La Couronne de Cuivre

La remarque du paladin fit rire Chandara qui répliqua d’un ton pourtant faussement sérieux :

- J’accepte vos conditions, ser : vous pouvez m’appeler Chandara !

Puis, plus posément, elle ajouta après lui avoir adressé un sourire contrit :

- D’accord, ce sera Arthur ! C’est un joli prénom. Peu répandu en tous cas de ce côté du détroit. Et non, je n’ai pas encore déballé mes affaires et je n’ai qu’un conseil à donner à un grand chef en devenir tel que vous : évitez de vous placer là où vous risqueriez de marcher sur des pieds ou d’avoir à vous excuser si vous devez vous lever pendant la nuit. Pour le reste, je vous fais tellement confiance que je vais me placer à côté de vous. Enfin, si vous n’y voyez pas d’objection ! Ces éclaireurs me rendent un peu nerveuse à vrai dire.

Le guide, quelque peu rembruni de s'être fait rabrouer de la sorte lança au paladin un regard mauvais avant de répondre.

"Oh, ça dépendra de quand vous vous lèverez. Je ne sais pas combien de temps les nobliaus dorment, moi. Mais on devrait voir la combe demain dans l'après midi. Jusque là, c'est encore un peu accidenté et puis on redescend. Bon, après le paysage change et vous avez le pont des deux torrents. J'espère qu'il ne sera pas trop endommagé. Après, ils bifurquent pour se jeter dans la baie. Quand on y sera, on ne sera plus très loin. Vous verrez, c'est assez joli : on dirait qu'ils ceinturent la combe. Pour le moulin, ben ... C'est un moulin quoi ..."

Non loin d'eux, dans l'herbe, Tempérance avait pu lire.

Cette découverte est incroyable. Il est là, entre mes mains. Un livre immonde sur lequel semble greffé un oeil. Et cette peau qui n'a rien à voir avec du papier. Mais je tiens entre mes mains l'aboutissement de mes recherches. Le passé, le présent et le futur se confondent. Sous peu, je pourrai revoir cette femme lumineuse qui guidait de sa main douce et ferme mes petits pas incertains. Et redonner à Luna la joie d'être de nouveau en famille. Oui, après avoir bravé la mort sans m'y soumettre, je pense que ce jour est un jour heureux.

Quelques pages plus loin.

Il me parle. J'ignore si c'est une hallucination mais je l'entends. Il m'appelle. Je l'entends me vanter à l'oreille ses innombrables pouvoirs. Lui et moi sommes promis à un brillant avenir. C'est ce qu'il me dit tout du moins. Mais quand je le touche et que je parcoure ces pages, je sens une présence sombre tout près de moi. Il me fait miroiter la possibilité de ramener notre mère. Il suffit juste que je m'abandonne. Mais j'ai peur. Je commence à entrevoir un gouffre béant face à moi. Que dois-je donc faire ?

Plus loin encore

J'ai peur. Et je suis démuni. Ce livre n'est pas un livre pour ramener à la vie, mais bien pour répandre la mort. Et je suis son grand architecte. Son valet. Il m'a choisi. Lutter est impossible. J'ai tenté de le jeter à la mer accroché dans un sac et lesté de pierre. Le lendemain, il était de retour sur mon pupitre. Il m'a dit que si je ne lui cédais pas, il s'en prendrait à Luna. Il ne me laisse aucunement le choix. Comme je regrette ma naïveté primaire et cette vie d'avant. Que ne me suis-je consacré plus âprement à mes études ? Pourquoi suis-je parti si loin des miens. Chaque jour de plus est un pas de plus vers la nuit. Et je m'y abandonne.

Arthur dévisagea Chandara, un peu pris au dépourvu par sa brusque envolée.
" Ah... Heu... Bien sûr..."
Etait-elle en train de faire référence au fait qu'il aurait peut-être besoin d'uriner pendant la nuit ? Non. C'était impossible. Une demoiselle de sa qualité, Helmite de surcroît, jamais elle n'aurait... Si ?
Il était persuadé d'avoir repris une avenante teinte coquelicot.
" Votre confiance... heu... m'honore."
C'était flatteur. Un peu inquiétant aussi. Mais il espérait sincèrement qu'il n'aurait pas à défendre la vertu de la jeune femme en plein milieu de la nuit. Il lui jeta un regard en coin. Elle était vraiment trop jolie pour son bien, il n'était pas surpris qu'elle ait un peu peur des éclaireurs. L'armée restait un monde d'hommes mal dégrossis et leur comportement devait souvent manquer de noblesse.
" Peut-être devrions-nous nous établir près des autres membres de notre escouade. Cela nous permettra de deviser au besoin... Dame Tempérance aura sûrement progressé dans sa lecture."
Il lui sourit, puis chercha les autres du regard. Alors seulement il réalisa qu'il aurait sûrement dû la complimenter sur son prénom, lui aussi. C'était trop tard. Et c'était sans doute mieux. Il avait encore le souvenir cuisant d'un gant jaune accroché dans le gréement de la Vague Déferlante.

