenter lorsque Hanssieux arriverait, ce qu'il voulait éviter.

Près de lui, on parlait du travail de docker -probablement l'emploi de l'un d'entre eux-, on racontait des bagarres de rues -certainement ces fichus mélandiens-, ainsi que divers autres sujets sans importance : la météo, le menu du jour, le goût de la bière ou des nouvelles des uns et des autres.
Anatole le salua d'un sourire mais ne chercha pas à imposer sa présence : il avait déjà bu quelques verres, à en juger par son regard un peu flou.

Il n'eut pas à attendre longtemps avant de voir apparaitre Cécile Hanssieux, dont l'apparence inhabituelle fit se retourner sur son passage la quasi totalité des mâles de l'auberge : elle n'avait pas la tenue légère d'une prostituée, elle ne ressemblait pas à une matrone et sa taille fine n'accusait pas des grossesses trop nombreuses, trop tôt, comme pour certaines trentenaires du quartier. Elle n'avait pas non plus une allure bourgeoise qui l'aurait mise aux antipodes de l'atmosphère du lieu. Non : avec ses lunettes rondes, ses cheveux blonds coiffés en chignon, son air sérieux et concentré, il était clair que les habitués des lieux ne savaient pas dans quelle catégorie la ranger.
En la voyant se diriger tout droit vers Jordin, Anatole émit un grognement appréciateur et hocha la tête avec un grand sourire.

HRP : désolée pour le journal, il faut que je trouve l'énergie... je suis tellement épuisée par mon année que je suis une loque (edit : une loque covidée en plus...)

HRP : ah mince, j'espère que tu n'as pas trop de symptômes ! Repose-toi bien, et surtout ne te mets pas la pression pour le journal, ça attendra

L'arrivée de Cécile n'était pas passé inaperçue : pour la discrétion, on repassera. Tant pis, il n'y avait pas de mal à côtoyer une journaliste. Et puis, ils n'étaient pas à la Cour, ce n'était pas comme si Jordin allait devoir subir des commérages.

Le moine rendit son sourire à Anatole en haussant les épaules, avant de saluer Hanssieux.

"Vous vous êtes remise de la soirée d'hier ?" la taquina-t-il avant de faire signe à une serveuse pour avoir un second gobelet.

" Quelle soirée ?! Oh... hier... La routine ! Je ne suis pas rentrée tard..."
Elle s'assit et accueillit sa pinte de bière d'un oeil dubitatif. Elle masqua une légère grimace en la goûtant -elle était particulièrement amère.
" Bon... J'ai trouvé des entrepôts de menuiserie qui pourraient correspondre à ceux où se réunissent parfois vos suspects. Ils appartiennent à une certaine Sonia Mauguen, dont le nom ne vous dit sûrement rien... Mais c'est une Macchel, plus précisément une nièce de John Macchel, le candidat des Foulards Blands. Elle doit aller sur ses cinquante ans... et le Mauguen auquel elle est mariée a pour mère une Delcour, toujours en vie apparemment malgré son grand âge. Ce qui ce les rend peut-être apparenté à votre suspect. Je dis peut-être parce qu'il y a deux branches de cette famille qui ne s'adressent plus la parole depuis trente ans. De vieilles histoires d'héritage. Classique."
Elle énonçait les informations rapidement, comme si ce genre de recherche généalogique n'était qu'un détail simple à retenir.
" Bref, si ce sont bien ces entrepôts-là, je sais à qui demander les clés..."

Plus il l'écoutait, et plus Jordin se disait qu'ils avaient choisi la bonne personne en la contactant. L'efficacité avec laquelle elle avait réuni ces informations en si peu de temps était remarquable.

"Je ne vous suis pas : vous ne comptez tout de même pas vous adresser à Maugen directement ? Ou bien voulez-vous miser sur la branche fâchée des Delcour ?"

" Ils appartiennent aux Mauguen, on va donc voir les Mauguen. Soit lui, soit elle. J'ai cru comprendre que c'est elle qui gère la maisonnée, lui s'occupe de commerce. On leur explique que vous êtes à la recherche d'un grand bâtiment un peu de type entrepôts pour y installer... une école, vous m'avez dit. Que vous avez repéré ceux-ci et qu'ils vous intéressent. Donc vous venez, à tout hasard, voir leur propriétaire... Je ne sais pas s'ils seront intéressés pour nous les faire visiter. Dans le pire des cas, on a déjà appris que leurs propriétaires sont de famille avec les Macchel, ce qui est assez logique puisque les Foulards Blancs s'y réunissent. Et possiblement liés aussi avec votre témoin clé, ce qui est plus intéressant. Bref, même si on ne visite rien, on a des indices utiles. Si on visite c'est encore mieux... Et ensuite, ce soir, on ira à cette taverne où ils se réunissent souvent. Est-ce que le programme vous convient ?"

"Eh bien, c'est une bonne idée, mais je crains qu'il n'y ait un problème..."

Fouillant rapidement dans ses affaires, Jordin en extirpa le parchemin qu'il avait reçu le matin même et le montra à Hanssieux.

"Par le plus grand des hasards, j'ai fait affaire avec Francisco Delcour hier matin, pour louer l'un de ses entrepôts. S'il fait partie de cette famille, ça risque de compromettre nos plans. Vous avez déjà entendu ce nom ? Peut-être que ce sont ses entrepôts que nos loustics utilisent ?"

" Francisco Delcour... C'est un nom connu à Lumenis. Marbrier de son état. Une des plus grosses fortunes de la ville. Mais les Delcour sont une grande famille, avec en particulier deux branches qui ne se parlent plus. Le père de Francisco s'est brouillé avec son frère. Et je crois que son frère était dans le commerce et le travail du bois... bref, il y a des chances que des entrepôts de menuiserie appartiennent à l'autre branche de la famille. Donc ça ne devrait pas influer sur votre affaire... Et puis là ils sont au nom de Mauguen, même pas Delcour. Mais... c'est bon à savoir, que vous avez eu un contact avec l'autre branche des Delcour. Ils sont les plus puissants, si on a besoin du renfort de personnes influentes..."

HRP : Delcour ou Deltour ?

Jordin hocha la tête.

"Vous me rassurez. Ça m'aurait fortement ennuyé d'avoir conclu un contrat avec quelqu'un qui soutient les foulards blancs... Bon, du coup, partons sur votre idée. Je n'aurai même pas à jouer un rôle, donc c'est tant mieux."

"Vous allez juste jouer votre propre rôle... celui d'un nouveau venu qui cherche un local pour y mettre une école... Pour que ce soit crédible, on va d'abord aller voir ces entrepôts de l'extérieur, pour que vous puissiez être plus convaincant. Ils sont au sud des taudis.Ensuite on ira chez les Mauguen... au fin fond du quartier sud. "
Déclinant la proposition de l'aubergiste de boire un verre - ce qui lui valut un regard noir-, elle l'entraîna vers la porte et le sud du quartier.

HRP: corrigé... ça m'apprendra à m'inspirer de noms existants en les modifiant...

La Couronne de Cuivre

[Commerce] Auberge du Bon Barde