La Couronne de Cuivre

Flairer une piste avec un gros sac dans la gueule, un arc et un bâton qui heurtaient le bord des rochers et envoyaient des vibrations désagréables dans sa gueule, et la neige qui tombait désormais à gros flocons n'avait rien d'aisé et de rapide, mais*— petite chance dans les ténèbres — Kimik puait vraiment le vieux bouc et suivre son parcours aurait sans doute été possible même pour un être humain (au nez un peu fin). Ses empreintes, par contre, avaient disparu sous la neige. Astrée partit donc vers la gauche, où se trouvait la majeure partie de l'ancienne structure en ruines. Il était difficile de déterminer ce que c'était : une petite ville, un temple, autre chose... de toute façon, elle n'avait pas l'opportunité de se poser la question. Les anciens murs, ou piliers, ou morceaux de plafonds, se resserraient de plus en plus, formant comme des couloirs de roche noire. Le vent parvenait cependant à se frayer un passage dans ces conduits étroits, plus vif et fort que jamais, comme désireux de repousser les visiteurs. Il y avait, paradoxalement, moins de globes lumineux comme si ceux-ci n'avaient servi qu'à accueillir le voyageur avant de l'abandonner dans un dédale de roches mortes.
Mais Kimik était passée par là et Astrée persévéra. Elle finirait bien par arriver quelque part.

HRP : un d20, m'dame

HRP : 3... (ça m'apprendra à utiliser un vrai dé : j'ai encore moins de chance...)

Même si son paquetage était encombrant, Astrée n'avait pas envie de reprendre forme humaine sous un vent aussi glacial. Elle repoussa donc encore le moment de se transformer, d'autant que son odorat l'aidait à se diriger. Mais elle commençait à se lasser de cogner son bâton contre les murs des couloirs de plus en plus étroits. Si le passage devenait trop étroit, il lui faudrait certainement se résigner à chercher un recoin moins venté et à affronter le froid.
Pour le moment, elle poursuivait son chemin d'un pas tranquille, faisant halte par moment pour poser ses affaires, humer l'air, détendre les os de sa mâchoire et laper un peu de neige. Elle écoutait de toutes ses oreilles, espérant entendre enfin des bruits de vie derrière celui du vent s'engouffrant entre les pierres. Elle avait l'intention de se transformer avant d'être aperçue.

HRP : Ah oui, comme diraient mes enfants, ça c'est "pas d'bol, Jean-Paul !"

Mais on n'entendait que le vent et il était difficile d'avancer sereinement dans la tourmente. Par moments, un hululement subit repoussait la louve en arrière, ébouriffant son poil gris, manquant l'envoyer voler contre une pierre ; quelques secondes plus tard, la bise la prenait à revers et la précipitait vers l'avant. La neige la forçait à fermer les yeux et les murs qui l'environnaient ne formaient qu'une faible protection. Elle avança encore, cependant, luttant contre les éléments.
Puis au détour d'un de ces couloirs obscurs, l'espace environnant se rouvrit : elle venait de déboucher sur une petite place, ronde et dégagée, déserte. Elle ne put cependant y entrer. Il y eut un sifflement plus aigu et elle bondit, instinctivement, vers l'arrière. Elle ressentit cependant une vive douleur à l'épaule et son poil gris se moucheta de sang. Une flèche était plantée dans la neige, juste à côté d'elle, après avoir fendu sa fourrure. Deux pouces plus à droite et elle l'aurait prise en plein poitrail.

Astrée recula précipitamment contre un mur, en maudissant ces guetteurs inconscients qui tiraient sans observer leur cible... avant de songer qu'il s'agissait peut-être d'un dispositif magique. Mais peu importait. Déjà, elle reprenait forme humaine, sans l'avoir consciemment décidé, simplement parce qu'elle avait mal, qu'elle saignait, et que son instinct de survie l'y poussait.
Elle n'y voyait plus grand-chose et elle claquait des dents, transie de froid. A tâtons, elle tendit le bras vers son sac qu'elle avait lâché sous l'effet de la douleur et de la surprise. Elle devait rapidement enfiler un vêtement chaud. Soigner sa blessure pouvait attendre quelques instants de plus : elle ne semblait pas si grave.

