La Couronne de Cuivre

Arthur leur jeta à peine un coup d’œil. Il regrettait déjà de s’être laissé mener comme une bête à l’abattoir, sans avoir eu le cran de résister. C’était la nuit, bien sûr, le moment où les servants de la lumière peinaient à garder leur élan, mais il fallait qu’il se mobilise.
A quoi bon, en réalité ? Il avait laissé passer sa chance, la porte s’était refermée, il était de nouveau réduit à rien, à l’impuissance, à la merci du bon vouloir des autres, et sans rien pour se défendre.
Muselant son désarroi, il décida de quitter la pièce principale pour aller explorer les alentours. Il n’était pas interdit penser qu’il y avait quelque part une fenêtre un peu plus grande, par laquelle il pourrait sortir, ou des armes oubliées en guise de décoration sur un mur, voire une armure complète prenant la poussière.
Il rit intérieurement de sa propre stupidité. Même s’il avait des opportunités, de toute façon, il n’en faisait rien… un bien bel exemple de Lathandrite, en vérité.

Arthur découvrit des chambres, des salons, des boudoirs dont le mobilier, s'il n'était pas tout à fait luxueux, disait assez qu'il évoluait dans les quartiers dévolus d'ordinaire soit aux invités de marque de l'ancien seigneur du château, soit à sa famille. En plusieurs endroits, il remarqua des appliques murales, mais si elles avaient servi à exposer des armes, les Mélandiens avaient pris soin de les retirer. Quant aux fenêtres, elles s'avérèrent à peine plus larges que celle de sa dernière cellule : si un homme parvenait à s'y faufiler sans rester coincé, cela tiendrait du miracle...
Au milieu de ces déconvenues, il y eut malgré tout deux bonnes nouvelles. D'abord, en regardant à travers les vitres, il découvrait qu'il se situait au-dessusde la brume, qui s'arrêtait quelques mètres plus bas, au niveau des remparts. Ensuite, dans une antichambre, il vit deux armures se faisant face de part et d'autre d'une porte. Il s'agissait de modèles anciens, encombrant, du genre qu'on ne pouvait enfiler sans l'aide de quelqu'un.

Arthur hésita à se recoucher mais il devina qu'il ne dormirait plus : la frustration des actes manqués était trop forte et l'empêcherait de trouver le repos. Il finit donc par se trouver un poste d'observation sur la campagne et attendit l'aube. Il regrettait presque d'avoir récupéré sa main : au moins, la douleur l'avait détourné du réel. A présent, il ne pouvait plus s'en prémunir et c'était, quelque part, encore bien plus insoutenable.
Mais le soleil viendrait. Un autre jour, d'autres possibles, c'était obligatoire.
Il ferait mieux, peut-être, ou pas. Ailleurs. Demain.
Guetter le premier rayon, celui qui lui réchaufferait le coeur, l'arracherait à la nuit.
Lutter contre le désoeuvrement.
Il regretta avec une acuité nouvelle d'avoir jamais embarqué sur ce maudit bateau. Il regretta l'affection des siens, la chaleur de la commanderie, la fraternité qu'il avait partagée, les conseils qu'il avait négligés, les ordres qu'il avait enfreints. Il y avait eu tant de lumière, là-bas, et ici, tout n'était que ténèbres.

Mais il n'eut pas l'opportunité de voir l'aube.
Le temps s'écoula, certes. Les minutes succédèrent aux minutes, les heures aux heures, peut-être. Sans doute.
Puis il entendit des pas, derrière lui.
-Messire Maelwedd, nous avons ordre de vous conduire auprès de monsieur le conte, qui souhaite s'entretenir avec vous, fit-une voix, d'un ton martial.
Deux soldats mélandiens l'avaient rejoint, main sur le pommeau de leurs armes.

Cette fois, le jeune homme ne songea même pas à protester. Avec un soupir, il abandonna son poste d'observation et, ne leur adressant pas la parole, il repartit en direction de la sortie. Il allait finir par connaître le plan du donjon par coeur, pour tout le bien que cela lui ferait.
Tout en cheminant, encadré par sa paire de cerbères, il se demanda ce que le comte pouvait bien lui vouloir. Peut-être la réponse de Maelwedd père était-elle arrivée par des voies aériennes ou magiques... Il aurait aimé ressentir un peu d'angoisse, mais il était surtout las.

