La Couronne de Cuivre

Elle se précipita vers lui et manqua tomber, se rattrapant in extremis à son bras. Elle n'avait visiblement pas du tout l'habitude de porter une robe aussi longue et aussi resserrée. On sentait que la coupe, trop près du corps, empêchait la spontanéité de ses mouvements. Mais la tenue lui allait à ravir.
" Tu es magnifique ! Aussi beau qu'un barde... Et je ne dis pas ça parce que tu es assorti à ton frère ! C'est fait exprès ?
- A moitié, répondit Tilmandil. Moi, j'hésitais entre deux tenues. Et quand Kasumi a choisi la sienne, j'ai su laquelle prendre à mon tour. L'autre était encore plus voyante... Mais tu vois, Kasumi, je te l'avais dit, ça te va parfaitement bien ! Je savais qu'il y avait un barde en toi...
- Méfie-toi, bientôt il va te demander de faire l'animation de la soirée à sa place...
A son tour, la rôdeuse se penchait avec curiosité vers les noms de leurs futurs voisins de table. Mais visiblement, aucun ne lui disait quoi que ce soit.

Kasumi était encore sur un petit nuage et ne trouvait toujours pas quoi répondre et laissa donc le temps à Sylvia de regarder le nom des invités avant de retrouver une certaine contenance. Les yeux brillant d'émotion se suffisaient à eux-mêmes mais il se devait tout de même de dire quelque-chose, même si les mots avaient bien du mal à prendre la mesure de son admiration :

- Tu es vraiment resplendissante ! Non, ce n'est pas exact : ta tenue, cette coupe... C'est à couper le souffle ! Je sais que je ne rêve pas parce que je serais bien incapable de t'imaginer aussi belle que tu n'es réellement...

La rôdeuse devint écarlate. Et malheureusement, c'est le moment que choisirent les premiers invités pour arriver. Mal à l'aise, elle prit le bras de Kasumi pour se diriger vers un angle de la salle et reprendre contenance avant d'affronter les regards. Il faut dire que nombre de ceux-ci se tournaient vers elle et Kasumi. Et pas seulement parce qu'ils étaient humains et demi-elfes : il y avait de l'admiration dans leurs yeux.
Tilmandil, quant à lui, se dirigeait vers l'entrée pour accueillir les invités aux côtés d'Elryndel. Le diplomate avait un mot aimable pour chacun, et le barde se chargeait de les accompagner vers leurs places. Geoffray n'arrivait toujours pas, mais il y eût bientôt des exclamations : une elfe d'âge mûr, ressemblant fortement à son père et à Riniel, venait de faire son apparition. Il apprit en écoutant les paroles échangées qu'il s'agissait d'Athel, leur soeur, à la quelle Riniel avait fait allusion le jour même. Apparemment, ils ne l'avaient pas vue depuis plusieurs décennies. Elle était accompagnée de son mari, de leurs trois filles -à en juger par la ressemblance- et de deux elfes qui devaient être leurs conjoints. L'une des filles se trouva être placée en face de Tilmandil - l'étiquette, qu'il avait lue plus tôt, portait le nom de Neril, et son mari s'installa à ses côtés. L'une de ses soeurs serait voisine de Kasumi -l'étiquette était au nom d'Arial, et son mari était juste à côté. La troisième se trouva être voisine de Tilmandil. Leurs parents se trouvaient un peu plus loin, aux côtés d'Elryndel et de Riniel, selon toute logique.
" Il n'y a que des elfes, souffla Sylvia. J'ai le trac..."

Kasumi avait cherché à exprimer ses sentiments mais il s'en voulait tout de même un peu d'avoir tant mis Sylvia dans l'embarras. Dès lors, il s'efforça de la rassurer par son contact, par leur isolement bienvenu. Il comprenait que la rôdeuse pouvait être intimidée par cette réception - il l'était lui même - elle ne connaissait quasiment personne, ces personnes venaient d'un monde, d'une culture étrangers. Il esquissa un petit sourire rassurant quand elle lui laissa une prise sur ses doutes en répondant à mi-voix :

- Non, rassure-toi : il y aura au moins une demi-elfe et un humain. Tilmandil m'a fait la surprise d'inviter un ami que je n'ai pas revu depuis une vingtaine d'années ainsi que sa compagne. Et moi aussi j'ai le trac alors je compte bien sur toi pour me soutenir !

