La Couronne de Cuivre

" Est-ce que tu n'es pas le seul héritier de ton père ? Est-ce que ça ne devrait pas te... t'enjoindre à la prudence ? poursuivit Gérold, tout en le suivant vers les profondeurs. Ah non... Tu as une soeur, non ? Plutôt jolie, si je me souviens bien... Mais peut-être que je la confonds avec quelqu'un d'autre... On ne vous voit pas beaucoup dans les dîners mondains... Bon, je dois avouer que ce n'est pas non plus complètement mon truc, mais bon, comme je suis le second fils, mère m'exhibe fatalement, elle espère que je vais faire un bon mariage, je suppose... Mage, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant, tu sais comment ça marche..."
Gérold paraissait nerveux. Peut-être même ce bavardage était-il une manière, pour lui, de faire face à ses craintes. En tout cas, une chose était certaine. Non seulement l'air empestait, mais il commençait à faire réellement... froid.

La luminosité prodiguée par son anneau était faible, dans l'atmosphère opaque de ce vieil escalier, et c'était heureux, car Claris ne put empêcher ses joues de rougir légèrement en s'entendant désigner par Gérold comme « plutôt jolie » – même s'il ignorait que la personne à qui il venait de faire ce compliment était aussi celle à qui il s'adressait.

Claris s'efforçait d'ordinaire de ne pas se préoccuper de sentiments ; néanmoins, s'entendre qualifier ainsi, surtout par un jeune homme un peu plus âgé et lui-même pas trop désagréable à regarder, l'avait quelque peu prise au dépourvu. Disons que cela apportait un éclairage nouveau aux moments, jusque là considérés comme inutiles et peu attrayants, où il lui avait fallu se vêtir d'une robe et arborer une toilette soignée.

Mais il était absolument hors de question de l'avouer.

« Oui, je sais. D'ailleurs, je crois bien que mon père espère encore qu'il réussira à faire en sorte que son frère se marie et nous fabrique quelques autres héritiers. Je dirais que c'est l'une des raisons pour lesquelles Oncle Antel s'est dépêché de s'enrôler dans l'armée dès que la guerre a éclaté… bon, bien sûr, le plaisir d'aller rendre aux helmites la monnaie de leur pièce a dû jouer, aussi. »

Antel-Cregon, l'oncle de Claris, participait très peu aux mondanités – mais ses talents de Chevalier Noir étaient assez réputés pour que, peut-être, Gérold ait entendu parler de lui.

Quoiqu'il en soit, le froid tombait. Pour des habitués du désert, comme les mélandiens, c'était une sensation bien connue : la chaleur étouffante de la journée était telle que la température nocturne, même si elle restait tout à fait clémente, semble glaciale.
Cependant, c'était ici… autre chose. Une autre sorte de froid, moins familière. Claris ne put s'empêcher de frissonner – ses vêtements étaient faits pour protéger des rayons brûlants du soleil, mais peu du manque de chaleur.
Hâter le pas permettrait peut-être de se réchauffer quelque peu. En fait, un peu d'action, de quelque sorte qu'elle soit, serait certainement bienvenu, après ces longs moments de prudence et de discrétion.

" Je n'avais pas réalisé que tu étais de la famille d'Antel-Cregon... Je l'imagine effectivement mal se poser pour pondre de la marmaille, surtout en ces temps incertains... Je me demande ce que ça fait, d'avoir un père Chevalier Noir, j'imagine que c'est encore plus sinistre qu'un nécrooho... Aaaah..."
Claris n'eut pas le temps de se retourner qu'elle se sentit poussée par derrière et malgré son adresse, elle perdit l'équilibre sous le poids du jeune homme qui venait à n'en pas douter de trébucher. Mue par ses bons réflexes, elle tenta de se rattraper puis de protéger les parties les plus fragiles de son anatomie au cours de la chute. Dans son malheur, elle eut cependant de la chance, car le sol du palier n'était qu'à quelques mètres, et elle tomba dans un amas de sable presque confortable. Ce fut bien sûr moins agréable lorsque Gérold lui arriva droit dessus.
" Désolé..." souffla-t-il.

