La Couronne de Cuivre

Le paysan s'assombrit.
-Vous voulez faire une enquête sur mon compte ? Je ne savais absolument pas que mon cheval était malade. Vous savez à quoi on s'expose en vendant une bête atteinte ? Franchement, si j'avais su, je l'aurais laissé tranquillement à la maison.
Il frappa du poing le piquet le plus proche.
-Enfin, vous faites que votre boulot, hein ? J'viens des Eaux-Vives, un hameau à une journée de marche au nord d'ici. Et le cheval a rien fait d'autre que paître tranquillement dans son pré ou manger du fourrage, le soir, à l'écurie.

« Je ne vous accuse de rien, monsieur. De rien du tout. Mais j’essaie de comprendre ce qui s’est passé, ce qu’a attrapé votre cheval si c’est une maladie, ce qu’il a mangé si c’est un poison, de manière à ce que nous ne nous retrouvions pas avec un millier de cadavres avant l’aube. Je sais que ça ne vous rendra pas votre bête, qui vous a servi, et qui vous était certainement précieuse, mais… mais c’est nécessaire si nous voulons pouvoir enrayer ce mal avant qu’il ne cause plus de ravages. »
Elle soupira.
« Savez-vous si d’autres habitants d’Eaux-Vives ont fait le voyage ? Et où a dormi votre cheval cette dernière nuit ? »

-L'a dormi ici, et c'est moi qui l'ait nourri. Quand on a un emplacement, on le garde. Les places sont recherchées et j'étais pas trop mal situé, pour une fois.
Il grimaça.
-D'Exux-Vives, j'suis le seul. C'est un tout petit hameau. Mais y a des gens qui viennent des hameaux voisins, oui.
Il eut un sourire mauvaise.
-Bien sûr qu'il m'était précieux. Mais ce qu'il aurait pu me rapporter aurait été encore plus précieux. C'est pas de gaieté de cœur que je voulais le vendre, mais j'avais pas le choix.

Galathée ne trouva rien à répondre. Elle comprenait la colère du fermier, moins son hostilité. Après tout, qu’elle se soit trouvée là ou pas, son cheval aurait crevé dans la poussière. Evidemment, dans son cas, comme dans celui de la jeune femme plus tôt, c’était la ruine qui rendait les gens agressifs : ils étaient venus jusqu’à la foire avec un espoir d’argent qui s’était évaporé à la mort de leur seule marchandise.
« Je vais devoir procéder à l’autopsie de votre cheval. » ajouta-t-elle finalement, avant de faire un pas en arrière, puis volte-face et de reculer jusqu’à la bête.

-Vous gênez pas, répondit le paysan. De toute façon, j'pourrais pas vendre la carcasse à un boucher, pas vrai ?
Il éclata d'un rire nerveux et se détourna, préférant sans doute ne pas voir sa bête éviscérée sous ses yeux. Tout autour, la foire bruissait de bien plus d'activité que ne le justifiait l'heure tardive. Des gardes passaient dans les allées, transmettant ordres et consignes, s'attirant parfois la colères des éleveurs. Mais, pour l'instant, aucune rixe n'avait éclaté.
L'autopsie ne révélé rien de nouveau à la rôdeuse : systèmes digestif, respiratoire et sanguin constellé de plaies internes, hémorragies, œdèmes suppurants... Et, comme l'avait dit son malheureux propriétaire, le cheval n'avait mangé que de l'herbe ou de l'avoine.
Lorsque Galathée se releva, Valaellyn était en train de se rapprocher.
-Nous avons donné toutes les consignes, dit-elle, essoufflée. Reste à voir comment les gens vont le prendre. Mal, à n'en pas douter. Mais tant qu'ils ne deviennent pas violents...

Galathée soupira et s’assit dans l’herbe.
« Et rien de neuf par ici. Les mêmes plaies. Les mêmes symptômes discrets, comme un coup de chaleur qui dérape… Trier les bêtes va être compliqué… Et sans doute sera-t-il toujours trop tard… Savez-vous d’où venait la première vache ? Ce cheval venait d’un hameau nommé Eaux-Vives, au nord. »
La rôdeuse se redressa lentement.
« Il faut que je me change, aussi. »

La prêtresse de Chauntéa se gratta la tempe.
-Je ne lui ai pas beaucoup parlé... Enfin, j'ai essayé, mais elle n'avait pas vraiment la tête à la discussion. Mais vu l'emplacement qu'elle occupait sur le foirail, elle doit venir des hameaux du nord. Après, vous dire si c'est un hameau proche, lointain, aucune idée.

