La Couronne de Cuivre

La réponse du clerc ne se fit pas attendre, de son ton doux et confiant coutumier :

"Vous savez où me trouver si nécessaire : je resterai ici à nettoyer l'autel puis je serai au réfectoire. Sachez toutefois que vous avez su gagner ma confiance : je sais que je peux vous confier mon patient."

Amélie s'avança avec Angèle mais elle semblait incertaine, la paladine souhaitait-elle vraiment sa présence ? Elle semblait partagée entre la peur de s'imposer et celle de donner l'impression de se défausser. Elles trouvèrent l'homme dans sa chambre, assis sur sa couche. Phénomène qui tranchait plus encore avec leur première rencontre : les rideaux étaient tiré et laissaient entrer la lumière du jour.

Angèle avait souri à Amélie. C'était à elle de choisir si elle voulait rester ou non. Pour sa part, elle appréciait sa présence amicale qui la rassurait. Elle vit avec plaisir la lumière dans la chambre, signe que les yeux du patient la supportaient de nouveau. Un avancement notable. Pour ne pas le surprendre totalement, elle frappa doucement à la porte.

"Bonjour. Pouvons-nous entrer ?"

Le convalescent se tourna vers la voix - ou peut-être l'ombre qu'elle formait dans l'embrasure de la porte - et répliqua d'un ton poli :
- Bien sûr, vous êtes évidemment la bienvenue. Vous et votre amie : j'imagine que c'est elle qui se cache dans votre dos ? Enfin, tout est encore bien flou. C'est petit ici et ce n'est pas vraiment coquet mais je crois qu'il y a deux chaises par ici.

Il désigna le petit bureau qui se trouvait devant la fenêtre et les deux chaises annoncées. Nul doute que ses progrès étaient fulgurants : d'ailleurs il ne portait plus le bandeau qui masquait ses yeux bleus-gris. Ils restaient passablement rougis toutefois mais ils semblaient à nouveau vivaces.

Elle était soulagée de voir qu'il recouvrait peu à peu la vue. Au rythme où allaient ses progrès, il aurait vite recouvré l'usage de ce sens si précieux. Elle s'assit avec Amélie sur les chaises désignées et lui annonça calmement.

"J'ai quelques nouvelles qui pourraient vous intéresser. Nous avons demandé à plusieurs personnes si elles vous avaient vu. Titoeil Debeurré, le tavernier du Loyal Paladin se souvient de vous."

Elle s'interrompit le temps de voir comment le jeune homme encaissait la nouvelle.

Le patient prenait la nouvelle avec un certain calme, son expression davantage marquée par la curiosité que par la manifestation d'un quelconque souvenir.

- Oh, je suis rassuré : ça signifie que je n'ai pas atterri ici tombé du ciel comme je commençais à me le demander ! Mais qu'a-t-il dit ? Se souvient-il de mon nom ? Ou d'autre chose ?

"Vous étiez apparemment l'assistant du professeur Malorne. Vous étiez accompagné de deux autres personnes en plus du chef du groupe, un homme et une femme. C'était il y a deux mois."

Elle s'interrompit encore, un peu nerveuse.

"Il ne sait pas ce que les autres membres de l'expédition sont devenus. Ni de votre nom. Je suis désolée."

L'homme cherchait certainement à se souvenir et garda le silence pendant un long instant avant de répondre :

- Je ne me souviens toujours pas de ces gens. C'est très frustrant comme vous pouvez vous en douter. Mais je vous remercie tout de même. Frère Gontrand m'a dit que cela pourrait raviver ma mémoire de me rendre sur les lieux de mon passé. Voire de refaire certaines choses : peut-être que si je mangeais à cette auberge dont vous parlez...

Il s'interrompit et se mit à rire avant d'ajouter d'un ton léger :

- Non non, ce n'est pas une invitation : je ne me permettrais pas d'abuser ainsi de votre gentillesse. mais avouez qu'elle ! Enfin, je ne sais même pas si j'aurais de quoi payer la note si c'était le cas !