On le conduisit jusqu’à l’étage inférieur, jusqu’à la salle où il avait vu le clerc pour la première fois. Mais ce n’était pas ce dernier qui s’y trouvait, non : c’était le comte, affalé sur une chaise, les traits tirés, le teint pâle, son armure maculée de sang. Le sien ? Celui de quelqu’un d’autre ? Impossible à dire.
Le Melandien releva les yeux sur le paladin, le scruta un instant puis soupira.
-Messire, vous l’aurez compris, notre situation n’est pas brillante. Nous avions enfermé Destertres à double tour, mis le grimoire en lieu sûr mais, malgré toutes nos précautions, ce livre maudit a trouvé le moyen de rejoindre le traître… qui s’est empressé de l’utiliser. Je viens de mener une sortie avec le sieur de Roquebrune pour tenter de le mettre hors d’état de nuire. Un échec cuisant : vingt-cinq de mes soldats tués… pour aller grossir aussitôt les rangs ennemis.
Il regarda Arthur droit dans les yeux.
-Destertres va tenter de prendre ce donjon, et il ne renoncera pas avant d’être parvenus à ses fins. Si nous voulons tenir bon jusqu’à l’arrivée des renforts, si nous voulons éviter que les prisonniers ne soient tués, nous aurons besoin de toutes les personnes capables de se servir d’une arme. De toutes sans exception.

Le paladin le regarda avec incrédulité et sa première impulsion fut de l’envoyer paître.
« Vous voulez dire empêcher les prisonniers d’être tués par les uns plutôt que les autres. Vous êtes le seul qui risquez vraiment quelque chose, dans cette histoire. Pour nous, c’est la peste ou le choléra. Je reconnais que le second est moins douloureux que le premier, mais on finit quand même par en mourir. »
Il soupira. Il était paladin de Lathandre. Il fallait tenter le coup. Quitte à mourir en combattant : ce serait toujours plus glorieux que de pourrir dans une cellule. Cela dit, il n'avait pas tellement envie de devenir un mort-vivant dans une brume verte.
« Mais vous vous doutez que je ne refuserai pas. Même si vous devez savoir que je ne suis pas à la hauteur des pouvoirs de ce bouquin... Si je l'étais, je ne me serais pas fait capturer. »

-Le sieur de Roquebrune est en train de mettre en place des protections grâce auxquelles l'intérieur de la tour devrait être préservé de la brume et des autres pouvoirs similaires du livre. En revanche, cela n'empêchera pas les morts-vivants d'entrer, et contre de telles menaces, je suis sûr que vous serez à la hauteur. Je ne suis pas homme à mésestimer les paladins.
Il soupira. Manifestement, il n'était pas très à son aise.
-Par ailleurs, oui, je me doutais que vous ne refuseriez pas. De mon côté, l'honneur m'interdit de profiter de vos convictions. J'ai donc préparé une contrepartie.
Il désigna un parchemin, sur la table.
-Par la présente, je m'engage à libérer tous les prisonniers sitôt que le danger sera écartée. Je ne puis vous faire la même offre : vous êtes le fils du général en chef des armées luméniennes, vous libérer serait donc trahir l'empereur. Néanmoins, je promets d'intercéder en votre faveur, afin que vous ne soyez pas exécuté ou réduit en esclavage si votre père refuse nos conditions. Si on accède à ma demande, vous resteriez prisonnier jusqu'à ce qu'un traité de paix soit signé entre nos deux nations. Traité qui, comme souvent, devrait contenir une clause relative à la libération des captifs de guerre.