En redevenant humaine, elle réalisa qu'elle avait présumé de la blessure : elle eut du mal à mobiliser son bras droit et fut forcée de fourrager dans son sac d'une seule main. Le froid la saisit tout entière et elle claquait des dents avant d'avoir réussi à récupérer sa tunique. Un bruit lui fit relever les yeux et elle distingua une silhouette dressée devant elle.
" Astrée ?" s'exclama, stupéfait, Jeroen.
Il poussa ensuite un juron et s'agenouilla à côté d'elle, la soutenant d'un bras tout en l'aidant à trouver quelque chose à mettre sur son dos.

C'était le genre de circonstance où toute notion de dignité ou de pudeur paraît totalement accessoire. Astrée, accroupie dans la neige, se contenta de balbutier un "merci" chevrotant, en enfilant tant bien que mal sa tunique puis son pull de laine. Il fallait qu'elle se réchauffe un minimum avant de soigner son épaule : le froid la pétrifiait. Et une fois soignée, elle pourrait finir de se rhabiller plus aisément.
" Vous inquiétez pas, ça va. Juste trop froid," articula-t-elle entre deux claquements de dents, tenant à rassurer le mercenaire.

" Venez." dit Jeroen en l'aidant à se lever.
Il la délesta de son sac et l'entraîna au travers de la petite place. La neige ensevelit leurs traces à mesure qu'ils progressaient. Un nouveau globe orange trouait l'obscurité un peu plus loin et Jeroen hâta le pas tout en soutenant la jeune femme. L'humidité tiède autour de son épaule ne la trompait pas : sa tunique et son pull seraient imprégnés de sang, et les vertiges qui la prenaient n'étaient sans doute pas seulement liés au froid et à la faim. Ils avancèrent un peu vers la paroi sombre de la montagne, puis parvinrent à une porte en bois, s'ouvrant directement dans le mur de roche. Jeroen frappa trois fois, deux coups rapides, un plus sonore, et Astrée entendit un bruit de verrou avant que l'huis s'entrouvre. Kalju apparut dans l'embrasure, éclairé par derrière et les flammes d'un feu. En découvrant Astrée, il s'écarta vivement et Jeroen entra avec elle. La porte se referma dans leur dos et Astrée découvrit l'intérieur d'une petite salle, chichement meublée, dans un coin de laquelle brûlait un grand feu. Kimik était installée dans un autre, placidement couchée sur le sol, en train de ruminer. Félicie se rua vers Astrée en poussant des cris de joie.
" Astrée ! Quel soulagement !"
Jeroen aida la druidesse à atteindre une des chaises.
" Attention, elle est blessée..." dit le mercenaire avec embarras.

" Oh, c'est rien, je vais soigner ça", assura Astrée en dissimulant de son mieux son épuisement et l'étourdissement qui l'avait prise en entrant dans la pièce bien chauffée.
Elle se demandait si Jeroen était l'auteur de la flèche malencontreuse, mais ça n'avait pas grande importance, et l'urgence était de se soigner.
Elle se laissa tomber sur la chaise plutôt qu'elle ne s'assit. Elle se concentra de son mieux, luttant contre les vertiges, et incanta.
Astrée --> soins --> blessure à l'épaule.

La douleur se résorba mais il était trop tard pour l'état de ses vêtements. Félicie avait couru vers le feu et revenait avec un bol fumant. Kalju lui jeta une couverture sur les épaules. Sa blessure était refermée mais le froid demeurait niché en elle, profondément, comme s'il avait élu domicile dans ses os.
" J'étais sûre que tu retrouverais ton chemin ! s'exclama Félicie. J'avais foi ! Bon, j'aurais préféré que quelqu'un aille te chercher mais bon... Tu avais rompu le rang, blablabla, on connait la chanson."
La porte s'était refermée sur Jeroen, reparti à l'extérieur.
" Ça va te faire du bien, ajouta-t-elle en lui tendant le bol. Une soupe formidable. Rustique mais formidable."

Astrée accepta le bol avec reconnaissance. Elle songea qu'il faudrait qu'elle ôte sa tunique et son pull pour les laver... mais plus tard. Quand elle n'aurait plus cette sensation d'avoir les os irrémédiablement gelés. Pour le moment, la seule idée d'ôter une épaisseur de textile la frigorifiait.
" Je ne m'attendais pas à ce que quiconque vienne me chercher, ne t'en fais pas. J'avais dit à Jeroen et Jolien que je me débrouillerais. J'ai l'habitude...".
Elle avala une gorgée de soupe, puis une seconde, fermant les yeux pour mieux savourer cette merveilleuse chaleur qui se diffusait dans son corps, depuis son ventre jusqu'aux extrémités de ses membres.
" Mais je n'ai pas réussi à retrouver Eyri", ajouta-t-elle abruptement, d'un ton un peu rauque.
Sa soupe ne lui paraissait soudain plus aussi goûteuse. Mais elle avait terriblement besoin de nourriture et de chaleur, et elle avala une gorgée supplémentaire.