« Je vais aller me changer au temple, j’en profiterai pour lui poser la question. » fit la rôdeuse. « Je reviens au plus vite, mais là… je pense que cette tenue a atteint le point de non-retour. Je crains d’ailleurs d’avoir besoin de l’une de vos petites désinfections… »
Elle jeta un regard vers le village.
« Au temple, auriez-vous un antidote généraliste ? Du genre qui soigne la plupart des poisons connus ? »

-Nous avons quelques fioles, oui, qui fonctionnent généralement bien. Mais je doute que ça soit efficace face à de tels ravages... Enfin, demandez à Gérold, il vous les donnera.
Levant les mains, elle incanta une nouvelle fois, puis se tourna vers la carcasse.
-Pendant votre absence, je m'occuperai de faire brûler les carcasse en un lieu isolé. Et je commencerai à chercher d'autres cas...

" Peut-être que... la prochaine fois que vous croisez un cas... vous devriez utiliser un de vos sorts de guérison sur la bête... ça nous permettrait de savoir si nous avons affaire à une maladie ou à un poison... Je pense que cela orienterait nos démarches..."
Puis la rôdeuse se mit en marche rapidement vers le temple, traversant le foirail sans se soucier des regards qui glissaient sur sa mine de bouchère et du mouvement de recul généralisé lorsqu'elle s'approchait. Elle était heureuse de ne rien sentir : le soleil avait certainement dû ajouter un fumet délicieux aux viscères dont elle s'était recouverte volontairement.
Elle gagna les rues de Hautépine, où bruissaient les conversations, puis arriva enfin en vue du petit sanctuaire, auquel elle se présenta.

Gérold vint lui ouvrir la porte. Il avait la mine tiré, l'air anxieux, mais lui adressa un mince sourire en s'écartant pour la laisser passer.
-Du nouveau ? s'enquit-il sitôt la porte refermée. Val m'a dit qu'il y avait d'autres cas potentiels... Qu'en est-il ?

« Nous avons trouvé un cheval atteint lui aussi. Ça ne fait que deux bêtes, il ne faut pas encore céder à la panique… et peut-être viennent-elles du même endroit… C’est ce que je voudrais vérifier avec la fermière qui a trouvé refuge ici. A moins qu’elle ne vous ait déjà parlé de ça ? Où elle réside ? »
La rôdeuse se passa une main sur le visage.
« Et il faut absolument que je me lave, et que je me change. »

Gérold eut un sourire triste.
-Elle ne parle pas beaucoup, mais ça se comprend. Il ne faut pas être grand clerc pour remarquer qu'elle ne vit pas des jours très heureux... Enfin, je sais qu'elle vient des Rosières, un hameau situé au nord d'ici. Plus d'une demi journée de marche, au bas mot. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez toujours tenter de l'interroger... Je ne sais, cependant, si elle acceptera.
Il lorgna un instant la mise sanglante de la rôdeuse.
-Vous laver et vous changer, oui, c'est assez impératif, surtout si vous voulez parler à cette femme... Nous avons une petite salle d'eau, à l'arrière du sanctuaire. Très... spartiate, sans doute. Mais efficace. Elle vous est toute ouverte.