Il était en effet assuré que les initiales seules du Chevalier Noir suffisaient à ouvrir la route des enfers (HRP : oui, le nom était choisi exprès

). Mais avant de se demander ce que son oncle pourrait donner dans le rôle de père, Claris reçut un noble mélandien déséquilibré dans le dos, et perdit à son tour l'équilibre.
Toute son adresse fut alors mobilisée pour rester debout, et même si ce fut vain, cela lui permit tout de même de se réceptionner à peu près souplement sur le sable qui, fort heureusement, était parvenu lui aussi jusque là. Hélas, Gérold avait lui aussi continué sa chute, et leurs corps se heurtèrent violemment, lui arrachant un cri de douleur.

Claris n'était cependant pas du genre à afficher sa souffrance, et sitôt que son comparse se fut écarté – lui avait dû voir sa propre chute agréablement amortie –, tenta de se relever. Douloureusement.

« Essaye de faire un peu plus attention… »

Le ton était ferme, mais pas démesurément en colère – les accidents, cela pouvait toujours arrivé. Néanmoins, Claris eut envie d'ajouter qu'il aurait été plus agréable de laisser Gérold finir au fond d'une caisse – mais se garda bien de le dire à voix haute.

Gérold se releva en s'époussetant. Ils étaient arrivés dans une petite pièce circulaire, dont la bague parvenait à éclairer les murs, pour une fois. Trois portes en partaient, reflet des conduits de l'étage supérieur.
" J'ai trébuché... Je t'y verrais à marcher pieds nus sur ce genre de caillasse usée... Je parie que j'ai les orteils en sang..."
Il leva un pied pour en examiner la plante et grimaça.
" Formidable. Je vais attirer tous les vampires du coin. Ça me fera une petite histoire à raconter."
Il se tourna vers Claris.
" Mais je suis vraiment désolé, cela dit. J'espère que je ne t'ai pas fait mal."

« Je survivrai… »

Ses muscles étaient endoloris, mais Claris parvint à se remettre debout. La douleur devrait passer assez rapidement… du moins, fallait-il l'espérer.

« C'est vrai que tu n'as pas de chaussures, toi… tu sais ce qu'ils en ont fait ? Je te proposerais bien les miennes en attendant, mais je doute qu'on fasse la même pointure… »

Prêter ses affaires par pure générosité n'était pas particulièrement dans la nature de Claris, ceci dit ; mais se débarrasser de ses chaussures et marcher pieds nus ne lui posait généralement pas de problème, quand il ne s'agissait pas du sable brûlant du désert.

À la lueur de son anneau, et boitillant tout de même encore un peu – peut-être un peu exagérément, d'ailleurs –, Claris se dirigea vers la première des trois portes, pour l'examiner. Que pouvait se cacher derrière ?

Il y avait effectivement peu de chances que les chaussures de Claris aillent à Gérold, aussi ne releva-t-il pas la proposition. Il resta assis dans le sable pendant que la jeune fille s'éloignait, déchirant consciencieusement des bandes de tissu dans le bas de sa tunique sale, avant de se les enrouler autour des pieds. Quant à Claris, elle parvint devant la première porte, qui était de pierre et paraissait incroyablement lourde. Des bas-reliefs l'avait autrefois ornée, mais ils étaient abîmés et il était impossible d'en déterminer le motif. Sans doute les pillards et le temps avaient-ils fait leur oeuvre... Lorsqu'elle posa les mains sur la surface froide, il lui sembla cependant ressentir comme une vibration, qui lui picota les paumes. C'était peut-être juste un phénomène naturel, contraste entre sa peau tiède et la roche glacée. Puis il lui sembla entendre quelque chose, un lointain sifflement, à peine audible.
" Apporte-le moi..."
Ou alors, c'était juste le fruit de son imagination.

Voilà qui était… intéressant. Claris n'avait absolument aucune idée de ce qu'il aurait fallu apporter. Peut-être davantage d'informations étaient-elles disponibles de l'autre côté de la porte ; mais la porte, justement, était fermée, et il semblait peu crédible que deux poids plumes comme eux parviennent à l'enfoncer.

