La Couronne de Cuivre

Chandara se sentait en confiance avec la paladine lathandrite, si attentionnée mais légère à la fois. La Dorrandine lui répondit donc d’un ton joyeux :

- C’était une cérémonie très touchante mais c’est vrai que j’ai un peu perdu l’habitude de me lever si tôt ces dernières semaines. Et je dois bien reconnaître que j’ai eu un peu de mal à m’endormir hier soir après une première journée aussi excitante à Luménis !

La jeune femme eut un sourire entendu mais ne posa aucune question.
" On dit parfois que Lathandre reconnait ses ouailles en fonction de leur capacité à dormir peu, murmura-t-elle. Alouettes en été, fêtards en hiver. C'est la meilleure manière de ne pas perdre le rythme. Enfin, nous autres, paladins, avons droit à davantage de latitude que les clercs. Nos devoirs nous imposent d'être mieux reposés, même si tous les preux d'expérience que je connais maîtrisent le sort de restauration partielle dès qu'ils le peuvent."

Chandara écoutait Sullyan avec attention, se plaisant à sa conversation. Mais elle ne pouvait pas tout à fait s’empêcher de jeter de fréquents coups d’œil vers la sortie du temple, y guettant Arthur. Juste pour le plaisir de le voir auréolé de la grâce de son dieu.

- Ce doit être en effet un sortilège très pratique, surtout en été ! Mais encore une fois, je ne regrette pas d’avoir découvert votre temple au cours d’une cérémonie de l’aube : c’était en bonne place sur ma liste des mille et une choses que j’avais envie de faire pendant mon séjour. Cela dit, je n’aurais rien contre renouveler l’expérience !

" Une chose parmi mille ! Misère, vous n'y allez pas de main morte. La cérémonie de l'aube n'est pas une attraction touristique, Chandara !" s'exclama Sullyan en riant.
Elle haussa les épaules, toujours souriante.
" Mais je comprends... Quand on est... séduit par quelqu'un, il est sans doute naturel de vouloir comprendre ce qui l'anime... Mais ce serait une bien mauvaise raison de se tourner vers un dieu. La raison, d'ailleurs, n'a pas droit de cité en ces matières."

Sullyan la comprenait bien mieux encore qu’elle ne s’y attendait. Elle eut peur d’avoir commis encore une nouvelle maladresse de langage mais la paladine avait su la rassurer immédiatement par sa bonne humeur. Quant à ces réflexions sur ce qui pouvait la motiver, elle ne pouvait pas tout à fait lui donner tort mais tint tout de même à clarifier sa pensée :

- Je suis tout à fait d’accord avec vous : la foi tient du cœur et non de la raison ! Mais le fait d’être venue ce matin tenait à cœur pour d’autres raisons que de mieux comprendre Arthur : je suis reconnaissante aux vôtres et à Lathandre pour ce que Luménis a accompli dans mon pays. Et certains aspects de votre dogme m’attirent aussi même si j’avoue n’en connaître que certains aspects et de manière imparfaite. Un peu comme je me rends compte qu’il me reste énormément à découvrir concernant Arthur.

" Vous savez, connaître un dogme, un dieu, ça n'a rien à voir avec en entendre l'appel... La plupart des novices, qu'ils soient à la commanderie ou au temple, ne savent rien de Lathandre, ou presque, avant de nous arriver. Ils ont senti quelque chose dans leurs tripes, à l'aube, un embrasement, quelque chose d'indéfinissable, qu'ils n'ont pas pu mettre en mots, qu'ils ont essayé de transmettre à leurs proches, et de fil en aiguille, on nous les a amenés... Bien sûr, au temple, il y a aussi des enfants dont l'appel est plus tardif... Mais généralement, l'enseignement formel des rites lathandrites ne précède jamais l'élan spirituel. Sinon, ça n'aurait pas de sens. Je pense que je comprends votre besoin... de trouver quelque chose pour remplir le vide qu'Helm a laissé en vous... mais je pense que vous vous fourvoyez, si vous imaginez que vous devez chercher. La foi nous vient, ou pas... Ce n'est pas quelque chose sur laquelle nous avons grand pouvoir."