La dernière remarque de l'éclaireur tombait sous le sens et Brus dut admettre l'absurdité de la question pour la plupart des gens, exceptée, peut-être, une poignée de gens qui, comme lui, n'en avait jamais vu. Toutefois, et sans s'enfoncer davantage, il pouvait toujours déduire que d'après le ton employé, l'architecture devait être, somme toute, très basique. Quant à la provocation gratuite, elle fit sourire Brus qui expliqua :

"Oh vous savez, j'suis pas un nobliaud, loin d'là même, et j'ai pas d'problèmes pour m'lever. J'm'appelle Brus, et j'ai grandi dans les rues d'Athkatla, avant d'arriver à Manost, alors c'est bien qu'vous êtes là, la nature et la campagne, je n'y connais rien! Vous en revanche, vous avez l'air de connaître votre affaire, pour sûr, j'espère que vous pourrez m'apprendre quelques trucs. Et pour m'sieur Arthur, devriez lui laisser sa chance. C't'un "fils de", c'est sûr, mais comme paladin, lui et m'dame Chandara se défendent pas mal, c'est certain, et on en aura bientôt tous besoin..."

Brus jeta un œil autour de lui pour savoir où en étaient ses compagnons, puis il revint à l'éclaireur :

"Bon, je vais aller voir ce qu'ils trafiquent, merci pour les infos. Si vous partez faire une ronde avant la nuit, prévenez-moi, j'vous accompagnerai!"

Et le voleur le salua avant de tourner les talons, pour se diriger vers le reste du groupe.

Comprenant que le paladin avait à nouveau mis fin à leur conversation, Chandara suivit le mouvement qu’il avait initié en s’approchant de leurs comparses. Tempérance semblait plongée dans sa lecture, Brus dans une discussion à voix basse avec le chef des éclaireurs. Ah non, il avait relevé la tête à leur approche. La paladine chercha Luna de regard tout en se perdant dans ses réflexions inachevées. Il fallait qu’elle commence à déterminer comment aborder cette question délicate avec le paladin. Bien qu’intimidée par le luménien, sa brève conversation avec lui l’avait convaincu qu’il l’écouterait. Il lui semblait être un homme raisonnable et facile d’approche. Elle espérait donc qu’il ne trouve pas sa démarche trop choquante et décide de s’esquiver poliment. Il fallait donc qu’elle sache trouver le moment où il ne serait pas « distrait » par ses nombreux devoirs de chef de groupe. Un moment où ils pourraient se retrouver seuls, à l’abri des oreilles indiscrètes serait encore plus indiqué. Attendre le lendemain ou un jour où ils auraient appris à se connaître un peu mieux était une option que dictait la sagesse mais la jeune helmite n’avait jamais brillé par cette qualité. Et même sans cela, la bataille qui les attendait certainement le lendemain rendait les choses trop incertaines pour s’en remettre à l’avenir.

Maintenant qu’ils avaient rejoint Brus et les deux autres femmes du groupe, un peu à l’écart du campement, Chandara prit la parole comme si de rien n’était :

- J’imagine que vous organiserez des tours de garde cette nuit, Arthur. Puis-je vous suggérer de former des groupes de deux ? La prudence me semble l’imposer…

Voilà, sa voix avait-elle trahi la duplicité de sa suggestion ?

Arthur surveillait l'installation du campement d'un oeil tout en cheminant aux côtés de l'Helmite. En apparence, les choses semblaient rentrer dans l'ordre, enfin. En arrivant à proximité de Tempérance, il sourit de la voir si studieusement plongée dans le journal, se rembrunissant comme il se souvenait ce que ces pages sinistres contenaient. Brus revenait vers eux, également, et Arthur se sentit soulagé à l'idée qu'il ne se retrouverait pas de nouveau le seul homme au milieu d'un nid de demoiselles étranges.
Mais Chandara venait de lui parler aussi se tourna-t-il vers elle. Il lui fallut un moment pour mettre ensemble les mots qu'elle venait de prononcer.
" Les tours de garde ? Oui, bien sûr. C'est... sur ma liste."
Il la regarda, charmante et helmite, une Dorrandine pur jus arpentant son domaine.
" Dites-moi, Da... Chandara. Est-ce que vous ne seriez pas d'accord d'être mon porte-parole ? Je dois dire que... j'ai l'impression que ces hommes apprécieraient beaucoup plus que les suggestions viennent de quelqu'un qui partage leur... allégeance... que d'un étranger. Alors je me disais... vu que vous êtes du coin..."
Non, c'était absolument indigne, et lâche, et scandaleux, et comment avait-il même pu y penser ?!
" Non. Oubliez ça. J'irai me renseigner dès que j'ai déballé mes affaires. Deux personnes par équipe. Vous avez raison. Je n'oublierai pas. Ça tombe sous le sens. Evidemment."

Luna s'assit en tailleurs à coté de Tempérance.

"Je l'ai vu la nuit suivante. Il délirait. J'ai attrapé ses mains, j'ai essayé de le prendre dans mes bras. Mais il était froid. On aurait même dit qu'il était glacé. Comme un mort."

Elle s'interrompit tout d'un coup, comme si elle venait de comprendre.

"Non, s'il vous plaît. Ne me dites pas qu'il était mort."

Elle pleurait à présent.

"Le lendemain, il n'était plus là. Et père ..."

Doucement, elle passa ses bras autour des épaules tremblantes de Luna.

- Allons, calmez-vous... Essayez de ne plus penser à tout ceci. Au moins laissez-vous quelques heures de répit.

« Tout ira bien » eut-elle envie de lui dire. Mais comment pouvait-elle lui dire cela alors qu'elle n'en était même pas sûre elle-même ? Elle leva les yeux vers Arthur et Chandara qui venaient tout juste d'arriver mais ce n'était sans doute pas le moment idéal pour leur parler du journal. En réalité il ne faisait que confirmer les dires de Luna : son frère avait tenté de ramener sa mère parmi les vivants et c'est dans cette quête complétement folle qu'il avait trouvé le livre. Elle ignorait ce qu'il renfermait exactement mais il était à présent évident qu'il était doté d'une volonté propre. C'est sans doute cela qui lui faisait le plus peur.