Félicie parut embarrassée.
" Dimitri a ramené Eyri il y a un certain temps, déjà. Dire qu'il était furieux de vos escapades respectives est un euphémisme, mais il avait l'air aussi... étrangement blasé à ce sujet... Comme si c'était la millième fois que ce genre de choses se produisait."
Elle désigna un capharnaüm d'équipement jeté sur le sol.
" Eyri dort quelque part là-dessous. Il a pris quelque chose, je pense. On a perdu le cerf. Dimitri avait l'air de penser qu'il était préférable qu'il dorme un moment. De toute façon, il n'avait pas la patience de s'en occuper à ce moment-là et il est le seul qui communique aisément avec lui."

Un mélange de soulagement et d'incrédulité ôta à Astrée tous ses moyens. Elle resta quelques instants la cuillère en l'air, fixant son bol sans le voir, tandis que son esprit peinait à faire sens de ce que Félicie venait de dire. Ses oreilles bourdonnaient, et un voile sombre lui masquait la vue.
Elle reposa précautionneusement sa cuillère avant qu'elle ne lui tombe des mains, ferma brièvement les yeux, les rouvrit. La pièce tanguait dangereusement devant ses yeux. Par un effort de volonté, elle porta son regard vers le tas de couvertures et d'équipement que Félicie désignait, sans parvenir à réaliser que l'elfe se trouvait là, sain et sauf.
Sa piste s'interrompait pourtant net, là-bas...
" Dimitri l'a... ramené ?"
Il avait été enlevé depuis les airs, pourtant... Enfin, c'était ce qu'il lui avait semblé, la seule explication qu'elle avait trouvée à cette piste interrompue.
Ou alors... Dimitri pouvait-il... ?

" Oui. Je n'ai pas les détails. Nous étions déjà ici quand il est arrivé. Eyri était inconscient mais indemne. Je dois dire que vu la situation... On n'a pas posé de questions."
Elle jeta un oeil à Kalju, qui s'était rapproché après avoir fermé les verrous de la porte.
" Astrée... L'équipe de fouille a disparu. On a trouvé leur campement sans dessus dessous... et plein de sang partout... mais aucun cadavre. On a pensé que les glyphes avaient lâché... C'était le plus logique. Mais les trolls n'ont pas suivi, donc ça ne doit pas être ça... On ne sait rien de plus. On est consignés ici pendant que les autres surveillent les lieux. Ce sera plus facile quand il fera jour, ils disent."

" Oh merde..." lâcha Astrée, interloquée.
Elle n'avait pas imaginé une seule seconde qu'ils pourraient découvrir ce genre de désastre en arrivant sur les lieux. L'endroit semblait sûr, bien protégé. Bien sûr, ils étudiaient peut-être des ruines imprégnées d'une magie dangereuses, mais tout de même....
La chaleur et le soulagement d'avoir retrouvé Eyri faisaient leur effet, engourdissant son esprit. Et son inquiétude pour Prince était passée au second plan.

Elle engloutit le reste de sa soupe, y puisant l'énergie nécessaire pour ne pas s'effondrer de fatigue et tenter de réfléchir.
L'absence de cadavre n'avait pas de sens, sauf si des bêtes sauvages les avaient emmenés et dévorés ? Puis elle se souvint qu'un autre convoi les avait précédés : Dimitri y faisait parfois allusion.
" Si ce ne sont pas des trolls, si les glyphes n'ont pas lâché, alors... ce peut être le convoi arrivé avant nous. Ou alors c'est quelque chose qui est arrivé par les ruines : il y a peut-être un passage souterrain..."
Un passage vers l'ombreterre ? Puis elle se souvint de leur discussion, plusieurs jours plus tôt, sur les tentatives des Ithilliens pour creuser des tunnels et passer les montagnes. Cela pouvait aussi expliquer la faille observée par Kalju...

" C'est l'hypothèse actuelle, intervint Kalju. Que ça vient de l'intérieur. Mais le site est tellement grand que trouver la source n'est pas gagné. En imaginant que le passage soit toujours ouvert.
— Dimitri dit quand même que les glyphes ne sont pas complètement étanches... qu'il a pu y avoir un désaccord dans l'équipe... qui aurait mené à de l'embrouille.
— Ce n'est pas ce qui lui semblait le plus probable."