Le comte avait sans doute l'impression de se montrer très généreux, mais en réalité, sa proposition était d'une cruauté sans bornes. Arthur ne pouvait pas lui en vouloir, il était mélandien, retors et intelligent. En liant son comportement au destin des prisonniers il le privait, de fait, de toute possibilité de fuite. Ce n'était pas très différent du chantage auquel l'avait soumis Destertres plutôt, quand il avait voulu le faire lever, mais c'était simplement formulé autrement, dans le velours. Il le piégeait sur son honneur car, bien sûr, même s'il n'avait aucune idée de l'identité des personnes à l'étage supérieur, même s'il n'avait pas l'intention de leur adresser la parole, jamais, il était désormais tenu de défendre le donjon et d'assister à leur libération le jour venu.
Il sentit quelque chose se contracter dans sa poitrine mais il était déterminé à faire bonne figure. Il fallait surtout qu'il ne songe pas à ce que seraient plusieurs années d'enfermement, même dans une prison dorée, rongé, miné, détruit par l'ennui, jour après jour, et l'amertume, et la poussière. Il prit une profonde inspiration et se détourna brusquement.
" Bon. Où est-ce que je dois aller ?"
Il y aurait d'autres opportunités. Il s'enfuirait un jour. Immanquablement. Quand il n'y aurait plus personne qui dépendrait de lui et que tout le monde l'aurait oublié.

Le comte désigna une porte voisine.
-D'abord dans cette pièce, où se trouvent votre armure et votre épée. Ensuite au rez-de chaussée : vous êtes affecté à la surveillance de la porte principale, au sein de l'escouade du lieutenant Grimaud. Celui-ci et ses sommes sont... hum... les moins hostiles à mon initiatives, disons. Vous devriez donc pouvoir cohabiter sans trop de heurts.
Une grimace de douleur déforma ses traits, fugace.
-Si j'arrive à les convaincre de participer à la protection de la tour, les deux autres hommes que l'on compte au nombre des prisonniers ne tarderont pas à vous rejoindre.
Il secoua la tête.
-Une défense tripartite au beau milieu de la guerre... La vie réserve parfois d'étranges surprises.

Arthur eut un sourire furtif, un peu douloureux, puis s'inclina devant le comte et l'abandonna à ses angoisses. A présent que la décision était prise, qu'il s'était engagé à défendre la tour, il ne servait à rien de tergiverser et de regretter. De l'avant, en bon Lathandrite, l'aube était proche, et il oublierait l'incongruité de sa situation dans l'action.
Bien sûr, il n'avait pas promis de ne pas s'attaquer aux capes écarlates une fois les morts-vivants repoussés, mais il devinait que l'accord était tacite. Tant que les prisonniers du donjon ne seraient pas libres et loin, il n'oserait jamais s'en prendre aux Mélandiens, et il serait alors à nouveau désarmé et restreint. Exactement comme avec Chandara au pied du moulin. Mais c'était là le destin d'un paladin : se sacrifier sans arrière-pensée. Il pouvait le faire.
A bien y réfléchir, mourir au combat était encore l'issue la plus enviable à la situation présente... et peut-être la plus probable. Dès qu'il serait équipé, il irait donc rejoindre son officier imprévu pour défendre les portes.

Comme on lui l'avait indiqué, ses affaires gisaient dans une petite pièce, au milieu d'un amoncellement hétéroclite d’œuvres d'art, de vêtements de prix, d'armes ornementées, d'objets précieux, de coffres... Les prises de guerre du sieur Destertres, assurément. Comme on pouvait s'y attendre, son armure n'avait été ni nettoyée, ni réparée, mais elle était loin de s'avérer hors d'usage. Quant à son épée, elle était comme neuve.
Équipe de pied en cap, Arthur put descendre au rez de chaussée sans que personne ne s'y oppose. Quand il atteignit le hall, il découvrit la double porte fermée et barrée, un bivouac en bonne et due forme, hormis le feu de camp, et une quinzaine d'hommes, la moitié assis ou allongés sur leurs couches, les autres debout près des battants, l'oreille tendue. Parmi eux se trouvait un jeune officier au corps élancé et à la mine engageante, quoi que ses traits fussent creusés par l'épuisement et la tension.
-Ah, vous voici, dit-il en se tournant vers lui. Je n'aurais jamais imaginé dire un jour cela à un Luménien mais... Bienvenue parmi nous.

Arthur avait escompté combattre, pas vraiment deviser avec les Mélandiens, aussi fut-il un peu pris au dépourvu par les salutations de l'officier. Il n'était pas certain de savoir comment il était censé se comporter. Il avait l'intention d'obéir aux ordres, car il fallait bien un chef à leur escouade, mais il ne savait pas jusqu'où sa déférence devait aller. Cet homme était l'ennemi. La nécessité et l'honneur l'obligeaient à se ranger momentanément à ses côtés mais la dernière chose à faire était de sympathiser. Et il ne voulait pas que ce Grimaud le pense reconnaissant, soumis ou craintif. En fait, il aimait autant que le Mélandien n'en pense rien.
" Où dois-je me mettre ?" demanda-t-il d'un ton qu'il espérait acceptable, ni agressif, ni hésitant.