Elle hocha la tête, pensive. Elle n'avait jamais été confrontée à des cas d'amnésie mais ce que préconisait Frère Gontrand pouvait-être une bonne idée.

"C'est moi qui vous inviterai alors, ce soir. Mais si votre état vous permet de vous rendre là-bas, bien entendu."

Elle sourit à son tour et dit, en se tournant légèrement pour croiser le regard d'Amélie.

"Ne prenez pas peur, je voudrais juste vous aider à retrouver quelques souvenirs. Nous pourrions également nous rendre à la commanderie tyrite par la même occasion."

L'homme esquissa un sourire et déclara en feignant la bravoure :

- Je n'ai pas peur : vous êtes paladine, vous ne pouvez pas me faire du mal ! Mais il faudra encore convaincre Frère Gontrand que je ne prends aucun risque. C'est vraiment très aimable à vous en tous cas. Si je me découvre une fortune cachée, il faudra me promettre de me laisser vous rembourser ou au moins de vous rendre la pareille !

Il marqua une pause avant de reprendre d'un ton plus sérieux :

- Cela fait deux mois vous dîtes ? Il y a donc fort à parier que cette expédition a eu lieu il y a des semaines non ? Se pourrait-il que mes... compagnons soient rentrés récemment en ville ? J'avoue ne pas y voir très clair.

"C'est étrange en effet et c'est ce qui m'inquiète. Titoeil ne les a pas revus."

Elle réfléchit quelques secondes avant d'ajouter.

"Je n'ai pas demandé si vous aviez pris une chambre au Loyal avant de partir en expédition. Peut-être avez-vous laissé quelques documents ou du matériel avant de partir."

C'était assez improbable mais elle aurait essayé.

Le patient croisa son regard et Angèle eut cette fois la nette impression qu'il la voyait - ou en tous cas - qu'il distinguait sa position. Il resta muet pendant quelques instants encore avant d'ajouter à son tour :

- Il est assez probable que l'aubergiste vous en aurait parlé si je louais encore une de ses chambres. Mais ça ne coûte rien de demander si j'ai séjourné dans son établissement... Ah toute cette attente en ces mûrs... C'est frustrant de laisser quelqu'un d'autre mener l'enquête alors que je devrais logiquement y participer. Mais je dois bien reconnaître que je ne connais même pas la ville dans laquelle je me trouve. Frère Gontrand en parle à peine. Pourriez-vous m'en parler ? Peut être que ça m'évoquera quelque-chose.

Il la voyait, ou du moins parvenait à soutenir son regard. Un autre fait encourageant. Elle lui sourit de nouveau.

"Sous peu, vous vous souviendrez de votre identité, encore un peu de patience. Je suis sure que ce ne sera plus très long."

Elle l'espérait. Une convalescence prolongée avait souvent un lourd impact sur le moral. Elle en savait malheureusement quelque chose.

"Manost n'est pas une ville qui se distingue par l'originalité de ses bâtiments, j'en ai peur. Par contre, les bâtiments sont de pierres solides et bien entretenus. Des pierres grises, peut-être pour ne pas déparer en dessous du ciel gris."

"Des pierres grises, un ciel gris ? Ce n'est pas très encourageant" L'homme se redressa, essaya de regarder par la fenêtre mais dut cligner avant de détourner le regard.

- Je me souviens de jours de soleil, et de pluies diluviennes. Et de neige aussi je crois. Est-ce qu'il neige à Manost ? Tout est encore flou mais j'ai parfois des bribes de souvenirs. Je ne sais pas s'il appartiennent à un passé récent ou lointain en revanche. Ni même si c'est des moments importants de ma vie. Ou même ma simple imagination. J'aurais bien besoin de certitudes...

Angèle ne put s'empêcher de grimacer. Le passé de l'inconnu se réduisait à des sensations diffuses, et aux caprices du temps. Aucune identité. Il était là car on l'avait trouvé devant le temple Ilmate. A sa place, elle serait devenue folle.