Astrée peinait à réaliser l'inconcevable. Tout cela était trop inattendu, trop abrupt pour qu'elle en saisisse pleinement l'horreur. Elle n'avait pas la moindre idée du nombre de personnes présentes sur les lieux, mais les imaginer tous disparus, ainsi... Elle revit le jeune mage sur sa jument placide, lisant son bouquin et grignotant un brin d'herbe. Elle sentit son coeur se serrer. Puis elle se ressaisit, cherchant à garder un brin d'espoir.
" S'il n'y a plus personne, et pas de corps... ça n'a pas de sens. Je sais bien que des charognards ont pu..."
Elle secoua la tête sans achever sa phrase.
" Peut-être qu'ils ne sont pas tous morts. Peut-être qu'ils sont partis par un tunnel... éventuellement prisonniers. Ou peut-être qu'ils ont fait disparaître les corps pour qu'on croie à une attaque de prédateurs... Et les montures aussi ont disparu ? Ils devaient bien avoir deux-trois bêtes pour traîner leurs affaires..."
Elle s'était relevée, se dirigeant machinalement vers le feu, son bol à la main. Il lui fallait encore de la soupe. Ses soupçons s'orientaient vers les Ithilliens, peut-être parce qu'elle était particulièrement bien placée pour savoir que certains d'entre eux, ayant échappé aux elfes, devaient chercher à rejoindre leur patrie. Mais ce pouvait être autre chose, bien sûr.
" Au fait, où est Mathieu ?"

" Il est sorti avec les mercenaires, dit Félicie. Je pense qu'il a l'intention de coller Dimitri au plus près... histoire de maximiser ses chances de survie."
Kalju eut un sourire.
" Ou alors il a voulu rendre service." proposa-t-il, plus magnanime.
La halfeline lui retourna une grimace qui voulait tout dire.
" Ils se sont disputés, expliqua Kalju. Il n'a pas voulu prendre ton parti quand Félicie a essayé de convaincre Dimitri de partir à ta recherche.
— On y serait arrivé ! Si on avait tous parlé d'une même voix !
— Je ne crois pas que ça aurait changé quoi que ce soit. Et de toute façon, Astrée s'en est sortie toute seule."
L'affaire était clairement réglée en ce qui concernait Kalju. Félicie avait plutôt l'air du genre rancunier. Mais elle capitula dans un haussement d'épaules.
" Je pense que le souci des mercenaires est de garantir notre sécurité. Pas tellement de jouer aux enquêteurs si cela s'avère trop dangereux."

" Je crois aussi. Et puis, on n'est sûrement pas armés pour faire face à une menace ayant décimé tout un groupe d'explorateurs... N'empêche que j'aimerais bien savoir ce qui s'est passé. Dommage que je ne puisse plus me transformer en loup avant demain..."
Elle haussa les épaules avec un soupir. Elle était de toute façon trop lasse pour songer sérieusement à ressortir avant d'avoir passé une bonne nuit de sommeil. Et il n'y avait certainement pas d'urgence.
" Quant à Mathieu, je l'aurais plus imaginé se planquer en sécurité qu'aller explorer les lieux", ajouta-t-elle en souriant à Félicie en guise de soutien.
Pourtant, à Félandaris, il avait eu le cran de suivre les kidnappeurs. Ce gars était décidément imprévisible. Elle se demandait pourquoi il n'avait pas appuyé la proposition d'aller à sa recherche. Peut-être l'estimait-il apte à se défendre seule, tout simplement... ou plus probablement, il voulait aller dans le sens de Dimitri.

Félicie haussa les épaules avec une petite grimace, peu encline à perdre son temps avec ce type de sujet. Kalju s'était rassis.
" Ce qui est sûr, c'est que les perturbations viennent d'ici, dit-il. Mais elles semblent s'être interrompues... Nous n'en avons ressenti aucune depuis que nous sommes en route.
— Tu veux dire que la disparition de ces archéologues t'arrange, railla Félicie.
— Je n'ai pas dit ça. Comme ils ne sont pas là, je ne peux pas leur demander ce qu'ils faisaient au juste."