-Ça dépend de votre état, en fait... répondit le lieutenant. Si vous avez besoin de vous reposer, il y a des paillasses libres de ce côté : mieux vaut que tout le monde soit d'attaque quand ils passeront à l'action. Sinon, e bien... Venez écouter avec nous. Nous pensons qu'ils vont essayer d'enfoncer la porte et nous voudrions prévenir l'escouade du premier étage, qui n'y voit goutte avec ce brouillard, afin qu'elle les bombarde avant qu'ils n'aient pu commencer...

Arthur n'était pas particulièrement fatigué et avec son harnois sur les épaules, il se sentait même plutôt revigoré. Il percevait encore un écho de la souffrance des heures précédentes dans sa carcasse, comme une tension ancienne, un souvenir estompé et imprimé dans sa chair, mais il pensait qu'il ne disparaîtrait jamais tout à fait. Autant s'y faire. Le poids de l'épée à sa ceinture était un autre motif de soulagement. Non, il ne se sentirait probablement jamais mieux. Aussi suivit-il l'officier vers cette fameuse porte, pour écouter la nuit et la horde...

Au début, Arthur n'entendit rien sinon la respiration de ses voisins. Ce n'était guère étonnant, compte tenu de l'épaisseur des lourds battants... Toutefois, au fil des minutes, il commença à percevoir d'autres sous. Des raclements contre les pavés, comme si l'on y marchait en traînant les pieds ; des grognements gutturaux, pour la plupart inarticulés quoiqu'il lui semblât parfois reconnaître des mots ; des chocs sourds, aussi, dont la nature était impossible à déterminer... Il s'avérait ardu de deviner de quelle distance tout cela leur provenait : cela semblait parfois lointain, parfois proche... La faute, probablement, à la brume qui avait envahi le château et ne gênait pas uniquement la vue...

Arthur n’avait jamais été le plus perceptif des hommes et tout ce bruit ne lui évoquait pas grand chose. Oui, il imaginait bien une bande de morts-vivants traînant sans but dans la cour, mais était-il vraiment nécessaire qu’ils soient si nombreux à guetter le moment où les bruissements changeraient de tonalité ?
Il essaya de se contraindre à demeurer en place, même si la tentation était grande d’aller se promener ailleurs. Résister à la tentation, c’était aussi le genre de domaines où les paladins étaient censés exceller, après tout. Il espérait juste qu’il n’allait pas attraper des crampes à force de rester immobile. Ou s’endormir. Pour s’occuper, il se mit à réciter une prière à Lathandre, mentalement, bien sûr, pour ne pas provoquer ses camarades mélandiens. Il espérait qu’il ne serait pas radié de l’Ordre quand ils apprendraient ce qu’il avait fait de ses journées…

Le temps s'écoula, interminable, sans que rien de nouveau ne se produise. Autour de lui, le paladin sentait s'accroître la nervosité de ses alliés de circonstance, il les voyait s'efforcer de se détendre...
Et puis, tout à coup, provinrent du dehors des suppliques angoissées, suivies par les hurlements d'un homme mis au supplice.
-On dirait Blaise... souffla un soldat.
-Je dirais plutôt Lars... murmura un autre.
-Blaise comme Lars ont été touchés par la brume et ont été transformés en morts-vivants, intervint Grimaud. Le traître joue avec nos nerfs. Essayez de faire abstraction de ces cris, de vous concentrer sur le reste.

Au moins, le jeune paladin n’avait aucun ami dans les environs et donc aucune raison de s’angoisser de leur devenir. Et il supposait que les soldats alentours devaient en avoir vu d’autres : après tout, ils étaient Mélandiens, des spécialistes de la torture et de la barbarie, ils n’allaient pas s’émouvoir de quelques cris, craquements, larmes et autres fluides répandus. Evidemment, comme bien des bourreaux, ils avaient l’habitude d’infliger les tourments eux-mêmes, et c’était sans doute moins facile quand ils devaient y assister ou craindre d’y être soumis à leur tour. Mais l’un dans l’autre, Arthur ne ressentait pas particulièrement d’empathie pour cette engeance. C’était presque bien fait pour eux. Il espérait juste qu’ils n’en deviendraient pas complètement incapables de se battre au moment venu...

Pourtant, malgré ce qu'Arthur pensait d'eux, malgré les paroles sensées de leur officier, plusieurs soldats semblaient douter que les hurlements soient poussées par un mort-vivant ou qu'il s'agisse de simples illusions auditives : sur leurs visages, la colère le disputait à l'inquiétude. Remarquant le phénomène, Grimaud finit par envoyer deux d'entre eux se reposer, demandant à d'autres hommes de prendre leur place.
Tandis que le changement s'effectuait, le paladin crut percevoir de nouveaux sons. Ténus, discrets, il lui sembla néanmoins que des pas se rapprochaient de la porte.

" Quelque chose se rapproche, dit le jeune paladin d'une voix forte, avait de se sentir rougir. Enfin, je crois. Je peux me tromper."
Il s'éclaircit la gorge, embarrassé d'être embarrassé. Il fallait qu'il soit sûr de lui, stoïque, redoutable, fort face à l'ennemi. Tous les ennemis, quel que soit le côté de la porte qu'ils occupaient. Mais il était conscient d'être le premier et sans doute le seul paladin luménien que ces soldats rencontreraient jamais en dehors d'un champ de bataille. Il voulait être à la hauteur de quelque chose et comme il ne savait pas bien quoi, cela lui mettait une pression qu'il peinait à dompter.
Sois-toi même, lui souffla une petite voix.
Sûrement pas !
Non. Il voulait être quelqu'un dont les Mélandiens se souviendraient avec respect, même mort. Et pour ça, il allait falloir qu'il se montre à la hauteur de ce qui ne tarderait pas à déferler sur eux...

Les Mélandiens s'étaient aussitôt immobilisés, aussitôt tus.
Oui, il y avait bien des pas. Des pas traînants qui étaient désormais tout proches.
Selon toute vraisemblance, et à moins que la brume ne leur joue un mauvais tour, ils étaient produits par une seule personne. Ou par une seule créature.
Laquelle s'avança encore. À présent, elle devait être juste de l'autre côté de la porte.
Déjà, le lieutenant avait brandi un cor jusqu'ici accroché à sa ceinture.
Mais les bruits cessèrent, furent remplacés par d'autres.
Grattement, froissement.
Une feuille de parchemin fut glissée sous le battant, quasiment aux pieds d'Arthur.
Les pas recommencèrent. Ils s'éloignaient lentement.

Le paladin se pencha avec un léger haussement d'épaules et ramassa le morceau de parchemin que l'émissaire mort-vivant — pourquoi imaginer autre chose ? — avait glissé sous la porte. Il le porta ensuite à l'officier Grimaud.
" J'imagine que c'est pour vous." dit-il simplement en le lui remettant, avant de retourner à sa place.
Le nécromant voulait négocier. Entre Mélandiens, après tout, quoi de plus normal. Ils étaient du même bord, leur Empereur n'appréciait probablement pas qu'ils se tirent dans les jambes en plein milieu d'une guerre.
Ce que cela signifierait pour lui, si les deux factions se réconciliaient, Arthur ne voulait pas y réfléchir. Ce ne serait de toute façon pas bon... mais il ne pouvait rien faire pour s'y opposer.

Grimaud lut rapidement le contenu du message.
-Diantre, Destertres ne manque pas de culot... lâcha-t-il.
-Que dit-il, lieutenant ?
-Il offre de nous laisser partir de "son" château avec armes et bagages. En échange, il veut les prisonniers.
-Le comte va aimer ça, tiens !
-Ouais, il va l'envoyer se faire foutre de belle manière...
-Restez concentrés, je vous prie. Graham, va porter ce message à monsieur le comte.
-Tout de suite.
Déjà, le soldat s'éloignait, tandis que ses comparses reprenaient leur garde vigilante comme si de rien n'était.