C’était sans doute là la plus difficile des leçons : accepter de ne pas avoir de prise sur cet aspect le plus fondamental de sa vie. Accepter de ne pas rechercher mais se mettre en attente, l’esprit ouvert et réceptif. Accepter de ne pas trouver peut être, de passer à autre chose, de s’accomplir sur d’autres plans. Sullyan avait raison et l’ancienne helmite le reconnut d’une petite voix :

- C’est difficile à accepter mais je crois que vous avez raison : c’est la seule façon possible pour moi d’avancer.

" Ah, je ne voulais pas moucher votre espoir, Chandara. Vous avez raison d'en avoir ! Mais devenir une docte théologienne ne servira à rien. Laissez-vous toucher par le monde, c'est bien suffisant."
Le groupe de paladins se mit en route vers la commanderie au moment où Arthur et une femme brune les rejoignaient. Les novices, par contre, étaient invisibles.
" Ah, tu es là, dit Arthur en rejoignant la Dorrandine. Je ne t'ai pas vue à l'intérieur, je me suis dit que nous t'avions perdue dans la foule."

Chandara adressa un sourire lumineux au jeune-homme en le voyant approcher mais elle esquissa une moue inquiète en entendant sa remarque : s'était-il attendu à ce qu'elle accompagne la délégation de paladins au devant de l'autel ? Elle ne s'en était pas sentie autorisée mais elle craignait maintenant que cela puisse vexer ou même surprendre le paladin.

- J'ai préféré me mêler aux fidèles mais je suis désolée si j'ai pu te manquer.

Elle lui aurait volontiers tendu son bras mais elle se souvint au dernier moment qu'il préférait ne pas trop s'afficher devants ses camarades de la Commanderie.

" Non, ce n'est pas grave... Je me suis juste... inquiété une seconde. C'était bête, sans doute, mais il y a un tel monde dans ce temple, de bon matin... Je ne sais pas si j'aurais eu le temps de te chercher..."
Il sourit.
" En même temps, tu connais le chemin jusqu'à la commanderie, ce n'est pas très loin."
Sullyan s'était esquivée, leur laissant quelques secondes d'intimité, même si le groupe entier marchait désormais dans la rue.

Sullyan était vraiment fine mais elle s'en voulait un peu que leur conversation se soit terminée sur un malentendu ou ce qui s'en approchait. Evidemment, elle avait besoin d'intégrer ce que la lathandrite lui avait dit mais elle ne voulait pas être à l'origine d'un froid avec l'amie d'Arthur. Pour l'heure, elle entendait néanmoins profiter de ces quelques minutes volées auprès de l'élu de son cœur. Elle se pencha donc pour murmurer d'un ton espiègle et léger destiné à ne pas l'inquiéter :

- Oui, maintenant je sais où tu habites alors je saurai toujours te retrouver ! Tu sais que j'ai rencontré Sire Armand : il a l'air vraiment abordable pour un commandant !

" Adorable ?!" fit Arthur, incrédule.
Il secoua la tête.
" Chandara, tu as de ces expressions... Armand n'est certainement pas... adorable ! On dirait que tu parles, je ne sais pas moi, d'un chaton ou quoi !"
Il rit.
" On va mettre ça sur ton manque de sommeil. Bon. Tu sais ce que tu vas faire de ta journée ? Le Temple de Tymora, c'est ça ?"