Galathée remercia le vieillard et fila vers la salle d’eau. C’était une pièce minuscule, aux murs blancs, sur lesquels on avait composé des mosaïques colorées représentant des fleurs innombrables, avec un soin et un talent impressionnants. Il ne fallut pas longtemps à Galathée pour deviner qui était responsable de cette splendeur, et elle en ressentit un léger trouble. Une petite porte donnait sur l’extérieur et une courette au centre de laquelle se trouvait un puits. La rôdeuse en remonta deux seaux d’eau tiède, la canicule avait ses avantages, et retourna à l’abri des murs ornés pour se laver.
Le sang avait traversé le tissu ses vêtements, lui marbrant la peau de la tête au pied, et elle se frotta consciencieusement. Quant à sa tenue, elle n’avait qu’un destin : le bûcher. Une fois présentable, elle prit une profonde inspiration, se frotta une dernière fois le visage, et sortit. Elle sentait que si elle s’arrêtait, ne fût-ce qu’une minute, des images du passé lui reviendraient, et elle chavirerait.
Il n’y a que deux bêtes mortes, se morigéna-t-elle, ce n’est rien. Rien du tout.
Puis elle se remit à la recherche de Gérold.

Elle le trouva assis sur son banc, dans le petit pré devant le sanctuaire. Il avait posé près de lui un plateau - sur lequel trônait un morceau de pain et du fromage - ainsi qu'une petite outre. De vin, d'eau ? Galathée n'en savait rien.
Le vieux clerc l'invita à s'assoir d'un geste de la main.
-Vous devriez manger un bout... J'ai comme l'impression que la nuit ne va pas être de tout repos. Il nous faudra examiner les bêtes, négocier avec les paysans qui voudront quitter la foire sur le champ... Bref, du travail en perspective. Je vais d'ailleurs y retourner sous peu, mais rien ne vous empêche de prendre quelque repos. Vous avez été sur la foire toute la journée et le calme qui règne ici est propice à se ressourcer avant de replonger dans le tumulte et la tension du foirail...

Elle s’assit et le remercia.
« Je vais y retourner aussi. Je pense que nous ne serons pas de trop. Et je me reposerai quand nous en aurons le temps. J’ai vu d’autres nuits blanches… »
Un instant, elle revit Luménis, se demanda ce qu’il était advenu de la cité de Lathandre. Ils avaient appris certaines choses, par bribes, Morféa était tombé, la ville allait pouvoir se reconstruire. Elle se servit de pain et de fromage, lorgnant le champ coloré qui dansait dans la brise crépusculaire.
« J’espère que les gens se montreront compréhensifs… Mais je comprends leur rage. Dans les deux cas, la bête morte semble être la dernière chose qu’il leur restait, un espoir nécessaire dans une vie de privation… »
Elle secoua la tête.
« Mais chercher la justice dans une épidémie, ma foi… Je ne suis plus si jeune. »

Gérold hocha la tête.
-La nature est parfois cruelle... Le mal frappe indifféremment nécessiteux et riches gens, et si ces derniers peuvent s'en remettre, les premiers, eux... Il y a toujours des paysans pauvres qui viennent vendre leur unique bête, pour avoir un peu de liquidités... Souvent, ils feraient mieux de la garder, tant le prix qu'on leur en donne est misérable, mais, c'est la seule solution qu'ils voient... Enfin, en général, les gens sont solidaires, dans les communautés. Ils trouveront sans doute quelqu'un pour les aider, et lorsque les choses iront mieux, ils aideront d'autres gens, à leur tour... Du moins peut-on l'espérer.

« Mais si la bête du voisin meurt… et celle du voisin encore… » murmura Galathée, songeuse, à nouveau plongée dans ses souvenirs.
Elle se leva brusquement.
« Je suis désolée. Si j’y pense trop… C’est… Je vais me remettre en mouvement. Il reste mille et une choses à faire. Il n’y a que deux victimes pour l’heure. Je vais retourner voir. Voulez-vous… m’accompagner ? »

-Oui. Il est plus que temps que je me remette au labeur...
Le vieil homme se leva, ramassa sa sacoche et précéda Galathée hors du sanctuaire. Les rues du village bruissaient d'une activité fébrile qui n'avait plus grand chose de festif, mais c'était sans commune mesure avec l'ambiance délétère du foirail. Partout, ce n'étaient que discussions plus qu'enflammées, que disputes toutes prêtes à dégénérer. Les gardes recrutés par le bourgmestre expliquaient aux éleveurs qu'ils ne devaient pas quitter la foire. Expliquaient à ceux situés dans la partie du champ de foire où avaient été découverts les deux bêtes atteintes que leurs animaux étaient mis en quarantaine. Quelques habitants du villages compréhensifs essayaient de les aider, mais leurs arguments avaient peu de poids face à la colère des
éleveurs qui craignaient de voir leur cheptel contaminé s'ils le laissaient dans les parages.
Pour l'instant, toutefois, les choses étaient sous contrôle. Mais pour combien de temps ? Nul n'aurait su le dire.
Gérold et Galathée finirent par dénicher Valaellyn non loin de l'endroit où le vieux cheval avait trépassé. La jeune elfe était agenouillée près d'un mouton étendu sur le flanc. D'un troupeau d'une dizaine de moutons affalés, pour être exact.
-Eux aussi sont touchés, murmura-t-elle en se relevant. Toutefois, ce sont les seuls, pour l'instant. Mes sorts n'ont rien changé à leur état. Mais il se peut fort bien que le mal soit au-delà de mes compétences...

Galathée fronça les sourcils.
« Savez-vous s’ils viennent du Nord, eux aussi ? » demanda-t-elle en s’agenouillant près d’une des bêtes.
Elle posa les doigts sur sa gorge, sentit battre son cœur, désordonné, bientôt mort, sous la peau humide de sueur. Des ongulés, encore. Mais rien ne passe plus inaperçu qu’un poulet crevé ou qu’une souris morte. Elle leva les yeux.
« Nous devrions exposer un animal sain. Cela nous permettrait d’observer la propagation de la maladie en temps réel, de voir si elle se transmet, quels sont les premiers signes si c’est le cas, combien de temps séparent l’exposition, l’agonie et le trépas. »
Elle croisa le regard de Valaellyn. Il y avait en elle un siècle de savoir et d’expérience, quatre fois plus qu’en Galathée.
« Il doit y avoir des animaux, dans les fermes alentours, au village, qui n’ont pas été amené jusqu’au foirail. Un mouton ferait l’affaire, quelque chose du genre. »
Idéalement, exposer un porc, une chèvre, un poulet, un chien, aurait eu son importance, mais la rôdeuse ne se sentait pas le cœur de sacrifier autant de créatures s’ils parvenaient à maîtriser la situation d’une autre manière.

Valaellyn se frotta le menton.
-Ils viennent du nord, oui, comme tout ceux de ce secteur. D'où exactement, je ne saurais dire... Le fermier n'était pas exactement... enclin à le discussion. J'ai donc dû... le faire éloigner, pour éviter des rixes...
Elle jeta un regard inquiet aux alentours, comme pour guetter les prémisses d'une bataille. Mais la situation ne s'était pas aggravée sur le foirail.
-Quant à trouver un mouton... Oui, en trouver un, c'est faisable; Convaincre son propriétaire de nous le céder, par contre, c'est une autre affaire.
Gérold lui toucha le bras.
-Nous avons quelques deniers de côté... Si on en offre un bon prix, nous aurons plus de moutons que nous n'en voudrions... Ce qui m'inquiète, moi, c'est la durée d'incubation. Au minimum, elle est de deux jours, vu que ces fermiers sont partis de chez eux hier dans la matinée. Deux jours, au minimum. Mais au maximum... Je ne sais pas combien de temps nous pourrons retenir les éleveurs ici. Si d'ici la fin de la foire, nous n'avons pas de nouveau cas... je crains que nous n'ayons d'autre choix que de les laisser aller.

« Vous partez du principe que tous ces animaux sont arrivés infectés, mais nous n’en avons aucune preuve. Il est possible que la vache de départ ait contaminé les moutons et le cheval. C’est la raison pour laquelle je voulais procéder à ce test. »
Elle resta songeuse une seconde.
« Mais nous sommes trois experts en médecine animale. Nous devons pouvoir restreindre le champ de nos investigations… Cette maladie ressemble forcément à quelque chose que nous connaissons. Une plante toxique ingérée me semble désormais peu probable : je n’ai rien trouvé dans les estomacs, de plus, en général, les herbivores savent éviter ce qui leur nuit… Pas de trace d’un parasite visible. Pour ce qui est des maladies… Cela ressemble à la maladie du charbon, je dois dire… Sauf pour ce qui est des poumons et du cœur… Mais le fait qu’aucun de vos sortilèges n’ait fonctionné… Je ne connais pas bien l’étendue de leur pouvoir, mais cela ne devrait-il pas nous orienter vers quelque chose de surnaturel ? Comme une malédiction ? »

Valaellyn et Gérold échangèrent un regard.
-Que l'impuissance de nos sorts soit de nature à orienter nos recherches, c'est indéniable... fit le vieil homme en se caressant distraitement la barbe. Bien sûr, l'on peut toujours penser qu'ils ont été lancés trop tard, alors que le mal était trop avancé pour que la magie puisse annuler ses effets. Ce n'est pas impossible. Quant à invoquer le surnaturel... Ce serait, oui, une autre explciation.
-Tout de même improbable, non ? intervint Valaellyn. Qui lancerait une malédiction sur quelques animaux ? Et si on exclue cette hypothèse... Bien sûr, il existe des plantes magiques, comme l'herbe qui égare, ou la mandragore... Peut-être ces malheureuses bêtes en ont-elle mangé quelque sorte par accident... Ou, sans recourir à de telles explication, peut-être tout simplement cette maladie est-elle trop virulente, trop rapide pour qu'il soit possible d'intervenir ?
-En théorie, rien n'empêche que l'on envisage cette explication,. Mais je n'ai pas souvenance d'avoir entendu parler d'une maladie que les sorts de clercs étaient absolument inaptes à soigner. Ou au moins à atténuer. Dans tous les cas, nous en savons encore trop peur pour tirer des conclusions... Procéder à l'expérience proposée par Galathée nous permettrait peut-être d'avancer un peu...
La jeune elfe acquiesça.
-Cruelle expérience, mais nécessaire, oui.

« Bon, dans ce cas, nous n’en sommes pas plus avancés. » fit Galathée en se massant le front, pensive. « Avez-vous des livres au sanctuaire ? Quelque chose que nous pourrions compulser ? Les maladies inconnues n’existent pas. Elles ont forcément déjà frappé par le passé. »
Elle leva les yeux, lorgna les étoiles qui commençaient à poindre.
« Nous pourrions aussi nous rendre dans ces villages. Du moins, à Roseraies. Cette vache a fatalement attrapé la maladie d’une manière ou d’une autre… Peut-être y trouverait-on un foyer parmi les animaux sauvages… Un indice quelconque. Cependant… »
Elle revint à ses interlocuteurs.
« La cause est finalement secondaire. Nous devons convaincre les éleveurs de patienter. »

Gérold acquiesça.
-Oui. Et ce ne sera pas simple. Je pense que nous pouvons leur dire que le délai d'incubation nous paraît être de deux jours. Si, comme vous le pensez, les autres animaux ont été infectés par la vache, ce sera peut-être moins, même. Mais deux jours, cela nous conduit au terme prévu de la foire : un moindre mal, donc. Si une véritable épidémie ne s'est pas déclenchée d'ici là, nous les laisserons partir. Est-ce que cela vous semble convenir ?
Valaellyn acquiesça, puis les deux clercs se tournèrent vers Galathée, guettant son avis et ses éventuelles remarques.

« Comment voulez-vous que je me prononce ? C’est votre pragmatisme contre ce que la prudence nous commande… Deux jours. C’est court. C’est probablement trop long pour eux, et ridicule dans notre situation. Mais attendons… Après… après advienne que pourra. Si nous avons le moindre doute… Je serai pour l’abattage de tout le bétail. »
Elle soupira.
« Je vais nous trouver un vieux mouton. » ajouta-t-elle, puis s’esquiva vers le village.
La rôdeuse était surprise que les clercs se soient rangés à une demi-mesure arbitraire, réaliste sans doute, mais stupide dans les circonstances. Si une épidémie se déclenchait d’ici là, avait-il dit. Justement, c’était absurde. Si une épidémie se déclenchait, ce serait la preuve que l’incubation était courte. Si rien ne se produisait… c’était bien pire. Ils devraient laisser partir des animaux potentiellement porteurs de mort aux quatre coins de la campagne.

Trouver un vieux mouton prit une bonne partie de la nuit à Galathée. Des moutons, il y en avait. Surtout des vieux, d'ailleurs. Mais qui n'aient à coup sûr fréquenté aucun des animaux venus rejoindre la foire, c'était une autre paire de manche : la plupart des fermes jouxtaient les routes par lesquelles les éleveurs étaient venus... Elle finit cependant par découvrir ce qu'elle cherchait, à une demi lieu de Hautépine, dans une exploitation minuscule et en retrait. Le paysan la regarda avec des yeux ronds, mais toutes ses réticences s'envolèrent lorsque la rôdeuse évoqué une somme rondelette pour son achat. La transaction fut mené tambour battant, et la jeune femme repartit avec l'animal, tandis que l'homme se voyait invité à venir chercher son argent au temple.
Regagnant le foirail avec sa victime, Galathée le trouva dans le même état qu'à son départ... en un peu plus assoupies. Si des rixes avaient eu lieu, elle n'en vit nulle trace, et trouva Valaellyn et Gérold à l'endroit où elle les avaient laissés : tous les moutons étaient morts, à l'exception d'une unique bête en train d'agoniser.
-Pas d'autre cas à signaler, pour l'instant, fit la jeune elfe en lui adressant un sourire fatigué.

Galathée poussa le mouton sur le carré d’herbe où avaient agonisé ses congénères et s’imposa dans son esprit. Elle détesta avoir à agir avec une telle brutalité, mais il n’était plus temps de faire du sentiment. La seule chose qu’elle pouvait faire était d’abréger ses souffrances dès qu’il aurait clairement développé la maladie. D’ici là, il fallait qu’il se plie aux nécessités de la situation, comme chacun d’entre eux. Elle le mena jusqu’au mouton survivant, et les laissa se renifler. Lorsqu’elle fut convaincue qu’il y avait eu assez d’échanges, elle relâcha son emprise sur l’animal sain, et ce dernier courut se réfugier dans un coin de l’enclos, bêlant d’angoisse, traumatisé par la mort omniprésente. Son semblable éreinté rendit l’âme quelques secondes plus tard.
« Il faudrait emporter les carcasses. » dit la rôdeuse.
Elle avait l’impression que la nuit avait aspiré toute émotion. Heureusement qu’il leur restait un but.

Gérold, qui avait l'air totalement épuisé, hocha presque imperceptiblement du chef.
-Nous attendions que tous soient morts, pour limiter les allés retour. Nous allons à présent appeler les gardes affectés à cette tâche... Le bûcher n'est pas très loin...
Les malheureux chargés de la sinistre besogne ne tardèrent pas à arriver. Ils déposèrent les carcasses sur une sorte de char à bras qu'ils menèrent, via un large espacé dégagé, dans une petite combe à l'écart où brûlait un grand feu. On le gardait entretenu en permanence, afin qu'il soit toujours en mesure de faire disparaître un corps en aussi peu de temps que possible.
-Bon, il nous faut à présent refaire un tour parmi les stalles...soupira Gérold. Pour voir s'il y a d'autres cas.
-Tu devrais te reposer, je crois... murmura Valaellyn. Galathée, moi et les gardes pouvons nous en charger. Si tu en fais trop...
-Je sais où sont mes limites, répliqua le vieillard en se levant. Lorsque je le jugerai utile, j'irai me reposer. En attendant, vous avez encore besoin de mon aide...
Et de s'éloigner d'un pas légèrement vacillant, pour débuter son inspection. Valaellyn ne put s'empêcher de pousser un profond soupir et de hocher la tête, maussade.
-Il va se tuer au travail... Mais je ne peu xpas l'en empêcher... murmura-t-elle.

« S’il estime que cela en vaut la peine… Il est maître de lui-même, et du temps qu’il lui reste. » fit Galathée.
Elle espérait que Valaellyn n’était pas sur le point de s’épancher. La rôdeuse était épuisée et avait tout sauf envie d’écouter les états d’âme d’une jeune beauté immortelle. Elle décida de prendre les devants.
« Cela dit, il aurait pu rester surveiller le mouton, c’est tout aussi important. Que préférez-vous ? Rester observer la bête ou retourner à la recherche d’éventuels animaux infectés ? Moi, c'est égal. »

La Couronne de Cuivre

[Quête] Par monts et par vaux

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Re : Par monts et par vaux

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