[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Taliesin]

-Il me semble qu'il faudrait quand même un adulte à proximité, pour veiller au grain... hasarda l'elfe qui, du coin de l’œil, surveillait l'échange entre les deux garçons. Mais on peut aussi leur demander ce qu'ils veulent, eux... Ce serait un signe fort, non ? Ça leur montrerait bien qu'ils ne sont plus esclaves, qu'on essaie désormais de prendre leur avis en comptes... D'ailleurs, à ce propos, Baptiste m'a demandé si je serais d'accord pour qu'il continue à dormir dans la même chambre que moi. Et j'ai dit oui, évidemment. Alors voilà, j'aimerais ne pas lui faire défaut.

[Galathée]

" Demandons-leur, c'est une bonne idée, dit Lena.
— Oui... J'espère juste qu'ils se mettront d'accord..." répondit le clerc.
Il leur jeta un oeil.
" A mon avis, avoir un endroit où ils peuvent se poser leur fera du bien... d'autant que nous les avons tirés du lit, l'un et l'autre. Il faudra cependant veiller à fermer les portes... Même celle de la cour... Je pense que le petit charpentier finira par essayer de filer, et nous ne pouvons pas l'avoir à l'oeil tout le temps..."

[Taliesin]

-Il faudra aussi faire gaffe avec l'accès à la boutique. Si le gamin s'y rue alors qu'il y a des clients, ça risque de nous poser un sacré problème.
Les heures et les jours à venir promettaient d'être particuliers.
Mais, à force d'attention et de patience, ils s'en sortiraient.
-Aurai-je droit à la clef de la cour ? s'enquit-il, plus léger. Ou bien êtes-vous prêts à endurer mes ronds de fumée à l'intérieur ?
Le Comptoir n'était pas une taverne, après tout.

[Galathée]

" Nous n'avons pas énormément de clés, dit Lena avec une grimace. Il faudra voir comment nous les répartissons entre nous...
— Il est possible de nous rendre chez un serrurier pour faire des doubles, fit Sedanius avec un haussement d'épaules. La cour est peut-être la sortie la moins évidente, mais les Luméniens savent souvent nager... et je n'ose pas imaginer ce qu'un plongeon dans la Houleuse, surtout à ce niveau de son cours, pourrait faire à un gosse...
— Oui. Peut-être y a-t-il moyen de le prévenir, simplement ?
— Il faudra surveiller l'attitude de Meloenn et d'Arion, aussi. Leurs paroles peuvent être blessantes...
— Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire !
— Cela dit, tu peux fumer à l'intérieur, Taliesin."

[Taliesin]

Il hocha la tête.
-D'accord. Et de manière plus générale, je suis sûr qu'on va trouver de bonnes solutions.
La mention des dangers d'un bain dans la Houleuse lui ayant ramené certains souvenirs en memoire, il profita de l'occasion.
-Au fait, Sedanius... Outre avoir barboté dans le Lac Purulent, à côté duquel les eaux du fleuve semblent d'une pureté incroyable, j'ai été mordu par le vampire qui s'en est pris à Guéric. Il ne m'a pas prélevé beaucoup de sang, et il me semble qu'il faut en être complètement pour se transformer... Mais voilà, je préférais t'en toucher un mot, au cas où.

[Galathée]

Sedanius fronça les sourcils.
" Montre-moi la morsure."
Celle-ci se trouvait toujours au même endroit, dans le creux de la gorge du barde, qui ne s'était pas soigné depuis.
" Mmm... Je vais toujours incanter pour en être certain mais a priori, comme tu le dis, il n'y a aucune raison que tu sois infecté par quoi que ce soit. D'abord, il faut effectivement qu'il te vide de ton sang... C'est pour cela que Guéric n'a rien non plus, hormis une grande faiblesse... Et puis, je pense que si tu étais vampire, tu t'en serais rendu compte. Ce n'est pas exactement quelque chose qui passe inaperçu, contrairement à certains accès de lycanthropie."
Le clerc se mit à psalmodier doucement, ce qui interrompit les conversations à table, tandis que les enfants le regardaient, curieux. Gurvan se mit à frémir, mais Baptiste posa une main sur son bras. Taliesin eut cependant l'impression que les yeux du petit garçon se couvraient également d'une pellicule humide. La lumière grise le frôla, puis se dissipa.
" Tu es en bonne santé. Il n'y a rien à redire."

[Taliesin]

-Quel dommage... soupira-t-il. Moi qui rêvais de devenir un seigneur vampire dont on narrerait les exploits dans de sublimes ouvrages horrifoco-romantiques... Et puis, j'ai ouï dire que certaines de ces créatures pouvaient rester bonnes, ne se nourrir que de sang d'animal et sortir en plein jour sans en éprouver la moindre gêne ! Si si, je vous assure, il paraît qu'il y en a des comme ça à Luménis !
Hochement de tête fataliste.
Enfin, tant pis, je resterai un elfe du soleil ordinaire... Merci pour ton aide, Sedanius.

[Galathée]

" Un elfe du soleil ordinaire, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre..." grommela le clerc avec un sourire.
Lena rit de bon coeur. Perceval avait reparu avec Hippolyte et lui fit signe d'attendre, avant de se pencher sur Sedanius.
" Le gosse est marqué et il a un collier de métal. Si Abel et toi pouviez vous en charger... Peut-être dans le hangar, pour que ce soit plus discret ?" murmura-t-il.
Sedanius acquiesça, puis fit un signe au nain, et, une main sur l'épaule d'Hippolyte, il l'entraîna hors de la pièce. Baptiste les suivit des yeux, manifestement curieux, mais ne bougea pas de sa place. Taliesin entendit qu'il évoquait des souvenirs de Luménis près de Gurvan, mais l'autre ne lui répondait pas.

[Taliesin]

Gurvan, lui, ne semblait pas avoir de collier. Et l'elfe doutait fort que ses lmaîtres l'aient marqué...
Il préféra cependant ne pas s'attarder sur le sujet et reporta son attention sur Baptiste. L'attitude du gamin était remarquable, surtout quand on savait à quel point il était lui-même éprouvé. D'ailleurs, il espérait que les efforts qu'il déployait ne lui coûteraient pas trop cher, que constater qu'ils n'étaient pour l'heure guère couronnés de succès ne lui ferait pas trop de peine...
-Tu veux que je débarrasse la table ? demanda-t-il à Lena.
Malgré le nombre restreint d'adultes sur le pont, mieux valait ne pas laisser les garçons seuls, à son sens, et donc se répartir les tâches.

[Galathée]

" Laisse... Tant qu'ils n'ont pas d'autre endroit où aller, ne les chassons pas... C'est notre pièce la plus chaleureuse, après tout."
Elle sourit doucement en les observant.
" Le charpentier va se détendre... C'est dommage que Kerun ne soit pas là pour nous dire d'où il vient... Cela nous aurait permis de nous accrocher à quelque chose... Mais j'imagine que Baptiste va lui soutirer toutes les informations... Même si le passé est douloureux, c'est ce qui les ancre à Luménis, ce qui doit les motiver à y retourner, pas juste pour échapper à Mélandis mais aussi parce que c'est leur foyer..."

[Taliesin]

Il opina du chef.
-Oui... Et je pense que Baptiste fait exactement ce qu'il faut en parlant de la cité. Cela finira sans doute par toucher Gurvan, par lui faire se souvenir que son vrai chez lui est là-bas... Et bientôt, il découvrira que nous comptons dans nos rangs un agent secret luménien. Cela ne devrait pas le laisser indifférent.
A ce propos, le barde se demandait ce que faisait Kerun. Il espérait que rien de fâcheux ne lui était arrivé... Mais peut-être en avait-il simplement profité pour glaner d'autres informations. Ou pour rester à l'écart un moment, pour laisser retomber la tension provoquée par l'incident du petit matin - ou de la nuit.

[Galathée]

" Sans doute, dit Lena dans un soupir. Bon... Il est sans doute trop tôt pour nous enquérir des envies des enfants, ils arrivent à peine, mais une chose est certaine : je vais devoir laisser ma chambre. Si tu veux bien m'excuser, je vais aller la ranger..."
Elle se leva, le gratifia d'un sourire, puis fila vers les étages. Perceval surveillait Gurvan d'un oeil incertain mais n'intervint pas. Baptiste semblait à court d'idées mais il décocha un sourire brave à Taliesin.
" J'imagine que les mettre au vissage de couvercles serait mal venu, remarqua le jeune guerrier à mi-voix. Bon. Nous manquons vraiment d'expertise dans ce registre..."
Sedanius et Abel reparurent avec un Hippolyte qui paraissait absolument ravi.
" Est-ce qu'on l'interroge tout de suite ?"

[Taliesin]

-Ne t'inquiète pas pour les fioles, Perceval : hier, on a pas mal avancé avec Lena, mine de rien. Quant à Hippolyte... Je ne sais pas. D'un côté, je me dis que le questionner tout de suite nous éviterait d'y revenir plus tard... De l'autre, ce serait un peu rude de l'ennuyer avec ça alors qu'il a l'air si content. Et puis, peut-être répondra-t-il plus volontiers si on l'interroge de manière moins formelle, pendant qu'il sera en train de faire autre chose... Bref, je n'ai aucune idée de ce qui est le mieux.

[Galathée]

Perceval hésita, lorgnant le gamin qui s'était rassis. Abel se glissa vers la boutique et Taliesin entendit le bruit de la clé qui tournait dans la serrure derrière lui.
" Hum... Je me dis que toi... ou moi... pourrions peut-être obtenir l'information de manière un peu moins... brutale que d'autres, osa finalement le jeune homme. Je crains que Kerun... malgré toute sa bonne volonté... n'y mette peut-être pas les formes... Hum. Sans vouloir présumer de ses intentions et tout ça. Et je me trompe sûrement. Mais je me disais... Je suis sûr qu'il comprendrait qu'on ne l'ait pas attendu pour interroger le gamin. Non ?"

[Taliesin]

-Tu as raison. Sur tous les plans. Notamment sur Kerun : lui-même n'en fait pas mystère, la diplomatie n'est pas son fort. On va donc essayer de questionner le petit avant son retour.
Il sourit au guerrier puis se dirigea vers l'enfant.
-Est-ce que je peux m'assoir à côté de toi ? J'ai bien envie de goûter à cette tourte... D'ailleurs, si tu en veux encore, tu ne dois pas hésiter.

[Galathée]

Le petit garçon l'observa, un peu embarrassé, mais lui sourit presque aussitôt, sans doute rasséréné par son apparence amène.
" C'est gentil mais si j'en mange encore, je vais exploser ! répondit-il. Mais vous pouvez vous asseoir... Et vous avez raison d'en prendre. Elle est très bonne."
Perceval s'était installé à côté du barde mais faisait mine de regarder ailleurs.

[Taliesin]

Taliesin se coupa donc une part de tourte et, pour faire bonne mesure, se servit un verre de jus de fruit - heureusement que Guéric n'était pas là, sinon il n'aurait pas manqué de se moquer des habitudes elfiques en matière de boisson.
-On est vraiment contents que Gurvan et toi soyez ici, en sécurité... reprit-il. On est juste désolés de vous avoir fait si peur... Mais on n'avait pas le choix, malheureusement. A chaque fois qu'on libère des prisonniers, on est obligés de trouver de sacrées histoires pour tromper les Melandiens. Je ne te raconte pas ce qu'on a dû inventer pour sauver le Luménien. Tu as peut-être entendu parler de lui : il se battait aux arènes et mettait la pâtée à tous ses ennemis.
Il y ait des chances pour que le gosse ait eu connaissance des exploits de Deverell et même de son étrange disparition : l'affaire avait forcément été évoquée chez les Sombregloire, y compris parmi les serviteurs et les esclaves.

[Galathée]

" C'est vous qui avez enlevé le Luménien ? s'exclama le petit garçon. Moi je pensais juste qu'il était malade, que c'était pour ça qu'il avait manqué ses combats... Mais Lucian, il disait que c'était plus grave que ça, mais Maître Sombregloire, il a toujours trouvé ça vulgaire, les arènes, alors c'est normal qu'on savait pas trop, je crois."
Il haussa les épaules.
" C'est Borel qui va être triste. Il aimait bien le Luménien. Il disait qu'il serait comme lui, un jour. Mais pas en suivant Lathandre, bien sûr. Lui il aurait suivi Torm. Chacun fait ce qu'il veut, j'imagine. Moi j'ai jamais trouvé que Lathandre était mieux. En tout cas, il a pas beaucoup protégé Luménis, hein ?"
Le gamin avait annoncé ça sans amertume particulière.
" Tu peux pas dire ça, c'est un salicrège, intervint subitement Gurvan.
— M'en fiche, tu sais, moi j'ai dit plein de choses sur Lathandre et il m'a jamais rien fait. A mon avis, s'il m'entend, il sait que j'ai raison, c'est pour ça qu'il fait rien. Alors bon, hein... J'crois pas qu'il m'entend, d'ailleurs.
— Moi je l'ai prié, il m'a entendu, dit Gurvan. J'avais une bonne famille. Une mieux que la tienne, en tout cas.
— C'est pas difficile ! Les Sombregloire, ils sont méchants à fond ! Mais regarde ! Je suis toujours là !"

[Taliesin]

Taliesin s'efforça de ne pas jeter de regard trop insistant à Gurvan. Mais ce fut dur, car il était ravi de le voir enfin réagir, même si c'était pour s'offusquer des propos d'Hippolyte. Il ne tenta pas davantage de prendre la défense de Lathandre : mieux valait ne pas s'attarder sur ce terrain-là.
-Oui, c'est bien nous qui avons libéré Deverell. Et tandis que les Mélandiens soupçonnent les Bainites de l'avoir kidnappé, il vogue tranquillement vers Luménis, avec les autres prisonniers à qui nous avons porté secours.
Il sourit.
-Mais il en reste encore beaucoup à sauver. Pour certains, nous savons déjà où ils sont. Pour d'autres, nous devons mener l'enquête pour les localiser. Parmi ceux-là, il y a ma compagne... J'espère que nous la trouverons vite, pour qu'elle soit ici quand arrivera notre bébé. J'ai bon espoir que nous y parvenions, car notre enquête progresse.

[Galathée]

" Il y avait des autres Luméniens dans la maison des Sombregloire, dit Hippolyte avec un petit haussement d'épaules. Lucian, déjà, il est à moitié Luménien, par sa mère. Et puis il y a Sonia, la gouvernante de Dame Sharine. Et je crois bien que Marceau aussi, il est Luménien. Mais comme il a pas toute sa tête, c'est pas facile de savoir. Il vient peut-être de Manost ou d'ailleurs encore, si ça se trouve. Et puis Raguel, je crois qu'il est aussi Luménien. Il m'ébouriffait toujours la tête quand il me croisait dans la cour. Mais il est peut-être mort, en fait, parce qu'il était déjà rudement vieux."
Baptiste se pencha vers lui.
" Mais t'as pas vu la compagne de Taliesin chez ton maître ? Elle aurait été ramenée par un magicien de l'Ecole ? Pendant les congés ?
— Non, ça me dit rien... Dame Sharine, elle a ramené un jeune homme, qu'ils enchaînaient dans les écuries. Il s'appelait Achille, je crois. Elle lui disait qu'elle l'aimait, qu'elle allait le faire libérer et il la croyait, ce nigaud. Faut jamais croire les filles, pourtant ! Et après, elle lui lançait des tas de sortilèges. Heureusement pas dans les écuries, parce que ça faisait peur aux chevaux, et ça, Maître Sombregloire, il aime pas qu'on fasse peur à ses chevaux."

[Taliesin]

Ah ça, évidemment : peu importait la manière dont les esclaves étaient traités, mais les chevaux, il fallait les ménager... Ordures de Mélandiens.
Taliesin poussa un profond soupir. Il était déçu de ne pas avoir obtenu de nouvelles concernant Galathée. Il y avait du positif, cependant, et c'est sur cela qu'il devait se concentrer.
Tant bien que mal.
-Merci beaucoup pour ces informations, Hippolyte : elles nous seront toutes très utiles, dit-il, à la fois calme et sérieux. Et je te dois une fière chandelle, car grâce à toi, notre enquête sur Galathée vient à nouveau de progresser. Alors...Encore merci. Vraiment.
Il faudrait également qu'il témoigne sa gratitude à Baptiste, lequel lui avait donné un sacré coup de main...

[Galathée]

Mais Hippolyte n'en avait pas fini avec le barde.
" Pourquoi vous sauvez que les Luméniens ? Pourquoi vous sauvez pas les autres ? Borel, il est Manostien, il est sympa. Il est drôle aussi. Puis il a pas de chances, parce que quand il a donné une pomme à Foudre de Guerre et qu'après, elle a été malade, il s'en est pris vingt, des coups de fouet, et après il a plus su s'asseoir pendant trois veilles ! Et le chef des écuries, il a dit que si jamais il mettait encore un pied de travers, il serait pendu ! Comme Ronan ! Mais bon... Il le savait, Ronan, qu'il fallait pas aller voler dans la huche, même s'il avait faim. Ça tout le monde le sait, alors voilà... On est chez les Sombregloire, pas chez les Doucechute, hein !"
Il fronça les sourcils.
" Et pourquoi vous m'avez sauvé moi et pas plutôt Sonia ? Pourquoi vous l'avez sauvé, lui, il avait même pas envie ?
— J'ai pas dit ça." grommela Gurvan.

[Taliesin]

La physionomie de l'elfe s'était considérablement altérée. Il n'avait pas vu venir le coup, et celui-ci avait visé juste, terriblement juste.
Sa première impulsion fut de sortir. Il n'en fit rien, toutefois.
Le môme avait le droit de poser ces questions. Et d'obtenir des réponses.
-Nous vous avons sauvés vous... parce que nous avions des informations vous concernant, fit-il d'une voix mal assurée. Nous disposions de vos noms, de votre âge, de votre description... Nous étions donc en mesure de vous retrouver. Les autres Luméniens... Nous ne savions rien sur la plupart d'entre eux. Or, pour intervenir, il nous faut au moins des indices... Quant aux esclaves en général...
Il ferma les yeux, soupira.
-Nous aimerions les libérer tous, Hippolyte. Nous voudrions que l'esclavage n'existe plus. J'ai même essayé, jadis, avec d'autres, d'y mettre un terme... Et ça a été une catastrophe.
Il secoua la tête.
-Aujourd'hui, je sais que la méthode de la Réunion est la bonne. Qu'il faut agir par petites touches, au cas par cas, dans la mesure de nos moyens... Si nous visons trop gros, ça ne marchera pas. Et il n'y aura plus personne pour venir en aide aux Luméniens. Même seulement à quelques-uns d'entre eux.

[Galathée]

Hippolyte le dévisagea, un peu interloqué, comme s'il ne comprenait pas bien ce que l'elfe voulait dire. Puis la porte du hangar s'ouvrit sur Kerun, offrant une diversion bienvenue à l'assemblée. L'elfe des bois jeta un coup d'oeil circulaire dans la pièce, circonspect, puis son regard s'arrêta sur les enfants et un sourire revint sur ses traits. Hippolyte sauta debout sur le banc.
" Kerun ! Kerun ! Kerun !" lança-t-il avec enthousiasme.
Une seconde plus tard, il avait sauté dans les bras du Luménien qui le réceptionna tant bien que mal.
" Salut Hippo.
— J'ai rempli la mission, tu as vu ? J'ai plein d'informations sur les Mélandiens ! Mille ! Et je suis en pleine forme ! J'ai fait tout comme tu m'avais dit !"
L'agent secret avait l'air passablement embarrassé.
" Je savais que tu viendrais me chercher ! J'ai été brave et courageux et j'ai jamais perdu l'espoir ! Comme tu l'avais dit ! Je le savais ! Est-ce que je peux faire partie de l'équipe, alors ?
— Il est peut-être encore un peu tôt pour..."
Mais le gosse avait de nouveau sauté sur le banc.
" T'as vu ! Ça c'est mon copain Kerun ! C'est le plus grand agent secret de tout Luménis ! C'est mon papa qui l'a dit ! Et mon papa, il a toujours raison, d'abord !"
Le visage empourpré à moitié dissimulé derrière sa main, Kerun jeta un regard désolé vers ses compagnons.

[Taliesin]

Et bien, tout compte fait, mieux aurait valu attendre le Luménien pour procéder à l'"interrogatoire" : Hippolyte, fier de s'acquitter de sa mission, aurait répondue avec joie à toutes leurs questions, tandis que lui-même se serait épargné un échange extrêmement éprouvant...
Mais cette pensée teintée d'amertume ne fit que traverser son esprit, chassée par une vague d'émotion autrement plus positive. Comment rester de marbre face à des retrouvailles que rien n'avait laissé prévoir ? Comment rester insensible, aussi, en découvrant par quel moyen Kerun avait tenté de rendre la captivité un peu moins pénible pour le garçonnet ?
Taliesin observa donc la scène avec des yeux embués, dédia un sourire à l'agent secret et au gamin lorsqu'ils se furent séparés.
Puis, discrètement, il jeta un regard aux deux autres enfants.
Pour eux qui n''avaient sans doute personne avec qui être réunis, la situation devait s'avérer douloureuse... Même s'il était probable que, désormais, Gurvan ne doute plus de leurs bonnes intentions.

[Galathée]

Mais les deux autres enfants n'avaient pas l'air particulièrement déstabilisés par les retrouvailles. Baptiste avait même l'air presque content pour Hippolyte, bien que le barde le devine un peu tendu.
" Est-ce qu'on va pouvoir rentrer à Luménis ? demanda subitement Gurvan. Est-ce que je vais pouvoir rentrer au Temple ?"
Kerun se glissa à table et Hippolyte lui servit, maladroitement, un verre de lait.
" Bientôt je l'espère, Gurvan." dit l'agent.
Un sourire timide apparut sur les lèvres de l'apprenti charpentier. Kerun s'était tourné vers Perceval et Taliesin.
" Une excellente idée, et une exécution parfaite. Ça en deviendrait presque inquiétant."
Mais il n'avait pas l'air inquiet le moins du monde.

[Taliesin]

Taliesin se détendit encore un peu plus. Car non seulement Gurvan était à présent convaincu de leur bonne foi, non seulement il ne chercherait plus à fuir mais, de surcroît, il savait désormais pouvoir retrouver son véritable chez lui : un temple. Et pas n'importe quel temple : à coup sûr, il s'agissait du Grand Sanctuaire de Lathandre.
Il songea révéler à l'agent secret ce qu'Hippolyte leur avait appris. Mais il changea vite d'idée : il n'avait aucune envie de priver le gamin du plaisir de faire son rapport à son supérieur. Il opta donc pour tout autre chose.
-Kerun, nous avons discuté entre nous de cette réussite insolente, et nous sommes tous parvenus à la même conclusion : Tymora est avec nous. Par conséquent, nous voudrions te soumettre un autre plan...
Il avait prononcé sa tirade avec le plus grand des sérieux. Et lorsqu'il reprit, ce fut avec la dernière des gravités.
-Voilà... Nous avons entendu parler d'un Luménien qui travaille comme garde du corps de l'Empereur et qui ne le quitte jamais. Nous proposons donc de nous rendre au palais dès ce soir. C'est extrêmement risqué, nous en avons tous conscients, et cependant nous avons imaginé une couverture qui nous paraît infaillible, du moins si elle est exécutée à la perfection. Moi, j'incarnerai un avatar de Cyric. Et toi, Venuma, l'ancienne impératrice.

[Galathée]

Kerun le regarda droit dans les yeux.
" J'ai dit... plus jamais... de jupons. Plus jamais. Que ce soient les jupons de Margot la fermière ou les jupons de Venuma l'ancienne impératrice. Par conséquent, comme ce plan me parait extrêmement riche, porteur et bien pensé... Je ferai l'avatar de Cyric et tu feras Venuma. Tu feras ça bien : tu sais contrefaire ta voix, contrairement à moi. Et puis tu bats des cils remarquablement bien."
Sedanius gloussa. Baptiste s'était levé.
" Vous voulez voir le grenier, c'est un super grenier ! demanda-t-il aux petits garçons.
— Ouais ! Ce sera notre base !
— D'accord.
— On peut ? Dites ?"
Le gosse semblait ne pas savoir exactement à qui poser la question, son regard volant de Taliesin à Sedanius, en passant par Kerun.
" Tant que vous faites attention dans l'échelle... et que vous n'ouvrez pas les coffres qui sont fermés...
— Oui, chef !
— Tu as entendu, Hippo...
— Oui, oui, j'ai entendu.
— Filez, alors !"
Les trois gamins détalèrent aussitôt.

[Taliesin]

Il les regarda filer puis se tourna vers Sedanius.
-Bon, je pense qu'on peut oublier ces histoires de portes barricadées, de doubles chez le serrurier et de pipes fumées à l'intérieur. La situation s'est améliorée beaucoup plus vite que prévu.
Il refit face à l'agent secret.
-Galathée n'est pas allée chez les Sombregloire. Il ne reste donc que trois familles sur notre liste. Je dis ça tant que j'y pense, bien sûr : on n'est pas obligés de discuter du sujet tout de suite, d'autant que tu as bien mérité de te reposer après ta nuit de veille et ta matinée à l'extérieur.

[Galathée]

Kerun le dévisagea une seconde, puis acquiesça.
" D'accord. Autant le faire tout de suite, je suppose."
Perceval anticipa son intention et apporta la carte. Kerun barra les Sombregloire d'une croix rouge.
" Quand Arion sera levé, je discuterai avec lui... Il pourrait aller chez les Lamegrise, et moi chez les Aigremont... Les Fumedense sont mages, presque tous, leur maison doit être truffée de pièges difficiles à déjouer... Nous n'aurions vraiment pas de chance si elle était là. Le fait que Meloenn n'ait rien tiré des Lamegrise, alors qu'elle était chez eux, est un peu inquiétant, mais ça ne veut peut-être rien dire... Tous les Disciples ne sont pas forcément bien vus dans leur maison et certains ont déjà des comportements secrets et fuyants de nécromanciens d'opérette. Il est probable que certains aient caché leur victime dans les catacombes sans que personne n'en sache rien... Espérons juste que nous ne faisons pas fausse route depuis le départ.
— C'est peu probable, tu as vu les documents de l'école.
— Oui mais... Je ne sais pas... je trouve étrange que nous n'ayons toujours rien... Comme si la personne qui l'avait eue le cachait sciemment..."
Il soupira.
" Peut-être Beshaba doit-elle se venger des égards de Tymora, simplement. Je deviens trop méfiant."