Chandara éclata subitement de rire, suscitant la curiosité de plusieurs paladins situés autour d'eux. Elle se contint néanmoins bien vite pour ne pas laisser à croire à Arthur qu'elle puisse se moquer de lui :

- Je pense que c'est à cause de mon accent : j'ai dit qu'il était abordable ! Jamais je ne me serais permise de dire autre chose, voyons ! Quoique... Non, vraiment : il est de loin notre aîné et bien plus sage que je ne serai jamais alors je ne pourrais jamais dire une chose pareille. Et tu sais bien que tu es le seul que je trouve vraiment adorable, mon chaton ! Et sinon, oui, je voulais commencer par le temple de Tymora. Et sans doute déjeuner dehors si on ne peut pas se retrouver au réfectoire.

Arthur avait rougi comme une pivoine en réalisant sa méprise.
" Tu as un accent charmant... C'est moi qui suis mal réveillé..." murmura-t-il, confus.
Toujours écarlate, il tenta de raccrocher à la conversation, guettant ses collègues qui les observaient, amusés.
" Le Temple de Tymora. Excellente idée. Bons amis à nous. Enfin. Je ne les connais pas bien, personnellement, mais... Hum. Et c'est plus sage si tu manges dehors... Je serai au réfectoire mais... je sers et... à midi, c'est rarement très structuré..."

Chandara lui caressa discrètement la main du bout de ses doigts pour que les autres paladins ne le remarquent pas mais pour l'assurer qu'elle ne lui en voulait pas de sa méprise. Bien au contraire puisqu'elle l'avait fait rire. Elle enchaîna d'un ton doux pour clore définitivement le sujet :

- J'ai l'intention de porter une lettre d'Amélie, mon amie et logeuse. Et puis c'est certainement une visite qui vaut le détour ! La Dame de la Chance n'est pas forcément très bien vue à Manost mais c'est parce que la majorité des gens y sont coincés et rigides ! Moi je l'aime bien !

Pour l'heure néanmoins, elle avait bien l'intention de déjeuner avec le paladin avant de convenir du moment où ils pourraient se retrouver. Dans l'après-midi certainement.

" Je ne suis pas certain que le temple de Tymora soit particulièrement intéressant, d'un point de vue... esthétique... Mais je n'y entends rien. Et je suis certain que tu y seras bien reçue." dit Arthur.
Ils avaient atteint la commanderie et se glissèrent à l'intérieur de la cour.

Les posts qui suivent se passent un peu avant l'été 1384

Quête : Des Racines et des Ailes.

Le trajet depuis les portes lui parut à la fois incroyablement long et beaucoup trop court. Lorsque la route bifurqua vers le nord, le Temple surgit brusquement, surplombant les bâtiments voisins en ce compris la commanderie. Albérich arrêta Printemps en bordure de l'allée et l'observa un instant. Il était plus nerveux que prévu. Pas franchement effrayé. Pas complètement bouleversé. Mais troublé tout de même. Cet endroit avait été toute sa vie, pendant des années, et puis il l'avait subitement détesté avec fièvre. Il se laissa toucher par sa grandeur, sa beauté, sa force. Il sourit. Il était prêt. A rentrer, à repartir. Il n'était plus l'homme vide qui avait filé à l'aube, comme un voleur. Mais il n'était pas davantage redevenu le jeune aubemestre plein d'élan et d'enthousiasme qui avait été élu au lendemain de la chute du tyran. Un an et demi seulement s'était écoulé, mais ce qu'il avait appris ne se comptait ni en veilles, ni en mois. Il était allé aux Enfers, dans tous les Enfers, et il était revenu.
Il poussa Printemps vers le Temple. Il lui faudrait confier son cheval aux paladins, mais chaque chose en son temps. D'abord s'annoncer puis il aviserait. Il ne doutait pas qu'il serait bien reçu, malgré toutes les turpitudes du passé.

Il immobilisa sa monture au bas des marches, prit une profonde inspiration et se dirigea vers les portes. Il était tard, déjà, mais sans doute y aurait-il encore quelqu'un pour l'accueillir.