- Si vous êtes fatigués, je peux prendre le premier tour de garde, proposa t-elle aux deux paladins. Et vous pourriez peut-être me tenir compagnie, si vous souhaitez parler un peu, ajouta t-elle à l'intention de Luna.

Arthur se sentait indiscret d’avoir assisté aux larmes de Luna, qu’il savait destinées à l’Ilmate et pas à l’ensemble de leur petit groupe. L’aura d’un paladin avait parfois un effet apaisant sur les gens terrifiés, mais elle semblait surtout triste, et de toute façon, il n’aurait jamais osé s’approcher d’elle pour la consoler. Il n’aurait pas trouvé quoi dire, il aurait peut-être empiré les choses, et Tempérance avait de toute façon beaucoup plus d’expérience en ces matières. Il était touché, néanmoins, touché et mal à l’aise, et il espéra un instant que leur mission du lendemain permettrait, si elle ne sauvait pas le jeune mage fou, de soulager leur compagne.
Puis les considérations pragmatiques revinrent au galop.
« Sans vouloir vous manquer de respect, Dame Tempérance, je pense que nous devrions laisser notre escorte se charger des tours de garde. Nous allons au devant d’un péril que nous mesurons mal, encore, et nous aurons besoin de toutes nos forces. Dame Luna est manifestement éprouvée, vous même avez dû tenir en selle toute la journée alors que vous n’aviez que peu d’expérience en la matière… »
Oh oui, il se souvenait de ses premières randonnées et de l’état de son dos, et de ses fesses, au moment du bivouac. Sans la moindre nostalgie.
« Non. Les hommes que le général Boros nous a confiés sont bien assez nombreux pour répartir cette charge entre eux. Vous devriez dormir, ou du moins vous reposer, si vous avez le désir de profiter des derniers rayons du soleil. »
Il hésita, espérant que la jeune femme ne prendrait pas mal ses directives.
« Et si vous désirez vous entretenir en privé, je dois vous demander de le faire dans les limites du campement. Ce sont de simples mesures de sécurité. »

Brus avait suivi les deux paladins, un sourire guilleret aux lèvres, jusqu'à ce que le groupe se reforme. Les pleurs de Luna n'avait pas laissé d'entamer l'enthousiasme du voleur, en même temps que de le faire s'interroger sur le rôle que jouerait la jeune femme dans cette mission. Qui pouvait dire la façon dont celle-ci réagirait au moment de la confrontation avec son frère, et, le cas échéant, s'ils devaient le tuer? Le frère exercerait-il encore de l'influence sur sa sœur ou bien celle-ci en serait-elle tout à fait détachée? Vu l'inconstance émotionnelle dont faisait preuve la jeune femme, Brus n'était sûr de rien. Une seconde question préoccupait également le voleur. Que ferait-il du livre une fois qu'il l'aurait récupéré? Il fallait le mettre hors de portée des Mélandiens, le général Boros leur avait demandé de le lui rapporter. Mais à voir comment le livre avait rendu fou le malheureux et comme il semait la désolation autour de lui, le jeune homme ne pouvait pas manquer de s'interroger sur la sagesse de leur démarche, et de façon plus pragmatique, sur qui porterait le livre au retour. Cette magie lui faisait froid dans le dos. Mais comme personne n'avait soulevé le problème jusqu'ici, il se rassura en imaginant que les prêtres et les paladins avaient des pouvoirs pour ce genre de choses, ou qu'une durée de deux jours était trop faible pour que les effets du livre aient prise sur son possesseur. Il suivit la suite de la conversation sur les tours de garde d'une oreille.

Luna finit rapidement par s'arrêter de pleurer et gratifia même Tempérance d'un sourire. Peu à peu, l'obscurité s'installa. Les seules lueurs devinrent celles des phares et des feux allumés de parts et d'autres du camp. L'humidité s'installa après le coucher du soleil. Pas vraiment de la pluie mais un crachin fin et persistant qui semblait vouloir s'infiltrer sur le plus petit centimètre carré de peau. Bêtes et hommes frissonnaient. Même les feux avaient l'air de trembloter. Un tour de garde avait été convenu. Trois groupes de trois hommes parmi les cavaliers monteraient la garde.

Tout semblait paisible. Bientôt, on entendit plus que le bruit de la houle.

"Je vais vous raconter une histoire, murmura Luna quand le camp fut installé et que chaque frileux se fut installé dans son duvet, il était une fois, un capitaine pirate. Il était redoutable. On l'appelait le Saigneur des tempêtes. Un jour, la vigie de son bateau repéra un bateau. Un grand navire marchand transportant sans doute des pierreries, de belles étoffes, des épices envoûtantes. Et le Saigneur de tempêtes eut tôt fait de l'aborder. Ce qui fut assez facile : il n'y avait qu'un équipage restreint, sur ce navire. Par contre, des centaines de cages avec des poulets étaient entreposées. Le capitaine pirate dans un accès de rage massacra tout le monde. Et puis, il décida de faire contre mauvaise fortune bon coeur et de manger quelques bêtes ... Quelques heures plus tard, lui et ses hommes furent pris de maux de ventre insupportables. L'heure d'après, ils moururent tous. Mais ils se relevèrent contre toute attente. Mais quiconque aurait pu les voir les aurait trouvé totalement évanescents. Les voiles se gonflèrent entraînant le vaisseau, bien qu'il n'y eut pas le moindre vent ... Aujourd'hui, on raconte que ce vaisseau fantôme vient hanter la baie de Graëlon. Et que ceux qui le verront se noieront dans l'année ... Bonne nuit tous !"