Cela semblait confirmer, aux yeux d'Astrée, l'hypothèse d'un tunnel creusé volontairement.
" Kalju... est-ce que tu saurais détecter s'il y a un tunnel partant des ruines ? En particulier, un tunnel creusé ou agrandi récemment ? Ça pourrait expliquer leur disparition..."
Elle hésita.
" C'est peut-être absurde... Mais je me rappelle ces rumeurs sur les Ithilliens qui chercheraient à creuser sous la montagne pour rejoindre la Lorien. Après, évidemment, ici c'est encore loin de la Lorien. Un tunnel éventuel mènerait peut-être ailleurs, en Ombreterre par exemple..."

Kalju fit la grimace.
" Cet endroit est truffé de conduits et de tunnels. Je ne peux pas les détecter comme ça... Je dois me rendre à chaque endroit et écouter la pierre... Je n'ai aucune certitude que ce soit infaillible, par ailleurs."
Félicie lui décocha un sourire.
" Ne sois pas si modeste. C'est déjà pas mal d'arriver à percevoir ce genre de trucs. C'est ce qui nous a permis d'estimer que cette salle était sûre.
— Et nous n'en avons aucune certitude."
Félicie noya son visage entre ses paumes.
" J'aime les gens optimistes."

Astrée eut un petit rire.
" J'ai pleinement confiance dans tes talents, Kalju. Si tu dis que cette salle est sûre, c'est qu'elle l'est ! Et je pense que ton don va nous être utile : si on veut savoir ce qui s'est passé, il faudra songer à chercher un tunnel... qui a pu être refermé depuis. On devrait aussi suivre les traces de sang, puisque vous dites qu'il y en a. Je n'ai rien vu ni senti quand j'étais loup, mais je n'ai pas exploré le cœur du complexe.
Elle haussa les épaules.
" Enfin, on verra ça demain. "
Elle se rassit et but son second bol de soupe, plus lentement. Quoiqu'en pensent les mercenaires ou même ses compagnons, elle comptait bien mener un début d'enquête...
" Ah, je devrais peut-être vérifier si Eyri va bien", fit-elle brusquement, son regard se posant sur le coin où il se dissimulait.

" Il est assommé pour la nuit. Dimitri n'a pas voulu prendre de risques, dit Kalju. Mais libre à toi. Il est sous les couvertures, dans le coin là derrière."
Effectivement, dans la pénombre, Astrée distinguait une petite boule pelotonnée.
" On ferait bien de se coucher aussi, murmura Félicie. J'ai l'impression que la journée de demain va être pénible..."
La soupe avait réchauffé la druidesse, mais la fatigue, effectivement, demeurait.

" Tu n'as pas tort... Et dire qu'on espérait avoir enfin un peu de repos !"
Astrée aurait préféré attendre le retour de Mathieu. Mais cette attente pouvait aussi bien se faire pelotonnée sous les couvertures. Et si elle s'endormait, ce serait signe que son organisme avait plus de sagesse qu'elle...
Mais avant de se coucher, il lui fallait impérativement faire un peu de lessive. La laine sécherait vite auprès du feu.

Par acquis de conscience, elle commença par s'approcher d'Eyri pour vérifier qu'il respirait normalement. Elle se demandait également ce qui était advenu de Prince. Pouvait-il être là, accroché à l'elfe ? Si Dimitri les avait ramenés tous les deux... Mais sous forme d'abeille, il était minuscule, et dans la pénombre, il était peu probable qu'elle l'aperçoive.

Il y avait un peu d'eau dans les outres et Astrée put donc frotter ses vêtements salis dans un coin. Kalju refusa d'ouvrir la porte pour une activité aussi triviale, arguant qu'on leur avait interdit de le faire et qu'il avait bien l'intention de respecter ces consignes. Il ne semblait pas y avoir de sous-entendus dans ses paroles, mais Félicie gloussa un peu. Une fois plus ou moins satisfaite par son travail — le sang avait bien pénétré les fibres et elle ne pouvait jurer, à la lueur du feu qu'il n'y aurait pas d'auréoles brunâtres — Astrée put se coucher. Félicie était déjà installée, Kalju avait manifestement l'intention de veiller, et Eyri paraissait endormi et tranquille. De trace de Prince, il n'y en avait guère.

Astrée se glissa sous les couvertures avec un mélange de soulagement et de regrets. Elle aurait voulu savoir ce qu'il se passait au-dehors. Mais défier les consignes en allant se promener seule dans le noir n'était certainement pas une bonne idée. Et puis, s'il y avait quoi que ce soit d'important, on viendrait certainement les prévenir.
Bien sûr, elle enviait un peu Mathieu de pouvoir participer aux recherches. Mais si elle voulait être parfaitement honnête avec elle-même, elle devait s'avouer son épuisement : elle avait bien conscience que la meilleure chose à faire était de se reposer.