Arthur se sentit bien évidemment mal à l'aise, mais il tenta de n'en laisser rien paraître. Sans doute l'affront suffisait-il pour que le comte refuse les conditions du nécromant — ces Tempusiens semblaient guidés par l'honneur plutôt que par le pragmatisme — mais s'il devenait clair que le donjon serait pris, le Mélandien déciderait-il de tout sacrifier pour le salut d'une poignée de Manostiens et d'un paladin de Lathandre ? Il n'en était pas complètement certain. Ce dont il était certain, par contre, c'est que si on essayait de lui reprendre son épée, il ne se laisserait pas faire.
Mais il était trop tôt pour en juger. Aucun élément nouveau ne plaidait pour une reddition immédiate, il n'y avait pas lieu de se sentir — déjà, à nouveau, encore — en sursis.

Graham revint quelques minutes plus tard, une missive à la main.
-Alors, qu'a dit monsieur le comte ? s'enquit le lieutenant.
-Il a dit, je cite, que "le traitre peut se carrer sa proposition dans un endroit où le soleil ne brille jamais". Et vu la vitesse à laquelle il a rédigé la réponse, je pense que celle-ci est du même accabit.
Plusieurs soldats rirent de bon cœur.
-Voilà une réponse qui va rester dans les annales ! gloussa l'un d'eux.
-Ça, on peut le dire ! J'aime ce genre de diplomatie...
Sitôt que le messager eut glissé le parchemin sous la porte, on entendit à nouveau les pas trainants s'approcher.
-On tend l'oreille, souffla Grimaud.
Mais, encore une fois, il n'y avait qu'une créature.

La réponse du comte n'était pas une réelle surprise, mais Arthur en ressentit néanmoins un léger soulagement. Même s'il doutait de pouvoir jamais apprécier d'être captif, il savait de quoi le nécromant était capable et il devinait que s'il devait retomber entre ses mains, les retrouvailles seraient douloureuses. Mais c'était pourtant plus simple d'être le prisonnier d'un être haïssable : les émotions étaient alors claires et authentiques, faciles à comprendre et à ressentir, limpides et pures. Dans la situation présente, il se sentait incroyablement mal à l'aise, comme traître à lui-même, sans parvenir réellement à se l'expliciter.
Mais ce n'était pas le moment : la réponse du comte allait très certainement provoquer l'ire de Destertres, et il faudrait se montrer à la hauteur de l'insulte.

A nouveau le silence, uniquement troublé par les sons ténus du dehors, par les murmures qu'échangeaient les soldats au repos.
A nouveau l'attente, pesante, interminable.
Enfin, il y eut du raffut, à l'extérieur. Le bruit des bottes, trainant. Celui de quelque chose de lourd qui racle les pavés de la cour...
Plus proche, toujours plus proche.
Le lieutenant Grimaud avait repris son cor à la main.
-Cette fois, on y est... dit-il.
Un instant plus tard, il tirait de l'instrument une unique et brève sonnerie.

Le jeune paladin n'était pas tout à fait certain de la stratégie qu'entendait appliquer le lieutenant, aussi décida-t-il de calquer son comportement sur celui des soldats autour de lui. Il était probable que les morts-vivants chercheraient à enfoncer les portes avant de déferler à l'intérieur. Puisqu'une équipe se trouvait à l'étage supérieur pour les frapper d'en haut, il leur faudrait bloquer le passage tant que possible, puis seulement combattre, si les créatures parvenaient à leur fin. A moins que Grimaud ne décide de les laisser passer au bout d'un certain temps, histoire de pouvoir refermer l'entrée du donjon une fois l'assaut repoussé...

Les soldats qui s'étaient vu accorder une pause avaient déjà bondi sur leurs pieds et se concentraient, attendant la suite des événements.
De l'autre côté de la porte leur provinrent des grognements, des bruits de chute, des chocs...
Puis, depuis l'étage supérieur, résonna un clairon.
-Deux coups... commenta Grimaud.
Il se tourna vers ses hommes -Arthur y compris.
-Formez deux groupes et positionnez vous en lignes de chaque côté de la porte, afin de ne pouvoir être visés par des projectiles. Ensuite, toi et toi, vous enlevez la barre, vous ouvrez et vous vous replier. On va prendre les assaillants en tenaille.
Il les scruta un instant.
-Et quoi qu'il advienne, on ne sort pas. Sous aucun prétexte.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Guerre des plaines brûlantes : UCGPLM - Arthur