Claris poursuivit tout de même son inspection, à la recherche de quelque mécanisme qui pourrait déplacer la roche. S'il n'y avait rien, il resterait à jeter un œil aux deux autres…

« Toi qui connais le panthéon mulhorandi… le genre de dieux qui était vénéré ici, ils attendaient quoi comme offrandes, en général ? »

Gérold arriva derrière elle et frôla à son tour la porte. Il haussa les épaules.
" Ça dépend un peu de qui règne désormais sur cet endroit, je suppose... Si c'est Osiris, il aimera le blé et les fruits mûrs, et attendra de nous que nous nous montrions très respectueux de ce qui vit et de ce qui est mort. C'est un dieu peu mélandien, si tu vois ce que je veux dire... Les chatons perchés en haut des arbres et les nourrissons abandonnés, ce genre de choses. Si c'est Seth, maintenant... Des tripes et de la cervelle, une bonne giclée de sang frais... Il devrait être satisfait."
Il se tourna vers Claris.
" Mais je ne suis pas volontaire, si c'est la question. On doit bien pouvoir trouver un rat quelque part..."

« Osiris est un genre de dieu des morts, non ? Ça le rend plutôt sympathique, même s'il n'est pas dans le style local. »

Sa manière de concevoir le monde ne s'opposait en effet pas fondamentalement au “bien”, et Claris éprouvait un grand respect pour certains dieux bons – Mystra et Tymora, particulièrement. C'étaient principalement les dieux aux manières de croisés – Helm, Tyr ou Torm – qui attiraient son mépris – essentiellement parce qu'eux avaient juré de détruire un “mal”, qui n'était, de son point de vue, que l'ordre naturel des choses.
Égoïste, Claris l'était certainement. Sa société idéale était très hiérarchique – avec, bien sûr, la famille de Corvimande aussi près que possible du sommet –, et l'esclavage, par exemple, ne lui posait aucun cas de conscience. La Loi devait, également, être une valeur sacrée encadrant strictement les droits et devoirs de chacun, sans pitié pour les personnes que ce système oppresserait.
Néanmoins, Claris n'avait pas pour ambition de détruire le bien à tout prix – la destruction viendrait de toute façon d'elle même avec le temps, la vie n'étant qu'une courte aberration devant l'immensité éternelle de la mort – et estimait que les êtres bons et charitables, tout incompréhensibles qu'ils soient, pouvaient s'avérer utiles, du moment qu'ils s'intégraient à l'ordre établit et ne donnaient pas à leurs actions une portée trop importante.

Quoi qu'il en soit… ses considérations politiques ne suffiraient pas à ouvrir la porte. En revanche, Gérold avait parlé de fruits murs, et il en restait quelques uns de ceux découverts deux étages plus haut. Claris les sortit et les lui tendit.

« Mais Seth a l'air beaucoup plus amusant, en effet. Ceci dit, tu peux toujours essayer d'offrir ça à Osiris, si tu vois comment faire. Pour les rats… il y en a quelques uns là-haut, qui ont peut-être fini par remarquer ta disparition et que je ne serais pas contre sacrifier – mais on peut aussi essayer d'en trouver d'autre sorte, sans doute. »

Dans l'immédiat, Claris entreprit d'examiner la porte suivante.

Gérold prit le fruit — une pêche un peu trop mûre — et le contempla sans trop savoir quoi en faire. Il se mit ensuite à inspecter la porte, minutieusement, tandis que Claris s'approchait de la porte centrale. Au moment où elle arrivait juste devant, elle perçut un léger mouvement sous ses pieds, entendit un petit déclic, et un nuage de poussière s'échappa du plafond, juste devant elle. Les deux battants de la porte se mirent à frémir, puis s'arrachèrent à leur inertie en coulissant lentement à l'intérieur des murs. Cette ouverture provoqua un vacarme assourdissant, obligeant les deux jeunes gens à protéger leurs oreilles. Les parois de roc s'immobilisèrent dans un claquement sourd, bloqués dans leur mouvement. Le mécanisme était probablement trop ancien, grippé par le temps et l'usure, mais il y avait moyen de se faufiler, tout juste, entre les deux plaques, pour entrer dans la pièce suivante.
" Joli." fit Gérold en s'approchant.

Waw… Ça, ce n'était pas prévu. Mais la nouvelle était intéressante.

« Totalement accidentel. Mais je suis content de moi, en effet. »

Claris jeta un coup d'œil alentour, tentant de repérer le mécanisme. Mais le sable, la poussière et l'obscurité n'en laissaient pas voir grand chose. Qu'était le plus surprenant ? Qu'une telle chose se soit trouvée ici – le bouton d'ouverture, bien sagement juste devant la porte –, ou bien d'avoir été suffisamment lourde pour la déclencher ?