Elle se roula en boule dans son duvet et s'endormit.

Mais en voilà une histoire réjouissante, songea Arthur en se calfeutrant sous ses couvertures.
A la minute présente, en réalité, il craignait bien plus les moustiques que les fantômes. Il savait, d’expérience, que ces petits vampires urticants prenaient un grand plaisir à glisser quelques boutons rouges parmi son demi-million de taches de rousseur, et il était prêt à parier que la variété dorrandine était aussi cruelle que l’hélonnienne. Il remonta donc sa couverture le plus haut possible.
Puis il repensa malgré lui à cette histoire de pirates. Pourquoi donc Luna ne s’était-elle fendue d’un conte propre à leur remonter le moral ? Sans doute était-ce culturel, à nouveau... Quoique… les histoires morbides étaient aussi la spécialité de Dargyll, sur la Côte de la Lumière... Et ce n'était pas un endroit qu'il affectionnait particulièrement non plus...
Dormir sous la pluie, la belle affaire, il se retourna pour ne plus offrir qu'un dos emmitouflé au crachin. Il allait faire froid, assurément. Froid et humide, et ils seraient tous enrhumés au petit matin.
Petit matin.
Il songea alors au soleil se levant sur l’océan, à la beauté d’une aube nouvelle, grise puis orange et rose, puis or, miroitant sur les flots, comme il en avait contemplé maintes fois durant la traversée, et cela l’emplit d’une félicité propre à le laisser glisser dans le sommeil… Tout doucement...

Chandara avait, pour sa part, bien du mal à trouver le sommeil… Maintes réminiscences et pensées confuses semblaient s’être liguées avec le temps exécrable pour qu’il lui échappe. Il y avait Luna et son frère tout d’abord dont elle n’avait pas su quoi dire à la première pour l’assurer de son soutien ou pour tenter de la rasséréner un peu. Elle n’avait pas su trouver quoi dire ou quoi faire, une fois de plus, et l’instant était ensuite passé. Elle se repassait encore la scène à la recherche de la façon dont une paladine plus sage aurait du se comporter. Tempérance avait su, elle, sans l’ombre d’une hésitation.

De la même façon, elle se sentait parfaitement incapable de remplir la mission qui les attendait le lendemain. Elle se faisait toujours l'effet de ne pas mériter sa réputation, fruit d'une erreur répétée aux conséquences funestes. Et puis il y avait l’autre question, plus vivace, plus intime aussi. Plus douloureuse au point de lui enserrer la poitrine dans son étau. Elle ne savait pas comment l'affronter, seule. Elle percevait la présence d’Arthur juste à côté d’elle. Lui en qui elle avait placé ses espoirs pour soulager son âme endolorie, son vide intérieur rongé par ces interrogations sans réponses. Mais il en avait décidé autrement, s’esquivant sagement sans offrir aucune prise. Il était juste à côté d’elle mais pourrait se trouver à des lieues de là, bienheureux. Il ne semblait pas partager les mêmes doutes, sur tous les plans, et elle l’enviait d’une certaine façon.

Tempérance avait pris place non loin de Luna, peut-être avec l'intention d'apaiser celle-ci au cas où elle ne trouverait pas le sommeil. Mais avec toutes ces histoires de fantôme, c'était plutôt la prêtresse qui allait souffrir d'insomnie. Elle resta là, les yeux tournés vers le ciel, alors que ses muscles lui rappelaient douloureusement qu'elle n'était guère habituée à chevaucher, et encore moins tout une journée. Au bout d'un long moment, elle finit par fermer les yeux et adressa une prière muette à son dieu et, une fois apaisée, elle rejoint les autres au pays des songes...

Brus trouva l'histoire de Luna loufoque à souhait, et en même temps il fallait bien ça pour se divertir, avec le temps exécrable qu'il faisait. Avec ça, il regrettait déjà les séjours à Médann et Graëlon, dans un bon lit, sous un toit, au sein d'un espace relativement chauffé. Le voleur se demanda si le conseiller avait bien réceptionné son message, puis réalisa qu'il avait complètement oublié de le tenir au courant sur la façon dont les choses avaient évolué. Mais ce dernier avait sans doute largement de quoi s'occuper et ne se plaindrait sans doute pas outre-mesure de son absence. Un rapport positif sur leur mission aiderait sans doute à la légitimer. Le voleur se promit d'y penser, cette fois, avant de s’emmitoufler dans son couchage, d'où sortit une voix étouffée :

"Bonne nuit aussi!"

Une heure passa, une deuxième. Au début, ce ne fut qu'une rumeur. Un bourdonnement dans le silence. Une voix étouffée. Un des cavaliers sans doute.

"Hé, mais qu'est-ce que tu fais ? Tu me marches dessus !"

Quelques minutes de flottement. La même voix reprit mais tremblante. Les feux presque éteints éclairèrent quatre ombres levées.

"Hé les gars mais qu'est-ce que vous faites ? Faut pas aller par là ! C'est dangereux !"