"Il ne neige pas à Manost ou du moins très rarement quand les hivers sont froids. Je doute qu'il ait neigé cette année. Mais les températures tombent très bas en altitude, du coté de la cordillière. Peut-être êtes-vous allé là-bas."

Elle lui dit plus doucement.

"Quoi qu'il se passe, vous n'êtes pas seul. Et ne ne vous laisserons pas jusqu'à ce que nous ayons mis un nom sur votre visage et reconstitué votre passé. Je vous le promets."

L'inconnu releva la tête, son regard un peu vague reflétant tout de même un certain espoir.

- C'est vraiment très gentil à vous. Non, c'est plus que cela même. Mais ne promettez rien, Angèle : vous en avez déjà fait beaucoup et je sais que votre dénouement vous poussera à bien davantage. Les promesses sont inutiles : je ne sais rien de moi mais le peu que j'aie appris de vous me suggère que vous êtes la plus fiable des promesses.

Angèle se sentit rougir. Elle ne s'attendait pas à une telle réponse. Mais elle parvint à se ressaisir cependant.

"Bientôt, vous en saurez bien plus. Déjà, nous demanderons à Frère Gontrand pour le Loyal et la commanderie. Nous en savons déjà plus qu'hier. Bientôt, vous saurez tout de vous. Ne perdez pas espoir."

Elle se leva.

"Si vous me le permettez, je vais parler maintenant à votre guérisseur."

"Oh" La réponse du patient semblait déçue, voire un peu étonnée. Il se reprit cependant :

- Bien sûr Angèle, comme vous voudrez. Mais j'espère que je n'ai rien dit de mal...

Il semblait inquiet de ce départ soudain et semblait désireux de s'amender si ces paroles avaient été mal interprétées.

Elle prit le temps de revenir sur ses pas pour lui souffler.

"Non, vous n'avez rien dit de mal, ne vous en faites pas."

C'était peut-être seulement que Dimitri avait raison : quand on lui disait qu'on l'appréciait, elle s'enfuyait tout bonnement en courant.

Elle retourna jusqu'au petit autel dans l'espoir de trouver Frère Gontrand. Sinon, elle l'attendrait jusqu'à ce qu'il revienne du réfectoire.

Le clerc était toujours occupé devant l'autel et releva la tête, adressant un sourire à Angèle. Et à Angèle seule comme elle ne manqua pas de le constater : il semblait qu'Amélie soit restée un peu en plus longtemps en arrière. Pour parler avec l'invité du temple peut-être ?

- Alors, comment a-t-il pris la nouvelle ?

Pas d'Amélie. Elle l'avait sûrement surprise et s'en voulut quelque peu de l'avoir semée. Mais connaissant la jeune femme, elle se débrouillerait bien mieux qu'elle pour parler à l'inconnu. Elle sourit tranquillement à l'Ilmate.

"Plutôt bien même si cela ne lui rappelle aucun souvenir. Il aimerait aller au Loyal Paladin où il a été vu avant l'expédition et à la commanderie tyrite. Je ne sais pas si son état le rendrait possible mais j'envisageais de l'emmener ce soir mais pas sans votre consentement."

Le clerc ne parut pas étonné ou ne montra pas sa surprise si tel était le cas mais il réfléchit un instant avant de répondre d'un ton assuré :

- Je crois que cela lui ferait du bien, effectivement. Mais à condition seulement de rentrer tôt : il a encore besoin de repos. Et il ne doit pas boire d'alcool non plus : ce n'est pas compatible avec le traitement que je lui administre pour traiter ses brûlures et contrer les infections.

Amélie apparut à la périphérie du champ de vision d'Angèle et arborait une expression impassible et attentive.

"Vous m'en voyez ravie. Et ne vous en faites pas, nous serons raisonnables. Je vous remercie énormément. Je vais lui dire de ce pas."