Les portes n'étaient pas fermées. La cérémonie vespérale venait de s'achever, et quelques petites groupes de fidèles priaient encore devant l'autel. Sur sa droite, un clerc, aidé par deux novices, rangeait des accessoires. Sa silhouette était familière, mais il lui tournait le dos et il lui fallut quelques instants pour qu'un prénom surgisse du fond de sa mémoire. Denis. D'autres novices allumaient les bougies : la lumière resterait maîtresse des lieux, même en pleine nuit. Certains d'entre eux lui étaient familiers, et leurs prénoms jaillissaient dans son esprit avec une facilité déconcertante. L'un d'eux inclina doucement la tête vers lui en guise de salut, mais Alberich ne ne connaissait pas.
Un autre clerc sortit d'une alcove, raccompagnant une jeune femme en direction de la sortie. C'était un jeune homme aux cheveux bruns, aux yeux bleus, au sourire facile, qu'Alberich reconnut aussitôt : Nathan. Il avait été ordonné prêtre quelques années plus tôt, et c'était Alberich qui avait présidé la cérémonie.
Il s'arrêta net en arrivant à la hauteur du clerc, ouvrit la bouche sur une exclamation muette, la referma. La jeune femme les observa tous deux, intriguée, puis poursuivit sa route.
" Vous... vous êtes bien... L'aub... Alberich Megrall?", souffla-t-il d'un ton incrédule.

" C'est bien moi, Nathan. J'espère que tu ne vas pas subitement te mettre à me vouvoyer..."
Il passa les mains sur ses joues fraîchement rasées, puis sur ses tempes.
" Je n'ai quand même pas changé tant que ça, si ? Je sais que j'ai grisé un rien mais quand même..."

Le teint du jeune clerc vira au rouge cramoisi.
" C'est que... j'étais pas sûr... Puis... J'ai toujours eu du mal à tutoyer les plus anciens que moi. Heu... pardon, j'ai pas voulu dire que vous... que tu es vieux, pas du tout !"
Il secoua la tête avec une grimace, et sourit. Albérich se souvenait du jeune novice extrêmement timide qu'il avait été, qui avait eu effectivement bien du mal à passer du vouvoiement au tutoiement.
" Désolé... Oh là là... c'est incroyable, ça ! Je peux... prévenir les autres ? Tu vas dîner avec nous ? Et.... et je vais te trouver une chambre, d'abord..."
- Je crois que la tienne est libre, intervint la voix de Denis. Enfin, sauf si tu en veux une autre, bien sûr, c'est comme tu veux."
Il s'était approché sans bruit, arborant un sourire sous sa moustache grisonnante. Il y avait une certaine circonspection dans son regard, mais surtout beaucoup de curiosité. C'était un homme au caractère doux, qui avait une bonne dizaine d'années de plus qu'Albérich. Ils n'avaient jamais été particulièrement proches. Il s'était tenu à distance lors des jours sombres qui avaient suivi le retour du clerc, par pudeur et certainement pas par réprobation : Alberich savait qu'il n'était pas du genre à juger quiconque, et qu'il faisait toujours montre d'un optimisme inébranlable.
Il parut hésiter un bref instant puis lui tendit la main, les yeux brillants.
" J'étais sûr que tu reviendrais !"

Albérich réalisait peu à peu qu'il n'avait pas mesuré le tumulte que causerait son retour. Tout au long de ces mois d'absence, il n'avait eu de contact qu'avec Alaric, après tout, et il n'était pas anormal que les autres réagissent avec émotion. Lui-même la sentait grimper dans sa poitrine, peu à peu, même s'il demeurait tranquille. Il était dans un endroit bienveillant, qu'il connaissait bien.
Il serra la main de Denis.
" Pour quelques jours seulement. Mais tu ne t'es pas trompé."
Il était surpris que ses anciens appartements soient encore libres mais sans doute Denis faisait-il référence à sa chambre de jeunesse : il avait ensuite occupé un trois-pièces réservé à l'aubemestre, il paraissait peu probable que ses coreligionnaires l'aient laissé à l'abandon.
" Un lit, n'importe où, me conviendra. Et s'il vous reste une place à table, ce sera volontiers, mais je ne veux pas m'imposer : je peux aller manger aux Lueurs de l'Aube et revenir ensuite. Cela dit, j'ai un cheval qu'il faudrait que j'installe quelque part... Je suppose que l'arrangement avec la commanderie tient toujours ?"