Elle songeait que si elle avait su que Dimitri pouvait ramener Eyri, elle aurait évité cette escapade éreintante et elle serait à pied d’œuvre pour aider. Et si elle avait conservé sa forme de loup, elle aurait pu être plus utile, également. Elle se retourna sur sa couche, ressassant vainement ces regrets. Et Prince ? Avait-il été embarqué avec Eyri ou avec le cerf ? Ou bien était-il ailleurs ? Pour cela aussi, il lui faudrait attendre le lendemain, en espérant qu'il reprenne conscience... Son coeur se serrait à cette pensée.
Malgré sa fatigue, elle peinait à trouver le sommeil, se demandant ce qui avait pu se passer ici, si cela pouvait avoir un lien avec Ithillion ou non, s'il y avait le moindre espoir de retrouver des survivants. Elle attendait le retour de Mathieu, tout en étant certaine de ne rien en apprendre. Elle s'efforça de se convaincre qu'elle serait plus utile au groupe après une bonne nuit de sommeil, et que guetter ainsi ne servait à rien. Le crépitement du feu, insensiblement, la berçait. Puisqu'elle était au chaud, en sécurité et repue, le sommeil ne tarderait pas à vaincre ses résistances.

Elle dormit profondément, longtemps, et quand elle émergea, elle se sentait engourdie comme si elle revenait de très loin. Elle ressentait une chaleur délicate et poilue à hauteur du cou et elle découvrit Prince niché contre elle, roulé en boule, tout aussi assoupi. Autour d'elle, il y avait du mouvement, discret, signe que l'on s'efforçait de ne pas réveiller les personnes endormies. Car il y en avait, elle le découvrit aussi : Félicie sur sa droite, comme la veille, une forme indistincte un peu plus loin, qui devait être Mathieu, toujours la même petite boule à la place d'Eyri. Kalju était levé et se trouvait au coin du feu avec Dimitri et les deux mercenaires. Ils parlaient à voix basse, éclairés par les flammes. Savoir s'il faisait jour ou pas était impossible : la porte close les gardait à l'abri de l'extérieur, du froid et d'une éventuelle lumière.

Astrée, dans un demi-sommeil, savoura la douce chaleur de la boule de fourrure contre son cou, puis elle ouvrit les yeux et sourit, radieuse, en comprenant qu'il s'agissait de Prince. Il était bel et bien revenu avec Eyri et Dimitri, et semblait aller parfaitement bien. Bien sûr, tout examen de son état physique devrait attendre : elle comptait bien le laisser dormir confortablement encore un moment.
Pour sa part, elle se sentait parfaitement reposée, et en déduisit qu'il devait déjà faire jour depuis un moment au-dehors. Elle se débarrassa en douceur de l'écureuil, le reposant sur la couverture en s'efforçant de ne pas le réveiller, puis se redressa sans bruit et attrapa ses vêtements sans doute enfin secs. Elle voulait savoir ce que les mercenaires avaient pu découvrir au-dehors, et le meilleur moyen était de se mêler à la conversation en cours.

Lorsqu'elle s'approcha, Jeroen lui adressa un sourire contrit, mais Jolien la toisa sans aménité. Dimitri lui jeta un coup d'oeil mais reprit sa conversation. Kalju était manifestement contrarié.
" Vous ne comprenez pas. Il s'agit de l'intégrité même des sols de la région...
— Je comprends très bien. Mais se lancer dans une mission suicide juste par principe n'aidera rien ni personne. Je vous ai exposé la situation. Je ne peux pas vous obliger à accepter ma proposition. Mais c'est la seule. "

Astrée rendit un regard parfaitement neutre à Jolien. Elle se moquait totalement du jugement qu'elle pouvait porter sur son action : elle avait sa conscience pour elle. Elle adressa un sourire paisible à Jeroen, ne lui en tenant pas rigueur, et s'assit près de Kalju en s'efforçant de comprendre de quoi il retournait. Il lui semblait qu'il n'était pas dans les habitudes du genasi de manifester de la contrariété ni d'insister ainsi. La situation devait être particulièrement inquiétante.
" Vous avez découvert quelque chose ?", demanda-t-elle d'un ton un peu circonspect, sans élever la voix.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon