La Couronne de Cuivre

- Non, c'est certain. Mais je peux aussi créer de l'eau, si vous voulez. Les forces de la nature peuvent beaucoup de choses... et c'est un peu mon domaine.
La druidesse sourit.
- Mais je ne voudrais surtout pas vous priver de l'occasion de me jouer une petite sérénade ! Et puis, la musique est toujours utile pour mettre du baume au coeur des aventuriers perdus dans un désert hostile... Donc appliquez-vous ! Moi, je me charge de préparer à manger, si vous voulez...
Elle grimpa lestement sur le dos d'Opale et entreprit de la délester de son chargement, laissant à Kasumi le soin de faire le feu... et fournir de l'eau.

Avant de s'en charger, le rôdeur s'empressa de délester Rubis de son chargement en laissant le soin à Eärundra de faire au mieux avec le peu de combustible à leur disposition. Le demi-elfe avait l'intention de s'acquitter au mieux de sa modeste tâche même s'il doutait que cela suffise à lui mettre du baume au cœur. Cette soirée qui aurait pu leur apporter des pistes promettait d'être bien sombre, musique ou pas. Kasumi savait devoir faire preuve de patience mais la perspective de se diriger vers des territoires périlleux dès le lendemain ne contribuaient pas à raviver son espoir un peu douché.

Se saisissant de la flûte, le rôdeur sifflota tout d'abord l'air à plusieurs reprises pour se le remémorer avant de se lancer lentement mais sûrement. Par précaution, il avait creusé un trou dans le sable et disposé plusieurs pierres afin de former un petit bassin semi-permanent si sa tentative était couronnée de succès.

Il lui fallut quelques tentatives, mais l'eau finit par couler. Lentement, comme l'air qu'il jouait. Enchaîner les notes rapidement n'était pas à la portée d'un débutant.
Le bassin se remplit, peu à peu. Trop lentement certainement. Eärundra eût largement le temps de faire le feu et de cuisiner avant qu'il dépose enfin la flûte, satisfait de la quantité produite. Il avait dû s'y reprendre à plusieurs reprises, reprenant son souffle entre deux prestations de musicien, mais il y en avait largement assez pour étancher leur soif et faire bouillir une infusion. La druidesse jugea cependant que les aigles avaient besoin d'une quantité d'eau trop importante pour qu'il puisse la produire seule, aussi finit-elle par utiliser elle aussi un sortilège après avoir créé elle aussi une sorte de bassin devant les aigles.
La tempête, au-dehors, faisait toujours rage, mais le sortilège les protégeait efficacement. Ils eurent le temps de dîner à l'abri, avant que la druidesse se décide à construire le mur dont elle avait parlé. Elle jaugea la direction dominante pour savoir où le bâtir, et lui donna par précaution une forme légèrement incurvée. Mais bien sûr, si le vent tournait trop, ils seraient exposés.
Les aigles se contentèrent d'eau et de grains, et les deux aventuriers se choisirent la place la mieux protégée possible. Lorsque le sortilège de contrôle des ventes prit fin, les grains de sable se mirent à tournoyer, mais sans violence, l'air étant freiné et canalisé par la présence du mur. La nuit s'annonçait sereine...

Si la nuit s'annonçait aussi sereine que possible compte tenu de leur lieu de bivouac, le rôdeur savait qu'ils ne le devaient qu'aux sortilèges de la druidesse : sa propre contribution n'avait été que symbolique en comparaison. Et au fond, au vu de la quantité d'eau aisément produite par Eärundra, elle n'avait été nécessaire qu'à apaiser sa propre susceptibilité et sa fierté. Le rôdeur avait observé la barrière invisible plus en cherchant un moyen de l'améliorer voire d'y apporter sa contribution mais c'était là encore gaspiller son énergie sans résultat. La soirée aurait été bien silencieuse n'était le bruit du vent et du sable sur la falaise et tout autour de la zone. Kasumi eut bien de la peine à trouver le sommeil et le vent était loin d'en être la cause principale.

Une étrange sensation le réveilla. Quelque chose de chaud et mouillé sur sa joue, avec une odeur fort désagréable. Un souffle d'air chaud et humide dont les effluves lui firent plisser le nez. Il émergea du sommeil pour se retrouver nez à nez avec un bouc. Qui bondit en arrière avec légèreté, circonspect, observant le rôdeur.
Autour d'eux tout était calme. Eärundra était plongée dans sa transe elfique, il faisait toujours nuit noire. Il ne devait pas avoir dormi plus de deux ou trois heures et se sentait somnolent. Le vent de sable soufflait toujours en rafale, mais elles lui parurent moins violentes. La tempête se calmerait peut-être bientôt.
Le bouc le fixa de ses yeux humides. Il était seul, apparemment heureux d'avoir trouvé un endroit abrité du vent de sable. Il vint se coucher, sans façon, non loin de Kasumi... suffisamment près pour que l'odeur l'incommode en tout cas.

Il y avait compagnie plus agréable et mieux valait tout compte fait se réveiller seul qu'ainsi accompagné ! Tout d'abord passablement embrumé dans son demi-sommeil, le rôdeur mit quelques instants à identifier l'intrus qui s'était si étonnamment invité dans leur campement. Encouragé par l'odeur désagréable qui n'incitait pas à l'ignorer tout simplement pour se rendormir, Kasumi se redressa sur son séant. Il fut tenté de se signaler pour appeler une réponse d'un éventuel berger accompagnant l'animal. Mais Eärundra semblait paisible et il ne voulait pas nuire à sa récupération pour une fausse alerte. Luttant contre la fatigue, Kasumi se releva en faisant le moins de bruit possible. Il ressentit aussitôt le froid mordant le saisir mais il persévéra, s'aventurant hors de l'abri protégé de l'anfractuosité. Il avait l'intention de vérifier si les aigles se portaient bien et surtout si le bouc était venu seul ou non.

Le bouc, le voyant se lever, se leva à son tour et le suivit au-dehors. Les deux aigles étaient toujours là, apparemment en train de dormir, plutôt bien protégés du vent même si du sable parsemait leur plumage. Le mur, à sa droite, n'avait pas bougé. A sa gauche, la falaise se prolongeait, bien sûr, mais s'incurvait, ce qui l'empêchait de voir ce qui se passait directement au pied. Le bouc avança dans cette direction, se tournant ensuite vers lui comme pour l'inviter à le suivre, puis poursuivit son chemin.
Il constata que le bassin où Eärundra avait produit de l'eau était désormais vide, alors qu'il se souvenait qu'il était plein à moitié lorsqu'ils étaient allés se coucher.
Le bouc, à nouveau, tourna la tête vers lui, juste avant de disparaître derrière la courbe des rochers.

Il semblait que le bouc cherche à le guider vers quelque chose ou quelqu'un. Son maître peut-être. Kasumi était tenté de retourner réveiller Eärundra, par prudence, mais c'était prendre le risque de laisser échapper leur étrange visiteur. Au pire, si un piège se cachait derrière la courbe des rochers, il serait suffisamment proche pour appeler la druidesse malgré le vent qui avait faibli. Il vérifia tout de même que son arme, récupérée par réflexe au moment de se lever, glissait bien hors de son fourreau. Puis il suivit l'animal en étouffant ses pas sur le sol sableux. Au pire, il laisserait ainsi des empreintes.

Lorsqu'il se fut éloigné d'une vingtaine de mètres, il réalisa à quel point le mur les avait protégés : il était à nouveau en pleine tempête, certes moins violente, touchant à sa fin, mais suffisamment forte pour l'obliger à s'envelopper complètement la tête dans son écharpe.
Il passa la courbe rocheuse pour découvrir un amas de rochers appuyés à la falaise, quelques dizaines de mètres plus loin, qui lui masquait la vue. Le bouc sembla l'attendre, à nouveau, avant de disparaître au-delà des rochers.
Lorsqu'il y parvint à son tour, un spectacle relativement inattendu l'accueillit : une petite douzaine de chèvres, endormies. Ainsi que deux hommes... non, un enfant et un homme. L'enfant, qui devait avoir à peine une dizaine d'années, se dressa aussitôt, les yeux agrandis de peur.

Après avoir constaté qu'il n'y avait pas vraiment de danger, le rôdeur mit ses mains bien en évidence, en un signe universel de paix et d'apaisement. Trouver des voyageurs dans ce rare coin relativement abrité n'était qu'une demi surprise au fond : il était logique que les nomades surpris par la tempête ait cherché à rejoindre la falaise. Ceux-ci avait simplement eu de la chance. Peut-être plus que d'autres.

- Je suis Meredith. Je viens en paix.

Le demi-elfe aurait bien proposé de partager leur relatif abri avec les nomades mais il y avait fort à parier que les chèvres intéresseraient un peu trop Rubis et Opale dans cette éventualité. Il resta en marge du campement, attendant la réaction de l'enfant, espérant ne pas l'avoir terrifié.

L'enfant ne répondit pas, le lorgnant toujours avec méfiance. Kasumi nota qu'il tenait un petit couteau à la main, arme bien dérisoire... Les chèvres ne semblaient pas faire grand-cas de sa présence, et le bouc était retourné se coucher auprès d'elles.
L'homme, quant à lui n'avait toujours pas bougé. Ses cheveux gris témoignaient d'un âge plutôt avancé. Il semblait dormir... mais il était très pâle, et kasumi nota que ses chausses étaient tâchées d'une substance sombre qui pouvait être du sang. Ou peut-être pas. L'enfant s'était accroupi auprès de lui, et son regard allait du rôdeur à l'humain, hésitant.
- On a rien de valeur, lâcha-t-il avec hargne. C'est pas la peine de vouloir nous voler !

Bien : au moins le gosse ne s'était-il pas enfui et n'avait pas crié. Au lieu de cela il défendait bravement son compagnon - son père peut-être et son troupeau. Ignorant son ton hargneux bien justifié, le demi-elfe répondit d'un ton posé :

- Je ne suis pas un voleur. J'ai de l'eau pour vous : vous ne semblez pas en avoir trouvé ici.

Il désigna l'adulte allongé - un peu inquiet de son état - avant d'ajouter avec bienveillance :

- Cet homme a l'air d'avoir besoin de soins. Je peux l'aider : une amie druide m'accompagne.

Le gosse ne semblait pas vraiment en confiance.
- Une druidesse ? Une sorte de sorcière en fait ? Je veux pas qu'on touche à mon grand-père ! Je veux pas qu'on lui lance de sort ! Il serait pas d'accord, d'ailleurs... Et on n'a pas besoin d'eau, on a bu celle que vous aviez laissée dehors, ajouta-t-il en rougissant.
Il baissa des yeux inquiets sur l'homme allongé, qui ne s'était pas réveillé malgré le bruit de la conversation.
- Il a pris un rocher sur la jambe, tout à l'heure, expliqua-t-il en désignant l'amas rocheux contre lequel ils étaient installés. J'ai réussi à pousser le rocher, et puis j'ai arrêté le sang en appuyant fort... mais il se réveille plus... Pourtant il est vivant, hein, j'ai vérifié, il a son coeur qui bat !

C'est ce qu'il craignait : l'homme s'était grièvement blessé en cherchant un abri en pleine tempête. Même si la blessure n'était pas létale, il serait de toute façon en grande difficulté et mettrait son petit-fils en danger. Et pour l'heure, il y avait urgence : l'inconscience du blessé était inquiétante en soi et il ne fallait plus perdre de temps, même si l'hémorragie était jugulée.

- Tu as bien agi mais ton grand-père a besoin d'aide. Tu n'as rien à craindre de nous : nous n'avons rien de sorciers.

Sans plus perdre de temps, le rôdeur se détourna et partit en courant vers l'anfractuosité où se reposait Eärundra. Il faudrait peut-être encore négocier avec l'enfant mais son grand-père avait besoin de soins immédiats. Tant pis pour les préjugés et superstitions...

L'enfant ne le suivit pas. Le bouc non plus, bien sûr : sans doute considérait-il qu'il pouvait enfin s'octroyer une bonne nuit de sommeil après être allé quérir de l'aide.
Les aigles semblaient dormir, la tête enfouie sous leur plumage, bien protégés du vent par le mur érigé par la druidesse.
Eärundra, quand à elle, était toujours plongée dans sa transe elfique. Mais elle s'éveilla rapidement en entendant le rôdeur.
- Un souci dehors ? questionna-t-elle doucement.

Le rôdeur tenta de la rassurer d'un geste d'apaisement et déclara calmement :

- Pas tout à fait... Enfin, pas en ce qui nous concerne. Désolé de vous tirer de votre sommeil, Eärundra. Mais deux nomades ont trouvé refuge un peu plus loin et l'un d'eux s'est apparemment blessé à la jambe à cause de la chute d'un rocher. Je n'ai pas pu l'examiner mais il aurait besoin de votre aide je crois. Il faudra peut-être en convaincre son petit-fils, cela dit.

- Ah... , fit-elle simplement. Je viens.
Elle se leva lentement, s'étirant brièvement, saisit machinalement sa besace et sortit de leur petit abri à la suite du rôdeur.
Le vent semblait encore avoir faibli, mais il leur fallut, à nouveau, s'enrouler une écharpe de coton autour de la tête dès qu'ils se furent éloigné du mur.

Le gosse les attendait là où l'avait laissé Kasumi, agenouillé près de son grand-père. Il les regarda s'approcher avec un froncement de sourcils peu engageant.
- Vous êtes la sorcière. Vous toucherez pas mon grand-père.
- Je ne suis pas une sorcière. Je suis juste une amie des bêtes et de la nature...
- Une druidesse. C'est pareil.
- Pense ce que tu veux, après tout... Tout ce qui compte c'est que je peux soigner ton grand-père. Mais il faut que tu me laisses examiner sa blessure.
Le gamin parut hésiter.
- Vous pouvez regarder... mais si vous tentez de lui jeter un sort, je vous en empêcherai !
La druidesse ne répondit rien et s'approcha du vieil homme. Kasumi put constater que celui-ci avait le teint anormalement pâle, la respiration faible et laborieuse. La druidesse déchira d'un coup de couteau ses chausses, pour découvrir une plaie ouverte à l'aspect inquiétant, aux abords gonflés de façon impressionnante. l'homme bougea légèrement dans son sommeil alors qu'elle effleurait la jambe, de part et d'autre de la blessure.
- Il y a une fracture. Tu l'as déplacé ?
- Non, j'ai juste enlevé le rocher...
- Tu as bien fait. Mais il va falloir que j'utilise un sortilège pour le soigner... Ou alors qu'il reste un mois et demi avec sa jambe immobilisée.
- Il ne veut pas de sort !
- Il n'est pas en état de le dire...
- C'est hors de question !

Le rôdeur était soulagé de pouvoir compter sur la druidesse en cet instant, bien plus compétente que lui pour ce qui était d'administrer des soins. Il décida donc de l'assister au mieux en tâchant de convaincre le garçon de la laisser procéder sans la gêner.

- Tu ne dois pas craindre cette magie : elle ne fera que hâter la guérison de ton grand-père. Alors que si on ne s'occupe pas de lui, vous serez bloqués ici, à la merci des tempêtes. Vos chèvres n'y trouveront rien pour se nourrir.

Il réfléchit un instant avant d'ajouter :

- Nous avons partagé notre eau. Pourquoi refuser de nous faire confiance ?

Le gosse jeta un regard plein de colère au rôdeur.
- Mon grand-père il aime pas la magie. Ni les clercs. Il dit qu'il faut laisser faire la nature...
- Mais ma magie vient de la nature.
- C'est pas pareil.
- Écoute, petit, il y a urgence. Ton grand-père a perdu beaucoup de sang. Si je ne le soigne pas rapidement, il peut mourir. Tu veux prendre le risque ? Et te retrouver tout seul avec ton troupeau ? Mais peut-être que tu as de la famille pas trop loin...
- Ca vous r'garde pas !
- A ton aise. Maintenant, écarte-toi, et laisse-moi faire.
Le gosse finit par s'écarter, d'un pas, levant un regard malheureux sur le rôdeur.
- Kasumi... Ce serait bien de lui montrer les aigles je pense...
- J'les ai déjà vus ! Et j'veux rester là.
- Mais il faut que tu t'éloignes un peu plus...

Le rôdeur ne pouvait pas en vouloir à ces bergers de se méfier de la magie. La seule qu'ils devaient connaître était celle des maudits mages de Pénombre ou celle de quelques shamans employant plus volontiers des sorts offensifs que curatifs. Et peut-être craignaient-ils en outre qu'Eärundra et lui leur réclament une compensation au-dessus de leurs moyens pour prix de leurs services. Kasumi avait esquissé une légère grimace en entendant son vrai nom prononcé par la druidesse mais le garçon semblait trop obnubilé par sa colère pour l'avoir noté. Il répliqua d'un ton conciliant :

- Tu t'es bien occupé de ton grand-père. C'est très courageux de ta part et étonnant pour quelqu'un d'aussi jeune. Mais je sais combien le peuple nomade est débrouillard. Dis-moi, si tu ne veux pas revoir nos aigles, tu voudras bien me dire ton nom ? Ou celui de ta tribu peut-être ?

L'essentiel était de l'occuper pour laisser travailler la druidesse. Et s'ils parvenaient à obtenir des informations intéressantes du même coup, ce ne serait que du bonus.

Le gami le reparda d'un air bougon, mais finit tout de même par répondre.
- j'm'appelle Sohel. J'suis d'la tribu du Val d'Argent. A cause de la vallée dont on est originaires, dans ces montagnes. Mais on n'y vient presque plus maintenant... Enfin sauf mon grand-père, parfois, pour des herbes...
La druidesse choisit ce moment pour se mettre à incanter, et le gosse tressaillit, se tournant vers elle. Il semblait hésiter entre la laisser faire et l'interrompre.

C'était un moment décisif : il fallait occuper l'enfant pour ne pas qu'il risque de perturber la druidesse au beau milieu de son incantation :

- Enchanté Sohel de la tribu du Val d'Argent. Quel genre d'herbes cherche ton grand-père ?

Le rôdeur hésitait à s'approcher de l'enfant mais préféra s'en abstenir pour éviter de le mettre aux abois alors qu'on heurtait probablement ses convictions en soignant magiquement son grand-père.

La question suffit à détourner l'attention du gosse au bon moment.
- Je sais pas moi, il m'a pas vraiment expliqué. C'est lui l'herboriste, pas moi... Pourquoi, vous vous y connaissez en herbes ?
L'incantation s'acheva et on entendit tousser. Sohel se détourna instantanément de Kasumi pour se précipiter vers son grand-père.
- Grand-père ! Tu vas bien ? Pardonne-moi, je voulais pas la laisser te soigner par magie, elle a insisté, et ils étaient plus fort que moi de toute façon, je pouvais pas les empêcher...
La druidesse secoua la tête en levant les yeux au ciel.
- Comment vous sentez-vous ?
- Je... Ça va... Vous... vous m'avez mis de la magie dans le corps ?, questionna-t-il subitement, l'air horrifié.
- Je vous avais dit qu'il voudrait pas !

- Inutile de nous remercier, déclara un brin ironiquement le rôdeur en tournant son attention vers le grand-père. Voyant qu'il était manifestement horrifié à cette idée, il ajouta d'un ton plus conciliant :

- Nous n'avons pas eu le choix pour vous sauver la vie. Et il n'y pas de magie dans votre corps : le sort n'a fait que hâter la guérison naturelle de votre corps. Il n'a laissé aucune trace, contrairement à ce qu'auraient fait des herbes médicinales.

L'homme était herboriste : il espérait le piquer au vif par cette remarque.

- Un sort laisse des traces lui aussi, répliqua l'homme. Parce qu'il va plus vite que la nature, parce qu'il contraint le corps à se transformer plus vite qu'il ne le devrait, parce qu'il modifie des équilibres internes sans que le corps parvienne à assimiler les changements... il faut du temps pour s'en remettre, davantage même que le temps qu'on met à éliminer les résidus des herbes !
Il avait lancé sa tirade d'une traite, sans prendre le temps de respirer. Ce qui prouvait que le sort d'Eärundra lui avait rendu toute sa vitalité.
- Vous n'avez pas tort, répondit paisiblement la druidesse.
- Heureux de vous l'entendre dire ! Et je ne parle pas des résidus de puissance magique qui vont rester présents à vie dans mon organisme !
- Ça, ce sont des légendes, je vous assure... Ma magie est druidique, naturelle. Elle ne laissera aucun résidu, je peux vous le garantir. Et de toute façon nous n'avions pas d'autre solution, comme vous l'a dit mon compagnon... Votre corps s'en remettra, ne vous en faites pas.
- De toute façon, ce qui est fait est fait, j'imagine, soupira l'homme. Mais vous êtes qui, d'abord ? A voyager ainsi avec deux aigles géants ? Des elfes d'Everaska ?

Bon, ça ne s'était pas aussi mal passé qu'il ne l'avait craint. L'homme semblait se faire à l'idée de ce qu'ils avaient fait et en prendre plus ou moins son parti. Il profita de la diversion qu'il lui fournissait tout naturellement pour tenter de clore le sujet :

- C'est effectivement de là que nous venons. Et nous sommes elfes, oui.

Une demi-vérité. Mais après tout la plupart des humains ne faisaient pas vraiment la différence.

- Puis-je à mon tour vous poser une question ? J'aimerais savoir si vous auriez pu rencontrer un autre druide que nous cherchons. La raison de notre présence en fait...

- Hein ? Un autre druide ? Ça m'dit rien... On n'a pas vu d'humains depuis plusieurs veilles. Ni d'elfes en fait.
- Ce n'est ni un humain, ni un elfe...
- Quel genre ?
- Un asabi...
L'inconnu fit la grimace.
- Vous frayez avec ces... créatures ?
- Non. Juste lui. c'est une vieille connaissance à moi...
- J'ai vu des asabi, au nord des montagnes. De très loin !
- Lui voyage toujours seul... Il porte un drôle de chapeau, aussi.
- Ah... S'pourrait qu'j'l'ai aperçu, p't'être...

Une lumière d'espoir et d'intérêt s'alluma dans le regard de Kasumi : finalement leur halte forcée serait peut-être plus productive que prévu. Cependant l'homme ne semblait pas tout à fait affirmatif. Hésitait-il sur ce qu'il avait vu ou sur l'opportunité de livrer ses informations ? Le demi-elfe penchait en faveur de la première hypothèse étant donné qu'il venait de sauver la vie au vieil homme mais aussi à ses chèvres grâce à l'eau qu'ils avaient produite.

- Pouvez-vous nous en dire plus ? Où et quand vous l'auriez aperçu par exemple. Je crois qu'on peut difficilement le confondre avec quelqu'un d'autre d'après ce que j'en sais.

L'homme parut hésiter.
- J'ai vu un asabi voyageant en solitaire... Il y a deux veilles de cela, je dirais... Mais ce n'est pas forcément lui... et qu'est-ce que vous lui voulez, d'ailleurs ?
Il semblait sur la défensive.
- Je vous l'ai dit, c'est un vieil ami à moi. Il s'appelle Ta'sslant. Nous avons besoin de son conseil... pour un problème d'ordre privé de mon jeune compagnon.
- Jeune ? L'a pas l'air plus jeune que vous...
- Il l'est ! Mais donc... avez-vous vu Ta'sslan ?
L'inconnu soupira.
- Oui... Il était de l'autre côté de la chaîne de montagnes. Entre ici et la cité de l'ombre...

Le rôdeur fit la grimace à nouveau et tourna un regard inquiet vers Eärundra. Non seulement son ami était très proche de la cité de Pénombre qu'ils voulaient éviter plus que tout mais il semblait également s'en rapprocher. En recoupant en effet avec les informations plus anciennes des caravaniers, le druide semblait vouloir se rapprocher de cette source de perturbation. Les nouvelles informations du berger se révélaient donc aussi précieuses qu'inquiétantes. D'un côté ils se rapprochaient de leur objectif mais d'un autre, qui savait quelle distance il aurait pu parcourir en deux veilles ? Et quels obstacles il aurait pu rencontrer dans un lieu que les personnes sensées évitaient. C'était un peu l'hôpital se moquant de la charité pour un rôdeur un peu trop habitué à s'aventurer au sein de forêts maudites, d'îles défiant la lois naturelles ou encore de tombeaux abandonnés sous les sables mais il semblait qu'il doive encore une fois risquer sa vie en dépit du bon sens.

- Sauriez-vous nous indiquer où vous l'avez rencontré exactement ? Nous commencerons nos recherches dans cette direction en espérant qu'il n'aura pas trop poursuivi sur sa lancée.

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines