La Couronne de Cuivre

Son visage se para un instant d'un voile de tristesse, mais elle retrouva rapidement le sourire.
" C'est sage de votre part. Féérie est aussi merveilleuse qu'elle est mortelle. S'avancer béatement est garantie de désastre. Quant à ma présence en ces lieux... Ce n'est pas un secret, non. Je suis à la recherche d'un chamois blanc. Sa peau a des vertus curatives dont j'ai grand besoin pour sauver ma soeur malade. Je suis venue au festival car s'y pressent les plus grands chasseurs, pisteurs et autres traqueurs du Plan. Plusieurs sont déjà partis sur la piste de la bête mais pour l'heure, personne n'a réussi à la trouver. Je sais qu'elle est quelque part, pourtant, non loin, et j'ai bon espoir que quelqu'un finira par l'attraper."

-J'espère sincèrement que quelqu'un parviendra à vous l'amener dans les plus brefs délais, dit-il, sincère.
Certes, l'excuse avancée était peut-être fausse : mais, à mois que le chamois blanc soit quelque créature mythique ou sacrée, quelle raison aurait-elle de lui mentir ? Quoi qu'il en soit, lui-même n'étant nullement un chasseur et n'ayant aucune expérience de ce plan, il ne pouvait l'aider en aucune manière.

" Vous êtes gentil, dit-elle. Mais je vous retiens inutilement. Allez donc profiter du festival. C'est le genre de choses que bien peu de mortels voient au cours de leur vie. Je vous souhaite bonne chance pour retrouver votre chemin vers votre monde."
Elle lui adressa ensuite un signe de tête, puis se leva et s'écarta vers le fond de la tente : l'entretien était terminé. Titus glissait quelque chose à l'oreille de Marius, qui s'esquiva aussitôt au dehors, tandis que Baptiste et Victor se joignaient à Taliesin.

Taliesin salua courtoisement dame Mahaut puis, sans tarder, entraîna les enfants au-dehors.
D'abord parce qu'il ne voulait pas perdre Marius de vue en pareil endroit : non, il tenait à les avoir en permanence à l’œil.
Ensuite parce qu'il avait hâte de visiter le festival : même si la prudence était de rigueur, il ne doutait pas un seul instant que cela se révèle passionnant.

Marius était dans la cour formée par les draperies, et Titus le rejoignit bientôt, puis Taliesin et ses deux fils. La Chasse-Brume avait disparu et le faune poussa un soupir de soulagement. Tous les enfants se rassemblèrent autour de Taliesin.
" Qu'est-ce qu'on va faire ? demanda Titus.
— On y va ? J'ai vu sur la route une sorte de grande tente bleue et il y avait des flammes et...
— Comment on va payer ? On n'a rien avec nous. Et on n'a sûrement pas de la monnaie de... cet endroit.
— Moi j'ai faim."

-Nous allons nous promener dans les allées et nous renseigner. L'idéal serait de tomber sur quelqu'un qui, comme nous, vient de Toril. Mais sinon, je pense qu'à peu près n'improte qui sera prêt à répondre à nos questions.
Il leur sourit.
-Si ça se trouve, l'argent n'a pas cours, ici. Et s'il faut en gagner, bah, je jouerai de la musique. Ou vous monterez un petit spectacle !
Et, sur ce, il se mit en marche.

" A mon avis, on fait mieux de ne pas attirer l'attention." grommela Marius.
Victor prit la tête du groupe et Baptiste se plaça juste dans son ombre, manifestement tiraillé entre crainte et curiosité dévorante. Seul Titus resta près du barde, lui saisissant la main et calquant son pas sur le sien.
A peine eurent-ils franchi le seuil de l'enclos, sous le regard obscur des gardes aux masques fourrés, qu'ils furent à nouveau assaillis par les odeurs, les sons et les images du festival. Et, à hauteur d'homme, et encore plus d'enfant, il y avait de quoi être étourdi... Tout attirait les sens, dans toutes les directions, mais il apparut aussi à Taliesin que les risques de perdre les enfants dans pareille foule n'étaient pas négligeables, même avec la meilleure volonté du monde. Il n'eut cependant pas le temps de verbaliser la moindre inquiétude : une petite silhouette se détacha de la multitude et sauta sur Baptiste, l'enserrant de ses bras avant de lui claquer un baiser sonore sur la joue.
" Je savais que tu viendrais ! s'exclama-t-elle avec enthousiasme. Je t'ai trouvé !"
Baptiste resta muet de stupeur, paralysé, tandis que Victor riait de bon coeur. Il s'agissait d'une petite fille, sans doute âgée de 8 ou 9 ans, aux longs cheveux aile de corbeau et aux saisissants yeux noirs. Elle portait une robe informe qui ressemblait à un drap cousu, gris sombre, et ses joues étaient mouchetées de terre. Son sourire était franc, cependant, et elle ne semblait pas avoir l'intention de lâcher Baptiste.

Eh bien, peut-être avaient-ils trouvé leur guide...
-Bonjour, lança-t-il, amical, à la fillette - du moins, à l'être qui avait une apparence de fillette.
Du regard, il s'assura que tous les autres ne s'étaient pas éloignés. Marius, en particulier. D'ailleurs, à la première occasion, il leur donnerait à tous la ferme consigne de rester en permanence près de lui.

Mais rien que le fait d'être immobiles dans le flux des promeneurs les mettait déjà en danger d'être séparés. Un petit être velu monté sur ce qui ressemblait à une vache ordinaire les invectiva dans une langue inconnue tandis qu'un groupe de champignons vivants, grands comme des chats, bousculaient Victor. Marius s'écarta du passage en se réfugiant entre deux échoppes qui vendaient pour l'une des boules de verre colorées, pour l'autre des dents de toutes sortes. La gamine était toujours suspendue à Baptiste et Victor recula vers le côté opposé de l'allée, et une tente verte et jaune. Titus tira un coup sec sur la main de Taliesin.
" Je vais dans tes bras." déclara-t-il d'autorité avant de sauter à l'endroit dit.

-Victor, Baptiste, par-là, leur lança-t-il d'une voix forte en indiquant l'endroit où s'était replié Marius.
Ils finiraient forcément par être séparés : ils étaient trop nombreux pour que lui-même garde en permanence un œil sur chacun d'entre eux. Il allait donc falloir édicter des règles claires pour que ces séparations ne soient que provisoires et ne donnent lieu à aucune recherche inquiète. Il serait nécessaire, en premier lieu, de définir un point de ralliement : sans doute devraient-ils se trouver un endroit où se reposer, lequel deviendrait en quelque sorte leur camp de base, mais puisqu'ils n'avaient pas encore pu, l'allée devant le pavillon de dame Mahaut conviendrait. D'autant que la plupart des participants au festival devaient savoir où celui-ci se situait et seraient donc en mesure de renseigner les enfants.

L'espace entre les deux échoppes était relativement exigu et y rassembler six personnes n'était peut-être pas la meilleure idée du monde. Victor trébucha sur quelque chose qui se déplaçait sur le sol — une sorte de rat violet, peut-être — et manqua renverser l'étal de boules de verre (ce qui aurait constitué une catastrophe de proportions épiques, d'autant que chacune semblait renfermer quelque chose de gazeux et non identifié). Le marchand, un grand humanoïde au visage couvert d'écailles rouges, lui jeta un regard jaune et courroucé, le gamin rentra la tête dans les épaules.
" On a l'air d'être vraiment à l'endroit le plus animé, souffla-t-il.
— Ça c'est normal, dit la fillette. C'est le Coeur des Merveilles. C'est pas un endroit pour flâner."
Elle n'avait toujours pas lâché Baptiste.
" Alors on s'tire rapidement." dit Marius, déjà prêt à replonger dans la foule.

-Attends ! lui lança-t-il. Si d'aventure on se perd de vue, on se retrouve sans tarder devant chez dame Mahaut. Si vous ne savez plus où c'est, demandé à des gens... Mais on va quand même essayer de rester ensemble.
Il se tourna vers la nouvelle amie de Baptiste.
-Peux-tu nous conduire jusqu'à un endroit un peu plus calme, s'il te plait ?

" Ça dépend calme comment, dit la petite fille. Y'a jamais vraiment nulle part qui est calme, c'est le festival, après tout ! Mais de toute façon, on est trop petits. Le mieux c'est de se donner un point de rendez-vous."
Elle leva la main et pointa, au loin, un arbre dont le feuillage était tout à fait rouge et illuminé de mille lampions ronds.
" Par exemple, on se dit rendez-vous au Tronc Ecarlate. C'est plus facile que d'y aller tous ensemble et tout le monde voit bien où c'est. On peut faire des équipes de deux, si tu as peur. A deux, on est mieux."
Elle jeta un regard papillonnant à Baptiste, qui fit mine de ne rien voir.

[color=#FFFF6]-Par calme, j'entendais plus calme qu'ici. Un endroit où... on puisse flâner, justement. Et un peu réfléchir à notre programme.[/color]
Décidément, il n'aimait pas l'idée de perdre les gosses de vue.
-Si c'est plus calme du côté de l'arbre, allons-y. Mais en essayant de rester groupés. Et si nous sommes malgré tout séparés... Tout le monde se rend là-bas au plus vite et sans faire de halte : on pourra visiter à notre guise plus tard, quand on sera un peu plus habitués aux lieux.

Ils s'élancèrent et Taliesin perdit tous les enfants de vue après moins de dix mètres de progression. Il demeura avec Titus, puisque le faune était resté dans ses bras, tandis que Marius et Victor avaient disparu quelque part sur la droite, après le passage d'un trio de centaures à la robe blanche rayée de noir (ou inversement, c'était difficile à dire), tandis que la gamine aux cheveux noirs avait entraîné Baptiste à sa suite, se faufilant vivement entre les êtres fées qui arpentaient les travées. Le barde fut ralenti par un groupe d'êtres grenouilles qui lui arrivaient à la taille et devisaient avec animation dans un langage de coassements et de cliquetis dont il ne comprit pas un mot. Plusieurs femmes en longues robes diaphanes le croisèrent en lui adressant de petits signes de la tête, avant d'échanger de petits rires entendus, et, plus loin devant, un homme sans tête, en long manteau noir, marchait sans hésitation, un corbeau sur l'épaule.

Taliesin prit le parti de ne pas trop s'inquiéter : dame Mahaut avait dit que les gens ne seraient pas hostiles envers les enfants, tout humains qu'ils soient, et dans un lieu où se côtoyaient tant d'espèces, il devait de toute façon y avoir des règles pour éviter que cela ne dégénère.
Il ne chercha donc pas à les retrouver immédiatement et, en restant au plan qu'il avait énoncé, se dirigea vers le grand arbre, sans se priver, néanmoins, d'observer les êtres et les lieux qu'il croisait.
Il fallait juste espérer que les mômes, eux aussi, s'en tiendraient au plan. Sinon, il n'était pas prêt de les revoir.
Mais peut-être seraient-ils obéissants, pour une fois !

Ils le furent... mais il fallut quelques minutes à Taliesin pour pouvoir le réaliser.
Quand il atteignit le bas du Tronc Ecarlate (un espace de racines tortueuses sur lequel il s'avéra relativement aisé de se hisser), Baptiste et sa nouvelle amie étaient déjà arrivés. Elle était toujours cramponné à son bras, il arborait toujours une mine horrifiée, mais ils étaient indemnes et le garçon parut immensément soulagé de voir arriver le barde. La gamine les salua d'un grand geste joyeux.
Victor et Marius ne parurent qu'un peu plus tard, le premier portant le second sur son dos. Victor posa son compagnon sur le sol avant d'entamer l'escalade pour rejoindre Taliesin et les autres enfants, puis l'aida à grimper. Marius avait visiblement mal au pied gauche.
" Une sorte de motte de terres géante lui a marché sur le pied, expliqua Victor. Je ne crois pas que c'est cassé.
— J'ai pas mal." dit Marius avec défiance.
C'était manifestement un mensonge mais son expression mettait quiconque au défi de le contredire.

Et il ne le contredirait pas : il se contenterait de lui lancer un sort de soin à la dérobée, quand l'occasion se présenterait.
Dans l'immédiat, toutefois, il se tourna vers la nouvelle amie de Baptiste.
-Bien, j'imagine que le moment est venu de se présenter ! Je suis Taliesin : voici Victor, Titus, Marius et Baptiste. Et toi, comment t'appelles-tu ?

La petite fille réfléchit un moment, puis papillonna des yeux.
" Je m'appelle Lola !" annonça-t-elle.
Elle baissa la voix et ajouta d'un ton de conspirateur.
" En réalité, je suis une chauve-souris.
— Trop fort." souffla Victor.
Baptiste la regarda avec inquiétude et elle lui sourit. Ses canines étaient tout à fait ordinaires.

-Eh bien, enchanté de faire ta connaissance, lui dit-il, amical.
Peut-être se moquait-elle d'eux. Mais peut-être disait-elle la vérité : une chauve-souris pouvant se métamorphoser en petite fille, cela semblait-il si étrange, en pareil lieu ? Bien sûr, il la surveillerait, mais... Il n'y avait pas forcément de raison de se méfier outre mesure d'elle.
-Serais-tu d'accord pour nous servir de guide ? Nous venons d'arriver ici et... Nous sommes un peu perdus. Un peu d'aide ne serait donc pas de refus.

" Je peux vous servir de guide, oui, pas de soucis ! s'exclama-t-elle. Enfin... Tant que Baptiste reste avec moi."
Victor sourit.
" Est-ce qu'on est invités au mariage ?"
La petite fille changea d'expression.
" Au mariage ? Tu es fou ? Les mariages finissent toujours par un meurtre ou une malédiction, tout le monde sait ça."

Une chose était sûre : il ne laisserait pas Baptiste tout seul. Peut-être n'y avait-il rien à craindre, mais il tenait à ce que son fils profite de la découverte des lieux.
-Victor plaisantait, expliqua-t-il.
Puis il s'accorda quelques instants de réflexion. Il avait une foule de questions à poser : le tout était de trouver par où commencer.
-Pourrais-tu nous indiquer un endroit où il est possible de dormir tranquillement ? Nous finirons par en avoir besoin. Et puis, cela pourrait nous servir de camp de base, de point où se retrouver si nous devions à nouveau être séparés. Le truc, cependant, c'est que nous n'avons pas de quoi payer : nous sommes arrivés ici par accident, sans pouvoir nous préparer.

" C'est ennuyeux, ça."
Elle plongea une main dans la poche de sa tunique informe et en ressortit quelques petits os, une plume noire, et quelque chose qui ressemblait à une souris morte.
" Je vais pas avoir assez pour tout le monde."
Elle remit ses trésors en sécurité.
" Mais on va faire les choses dans l'ordre. Est-ce que tu connais le Prince Urthemiel de la Lorien ? Il est de ta famille ?"

Lorien.. Un nom familier, cela ne faisait pas de mal ! Dommage que celui d'Urthemiel ne lui dise rien.
-Non. Mais... Il y a aussi une Lorien, dans notre monde, et je connais le prince Toron Aman-Brethil de Loth-Imarhil, pour qui j'ai joué quelques morceaux de musique, ainsi que la princesse Elwyn des Tombes de Soie. Peut-être les connait-il ?
Ce serait une chance...

" Mais je parle de ta Lorien, pas de la mienne. Y'en n'a pas ici. C'est pas grave. Tu vas faire semblant que tu le connais. Tu diras que c'est ton cousin. Vous êtes sûrement tous un peu cousins, hein ? Il est très apprécié, ici, pour tout ce qu'il a fait pour le peuple fée quand les humains ont envahi Hélonna. Alors si tu dis que tu es de sa famille, on t'offrira le gîte dans la Grotte des Cristaux. Et même aux petits humains. Ça règle le problème d'un endroit pour dormir."
Elle sourit.
" Après, pour le reste, ça va dépendre de ce que vous pouvez offrir. Faut faire attention. Y'a plein de choses qu'on peut troquer, ici, mais c'est pas toujours malin."

Il n'aimait pas l'idée de mentir, de tromper. Néanmoins, au regard de la situation, il n'avait pas le choix. Et il trouverait bien une manière de compensation.
-Que pourrait-on nous demander, par exemple ? s'enquit-il.
Autant être fixé. Et cela serait une bonne mise en garde pour les enfants.

" Heu. Un cheveu, un crachat, une chanson. Ton âme. Ton premier né. Un poème, une goutte de sang, un baiser, une bénédiction, un rêve, un rire, un rein, une rognure d'ongles, une promesse d'union fertile. Un service. Faut se méfier des services. Enfin, parfois c'est facile, genre "va me chercher une cruche d'eau", mais parfois c'est plus difficile, genre "attrape-moi un chamois blanc" ou... mon préféré... "tu sauras quoi quand cela se produira". Haha !"
Elle sourit.
" Voilà. C'est ce genre de choses."

Il sourit.
-Je vois. Et effectivement, il faut se montrer prudent, avec les service.
Il se fit pensif.
-Le peu que nous possédons en termes de bien matériel n'intéressera assurément personne. En revanche, comme je suis musicien, j'imagine que quelques chansons pourraient convenir, dans le cadre d'un troc.

" Mais tu peux pas vraiment choisir, dit Lola. Tout le monde n'aime pas les chansons. Certains les détestent. Et d'autres ne voudront que des rognures d'ongles. Mais tu trouveras sûrement."
Elle sourit.
" On va à la Grotte ? Tu es prêt ?"

Il acquiesça.
-Je n'aime pas trop mentir, mais je ne vois pas vraiment comment faire autrement... Alors d'accord, allons-y. Par contre, ce serait bien que tu m'en dises un maximum au sujet du prince Urthemiel : puisque je serai censé le connaître, on me posera peut-être des questions à son sujet...
Il n'avait pas oublié, non plus, le cas Marius : s'il semblait avoir toujours aussi mal, il aurait droit à son sort de soin.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Escapade en Féérie