« Avec le bruit que ça a fait, je suppose que ça a dû s'entendre au dessus, qu'en dis-tu ? La question, c'est de savoir si ça va les inciter à descendre voir, ou au contraire à s'enfuir. »

Tous deux avaient, semblait-il, la place de passer – mais tout juste. Les bandits ne le pourraient peut-être pas, ou au moins seraient-ils vulnérables en essayant, si Claris et Gérold se plaçaient en embuscade de l'autre côté.

Fallait-il se faufiler dès à présent, ou prendre le temps d'examiner à la dernière porte ? Difficile de trancher – mais l'un des deux aurait peut-être le temps d'y jeter un œil pendant que l'autre passerait.

Pour l'heure, Claris avança son bras portant l'anneau par l'ouverture, pour tenter de distinguer ce qu'il y avait de l'autre côté…

Au moment où elle avança sa lumière, il lui sembla percevoir un mouvement, mais trop furtif pour qu'elle put en être réellement certaine. Sa bague peina à éclairer les vastes dimensions de la salle qui se trouvait juste de l'autre côté des portes. Elle devina cependant plusieurs caisses de pierre, semblables à celle qu'elle avait vue, brisée, à l'étage supérieur. Les sarcophages, si c'en était, paraissaient alignés les uns à côté des autres, en une grille gigantesque, mais Claris ne parvenait pas à distinguer les murs de la pièce, bien trop éloignés de sa position. Au moment où elle allait prendre une décision, elle entendit à nouveau un sifflement ténu et un coup de vent tiède et pestilentiel lui balaya le visage.
" Apporte-le, oui, oui, apporte-le, apporte-le..."

« Humpf. Charmante odeur… Et ce bruit, tu as une idée de ce que c'était ? »

Le sifflement, en effet, ne présageait rien de bon. La curieuse voix non plus, d'ailleurs. Gérold l'avait-il entendu aussi ? Il jugerait de lui-même s'il devait répondre pour l'un ou pour l'autre.
La voix, en tout cas, semblait quelque peu s'enthousiasmer au fait que la seconde porte ait été en passe d'être franchie. La chose à apporter se trouvait probablement dans cet enchevêtrement de sarcophage – encore fallait-il espérer qu'elle ne soit pas gardée.

Aucun danger immédiat ne semblant les menacer, Claris s'éloigna quelque peu de la porte. Mieux valait finir de fouiller la pièce – c'est-à-dire examiner la porte restante – avant de s'enfoncer plus loin dans les ténèbres : peut-être n'auraient-ils pas l'occasion de le faire ensuite.

" Je n'ai rien entendu, moi..." dit Gérold en abandonnant la première porte, qu'il n'était pas parvenu à ouvrir malgré la pêche écrasée qu'il avait à présent entre les doigts.
La dernière issue était similaire à la première : bas-reliefs abîmés, aucune trace de serrure, pierre froide, tellement froide qu'il semblait s'en échapper comme un courant. Il y avait un trou circulaire, grand comme une pomme, au bas de la porte, cependant. Ses contours étaient irréguliers et le sable, sous la fissure, semblait avoir été tassé. Pas de traces de pattes, cependant : ce n'était pas la voie de passage d'un rat.
" Et je ne vois rien non plus..." ajouta Gérold, qui regardait à son tour entre les parois écartées de la porte centrale.

Rien – donc sans doute pas la voix non plus. Inutile, dans ce cas, de l'évoquer.

« Il y a eu une sorte de sifflement… mais je suppose que ce n'était pas important. »

Ce trou était curieux… la taille d'un fruit. Peut-être fallait-il en glisser un dedans ? Cela ne coûtait rien d'essayer, et il lui en restait un qui ne serait de toute façon pas mangé de suite.
Claris se pencha donc sur l'ouverture, pour tenter l'opération – si rien ne se produisait, il serait toujours temps de se faufiler par la seule des portes à s'être ouverte.

La jeune fille avança doucement la mainvers le trou, une pomme fripée entre les doigts.
" Attention !" s'exclama alors Gérold en attrapant Claris par l'épaule et la tirant en arrière.
Le fruit tomba au moment où un serpent jaillissait hors du trou, noir, lustré, les crocs découverts. Dans son élan, il les planta dans la pomme, puis émit un sifflement furibard, darda ses yeux rouges sur les deux Mélandiens, et recula dans les ténèbres de son antre. Le fruit roula, révélant deux traces noires à l'endroit où l'animal l'avait frappé.
" Je vote pour une autre porte." dit le mage, la main toujours sur l'épaule de la jeune fille.

« Merci… »

Eh bien, ce temple contenait bien des pièges ; mais au moins l'un d'entre eux n'impliquait pas de morts-vivants. Claris jeta un œil à la pomme marquée par les crocs du serpent.

« Je suppose qu'on ne pouvait pas mieux symboliser la victoire de Seth sur Osiris, qu'en dis-tu ? »

Époussetant ses habits, Claris releva les yeux vers celui qui venait de lui épargner une douloureuse blessure – de lui sauver la vie, peut-être, car le serpent était probablement venimeux. Une fois encore, il n'y avait pas à regretter de l'avoir libéré.

L'autre porte semblait plus accueillante, en effet. Néanmoins, Claris attendit que Gérold retire sa main avant de se diriger vers elle.

Il retira sa main et retourna vers la porte entrouverte.
" Je n'en sais rien. J'imagine qu'il y a toujours des serpents dans ce genre d'endroits, qu'ils soient dédiés à Osiris, Seth, Baine ou Tymora... Mais en même temps... Nous ferions mieux d'être prudents. Si Seth occupait cet endroit, cela ne signifierait pas forcément qu'il nous serait hostile : après tout, c'est le dieu des profanateurs, il pourrait au contraire soutenir notre incursion en ces murs... Mais s'il a juste laissé une cohorte de serpents affamés derrière lui... C'est moins intéressant..."
Claris put à nouveau découvrir, grâce à sa bague, l'espace immense de la salle centrale. Il fallait à présent qu'elle décide si elle allait s'y engager, inviter Gérold à passer le premier, ou renoncer à cette exploration peut-être un peu risquée.

« On verra bien. »

Le fait que Gérold vienne peut-être de lui sauver la vie avait quelque chose d'assez… vexant ? L'enfant de Reuel Iram de Corvimande n'était pas du genre à se cacher ainsi derrière ses compagnons de route !

Résolument, Claris revint vers la porte entre-ouverte, et entreprit de la franchir. Hors de question de reculer face au danger. Ce qui n'empêchait cependant pas de faire preuve de prudence. Il fallait, autant que possible, se tenir à distance du moindre trou suspect dans les parois…

Claris pénétra donc dans la grande salle et avança de quelques pas dans l'allée centrale, car c'est bien ce à quoi le chemin pavé devant elle ressemblait. Levant sa source de lumière autour d'elle, elle découvrit des rangées et des rangées de sarcophages, à droite et à gauche, sur au moins dix rangées de dix. La plupart étaient brisés, le couvercle renversé, mais certains, peut-être un sur vingt, semblaient intacts. Sous ses pieds, le dallage semblait s'étendre jusqu'à une sorte d'esplanade, peut-être une estrade, un autel, un mur, mais elle était encore trop loin pour le déterminer. Le plafond était invisible, perdu dans les ténèbres.
" Oui, oui, oui... ouiouiouiouioui..."
Le vent pestilentiel revint, toujours tiède, à la fois timide et agaçant. Claris entendit Gérold s'approcher derrière elle. Il avait à nouveau la dague à la main et se glissa dans le cercle de lumière.
" Si ta garde est dans l'un de ses sarcophages, ça va nous prendre dix ans de la trouver..." souffla-t-il.
Il ne paraissait pas rassuré.
Il y eut alors un petit déclic derrière eux, suivit d'un grand claquement, qui résonna sur les parois de la salle, en échos tonitruants.
La porte s'était refermée.

Ùh… la porte s'était refermée, avant même que Claris n'ait eu le temps de se précipiter vers elle, comme les aventuriers perdus faisaient souvent dans ce genre de cas. Sa réaction fut donc beaucoup plus sobre : demeurer sur place, et faire remarquer, d'un air peut-être un peu blasé :

« On dirait qu'on est partis pour les avoir, ces dix ans. »

Il y avait, sans doute, une autre sortie, quelque part – ou du moins, un moyen de réouvrir celle-ci. Le tout était de trouver l'une ou l'autre.

Si Gérold avait eu une source de lumière, l'un d'entre eux aurait pu se mettre à fouiller les sarcophages pendant que l'autre inspectait les murs de la pièce. Mais l'anneau de Claris était la seule dont ils disposaient tous deux : mieux valait, donc, ne pas s'éloigner l'un de l'autre.

« Bon, si on est coincés ici, commençons par faire le tour du propriétaire, qu'en dis-tu ? »

Et Claris s'avança vers la partie encore sombre de la pièce – sur ses gardes.

Elle avança donc prudemment vers l'avant, découvrant à chaque pas de nouvelles rangées de sarcophages décrépits. Gérold ne quittait pas son ombre, circonspect. La pierre était usée sous leurs pas, couverte de sable. Puis soudain, il y eut un crâne. Un tibia abandonné un peu plus loin. Quelques vertèbres. Encore un crâne. Les fragments de squelettes, désorganisés, s'étalaient un peu partout, comme s'ils avaient été éparpillés au hasard, semés par une main gigantesque depuis les hauteurs.
" Ça doit venir des sarcophages, j'imagine... murmura Gérold. Heureusement qu'ils ne sont pas complets, c'est moins risqué qu'ils s'animent subitement..."
Il avait dit cette dernière phrase sur un ton faussement guilleret.
Devant les pieds de Claris, soudain, une rangée de pierres noires, polies, intactes, apparurent, comme une barrière. Elles étaient larges d'environ deux pieds, alignées, et quelque chose y était gravé, d'à peine perceptible.

« Pourtant, imagine par exemple une main qui se promène toute seule… la Chose serait mignonne, non ? »

La plaisanterie aidait sans doute Claris à garder sa confiance… mais ça ne l'empêcha pas de sursauter en voyant les pierres apparaître.

« Bon, c'est quoi, ça, encore ? »

Manifestement, c'était prévu pour les empêcher d'aller plus loin – du moins, pour l'instant. Remarquant la gravure, Claris se pencha, approchant son anneau, pour tenter d'en distinguer davantage…

" Tu ne sais pas de quoi tu parles... fit Gérold d'une voix blanche. Exactement ce que le professeur Adams apprécie..."
Il s'immobilisa en même temps qu'elle.
" Cela dit, animer une main est plus difficile qu'animer un squelette entier, contrairement à ce qu'on pourrait croire..."
Il se tut et s'accroupit à ses côtés. La bague révéla le dessin d'un soleil en relief, répété sur chaque dalle. Gérold passa une main hésitante à quelques pouces de leur surface mais s'abstint évidemment de la toucher.

« Bon, je suppose qu'il va falloir faire quelque chose pour ça aussi… mais pour le moment, je n'ai absolument aucune idée. Et toi ? »

Les choses étaient tellement… bizarres, depuis qu'ils s'étaient engagées dans les profondeurs, que Claris en venait presque à regretter de ne pas avoir passé davantage de temps dans les couloirs fréquentés.
De là où ils se trouvaient, le bruit des mécanismes leur avait paru tellement imposant qu'il lui semblait impossible que les brigands n'aient pas entendu. Qu'avait été leur réaction ? Peut-être certains d'entre eux descendraient-ils, et, trouvant le mécanisme, parviendraient à réouvrir la porte ? Peu probable, mais néanmoins à envisager.

Dans l'immédiat, en tout cas, ces pierres ne lui inspiraient rien qui vaille. Et puisqu'il restait autre chose à examiner dans la pièce, pourquoi ne pas continuer par cela ? Il serait toujours temps de s'en préoccuper ensuite. Avant de s'attaquer à la fouille des sarcophage – c'était une opération tout de même quelque peu déplaisante que de déranger ainsi les morts dans leur repos éternel –, il serait sans doute intéressant de sonder ses murs…

Claris abandonna donc l'allée centrale pour s'engager entre deux rangées de sarcophages, tandis que Gérold demeurait en arrière, à observer les pierres noires, toujours accroupi. La jeune femme réalisa rapidement qu'elle ne pourrait plus déranger les morts beaucoup plus que cela ne l'avait déjà été fait : pas une seule de leurs dernières demeures n'était intacte. On avait brisé les couvercles, déchiré les suaires, vidé les os dans la poussière, piétiné ce qui pouvait l'être, et hormis du sable et des fragments de squelette, parfois des crottes de rat ou de chauve-souris, peut-être, il semblait ne rien rester nulle part. Les pilleurs de Seth étaient passés par là et avaient ravagé les lieux, comme le leur enseignait leur maître. Alors que Claris progressait vers les murs, qui se trouvaient à douze sarcophages de distance de l'allée, il y eut un cri derrière elle, et Gérold la rejoignit en courant.
" Encore un peu, tu me laissais dans le noir !" s'exclama-t-il, incrédule.
A nouveau, il manqua se plaquer contre le dos de la jeune fille pour pouvoir profiter au mieux de l'aura de lumière qu'elle dégageait, si faible, si fragile au milieu de tant de ténèbres. Ils parvinrent aux murs, usés par le temps, où demeuraient quelques inscriptions plus ou moins discernables. La salle était trop grande pour qu'on puisse l'avoir entièrement désacralisée, probablement.
" Ceci est la nécropole des pauvres, dit Gérold. A mon avis, ta garde précieuse doit être dans celle des riches... Sans doute au niveau inférieur, si nous en trouvons l'entrée."
Les murs, eux, paraissaient pleins, d'une bonne roche solide, à l'épreuve du sable et du temps.

« Mes excuses, je pensais que tu me suivais. »

Ce n'était peut-être dû qu'à la faible lumière dont ils disposaient, mais Gérold avait une tendance un peu perturbante à venir vraiment tout près… Claris évitait d'ordinaire autant que possible les contacts. Mais dans les circonstances présentes, il ne fallait sans doute pas être difficile…

« Eh bien, essayons de la trouver, dans ce cas. À première vue, je pense qu'il n'y aura pas d'autre sortie ici que la porte d'où on vient, et celle que ces pierres nous masquent… le tout est de trouver comment ouvrir l'une et l'autre. Il y a peut-être encore quelque chose de lisible sur les murs, mais juste avec mon anneau, ça va prendre du temps pour tout regarder… »

Claris avançait lentement le long des murs, le regard aussi actif que possible, à la recherche d'une trace exploitable…

HRP : je ne sais pas trop quoi faire ensuite, en fait

HRP : mes excuses, je vais arranger ça... Et ça va bouger bientôt, promis.

" On peut facilement franchir les pierres noires, dit Gérold. On peut aussi les toucher ou poser quelque chose dessus et voir si ça donne quelque chose... Le symbole du soleil, qui est gravé sur leur surface, semble avoir résister aux déprédations des adeptes de Seth. Et le soleil n'est sûrement pas de leur fait... Si tu crains d'être carbonisé, ou quelque chose du genre, on peut toujours se servir d'un os ou d'un crâne... Ce n'est pas ce qui manque dans le coin !"
Il sourit, se pencha sur un sarcophage.
" Et peut-être qu'on peut contourner ces dalles en passant par les côtés, maintenant que j'y pense. Elles ne forment une ligne que sur l'allée centrale..."
Il ramassa un fémur qui traînait par terre et se mit à farfouiller dans le sarcophage, comme s'il tournait dans une soupe. Un gros scarabée surgit alors, battant des élytres, et le jeune mage poussa un cri de stupeur, avant d'user de son fémur pour écrabouiller la bête d'un ou deux coups bien sentis. Il tourna ensuite un visage embarrassé vers Claris.
" Désolé. J'aime pas trop les trucs qui grouillent."

Ç'pas ta faute

Manque d'habitude de ce genre de situations, tout ça. Et j'ai peur pour la suite, du coup

« Je vois ça… »

Sa réaction avait beaucoup amusé Claris. Ces apprentis mages, effrayés pour un rien… Pour sa part, ce n'était pas le genre de créatures qui lui ferait perdre ses moyens ; mais s'il y avait besoin, plus tard, d'effrayer Gérold, cela semblait un moyen efficace.

« Joli choix d'arme, en tout cas… Seth aurait probablement apprécié… »

Pour l'heure, sa suggestion semblait bonne. Revenir jusqu'aux pierres par un chemin autre que l'allée centrale, et utiliser les “ressources naturelles” de l'endroit pour déclencher préventivement les éventuels pièges. Claris se pencha sur les débris de cadavres pour en ramasser quelques uns qui pourraient faire l'affaire. Cela permettrait, a minima, de se désennuyer un peu…

La Couronne de Cuivre

[Quête] Un vieux temple et beaucoup de sable