" Oui, oui, bien sûr ! s'exclama Denis. On va demander à un novice de l'y emmener. Hum... Carla ?
- D'accord, je m'en occupe !"
Les novices, bien évidemment, suivaient d'une oreille la discussion tout en s'efforçant d'avoir l'air absorbés par leurs tâches. La dénommée Carla, une adolescente dégingandée à l'air un peu revêche, se dirigea aussitôt vers la porte.
" Nathan, tu l'accompagnes à sa chambre ? Moi... je vais avertir les cuisines. Bien sûr que tu manges ici. Et avant, je crois que je vais passer voir l'Ours. On pourrait aussi lui faire la surprise, juste pour voir sa tête... Mais vu la vitesse à laquelle la rumeur va se propager, il le saura de toute façon avant même de mettre un pied au réfectoire. "
Il échangea un sourire avec Nathan.
" Tu souhaites peut-être lui parler avant le dîner ?"

" Ce serait peut-être mieux... s'il a le temps de me recevoir. Mais je ne crois pas qu'il sera si surpris... Il sait que je suis dans la région, et aussi que j'avais l'intention de passer par ici."
Il fronça les sourcils.
" Vous l'appelez vraiment toujours l'Ours ?"

" Seulement quand il n'est pas là, fit Denis avec un clin d'oeil. Bon... en réalité, seulement les plus anciens d'entre nous. Mais donc, c'est raté pour l'effet de surprise. Dommage, j'aurais voulu voir sa tête..."
Il eut un haussement d'épaules théâtral.
" Le dîner est dans une demi-heure, rappela Nathan -au cas sans doute où Alberich n'ait plus en tête les habitudes immuables du lieu. Je ne sais pas si vous aurez le temps de beaucoup bavarder avant...
- Fichtre... Je file le prévenir, alors. Il saura où te trouver ! A tout de suite !"
Il disparut dans le corridor menant à l'aile nord du bâtiment, tandis que Nathan emboîtait le pas d'Alberich à une allure plus tranquille pour l'escorter jusqu'à sa chambre.
" Tu fais bien de dîner ici. Tout le monde va vouloir te voir, te parler... C'est mieux ce soir, au calme, que demain pendant les prières. On avait entendu des rumeurs, bien sûr... Mais te voir là... c'est formidable. Tu as vraiment l'air... d'avoir retrouvé toute ta forme ! Dans tous les sens du terme..."
Il avait légèrement rougi d'avoir abordé ainsi un sujet délicat.

Albérich acquiesça avec un sourire rassurant. Que ses confrères se soient inquiétés, c'était normal, et vu la manière dont il les avait abandonnés, il ne pouvait que se plier à leur curiosité. Ce n'était pas difficile : il se sentait empli de lumière.
" Oui, je ne peux pas me plaindre, j'ai retrouvé ce qui me faisait défaut, et plus encore."
Il laissa le jeune prêtre prendre les devants : après tout, il n'était qu'un invité en ces murs, et il ne voulait surtout pas se comporter comme s'il était en terrain conquis. Il n'était plus l'aubemestre de Luménis, et ne le serait plus jamais.
" Il y avait du monde, pour les prières vespérales... C'est réjouissant."