L'une d'elles plus rapide partit directement du coté de la falaise, hésita quelques secondes ... Sauta ... Les autres n'allaient pas tarder à suivre. Mais les autres cavaliers se levant à leur tour les ceinturèrent. La même voix appela.

"Hé, venez nous aider. Y en a qui veulent sauter de la falaise !"

Sans prévenir, Luna se leva. Les yeux mi-clos, le regard vide. Tout portait à croire qu'il s'agissait d'une simple crise de somnambulisme. Mais elle commença à se diriger dans la même direction que les quatre autres.

La mer, donc. C’est beau la mer.
Arthur ouvrit les yeux dans la pluie. Toute cette pluie sale.
Alors que la mer est tellement propre, elle.
Propre et bleue et magnifique et le soleil s’y couche.
Pourquoi ne pas s’y coucher ?
Pourquoi dormir sur la terre ferme alors qu’on peut dormir sous l’eau ?
Arthur, qu’est-ce que tu racontes ?
Mais il s’était déjà levé, repoussant ses couvertures.
Ne marcher sur personne. Chandara avait dit ça : un bon chef ne marche pas sur ses voisins.
Il faisait froid, évidemment, avec toute cette boue et cette pluie sale et ce vent.
Tandis que la mer, ha ! On nage, dans la mer. Et tout bon Luménien sait nager, parce que la mer à Luménis, c’est sacré. Alors retourner à la mer, pardi, c’est la meilleure chose à faire. La mer, c’est presque un second foyer.
Arthur, où est-ce que tu vas ?! Mais non, mais… Mais arrête-toi ! NON !
Comment ça, non ? Mais tu y aspires, non, à cette mer ?
Il essaya de s’arrêter, mais aucun de ses muscles ne lui répondait. Il n’y avait qu’un mouvement possible, un mouvement vers le large. Comme les mouettes. Les voiliers.
« Lathandre… » parvint-il tout juste à articuler.
C’était un cauchemar… Un simple cauchemar… Les histoires de Luna lui étaient montées à la tête, voilà tout.
Mais ça avait l’air terriblement vrai, tout de même...
Et puis il y avait la mer… Cette écume qui vient bouillonner contre les rochers… Les vagues si délicates… Pourquoi vouloir lutter, franchement ?

Chandara avait finalement réussi à trouver le sommeil ou du moins un état s’y apparentant mais guère réparateur. Dans ses rêves, ses propres mouvements pour trouver une position plus confortable se répercutaient au fil de ses pensées désordonnées et chaotiques. A un moment, elle crut enfin trouver un emplacement plus agréable avant de se souvenir où elle se trouvait, malgré le filtre de la semi-conscience. Les réflexes avaient la vie dure ! Mortifiée, elle eut un brusque mouvement de recul dans son rêve en comprenant ce qu’elle avait enlacé… Lui aussi avait eu un net mouvement de recul et hurlait sur elle, qui plus est. Le choc lui fit ouvrir les yeux et elle aperçut la silhouette massive du paladin qui se découpait sur l’horizon tourmenté. Les voix qui hurlaient, celles des éclaireurs sans aucun doute, atteignirent ses oreilles en ne faisant qu’effleurer sa conscience mais leur sens caché finit par lui donner l’alerte alors qu’elle s’était déjà levée, pas simple réflexe.

Immédiatement, le froid piquant et humide sur sa tenue légère acheva de la sortir de sa torpeur. Comprenant que plusieurs des leurs étaient en danger, elle se précipita vers la silhouette la plus proche, juste au bord du gouffre. Elle lui attrapa le poignet d’une main ferme pour le faire se retourner, puis lui enserra la taille pour l’empêcher d’avancer plus proche du gouffre béant. Reconnaissant Arthur, elle sentit sa tête tourner et la chaleur lui monter aux joues en se rendant compte de l’image qu’elle devait lui donner d'elle. Mais non, il semblait comme possédé : c’était le moment ou jamais de surmonter sa timidité. Quel était le meilleur moyen de le réveiller ? Que faisaient les héros dans ce genre de situation ? Bon sang, si seulement elle en était une ! Elle n’hésiterait pas comme ça devant un geste si anodin. Mais voilà, elle avait peur de libérer une de ses mains pour accomplir le premier geste qui lui vint à l’esprit apte à le ramener à la réalité alors elle dut se rabattre sur son dernier atout. Sans même y réfléchir, à moitié abrutie de sommeil et probablement inconsciente de la portée de son geste, elle approcha ses lèvres d’Arthur… Bon sang ce qu’il est grand…, se hissa sur la pointe de ses pieds, ferma les yeux, et entra en contact avec... sa joue dans un geste qui manquait assurément du plus élémentaire élan romantique.

Des voix. Dans sa tête.

Elle était incapable de les comprendre et pourtant leur volonté était claire. Doucement, elle se glissa hors de sa couche et avança vers la falaise. Oui, c'est là qu'elle devait aller... Elle aperçut Luna devant elle qui avançait dans la même direction, probablement avec le même désir de rejoindre dans les flots, de s'y abandonner totalement...

Non !

Dans un sursaut de lucidité elle lui attrapa la main, la serrant dans la sienne à s'en faire blanchir les phalanges. Pourtant elles continuaient toutes deux de progresser vers la falaise, pieds nus dans l'herbe humides, inexorablement. Elle aurait voulu crier. Peut-être que tout ceci n'était qu'un rêve ? Non... Le vent qui lui fouettait le visage était bien réel, de même que les vagues qui s'écrasaient contre les roches en contrebas. Tout allait prendre fin dans quelques instant. Elle serra la main de Luna.

En réponse, Luna serra sa main autour des doigts de Tempérance. Une bien mince réponse. Autour d'elles, les cavaliers se ceinturaient les uns les autres pour s'empêcher de tomber. Quelques uns assenèrent mêmes des claques et l'un d'eux plus brute que les autres assomma son prochain.

Dans la tête d'Arthur, les babils cessèrent d'un coup. Et ses membres guidés par une espèce de marionnettiste homicide lui appartinrent de nouveau.

Brus avait le sommeil léger, aussi fut-il tiré de son sommeil dès les premiers échanges. Pourtant il n'y prêta pas immédiatement intérêt. Ce ne fut que lorsque les premiers cris fusèrent que le voleur se retrouva sur ses pieds, cherchant à comprendre ce qu'il se passait autour de lui. Dans l'obscurité quasi-totale, il percevait simplement une partie des gardes qui s'agitait et criait en tout sens, tandis qu'une autre partie, silencieuse, se mouvait dans la même direction : le bord de la falaise. Son regard se posa sur les couchages vides autour de lui, puis il reconnut bientôt Chandara, plus loin, au côté de la silhouette d'Arthur. La paladine avait une drôle d'attitude, comme si elle parlait dans l'oreille du paladin. Mais Brus ne s'y attarda pas, il prit la direction de la falaise où une poignée de soldats était occupée à stopper leurs compagnons. C'est en chemin qu'il aperçut les deux silhouettes féminines, qui devaient être celles de Luna et Tempérance, main dans la main, et progressant vers le précipice. C'était complètement irréel. Brus se mit aussitôt à courir vers elles.

"Eh! Oh! Non! Pas par là! Attendez-m..."

Le voleur venait de poser les mains sur les épaules des deux femmes lorsque son pied trébucha sur le sol inégal de la prairie, rendu traître par l'obscurité. Son corps partit brusquement vers l'avant, happant dans son élan la barde et la prêtresse. Brus sentit plus qu'il ne vit venir le choc. Une seconde plus tard il était allongé de tout son long, un goût de terre dans la bouche.

Face à des corps privés soudainement d'équilibre, le babil incessant abandonna la partie. Les deux femmes reprirent le contrôle de leurs gestes couchées dans l'herbe verte. Luna se redressa presque aussitôt et s'assit dans l'herbe. Choquée par ce qui aurait pu se passer sans l'intervention de Brus, elle regarda finalement autour d'elle avant de demander.

"Est-ce que ça va, vous deux ?"

A présent, les cavaliers semblaient aussi avoir repris leurs esprits. Armés, ils semblaient s'être regroupés autour d'une forme indistincte et presque invisible à leur vue. Ils semblaient taper dans le vide sans vraiment l'atteindre. La silhouette avait l'air de frapper sans s'arrêter et sans toucher grand monde non plus.

La chute n'avait pas été si terrible finalement et elle n'avait presque rien senti. A bien y réfléchir, c'était un peu étrange. Mais peut-être était-elle morte sur le coup après tout. Son corps avait fait une chute de plus de trente mètres et s'était probablement écrasé sur les rochers léchés par l'écume, elle n'avait pas eu le temps de souffrir...

Elle ouvrit un oeil, puis le deuxième. Elle avait de nez dans l'herbe, elle n'était pas tombée de très haut finalement. Elle tourna sa tête et vit Luna étendue à ses côtés. Vivante ! Elle se redressa bientôt, heureuse d'être à nouveau maîtresse de ses mouvements. Brus était allongé lui aussi et elle comprit soudain que c'est lui qui les avait plaquées au sol, brisant au passage l'enchantement dont elles étaient victimes.

- Merci, souffla t-elle. Sans vous... Sans lui elles seraient mortes. Elle fut incapable de finir sa phrase.

Puis elle réalisa qu'elle tenait toujours la main de Luna dans la sienne, si fort qu'elle lui coupait certainement la circulation du sang. Elle n'arrivait plus à la lâcher...
Tout va bien, elle ne va plus tomber, lâche-la. Elle desserra doucement sa prise, libérant la jeune femme.

- Je ne sais pas ce qui s'est passé, dit-elle lentement, encore sous le choc. Ma volonté m'a complètement quittée l'espace d'un instant et je n'avais plus qu'une seule envie : me jeter du haut de cette falaise. Elle frissonna d'effroi en pensant que sans l'intervention de Brus c'était exactement ce qu'elle aurait fait.

Mais les bruits du combat qui se déroulait plus loin attira son attention. Les cavaliers étaient visiblement aux prises avec une créature inconnue, qu'elle peinait à discerner à cette distance.

- Brus, veillez sur elle s'il vous plaît, je dois les aider !

Oui, il fallait que quelqu'un reste avec Luna, l'idée qu'elle puisse vouloir à nouveau se jeter dans la mer n'était pas à exclure et mieux valait ne prendre aucun risque. Tempérance se leva et trouva la force de courir jusqu'aux cavaliers malgré ses jambes tremblantes. Elle n'était pas habituée aux combats, encore moins avec des créatures de cette nature mais elle savait faire preuve d'un sang froid à toute épreuve dans les situations d'urgence. Arrivée près d'eux, elle commença à incanter.

Tempérance ==> Bénédiction ===> Cavaliers

Mais ça ne suffirait jamais. Leurs armes semblaient inefficaces contre la créature et si le combat s'éternisait elle ne donnait pas cher de leur vie. Elle devait les protéger ou au moins éloigner cette chose...

Tempérance ===> Repousse les morts-vivants

Le temps s’était figé dans l’instant fatidique. Les cris s’étaient étouffés, noyés sous la houle de ses émotions contradictoires. Et maintenant Chandara n’osait plus ouvrir les yeux de peur de découvrir ce qu’elle avait fait. Tant qu’elle ne le voyait pas, cela ne s’était pas vraiment passé, non ? Mais qu’est-ce qui lui avait pris d’agir de la sorte ? Avait-elle était un jour plus immature que ce soir ? Et quel spectacle elle devait donner à présent, pendue bêtement à ses lèvres ? Car, dans sa gêne, elle ne s'était pas rendu compte d'avoir raté sa cible après avoir fermé les yeux. Elle n’oserait plus les rouvrir et regarder en face le paladin qu’elle avait horriblement ridiculisé devant toute la troupe. Les yeux toujours clos pour ne pas avoir à croiser son regard de reproche, elle recula d’un pas, puis d’un second. Mais elle ne put pas aller plus loin : sa main enserrait toujours fermement son poignet pour l’empêcher de tomber. Malgré sa honte, elle n’osait pas lâcher Arthur, pas avant qu’elle soit certaine qu’il ne nourrissait plus de pensées suicidaires.

Baissant la tête pour fixer intensément le sol à ses pieds, Chandara osa enfin faire usage de ses lèvres mais son cerveau avait abandonné la partie, laissant ses réflexes prendre le dessus pour former les mots les plus nécessaires dans la situation présente : pas franchement une grande réussite :

- Euh… V.. Vous vous sentez mieux ? Vous-même, je veux dire ? Parce que si c’est le cas, je crois que les autres ont besoin de notre aide.

Tournant la tête pour embrasser – mais cette fois - la situation des yeux, elle aperçut Luna et Brus étendus sur le sol dans une position cocasse. Mais ils n’avaient pas l’air possédés au moins. Mais où était Tempérance ? Ah oui, elle était déjà aux prises avec… une ombre ? Un fantôme ? Sentant son sang ne faire qu’un tour, la paladine retrouva enfin en partie ses esprits et attira Arthur vers le campement. Il réagissait enfin, sans doute remis du choc qu’il venait de subir. Elle s’adressa donc à lui sans toutefois oser tourner la tête vers lui. Elle ne pouvait plus :

- Vite nos armes !

Elle saisit son marteau de guerre puis cria plus fort pour que les cavaliers l’entendent d’ici à ce qu’ils les rejoignent enfin :

- Ne la laissez pas vous toucher, elle aspirerait votre force vitale ! Il faut des armes enchantées pour la blesser...

Luna bougea la main que Tempérance venait de lâcher. Il fallait bien l'avouer, la prêtresse n'avait pas beaucoup de force au demeurant, mais cette prise ferme et déterminée avait stoppé sa course vers la falaise et lui avait sauvé la vie. Elle se retourna vers le voleur qui par son geste avait terminé de les sauver toutes les deux. Elle regarda la main de Brus qu'il avait laissé sur elle sans s'en rendre compte.

"Oui, enfin, là ... Je voudrais pas dire mais ça, c'est ma poitrine. Plus tard si vous voulez ... Mais là non ..."

Elle tentait de plaisanter, de donner le change mais ses jambes tremblaient temps qu'elle se sentait incapable de marcher, totalement sous le choc de ce qui aurait pu arriver.

Arthur était mortifié. Intégralement mortifié. Même si le voile s’était déchiré, même si la voix s’était estompée et qu’il avait repris le contrôle de lui-même, le simple fait qu’il ait un instant été possédé, à deux doigts de se jeter d’une falaise, l’emplissait d’une honte dévorante. Un paladin envoûté ! C’était la chose la plus pathétique au monde.

Mais Chandara l’entraînait et il y avait de l’urgence dans sa voix, et elle lui avait sauvé la vie… En faisant quoi, exactement, il n’était pas tout à fait certain d’avoir compris ou ressenti ou imaginé ce qui s’était produit et de toute façon, ce n’était pas le moment d’y songer, c’était le moment de courir derrière elle, de réintégrer le moment présent et peut-être de se battre. Elle mentionna quelque chose à propos d’armes et il obtempéra, songeant, dans son état second, qu’elle ferait un bien meilleur chef que lui. Mais elle parlait d’armes enchantées et sa vieille épée était tout sauf magique… Néanmoins, il pouvait user de son aura pour donner du courage à ses compagnons et c’était peut-être la meilleure chose à faire dans les circonstances présentes. Suivant l’Helmite qui semblait savoir exactement quoi faire et où aller, il rejoignit donc les cavaliers qui affrontaient la créature invisible, notant au passage que Tempérance était déjà passée à l’action, avec un aplomb surprenant et bienvenu.
Décidément, il n’aurait que l’embarras du choix pour remettre le commandement de la troupe… s’ils parvenaient à se défaire du fantôme, cependant.

Dès qu’elle avisa qu’Arthur avait visiblement recouvré ses esprits et mis de côté l’incident dont elle était responsable, Chandara sut que son rôle s’achevait. Le paladin était bien mieux placé qu’elle pour aider efficacement les combattants, tout comme Tempérance qui avait déjà pris les mains tandis qu’elle avait perdu tout son temps par simple égocentrisme. Elle avait néanmoins saisi son marteau de guerre, par réflexe et ne pas paraître totalement démunie mais c’était là une bien dérisoire défense. Elle avait décidé d'agir plutôt que de s'enterrer dans un trou pour y mourir comme elle en aurait eu envie. Peut-être pourrait-elle au moins détourner quelques coups destinés aux autres combattants ou distraire quelques secondes l’apparition pour qu’un de ses compagnons puisse agir de manière plus décisive. Elle se rendit compte qu’elle n’avait même pas son armure et qu’elle était pieds nus. C'était là dérisoire comparé à tout ce qui lui manquait d'autre mais c'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase ébréché de ses émotions. Bravo ma grande ! Très impressionnante ce soir ! Tâche au moins de détourner un coup de ce monstre avant de rendre les armes.

Dissimulant ses larmes pour ne pas nuire au moral des troupes grâce à la pénombre, elle approcha néanmoins de l’épicentre de l’agitation, cherchant dans ses souvenirs quelque conseil à livrer pour avoir l’impression de servir à quelque chose dans ce combat qui s'annonçait difficile. S’il lui était donné l’opportunité d’attaquer en première ligne à la place d’un des cavaliers, elle n’hésiterait pas non plus : autant préserver leurs meilleures forces combattantes pour assurer la suite de la mission.

Brus redressa la tête pour contempler le résultat de sa chute. La prêtresse expliqua ce qui s'était produit, l'air un peu hagard, avant de filer vers un attroupement qui avait également attiré l'attention de Brus : un groupe de soldat affrontait une forme incertaine et brumeuse. Ce fut Luna qui prit ensuite la parole pour l'informer de la position gênante de sa main. Le voleur rougit en la retirant, avant de s'excuser :

"Je..."

Il s'interrompit aussitôt, pour recracher la terre et les gravillons qui collait à sa langue, en une salve de postillons.

"J'suis désolé m'dame Luna, j'ai pas fait exprès..."

Brus reprit appui en un clin d'oeil sur ses jambes, avant d'essayer de détailler Luna dans la pénombre.

"Ça va aller? T'nez, prenez ma main, je sais pas c'qu'i' s'passe, mais faut pas rester comme ça."

Plus loin la prêtresse avait déjà rejoint le combat et lancé quelques sorts. Brus était curieux d'en connaître le résultat, mais pour l'instant, il était difficile d'en apprécier l'efficacité.

Luna, une fois sur ses pieds manqua retomber. Les sourcils froncés, elle observa le spectre. Une créature isolée poussant les gens aux suicide ... Elle connaissait ce genre de créature. Mais ... Pourquoi s'en prenait-il à eux ? Certains auraient-ils pu ?

Autour du non-mort paladins, prêtres et cavaliers frappaient. Certaines de leurs attaques avaient l'air de porter et le monstre hululait de rage. Il tentait de riposter, infliger de nouveau son babil mais les gens autour semblaient être immunisés à présent. Menés par les deux paladins et la prêtresse dont ils n'avaient pas remarqué la possession - ils retiendraient en revanche leur courage de s'être portés à l'assaut plutôt que de les avoir laissés combattre. Galvanisés, ils ripostèrent coup pour coup. Tempérance, de par son renvoi des morts vivants assena le coup fatal. Le non-mort poussa soudain un hurlement de rage et disparut soudain.

Les cavaliers se regardèrent en silence.

"Bande de salauds ! Parce que c'est à cause de vous, n'est-ce pas ?", dit tout d'un coup Luna.

hrp : petit défi. Saurez-vous me dire quel est ce mort vivant et pourquoi Luna dit ça ?

Tempérance avait finalement fini d’achever le monstre sans qu’aucune victime ne soit à déplorer. La présence de la prêtresse dans leur groupe était donc une bénédiction à plus d’un titre. Bien que le combat n’ait pas si mal tourné, l’adrénaline retombant, les doutes de la paladine refirent surface pour lui suggérer combien elle avait inutile tout au long de l’opération. Et là il ne s’était agi que d’un mort-vivant alors que des dizaines les attendaient sans doute dès le lendemain. Tempérance ou Arthur ne pourraient pas tout. Même aidés de Luna et de Brus qui s’étaient tenu à l’écart de la mêlée finale. Elle se devait donc de se reprendre et de tenir le choc d’ici là. Juste pour les protéger et les aider au mieux de ses capacités chancelantes. La paladine se tourna vers Tempérance pour la remercier de son intervention en posant sa main libre sur son épaule puis s’écarta un peu de la troupe pour répondre à l’injonction si étrange de Luna :

- Qu’est-ce que tu entends par là, Luna ? Cela a un rapport avec cette histoire que tu nous racontais ce matin sur cet homme qui s’est jeté de la falaise ?

Ce faisant, un sinistre détail lui revint en tête et elle ajouta cette fois à l’adresse des cavaliers :

- Comment s’appelait l’homme qui a sauté ? L’un de vous le connaissait-il ? Il devrait avoir droit à une sépulture décente. Nous devrions voir si nous pouvons descendre sans risque… Ou peut-être prévenir quelqu’un qui le pourra. Ce phare est habité ?

Se rendant compte qu’elle avait mobilisé l’attention alors que sa seule intention était de retourner s’enfouir sous son duvet, la paladine ne sut plus où se mettre. Et il n’y avait personne à proximité derrière qui se cacher en sus…

La Couronne de Cuivre

[Quête] Guerre des plaines brûlantes : un certain goût pour la mort