Il déposa un chaste et discret baiser sur sa joue pour ponctuer son propos mais il laissa à Sylvia l'initiative ou non de s'approcher des premiers invités.

" Ah bon ? C'est une chouette surprise qu'il t'a faite. En fait, je crois qu'il a voulu faire des surprises à tout le monde. Il a retrouvé une soeur de ton père, visiblement... Et là, regarde, l'elfe qui vient d'entrer. Il avait parlé d'un grand-oncle, je suis sure que c'est lui. Il ressemble à ton père, un peu, en plus vieux. Tiens, regarde la tête de ta grand-mère ! Elle est stupéfaite... Et peut-être un peu méfiante, on dirait... ou pas franchement ravie. Hum. Je ne sais pas si c'est une bonne surprise pour elle..."
Elvilith, qui était descendue entre-temps, semblait effectivement très surprise, mais plutôt sur la défensive.
" Bon, on devrait aller s'asseoir nous aussi, peut-être ?"

S'asseoir d'emblée était renoncer à saluer une partie des invités - en tous cas s'ils n'en prenaient pas eux-mêmes l'initiative - mais le rôdeur était sensible à l'humeur de Sylvia et décida de la mener effectivement vers les places qui leur étaient réservées, sans pour autant s'asseoir. En chemin, il avait en outre pris le temps de répondre à l'affirmation de la rôdeuse :

- Oui, malgré ses dehors directs et sa propension à faire des gaffes, Tilmandil est bien plus fin qu'il n'y parait. Surtout pour un elfe aussi jeune...

Cela faisait beaucoup de visages et de noms à retenir mais Kasumi n'avait guère eu de difficultés à trouver une ou deux paroles d'accueil destinée à mettre ses cousines à leur aise. Pour cela, il avait simplement répété des variantes selon lesquelles lui non plus ne connaissait que peu de monde mais qu'on devait faire confiance à Tilmandil même s'il se surprenait lui-même de l'affirmer.

Kasumi se porta à leur rencontre après avoir pris le temps d'échanger un regard avec Sylvia pour vérifier qu'elle voudrait bien le suivre. C'était difficile de reconnaître le jeune garçon qui avait autrefois partagé aventure et amitié avec lui. Et pourtant les traits de l'homme qui se tenait devant lui lui apparurent d'emblée familiers. Il esquissa un sourire timide, tendit une main en avant puis se ravisa pour offrir une accolade à Geoffray :

- C'est vraiment une magnifique surprise de te revoir, mon ami !

Geoffray, d'abord un peu gauche, lui rendit son accolade avec un large sourire.
" C'est fantastique, oui. Quand la compagne de ton père m'a contacté l'autre jour, par magie, je n'arrivais pas à y croire..."
Il s'écarta, et l'observa attentivement.
" Qu'est-ce que tu as changé... Et je ne savais pas que tu avais un frère... enfin, plutôt un demi-frère je pense ? Il te ressemble comme deux gouttes d'eau ! Mais pardonne-moi, j'allais oublier le principal..."
Il se tourna vers sa compagne, lui prenant le bras pour la pousser à avancer d'un pas.
" Je te présente Iris, ma femme... Et Tom, notre fils. Et je présume que cette magnifique demoiselle est ta compagne ?" questionna-t-il en se tournant vers Sylvia.

Kasumi salua courtoisement cette dernière et répondit aussitôt à la question de son ami non sans une immense fierté :

- Oui, j'ai le plaisir de te présenter ma compagne Sylvia. Sylvia, voici moi excellent ami, Geoffray. Nous nous sommes connu au campement de la Haute-Forêt pendant ses vacances quelques années avant ton arrivée.

Les présentations faites, il ne résista pas plus longtemps à l'impulsion de se pencher pour observer le petit Tom avec attendrissement.

- Vous avez un magnifique enfant, tous les deux !

" N'est-ce pas ! s'exclama Geoffray avec fierté. Il a les cheveux d'or de sa mère...
- Et tes yeux", compléta cette dernière.
L'enfant, blond aux yeux bleus, avait des traits un peu plus fin que la majorité des humains, trahissant ainsi son ascendance elfique.
" Par contre... Il va devoir se coucher assez tôt, nous n'avons trouvé personne pour le garder, nous ne sommes pas d'ici. On nous a dit que nous logions dans la chambre jaune. Nos affaires doivent y être déjà. Est-ce que vous pourrez nous indiquer le chemin, tout à l'heure ? Il faudra sans doute que je reste avec lui...
- Bah, nous verrons bien à ce moment-là, ne te fais donc pas de souci.
- Il me semble que tu m'avais vaguement parlé de Geoffray, maintenant que j'y pense, intervint Sylvia. Il vous est arrivé de drôles d'aventures, non ?

Kasumi ne voyait aucune objection – bien au contraire – à accompagner les invités à la chambre jaune. Cela lui fournirait une excuse toute trouvée pour se ressourcer au calme en cours de soirée. Après avoir acquiescé à la demande avec enthousiasme, il s’intéressa à la question amenée par la rôdeuse et sourit de son initiative :

- Oh oui ! Et quelles aventures, n’est-ce pas Geoffray ? Au final, je m’en étais voulu de nous avoir perdu en forêt mais l’épisode dans cette étrange maison hantée nous a beaucoup rapprochés…

" Pourtant, ça n'était pas simple, de nous rapprocher, confirma Geoffray. Nous étions tellement différents, tu n'as pas idée, Iris. Et nous le sommes toujours je pense. Il aime la forêt autant que j'aime la vie en ville. Mais finalement, les fantômes, ça a une utilité ! Créer des amitiés..."
Il sourit au rôdeur.
" En tout cas, je suis bien content d'avoir cherché à renouer le lien il y a quelques temps. Ça a permis à Dame Galawen de pouvoir me contacter pour que je me fasse téléporter ici. J'étais ravi de savoir que tu était revenu. Mais raconte-moi... Il paraît que la fête est en l'honneur de la guérison de ton père ? Je ne savais même pas qu'il était malade..."

Kasumi sourit à son tour à Geoffray en se remémorant les débuts terriblement houleux de leur relation mais les préoccupations de son ami les ramenèrent rapidement au présent. Le demi-elfe répondit pour rassurer le diplomate et l'informer des événements récents :

- Je dois dire que je ne le savais pas non plus il y a seulement quelques semaines. Ni même que je pouvais avoir un demi-frère d'ailleurs ! Tilmandil a fait ma connaissance en Helonna et m'en a averti. C'est une longue histoire et c'est lui le spécialiste pour les raconter mais, pour faire court, mon père avait été maudit par un shaman asabi et s'était perdu dans la Haute Forêt à la recherche d'un remède. Sylvia m'a bien aidé pour le retrouver...

La rôdeuse secoua la tête avec véhémence.
" Pas du tout ! Je n'ai fait que t'accompagner. N'importe qui parmi les rôdeurs du cercle aurait fait l'affaire aussi bien que moi !
- Ne l'écoutez pas, elle est trop modeste, intervint Tilmandil qui s'était approché. Elle ne vous dira jamais, par exemple, qu'elle chante très bien les berceuses...
- Tilmandil, je vais te tuer !
- Sois gentille d'attendre la fin de la fête pour ça... tu ne voudrais pas être obligée d'assurer la représentation à ma place ? Ah, je ne me suis pas présenté... Vous êtes Geoffray et Iris, je présume ?
- Oui...
- Je suis Tilmandil, barde de mon état, et apparenté à votre ami rôdeur pour mon plus grand malheur. Vous n'imaginez même pas ce que c'est : il m'a emmené dans une forêt pleine d'araignées géantes...
- Quelle horreur ! s'exclamèrent les deux citadins de concert, ce qui déclencha l'hilarité de Sylvia.
Autour d'eux, les autres convives s'asseyaient, et les cousines de Kasumi lui adressèrent un sourire un peu intimidé.

Kasumi avait répondu ingénument, prenant un malin plaisir à prendre le contrepied de son demi-frère :

- Tu n'as donc retenu que les araignées ? Ah ! c'est ce que je craignais : Celd sera très déçu. Sans parler des jolies sirènes que tu as tellement charmées qu'elle t'ont offert ce fameux pipeau magique... Ah, elles seront inconsolables !

Mais voilà que les convives donnaient le signal du début des réjouissances en s'installant les uns après les autres. Pour Kasumi et Sylvia, le moment était donc venu de les rejoindre à leur tour.

Kasumi se pencha vers cette dernière pour lui demander discrètement si une danse la tentait. Son regard pétillant, aidé en cela par le vin et la bonne ambiance, devait manifester assez clairement qu'il en avait lui-même envie. D'autant que la chance lui était enfin donnée de danser avec l'élue de son cœur. Il glissa au creux de son oreille :

- M'accorderiez-vous cette danse, belle demoiselle ?

Tilmandil avait en outre choisit une danse aisée pour ouvrir le bal, de sorte que la rôdeuse ne soit pas trop gênée par sa robe. Kasumi ne pouvait que le remercier de cette attention.

Il est vrai qu'il commençait à se faire tard mais Kasumi se sentait néanmoins flatté que la tablée s'intéresse à ses aventures. L'alcool et l'atmosphère bon enfant qui régnait à cette table aidant, la langue du demi-elfe se délia et il esquissa un tableau d'ensemble de leur aventure : le passage par la Haute-forêt, la traversée des marais, la rencontre avec un sylvanien vénérable, les épreuves du bosquet noir. Il répondait volontiers aux demandes de précision mais s'attela à orienter rapidement son récit sur le séjour en Anauroch, l'incursion sur les rives de la mère intérieure non loin de la cité de Pénombre - il se souvint à cette occasion la promesse qu'il avait faite aux bédouins et se promit d'en toucher un mot à son père dès le lendemain - puis le passage en terres asabis et son retour dans leur étrange monde des songes.

- Je sais ce que vous allez dire : tout ça ressemble à un conte à dormir debout mais l'essentiel est vrai, je peux vous l'assurer !

" La réalité dépasse souvent la fiction, tout le monde sait ça, remarqua Arial.
- Peut-être que tout ça était écrit dans les lignes de ta destinée, renchérit Serillë, la benjamine. Tu sais, les dieux sont souvent présents dans nos vies sans qu'on s'en aperçoive...
- Hum, toi, depuis que tu es devenue novice de Sehanine Archelune, tu vires au mysticisme, la taquina sa soeur.
- On ne plaisante pas avec ça ! Qui sait s'il n'y a pas un sens caché à cette aventure, quelque chose qui nous échappe ?
- Bah, le sens est tout trouvé : il a réparé des torts anciens, levé une malédiction, apaisé des âmes, y compris la sienne peut-être, tempéra Liaël, le conjoint d'Arial.
- En tout cas, moi, je n'aurais pas aimé être au milieu des araignées et encore moins affronter des asabis, conclut Iris. Ce genre d'aventure, ça n'est vraiment pas pour moi !
- Heureusement pour moi, la taquina Geoffray, sinon tu te lasserais de ta vie d'épouse de diplomate !"
Neril, qui s'était absentée pour coucher son bébé dans un angle de la pièce, revint sur ces entrefaites, et la conversation se poursuivit un moment. Mais le petit tom se frottait les yeux, et sa mère leva un regard implorant sur Sylvia.

HRP : félicitations pour les 10.000 !

L'échange entre la mère et Sylvia n'échappa à Kasumi et il n'hésita pas une seconde de plus à proposer à cette dernière d'un ton doux :

- Nous devrions peut-être montrer à Iris et Geoffray où se trouve leur chambre... A moins que vous ne préfériez y aller que toutes les deux ?

Il sentait que la relation entre Iris et Tom avait éveillé quelque chose chez sa compagne et il ne voulait pas la priver de l'opportunité de s'entretenir avec la mère tout en l'aidant à s'occuper de l'enfant.

oui, tiens, je passe dragon rouge...

Sylvia haussa les épaules et répondit d'un ton tranquille.
" C'est comme tu préfères, vraiment. On n'a pas forcément besoin de toi là-haut, et tu peux avoir envie de bavarder tranquillement ici avec Geoffray ou avec tes cousines. Mais si tu as envie de t'échapper un moment de l'animation et du bruit... c'est toi qui vois... Et Geoffray aussi bien sûr !"
Le jeune diplomate jeta un regard interrogateur à sa femme, qui haussa elle aussi les épaules, précisant que sa présence n'était pas vitale. Elle s'était levée et avait pris le petit Tom dans ses bras. Le gosse se frottait les yeux, nichait sa tête contre le cou de sa mère, et ne tarderait guère à sombrer.
" Il faudra que je reste un peu avec lui, le temps qu'il soit profondément endormi..."

Kasumi hésita un moment, tiraillé entre l'envie d'un peu de calme et de rester à bavarder un peu. Il échangea un regard avec Geoffray avant de répondre du même ton tranquille que celui de Sylvia, espérant ne pas la décevoir :

- Je crois que je vais encore un peu rester en bas. Geoffray, que dirais-tu d'aller prendre un peu l'air au jardin ?

Un peu d'air frais permettrait de lutter efficacement contre l'assoupissement qui les menaçait après cet excellent repas.