La Couronne de Cuivre

-D'accord, m'sire, répondit-elle, sans grand enthousiasme.
Elle fit de gros effort pour se confirmer aux consignes du paladin, celui-ci ne put que le remarquer. Mais ses vieilles habitudes et son irrépressible envie de marteler de coups son adversaire, sans trêve ni repos, reprenaient souvent le dessus, si bien qu'au final, elle ne parvenait à s'arrêter qu'après une bonne dizaine, voire une bonne quinzaine d'attaques consécutives. Et elle paraissaient ne jamais devoir se fatiguer...

Hubert n'était pas convaincu par les conseils qu'il avait donné à la gamine, mais il essaya de temps en temps de placer une riposte, histoire qu'elle apprenne aussi, un rien, à se défendre. Car si Alban finissait par trouver son rythme, il risquait de la mettre en difficulté : après tout, ils étaient dans un groupe de même niveau.
Il finit par repousser une de ses offensives en l'obligeant à reculer, puis rompit l'affrontement en saluant.
" On va s'arrêter là, Ruth. Bats-toi comme tu le sens, je pense que c'est le meilleur conseil que je puisse te donner, tout bien réfléchi. Prends cependant garde à te couvrir. Tu es toute à l'attaque et trop peu en défense. S'il pare un coup et place bien son arme, tu seras complètement découverte. Mais nous avons suffisamment travaillé. Retournons sur le terrain nous chercher de quoi boire, ou nous allons nous écrouler avant le début du tournoi."

-Ted aussi, il dit que mon gros défaut, c'est la défense, fit la gamine alors qu'ils se mettaient en route. Alors je ferai très attention. Ce serait trop bête de me faire avoir à cause de ça ! Et... Bon, promis, j'essaierai de faire une mini pause de temps en temps, pour voir si Alban arrive à attaquer...
Quant ils parvinrent sur le pré, ni les chevaliers, ni leurs écuyers n'étaient visibles, et deux instructeurs manquaient à l'appel. Les autres, dont le rouquin devant servir de partenaire d'entraînement à Hubert, étaient rassemblés autour d'une table nouvellement montée sur laquelle une âme charitable avait déposé des boissons chaudes et de quoi grignoter.

Le paladin salua ses homologues d'un geste, s'installa à table et fit signe à Ruth de les rejoindre. Sans doute la bienséance aurait-elle exigé que ce soit la gamine qui le serve, mais Hubert avait décidément perdu l'habitude de ce genre de convenances, et il n'avait pas de surcroît pas l'intention que Ruth devienne véritablement son écuyer. Même s'il était parfaitement satisfait du choix qu'il avait opéré — qu'Albérich avait opéré, en fait —, il avait opté pour une fille expressément pour ne subir nulle pression en ce sens.
Il se tourna vers le dénommé Poil de Carotte qui, du moins l'espérait-il, avait un autre patronyme que cette référence à sa couleur de cheveux, dont il avait souffert lui aussi étant gamin.
" Edgar m'a dit que vous seriez sûrement prêt à venir vous entraîner un peu avec moi..."

-J'étais prêt, dit l'autre. Avant de le voir revenir avec une tête d'enterrement ! Désolé, Hubert, mais j'ai mon orgueil, et me faire ratatiner alors que je dois me battre au cours du tournoi et être dans les bonnes conditions psychologiques pour l'emporter, c'est vraiment pas recommandé !
L'homme vida sa coupe - il avait opté pour du vin chaud.
-Blague à part, on y va quand vous voulez ! Il faut impérativement que vous gagniez, ça fait des semaines que je rêve d'un bon bain chaud !

" Je n'ai pas ratatiné Edgar, se défendit Hubert. Et je ne vous ratatinerai sûrement pas."
Il avala rapidement une tasse de thé et tapota l'épaule de Ruth.
" Prends le temps de te restaurer et de te reposer un rien. Puis, si tu veux, tu peux venir nous rejoindre."
Il quitta ensuite la table, salua les convives, et repartit vers son bosquet avec Poil de Carotte.
" Est-ce que vous avez un autre nom ? demanda-t-il. J'ai du mal à croire que vous ayez pu adopter ce surnom de votre plein gré..."

-Et pourtant, c'est le cas ! Mes parents m'ont gratifié d'un prénom tellement... hum... particulier, disons, que le fait que les gens m'attribuent spontanément ce sobriquet m'a toujours bien arrangé, puisque cela m'a évité de subir d'autres moqueries... Alors voilà, cela ne me dérange pas du tout que l'on m'appelle de cette manière, bien au contraire !
Manifestement, il n'avait pas la moindre intention de révéler quel était ce si embarrassant prénom...

" Dans ce cas..." fit Hubert en haussant les épaules.
Il avait du mal à imaginer un prénom pire que Poil de Carotte, mais certains parents avaient des goûts douteux, assurément. Ils gagnèrent donc le coin dissimulé où le paladin avait combattu plus tôt et ce dernier remit son heaume. Il n'avait aucune idée de l'ordre dans lequel les épreuves du tournoi se dérouleraient, mais ne doutait pas qu'on viendrait les chercher quand l'heure fatidique serait proche. Il se sentait encore plein d'énergie, peut-être un peu impatient désormais ; en tout cas prêt à en découdre.

Si Poil de Carotte s'avéra légèrement moins doué qu'Edgar - ce qui pouvait expliquer qu'il n'ait pas en charge les meilleurs élèves, à moins que cela ne soit davantage lié à des aspects pédagogiques -, il constituait cependant un adversaire tout à fait honorable. Mieux encore : plus fougueux que son collègue, il se lançait parfois dans des manœuvres aussi hardies qu'imprévues, ce qui pimentait fort opportunément le duel. Bref, ce dernier fut profitable au paladin, qui acheva de se dérouiller, de retrouver ses sensations. De surcroît, leurs passes d'armes avaient dû être particulièrement agréables à regarder car, quand ils y mirent un terme, retentirent les applaudissements joyeux de Ruth, revenue à leurs côtés depuis de longues minutes.
Au-dessus de leurs têtes, les nuages s'étaient peu à peu dissipés, dévoilant un ciel dont le bleu s'assombrissait lentement, et un soleil qui, insensiblement, se rapprochait de l'horizon. Selon toute vraisemblance, le tournoi ne tarderait guère à commencer.

Hubert serra amicalement la main de Poil de Carotte, le remerciant pour le temps et l'énergie qu'il venait de lui consacrer, puis repartit en sa compagnie, et celle de Ruth, vers le terrain d'entraînement. Il se demandait si celui-ci devrait être aménagé pour accueillir des spectateurs, ou s'ils se contenteraient de laisser les gens se placer à son pourtour. Il n'avait aucune idée de l'ampleur que les conseillers comptaient donner à l'événement improvisé. Il avait également l'intention de trouver quelqu'un à même de le renseigner sur l'ordre et l'organisation globale des hostilités. Il ferait vite noir, sans doute ne pourraient-ils pas trop traîner... Ce qui l'arrangeait parfaitement.

En matière d'ampleur, il ne tarda pas à se rendre compte que les dirigeants de la communauté avaient décidé de mettre les petits plats dans les grands, et que les aménagements avaient dû débuter juste après son départ : pour délimiter la lice, on avait tracé un sillon dans le pré et on était en train de le garnir d'imposants flambeaux grâce auxquels les combattants, au moins ceux à pieds, pourraient s'affronter sans mal même après le coucher du soleil. Sur le pourtour, on avait installé une ribambelle de chaises et de tabourets ; derrière, c'était des bancs, venus tous droit de la cantine, sur lesquels les spectateurs pourraient éventuellement se tenir debout afin de voir par-dessus la tête de ceux qui les précédaient. Déjà, des groupes s'étaient formés, discutant avec animation ; d'autres arrivaient en permanence par la grande allée sud du campement.
Quant à l'ordre dans lequel se dérouleraient les épreuves, le paladin n'en savait encore rien. Cependant, une personne probablement susceptible de le renseigner s'avançait vers lui au pas de course : Roxane, la jolie bardesse avec laquelle Albérich s'était longuement entretenu, trois jours plus tôt.
-Ah, messire de Maleval, vous voilà enfin ! lança-t-elle. J'ai besoin que vous me donniez quelques informations vous concernant, car on nous a chargés, mes collègues et moi, d'annoncer comme il se doit tout les participants... Ainsi, s'il vous était possible de me dire vos éventuels titres de noblesses et votre palmarès en matière de tournois, je vous en saurais gré...

" Oh... dit Hubert. Et bien... Je n'ai absolument aucun titre de noblesse. Je suis paladin de l'Ordre de l'Aster, rien de plus."
Il ne put s'empêcher de songer à la chanson qu'avait composée Niall, son ami barde, pour vanter ses exploits non-existants. C'était une chance que Roxane ne la connaisse pas. Sans doute Etienne de Fontbrune n'avait-il recruté aucun Solarcien.
" En matière de tournoi, il m'est arrivé de remporter les joutes annuelles de Solarcis... mais pas ces trois dernières années. Est-il vraiment nécessaire de s'étendre sur ce genre de choses ? La mention de ma profession me suffit amplement. J'aurais pensé que les velléités d'égalité de la communauté auraient rendu tous ces titres obsolètes, à vrai dire."

Roxane haussa les épaules.
-Ce n'est pas parce que quelqu'un rejoint notre communauté qu'il renonce à ce qu'il a été. Dès lors, il n'y a pas de raison de passer sous silence les victoires jadis remportées. Quant aux titres, vous savez bien qu'ils sont déjà obsolètes en maintes contrées hélonniennes, mais que l'on continue cependant à les mentionner en certaines occasions, par courtoisie... ou par habitude. Comme nous entendons organiser un tournoi digne de ce nom, nous avons choisi de reprendre cet usage, uniquement pour l'ambiance. Et puis, cela fera épique, lorsque l'on narrera l'histoire de notre expédition ! Le public adore entendre parler des exploits du chevalier de ceci, du baron de celà...

Hubert trouvait ça extrêmement bizarre et après une brève hésitation, il ne put s'empêcher de le dire. Ce n'était sûrement pas le moment, mais il avait toujours eu du mal à tenir sa langue.
" Est-ce que vous ne trouvez pas problématique qu'une société qui se veut nouvelle, basée sur la valeur intrinsèque des gens, sans se soucier de leurs racines, encourage ce côté... "qui fait rêver" des titres et de la noblesse ? N'est-il pas justement plus important de remplacer les exploits du baron de ceci et du chevalier de cela par le courage quotidien d'un tailleur, d'un menuisier ou d'une lavandière ? Je comprends que ce soit peut-être révolutionnaire quand on est barde, mais quand même... Je trouve ça bizarre."

-On voit bien que vous n'avez jamais essayé de gagner votre vie en chantant des chansons ou en racontant des histoires ! répondit-elle sans se laisser démonter. Alors, laissez-moi vous dire que le jour où je reprendrai ma route, je mourrai de faim en deux semaines, si je passe mon temps à narrer les aventures ordinaires de gens ordinaires. C'est dommage, très dommage, même, parce que leur courage égale celui des preux chevaliers... et des charmants paladins. Mais malheureusement, c'est ainsi : le public des tavernes peut accepter une ou deux œuvres de ce type par soirée ; cependant, il lui faut du pimpant, du titre ronflant, des princesses, des ducs... Alors oui, l'histoire de notre communauté, quand moi ou d'autres la narrerons de par Helonna, aura plus de succès si nous mentionnons le nom des nobles que nous comptons dans nos rangs... Ce qui ne veut pas dire que nous passerons sous silence la majorité du groupe, touts ces petites gens - j'en fait partie - qui contribueront à la réussite du projet. Au contraire : une fois captée l'attention des auditeurs, ce sera bien plus facile de les y intéresser...
Elle le regarda bien en face.
-Pour le reste, ce soir, c'est une sorte de représentation théâtrale : nous reprenons, pour nous amuser, pour nous distraire, les codes et les coutumes des tournois traditionnels. Nous donnons un spectacle... auquel vous participez. Ne me faites pas croire que vous, paladin formé à combattre le mal sous toutes ses formes, prenez autrement que comme un jeu votre duel contre sire Robert qui, à ma connaissance, n'a rien d'une infernale créature menaçant la veuve et l'orphelin...

Misère, les bardes ! songea Hubert par-devers lui.
Il avait fréquenté cette engeance de très près pendant suffisamment d'années pour ne pas risquer d'épuiser son énergie face à celle-ci. Il lui sourit donc en levant les mains.
" Très bien, vous avez gagné ! Mais je participerai donc à la représentation en revendiquant mon appartenance à l'Ordre de l'Aster mais aussi mes origines modestes. Vous pouvez leur dire que je suis fils de forgeron, ça m'ira très bien."
Il continuait à trouver stupide de vanter les mérites de la communauté à l'extérieur en chantant les prouesses des nobles qui en faisaient partie. C'était comme de la publicité mensongère...
" Mais puisque vous êtes en charge de ces aspects... Pouvez-vous me dire dans quel ordre les affrontements se dérouleront ?"

-Les chevaliers ouvriront le bal : d'abord Étienne contre Louis, puis vous contre Robert. Ensuite viendront les écuyers, ce qui nous permettra notamment d'observer l'épique duel entre Ruth la Terrible - elle adressa un clin d’œil à la fillette - et Alban le Jeune Loup. Enfin, ce sera le tour de nos chers instructeurs... et de leurs meilleurs élèves, dont plusieurs femmes. Vous voyez, nous dérogeons à la tradition : les fiers seigneurs en ouverture, les petites gens pour le clou du spectacle, et des représentantes du "sexe faible" dans la lice. Est-ce assez révolutionnaire à votre goût ?

" Je ne suis pas révolutionnaire, je suis paladin. Vous ne pouvez pas faire plus coincé, rétorqua-t-il. Et je suis scandalisé par toutes ces monstrueuses entorses à la bienséance, aux traditions et à la juste hiérarchie du monde. Mais j'ai signé la charte, alors je ne peux rien dire."
Il posa un doigt sur ses lèvres, puis échangea un regard désespéré avec Ruth.
" Zut, j'ai lâché le morceau à un barde. Toute la communauté sera au courant dans les deux heures. Misère, je suis fait ! Tant pis pour moi. A moins que je ne puisse vous acheter d'une quelconque manière..."

Elle hésita un moment, concentrée, puis opina du chef.
-Bon, écoutez, comme vous m'êtes sympathique, je vais faire une entorse à ma proverbiale incorruptibilité. Mais il va falloir que vous y mettiez le prix, car sinon, je vous présenterai à peu près de la manière suivante : Sire Hubert le Conservateur Coincé, Celui qui veut instaurer le servage au sein de la communauté et renvoyer les femmes derrière les fourneaux ! Cela vous serait fort préjudiciable, je le crains : même si vous l'emportiez contre Robert, vous seriez assailli par une foule en colère sitôt que vous mettriez un pied hors de la lice, et je ne donne alors pas cher de votre peau...

" Je cours très vite. Et mon destrier encore plus." dit le paladin avec le sourire.
Il croisa les bras, hésita, renonça à entrer dans le jeu de la jeune femme. Il n'avait aucune intention de l'acheter d'aucune manière.
" Mais je plaisantais. Tous ces arrangements me conviennent parfaitement. Je vais aller retrouver mon cheval, si vous le permettez, et que vous en avez fini avec moi."

Roxane poussa un soupir spectaculaire.
-Dieux, dire que je pensais tenir enfin le moyen de vous convaincre de jeter messire Albérich hors de votre tente, ce qui m'aurait permis de lui proposer de partager la mienne... Ah, cruelle désillusion ! Infini désespoir !
Elle sourit.
-Soyez heureux, messire briseur de rêves : j'en ai fini avec vous. Votre monture est avec les autres, à l'est de la lice, en direction des écuries : une cohorte de palefreniers est en train de les bichonner... Ou de les droguer et de saboter leur harnachement pour gagner leurs paris, je ne saurais dire.

La répartie de la barde laissa Hubert un instant interdit et il ne put s'empêcher de se demander si elle était sérieuse. Ce n'était pas une approche très subtile, mais les bardes ne l'étaient pas toujours, et c'était une jolie femme, indéniablement, qui ne manquait ni de charme, ni d'allure. Il lui aurait bien dit que c'était le genre de drague frontale qui ferait fuir Albérich jusqu'à l'autre bout de l'île, mais il n'avait aucune intention de lui rendre la tâche plus aisée. Aussi ne releva-t-il pas ce premier commentaire.
" Celui qui sera capable de droguer mon destrier à son insu n'est pas encore né. Mais je vais quand même aller surveiller tout ça. Merci de votre aide !"
Puis, entraînant Ruth, il partit dans la direction qu'elle lui avait indiquée. Il se sentait un peu nerveux, subitement, et il était parfaitement conscient de la cause. Il était forcé de reconnaître que c'était lui qui les avait embrigadés dans cette aventure, et mis en contact avec cette communauté aux mille visages. Il faudrait qu'il assume, immanquablement.

Les quatre chevaux se trouvaient là où Roxane l'avait dit : on les avait fraichement pansés et nourris, et les écuyers - avec l'aide d'un palefrenier dans le cas d'Alban, que sa petite taille empêchait de mener tout seul l'opération - s'affairaient désormais à les caparaçonner. Hubert nota qu'on avait déposé,près de Grand Vent, à son attention, un équipement similaire : il pouvait donc faire en sorte, s'il le souhaitait, que sa monture ne dépareille pas par rapport à celles des autres chevaliers.

Hubert n'était pas certain que la chose soit nécessaire et estimait qu'un bon caparaçon devait pratiquement être construit sur le cheval pour lui aller convenablement, mais il n'avait pas envie de dépareiller dans l'ensemble, aussi s'enquit-il de l'avis de Grand Vent. Le destrier, il le savait, aimait être libre de ses mouvements, et il lui présenta une des plaques de l'armure pour qu'il puisse décider en toute connaissance de cause. Comme l'animal n'était pas contraire, il invita donc Ruth à l'aider, et ensemble, ils équipèrent l'étalon. Hubert ne savait pas exactement ce qu'il était supposé faire ensuite, aussi décida-t-il de laisser son écuyère de choc auprès du cheval et de musarder un moment dans les coulisses du spectacle, au petit bonheur la chance.

-Messire Hubert ! finit-on par l'interpeller.
Il vit alors s'approcher la mère de Ruth, accompagnée d'une demi-douzaine d'autres femmes.
-Le gang des couturières a frappé ! annonça-t-elle. J'espère que leur travail ne vous décevra pas trop...
Et de le lui présenter. Pour Ruth, une tenue complète, entièrement bleue, la tunique portant, sur le dos et la poitrine, le fameux chamois blanc. Pour Hubert, un tabard orné du même blason : quoique fabriqué dans l'urgence, à partir d'un grand pan d'étoffe, il avait beaucoup d'allure. Enfin, cerise sur le gâteau, enroulée autour d'une longue hampe, une bannière frappée des armes du paladin.

Hubert était impressionné de ce que la mère de Ruth et ses amies avaient réussi à préparer en si peu de temps et il ne manqua pas de le leur faire savoir.
" Je suis... épaté et honoré de ce formidable travail, dit-il. Je vais m'empresser de porter ses vêtements à Ruth, qu'elle puisse se changer. Vous avez ma plus sincère gratitude et si je puis vous rendre service, à l'avenir, n'hésitez pas à me le faire savoir. Je vais tâcher de vous exprimer ma reconnaissance, dans un premier temps, en remportant mon engagement."

-Nous comptons sur vous, comme vous pouvez compter sur nos encouragements durant le duel ! Pour le reste, vous ne nous devez rien : c'était un plaisir et un honneur de vous rendre ce petit service, sans compter que cela nous a fourni une distraction bienvenue. Ce n'est pas pour dire, mais repriser les vêtements que vos élèves et ceux des autres instructeurs abîment pendant les exercices, c'est un tantinet... lassant !
Ses compagnes acquiescèrent avec conviction.
-Mais nous n'allons pas vous retenir davantage... Tous nos voeux de réussite vous accompagnent, vous et Ruth, bien sûr. Oh, à ce propos... Dites-lui que ce serait sans doute mieux si, pour une fois, elle n'utilisait pas sa... botte secrète. Je ne pense pas que ce serait du meilleur effet au cours d'un tournoi !

Hubert en prit bonne note, remercia encore les couturières, et retourna vers les chevaux, à la recherche de Ruth.

***

De son côté, Albérich avait passé une après-midi studieuse, installé dans un coin de la tente de Marthe. Il avait terminé d’éplucher la charte, avait tenté de mettre ses notes en forme, puis s’était replongé dans certains textes fondateurs luméniens. Il avait juste pris une petite pause pour regarder passer Hubert et son écuyère. La gamine avait l’air ravie et délurée, le paladin avait fière allure dans son armure et l’ancien clerc n’avait pu que sourire de leur plaisir manifeste à être le centre de l’attention.

Tout en travaillant, il commença à percevoir du mouvement dans les travées du campement, le murmure des conversations, le rire des enfants, le bruit de nombreux pas convergeant tous dans la même direction. Il finit donc par reposer sa plume et son parchemin et, s’excusant auprès de Marthe, il rejoignit le flot des colons pour gagner le terrain d’entraînement et sa lice improvisée. Il nota qu’on n’avait pas lésiné sur le décor et se réjouit d’avoir réussi à échapper à Hubert. ll allait pouvoir se trouver une petite place tranquille quelque part. Il était curieux, néanmoins, de voir comment les choses se dérouleraient et comment le paladin s’en tirerait.

Les places, ce n'était pas ce qui manquait : même si une bonne partie de la communauté se pressait déjà sur le pré, la plupart de ses membres ne s'étaient pas encore installés, préférant rester debout, à deviser par petits groupes. Albérich repéra celui, particulièrement animé, des enseignants : Rebecca, Agathe et leur collègue s'entretenaient d'un sujet qui les faisait beaucoup rire. Il nota aussi la présence d'Ignace qui, après avoir dû, sans doute, superviser l'ensemble des aménagements, s'octroyait une pause bien méritée près d'une buvette improvisée. L'atmosphère générale était joyeuse, impatiente, et l'on se réjouissait du petit coup de pouce donné par le climat : en effet, il n'y avait désormais plus un nuage dans le ciel et, à l'ouest, le soleil bas resplendissait, nimbant le monde de chaudes teintes dorées.

Albérich décida de rejoindre les enseignants. Même s'il ne pourrait probablement pas les aider comme il l'avait espéré au départ, il ne pensait pas qu'ils lui en tiendraient rigueur et il s'en sortirait avec l'une ou l'autre boutade, rien de bien méchant. Tout en gagnant le coin où ils s'étaient installés, il chercha Hubert du regard. Il se demandait si le paladin était toujours déterminé à donner le meilleur de lui-même ou si l'après-midi l'avait fait reconsidérer sa position. Lui-même ne pouvait s'empêcher de ressentir un peu d'appréhension à l'idée de ce qui n'était somme toute qu'une glorification codifiée de la violence. Des hommes qui se tapent dessus par plaisir et qui en récoltent vivats et félicitations. C'était étrange, un peu pervers, de son point de vue. Bien sûr, le monde qui les environnait était brutal, le Luménien ne pouvait le nier, et avoir des compagnons capables d'y faire face était sans doute crucial, surtout à quelques jours d'un périple qui les mènerait au coeur de la région la plus hostile de l'île. Néanmoins. Il doutait de prendre du plaisir à voir un ami se prendre des coups, même s'il ripostait, même s'il triomphait. Il sourit de cette petite pointe d'angoisse, mais se demanda où étaient les clercs, combien ils étaient, ce qu'ils valaient... puis arriva à hauteur des professeurs et sourit à la cantonade, sans interrompre leur conversation.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans la Campagne du Soleil