" Oui, oui ! Il y a l'effet des beaux jours, et peut-être le besoin de repartir sur du positif après la guerre. On sent de l'espoir dans les cœurs, et ça nous vaut un regain d'affluence appréciable. Non pas qu'on ait eu à se plaindre d'une baisse réelle, en réalité. Même dans les jours sombres, ou peut-être surtout dans les jours sombres, les gens viennent toujours ici, chercher un peu de lumière. Mais là, c'est le printemps, le solstice approche doucement... il y a de l'énergie dans l'air, des envies de neuf, un peu de contestation contre l'ordre établi... forcément, c'est notre meilleure saison !"
Nathan avait pris la tête avec une petite hésitation, conscient sans doute que le clerc n'avait pas besoin d'être guidé dans ces couloirs qu'il connaissait depuis plus longtemps que lui.
" On a une recrudescence de novices aussi, depuis deux mois. On m'a nommé instructeur... Et c'est plus compliqué que j'aurais cru. Mais donc, tu vois... rien n'a vraiment changé," conclut-il en poussant une porte.
La chambre non plus n'avait pas changé. Elle avait certainement connu d'autres occupants, mais rien ne ressemble davantage à une cellule de clerc qu'une autre cellule de clerc : un lit, une petite table, une chaise, un coffre : tout était exactement à la même place que dans les souvenirs d'Albérich.

" Parfait." dit-il.
Il n'avait plus occupé ce genre de chambre depuis avant l'ascension de Morféa, ou presque... mais c'était il y a une éternité. Il avait connu bien des endroits nettement pires, depuis. Et d'autres beaucoup plus luxueux.
" Je vais peut-être vite me changer. J'ai galopé toute la journée et je suis couvert de poussière. Je pense que je trouverai mon chemin jusqu'au réfectoire..."

" Tu sais où est la salle d'eau... "
Le jeune clerc était resté sur le seuil.
" C'est vraiment chouette de te revoir, en tout cas. Tout un symbole... La lumière prévaut toujours."
Sur un dernier sourire, il s'éclipsa, laissant le clerc seul -certainement pas pour très longtemps si Denis avait été aussi diligent qu'il semblait en avoir l'intention.

Un symbole, la belle affaire. Mais ce n'était pas non plus étonnant. Les Lathandrites aimaient les histoires de renouveau, de renaissance, et en cela, il ne pouvait pas échapper à sa propre histoire. Il profita des quelques minutes de tranquillité qu'on lui offrait pour se débarbouiller rapidement — il n'avait pas l'intention d'aller jusqu'à la salle d'eau*— et changer de vêtements. Il n'avait emporté que le strict minimum, de quoi tenir les deux ou trois jours qu'il avait prévus, aussi cela fut-il vite fait. Ensuite, il contacta Hubert, comme il le lui avait promis. Ils n'échangèrent que quelques mots : le prêtre rassura le paladin sur son périple sans cahots, et ce dernier lui parla du bonheur qu'il avait à renouer avec son frère et à découvrir sa nièce. Puis ils se saluèrent, avec toute la chaleur qu'un contact immatériel pouvait renfermer, c'est à dire pas grand chose, et ce fut le silence. Malgré toute la lumière qui rayonnait dans le Temple, Albérich ne put s'empêcher de songer que sa nuit serait bien solitaire.

En réalité, il eut à peine le temps de formuler consciemment cette pensée*: on frappait déjà à sa porte. C’était un tout jeune novice, discret et rougissant, qui sembla oublier ce qu'il avait à dire sitôt que le clerc ouvrit la porte. Il resta quelques instants hébété, à le fixer d'un air incrédule. Son visage était familier à Alberich : il était déjà là avant son départ, c'était l'une des plus jeunes recrues.
" Excusez-moi de vous déranger... On m'a dit de vous dire qu'il vous attend dans son bureau. Heu... je veux dire, l'aubemestre. Il a dit que vous venez quand vous voulez. C'est Denis qui m'a dit."
Il recula d'un pas, intimidé, tandis que son prénom revenait immédiatement à la mémoire d'Alberich en entendant sa voix fluette : il s'appelait Rémi.

La Couronne de Cuivre

[Temple] Le Sanctuaire de Lathandre