De toute façon, elle n'avait pas l'habitude de boire quand elle travaillait pour avoir l'esprit entièrement disponible. Elle retourna tranquillement vers la chambre. Elle s'arrêta devant Amélie au cas où son amie voulait lui parler seule à seule.

Non, la barde se contenta de lui adresser un sourire tranquille, sans doute simplement destiné à la rassurer sur la situation. D'une certaine façon, ce sourire silencieux était plus rassurant que le plus long des discours et suffisait à montrer sa confiance et son soutien.

Angèle trouva le convalescent à l'endroit même où elle l'avait laissé, assis sur sa couchette. Il leva les yeux vers elle et ne put retenir un sourire bienveillant à son égard.

- Alors, m'avez-vous gagné un petit bon de sortie ?

Elle effleura d'une main maladroite l'épaule d'Amélie pour la remercier de son soutien et retourna dans la chambre.

"Oui, sous réserve que vous ne buviez pas d'alcool et que vous ne rentriez pas tard. Mais ne vous en faites pas, ou peut-être si ... Vous êtes entourées de personnes raisonnables. Nous partirons dès que vous vous sentirez prêt."

Il était encore assez tôt.

Le patient se leva aussitôt, visiblement décidé à profiter de l'aubaine bien qu'il devait être encore très tôt : le début d'après-midi encore, probablement.

- Nous irons à la commanderie d'abord j'imagine ? Mais si nous avons le temps, j'aimerais aussi découvrir un peu Manost. Pour voir si des choses sont susceptibles de me revenir... Enfin, je ne veux pas vous accaparer non plus !

Comme elle en avait pris l'habitude, elle lui reprit le bras. Certes, elle ne le tenait sûrement pas de la manière la plus académique mais cela suffisait à ce qu'il ne tombe pas.

"Ne vous en faites pas, je suis en vacances donc vous ne m'accaparez aucunement. Pour ce qui est de Manost, la ville est vaste. Par où voudriez-vous commencer à la visiter ?"

L'homme y réfléchit un moment avant de répondre d'un ton indécis :

- Peut-être que le mieux serait de commencer par la commanderie et de voir si quelque-chose me revient là-bas ou même sur le trajet. Si ce n'est pas le cas, il sera toujours temps de se rabattre sur les lieux les plus emblématiques de votre ville, ceux où un étranger ne manquerait pas de se rendre. Avez-vous un port par exemple ? Je me souviens de bateaux parfois...

"Oui, nous avons un port et un embarcadère. Si vous voulez nous irons là aussi. Mais il ne faudrait pas présumer de vos forces. Vous êtes encore convalescent. Nous pourrions étaler la visite de la ville sur plusieurs jours. Déjà, nous commencerons par la commanderie et le Loyal Paladin. Ensuite, nous aviserons."

Elle avait répondu tout en réfléchissant. Il était difficile de savoir où il était allé.

Le convalescent manifesta son accord d'un hochement de tête avant d'avancer jusqu'à la porte en prenant appui sur Angèle. Il faisait à peu près la même taille quoique légèrement plus grand sans doute si on ne tenait pas compte de sa démarche un peu voûtée. Et bien qu'il fasse des efforts manifestes pour progresser le plus possible par ses propres moyens, la pression qu'il exerçait sur elle n'était pas négligeable : se rendre à la commanderie puis au Loyal Paladin ne serait donc certainement pas de tout repos. Ni pour l'un ni pour l'autre.

HRP : tu peux poster à la commanderie si tu veux bien. Mais reste devant le bâtiment pour l'instant

Tout en raccompagnant le jeune homme avec Amélie, elle lui dit doucement.

"C'est parce que nous sommes entourés d'une bonne équipe. Comme je vous l'ai dit : vous n'êtes pas seul. Nous avons été efficaces pour trouver votre nom et j'en suis heureuse."

Elle lui sourit.

"Vous êtes arrivé. Essayez de reprendre des forces. Nous nous voyons demain."

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Temple d'Ilmater