La Couronne de Cuivre

Eärundra prit deux couvertures et les fixa contre le mur comme s'il s'agissait de tentures destinées à isoler la grotte -option peu probable à la réflexion- ou, peut-être, à éviter que du sable se détache de la paroi. Elle avait veillé à ménager, juste derrière, une petite niche où ils tiendraient tous les deux, accroupis ou assis sur leurs sacs. Ses gestes étaient lents et mesurés, et elle veillait à ne pas trop ébranler le mur, pour ne pas créer de vibrations susceptibles de se transmettre jusqu'à la surface. Elle fit signe à Kasumi de prévoir de quoi boire et manger, car l'attente allait être longue...
Elle s'installa la première, attendit quelques secondes que le rôdeur la rejoigne avant de laisser retomber la tenture. La niche était étroite, et ils se trouvaient dans une situation de promiscuité, blottis l'un contre l'autre, qui n'aurait certainement pas plu à Sylvia. Et il faisait terriblement chaud...

Mais le risque d'être découvert et la tension qui en découlait était bien trop grands pour que Kasumi ne soit gêné de sa grande proximité avec Eärundra pour cette raison. En revanche, la position n'avait décidément rien d'agréable puisqu'ils devaient s'interdire le moindre mouvement si près de la paroi.

La chaleur insoutenable ne tarda d'ailleurs pas à renforcer son inconfort jusqu'à le faire suffoquer à moitié. Et encore, ils n'avaient pour l'heure eu à faire face à aucune alerte... L'attente promettait de devenir bien rapidement intenable.

Au bout d'une dizaine de minutes, Eärundra sortit précautionneusement de leur cachette, laissant entrer un peu d'air frais -enfin... moins chaud. Kasumi la vit bricoler non, loin, au milieu du tas de matériel, et revenir en tenant un bout de ficelle dans la main; qu'elle lui tendit.
" Si je dois incanter pour nous cacher, tu tireras là-dessus d'un coup sec jusqu'à récupérer la totalité de la ficelle, ça devrait faire assez de vacarme pour couvrir ma voix... et ça attirera leur attention là-bas. La ficelle est cachée par le sable, il faut tirer au ras du sol..."
Puis, sans façons, elle ôta sa tunique, et s'installa torse nu -exhibant une poitrine magnifique- contre le rôdeur avant de laisser retomber le rideau.
" j'ai trop chaud," expliqua-t-elle d'un air candide, avec un sourire un peu railleur tout de même...

Kasumi avait accueilli avec soulagement le courant d'air qui avait permis de renouveler l'air à défaut de vraiment le rafraichir. Il avait ensuite écouté attentivement les explications sur ce que la druidesse attendait de lui, comprenant immédiatement comment il devait procéder. Il allait remarquer que la manœuvre était ingénieuse mais Eärundra le prit totalement au dépourvu en s'exhibant sans façon ni avertissement. Il avait précipitamment détourné les yeux mais bien trop tard pour ne pas avoir eu le temps d'admirer inconsciemment la beauté exquise de l'elfe. Cela devait d'ailleurs se lire sur son visage complètement empourpré. Il avait peu de chance de faire croire que c'était uniquement dû à la chaleur et il avait peur de ce que serait alors la réponse de l'elfe aussi se garda-t-il de répondre. Ses yeux se dirigèrent d'emblée vers l'entrée de la grotte mais il avait bien du mal à se concentrer sur sa tâche et à rester attentif. Plus il essayait de faire abstraction de leur situation et du corps chaud lové contre le sien et plus il se sentait coupable de ne pas trouver l'expérience si désagréable. Essayer d'évoquer Sylvia en pensée ne fit qu'accroître l'ambiguïté de ses sensations et il abandonna aussitôt les souvenirs délicieux du corps nu de sa compagne pour tenter de songer à ses voyages dans des contrées glacées et inhospitalières. Sans grand succès là encore.

La situation ne semblait absolument pas gêner la druidesse. Elle devait être parfaitement consciente de la gêne éprouvée par son compagnon, mais elle prenait un malin plaisir à se lover contre lui, lui demandant ingénûment pourquoi il ne se déshabillait pas un peu. Il n'avait pourtant rien à cacher...
La chaleur moite était difficilement supportable et Eärundra, après avoir vérifié que la caverne était toujours déserte, incanta à voix basse pour remplir un récipient d'eau. Ils n'hésitèrent pas à en gaspiller une partie pour se rafraîchir le torse et le visage, et burent tout leur content, appréciant sa fraîcheur. Il en restait trois bons litres pour tenir jusqu'à la nuit. C'était amplement suffisant.
Puis, subitement, ils les entendirent. Des glissements, des frôlements. Puis des sifflements, léger, insidieux. Ils venaient d'au-dehors, du mois leur semblait-il, mais ils n'allaient pas sortir la tête pour vérifier. Les serpents géants devaient avoir découvert la caverne...
La druidesse fit signe à Kasumi de tirer sur la ficelle, et incanta aussitôt. Un bruit de vaisselle brisée se fit entendre sur leur droite, des sifflements s'approchèrent. Mais déjà le sol les engloutissait. Kasumi eût la sensation que le sable sous ses pieds se dérobait, il se sentit glisser, et se retrouva debout, dans un espace trop confiné pour pouvoir bouger, Eärundra blottie contre lui. Sa tête arrivait un peu plus haut que son épaule et elle lui faisait face, son bras se glissant derrière sa taille, sans doute pour conserver son équilibre. En fait... c'était la position de deux amoureux tendrement enlacés. Dans l'obscurité complète de leur cachette, il lui était impossible de distinguer ses traits, et encore moins de voir si elle rougissait. Il sentit simplement qu'elle se dressait sur la pointe des pieds, approchant son visage du sien.
" Ils ne peuvent ni nous voir, ni nous entendre, normalement, murmura-t-elle à son oreille. Mais je préfère qu'on parle doucement..."

Le rôdeur avait été tout proche de la panique quand il s'était senti engloutir par le sol mais il faisait suffisamment confiance à Eärundra pour ne pas y laisser libre cours. Toutefois, quand ils furent parvenus à destination, leur extrême promiscuité et le fait qu'il sente son corps tout contre le sien devint très vite extrêmement troublant. Il chercha à réprimer brutalement les élans de son corps surtout quand il sentit le souffle chaud de l'elfe sur son visage. Mais plus il y pensait, plus il était difficile d'en faire abstraction. Finalement, il imagina la solution parfaite et ne put retenir un début de fou-rire : imaginer combien Sylvia serait furieuse et les mille manières qu'elle imaginerait pour lui faire payer ses pensées déviantes réussit mieux que toutes les autres techniques précédentes.

- Désolé, souffla-t-il en guise d'explication pour le bruit qu'il avait occasionné.

" C'est tout l'effet que je te fais ? rétorqua la druidesse, faussement indignée. Bah, d'habitude quand je suis comme ça dans les bras d'un homme, il m'embrasse... ou davantage selon l'envie du moment..."
Il l'entendit pouffer de rire.
" Mais ne t'en fais pas, va, je te promets de ne pas abuser de la situation... Et je ferai comme si je n'avais pas senti la petite bosse de ton bas-ventre...", ajouta-t-elle, taquine et provocante, en riant de plus belle.
il lui était impossible de savoir, dans l'obscurité ambiante, si elle plaisantait complètement.

Kasumi se fit néanmoins un peu plus sérieux pour tenter de mettre fin à ce petit jeu qui le mettait somme toute mal à l'aise. Et puisque c'est Eärundra qui abordait le sujet...

- Je mentirais si je disais que tu me laisses indifférent et je comprends tout à fait ces hommes dont tu parles... Mais tu connais et mes opinions et je ne trahirai certainement pas Sylvia même pour la plus charmante des elfes !

Prenant conscience que son ton avait été un peu sec voire ambigu, il ajouta tout de même d'un ton beaucoup plus léger :

- Tu n'imagines même pas les façons qu'elle emploierait pour me le faire payer !

" Oh, j'imagine très bien, répliqua-t-elle avec bonne humeur. Comme toutes les femmes... Enfin, il paraît que les humaines sont pires que les elfes dans ce domaine. Jalouses, colériques et rancunières... Je pense qu'elle te mettrait tout simplement à la porte. Enfin, c'est ce que je ferais à sa place..."

Elle laissa planer un moment le silence. Le sort durerait une heure et demie. Une heure et demie dans cette position peu confortable et très équivoque...
Il sentit l'elfe bouger légèrement, pour reposer ses muscles sans doute, et eût nettement conscience du frôlement de ses seins contre son torse. L'elfe, proche comme elle l'était, devait deviner parfaitement son trouble. Mais elle ne dit rien cette fois-ci, soit pour ne pas l'ennuyer, qu'elle fut elle-même troublée.

Puis, subitement, il l'entendit incanter, et une lueur vive apparut, enveloppant... sa ceinture.
" Désolée... pour ce sort, il faut choisir un objet à illuminer... Mais tu sais que tu es magnifique, illuminé de cette façon ?"
Bien sûr, le torse de la jeune elfe se trouvait lui aussi illuminé par la lumière toute proche.
" Bon, on peut aussi la tamiser, si tu veux... mais c'est plus intime !"

Il était difficile de poser son regard à un endroit qui ne soit pas équivoque mais Kasumi tenta malgré tout de faire bonne figure et même de plaisanter avec plus ou moins de succès :

- Hum... C'est pour éviter que j'oublie avec qui je me retrouve enlacé dans le noir que tu as lancé ce sortilège ? Il suffisait de me demander tu sais : c'est un des rares tours dont je suis moi aussi capable !

En parlant, il avait baissé par mégarde les yeux en direction de sa ceinture et de son arme mais il s'en voulut aussitôt car il était tout bonnement impossible d'ignorer le corps à demi-nu collé contre le sien.

- Hum... Peut-être devrais-je retourner une dernière fois dans le monde des rêves tout compte fait... Le maître des esprits pourrait alors me retirer certains souvenirs que je pourrais révéler par mégarde à une certaine femme au tempérament de feu. Ce serait un peu de la triche et presque dommage mais bien plus prudent ! Cela dit, en y réfléchissant bien, ce n'est pas tout à fait la première fois que je me retrouve dans ce genre de situations...

" Ah bon ? il faudra que tu me racontes alors... je suis sûr que d'habitude tu ne restes pas de marbre..."
Sa voix était... presque sensuelle. C'est en tout cas la sensation qui lui vint à l'esprit. Et elle était vraiment trop proche de lui, surtout lorsqu'elle levait la tête pour lui parler à voix basse, son souffle glissant sur son cou. Ses lèvres n'étaient qu'à quelques centimètres des siennes, d'ailleurs. Beaucoup trop proches. Et ses yeux rieurs, taquins, plongeaient droit dans les siens. A croire qu'elle cherchait à l'hypnotiser... ou à le séduire. Il avait la certitude qu'elle était toute prête à l'embrasser.

Kasumi se sentait la gorge incroyablement sèche et il voulait se convaincre que ce n'était imputable qu'à un début de déshydratation due à la chaleur... Il laissa échapper un soupir bien involontaire ce qui ne fit - durant un instant - que rapprocher un peu plus leur deux poitrines. Il avait peur que s'il fermait les yeux, la druidesse puisse prendre cela comme un invitation à pousser encore plus loin l'insidieuse tentation mais la regarder alors qu'ils étaient à deux pouces l'un de l'autre ne cessait d'aviver l'envie de se laisser aller à des instincts qu'il s'efforçait de réprimer. Alors, il répondit dans une nouvelle tentative de se détacher de leur situation équivoque :

- Déjà ça ne m'arrive pas assez souvent pour qu'on puisse parler d'habitude ! Et curieusement ça ne m'est jamais arrivé alors que j'étais célibataire ! Donc je suis resté de marbre ces autres fois aussi ! Et je ne suis pas certain que te donner de nouveaux moyens de pression serait très judicieux de ma part. Je sais que tu n'hésiterais pas à profiter de cet avantage !

" Tu te méprends sur mon compte, je ne suis pas comme cela", rétorqua-t-elle d'un ton qui se voulait léger.
Etait-ce une impression ou sa voix était-elle devenue rauque ?
" Mais personnellement, être dans les bras d'un séduisant demi-elfe... et bien ça me fait quelque chose", avoua-t-elle.
Oui, sa voix était rauque, il n'y avait aucun doute. Il sentit qu'elle serrait un peu plus fort sa taille, se rapprochant encore. Et puis... ses lèvres se posèrent sur les siennes. Oh, juste un instant, une demi-seconde.
" Je sais que tu ne veux pas aller plus loin, murmura-t-elle d'une voix sourde. Mais c'est une torture pour moi...
Elle baissa la tête et se tut.

Kasumi avait été tout au bord de craquer, de perdre totalement pied avec la réalité et ses conséquences. Eärundra était divinement belle tout comme l'était Sylvia dans un autre genre. Et - par-dessus tout - la fragilité que l'elfe démontrait en cet instant était touchante et remuait une partie de son être. Puis elle l'embrassa... Durant quelques secondes à peine où il ne fit pas mine de repousser ses avances. Et alors il sut. Ce constat s'imposa comme une évidence : une petite part de lui était ravi de susciter l'intérêt d'une femme pareille mais il sut avec clarté dès cet instant qu'il ne voulait effectivement pas aller plus loin. Il ne l'aimait pas. Pas de cette façon. Alors, avec une grande tendresse et dans un geste dénué de gêne, il la serra un instant dans ses bras et murmura doucement :

- Je suis désolé de ne pas le vouloir. Tu es devenue une de mes plus proches amies en si peu de temps. En tous cas je l'espère.

L'elfe soupira.
" Oui, je sais... Mais j'aurais voulu pouvoir être davantage qu'une simple amie... Et je l'aurais été, j'en suis certaine, si tu n'avais pas par hasard retrouvé un ancien amour. Évidemment, je ne fais pas le poids face à toute cette histoire passée avec laquelle tu as voulu renouer...
Elle exhala un nouveau soupir, déchirant.
" Si j'avais su... j'aurais pris les devants, fait en sorte que tu m'aimes avant qu'elle ne te remette le grappin dessus... mais c'est trop tard, je sais bien.
Elle gardait la tête basse, et il ne pouvait voir son expression. Mais sa voix s'était altérée.

Kasumi écarquilla les yeux, sincèrement surpris. Il n'avait rien vu venir, rien su détecter des sentiments que la druidesse pouvait nourrir à son sujet. Mais cela aurait-il changé quelque-chose au fond ? S'il n'avait pas retrouvé Sylvia et qu'il n'avait pas trouvé à ses côtés l'amour qu'elle avait su réveiller de sa simple présence, d'un simple sourire complice... Il ne pourrait jamais répondre à cette question mais ça ne l'empêcha pas de s'en vouloir terriblement pour son attitude expansive. Il répondit d'un ton contrit et compatissant :

- Je suis désolé de t'avoir fait du mal : ce n'était pas dans mes intentions et ça ne le sera jamais. Je ne pas être plus que ton ami mais ça signifie déjà énormément pour moi. Et si ça peut te consoler juste un peu, je serai un peu jaloux de tous les demi-elfe bien plus séduisants que moi qui croiseront ta route !

Il s'était voulu un peu plus léger mais la situation ne prêtait pas vraiment à sourire et il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine tristesse par égard pour l'elfe solitaire qui venait de lui ouvrir son cœur.

L'elfe eût un petit rire triste.
" Je n'en crois pas un mot ! Mais ça n'est pas grave... Et puis, tu sais bien ce qu'on dit, un de perdu, dix de retrouvé ! J'ai de longues années devant moi pour oublier, vivre et aimer !"
Elle soupira.
" Je n'aurais rien dû te dire, en fait. Je m'étais promis de ne rien montrer. Mais... la situation est tellement tentante... excuse-moi de t'avoir ennuyé avec ça. et. Et... je préférerais que tu fasses comme si je n'avais rien dit. Disons que c'était un moment d'égarement..."
Elle leva les yeux vers lui, un regard un peu trouble... et l'embrassa à nouveau.
" Et ça... c'est cadeau... parce que tu es trop beau ! " lança-t-elle d'un ton plus léger.

Kasumi s'apprêtait à répondre qu'elle ne l'avait pas ennuyé et à l'assurer qu'il ne se comporterait pas différemment avec elle mais la druidesse mais ses mots lui restèrent sur la langue alors qu'elle l'embrassait à nouveau, profitant une nouvelle fois de leur promiscuité. Il aurait menti s'il avait affirmé que ce n'était pas une sensation agréable et flatteuse : les lèvres d'Eärundra étaient douces... Alors il préféra ne rien en dire et répondre d'un ton un peu embarrassé :

- Hum... Tu exagères ! Tu ne me trouves beau qu'à cause de l'éclairage tamisé !

Quelque part, même s'il était gêné d'apprendre qu'Eärundra éprouvait des sentiments pour lui, il valait mieux qu'il ne reste pas de non-dits entre eux. C'était mieux pour l'elfe et il pourrait désormais éviter de lui imposer si ostensiblement l'amour qu'il éprouvait pour Sylvia. Et - plus important encore - il lui semblait nécessaire qu'il ne demeure plus de secrets aussi lourds à cacher entre eux pour laisser une chance à leur amitié de s'épanouir.

" Pas si tamisé que ça, mon éclairage... on doit pouvoir faire mieux, attends..."
Et sans lui laisser le loisir de protester, elle rabattit la tunique de Kasumi par-dessus sa ceinture... le gratifiant au passage d'un frôlement au niveau de la taille, zone extrêmement chatouilleuse, avec un air faussement innocent.
" Et voilà ! Ambiance romantique à souhait ! Bon, tu peux imaginer que j'ai les cheveux roux, que je suis un peu plus grande... et le tour est joué ! Hum... je plaisante, ne t'en fais pas !"
La chaleur dans leur espace restreint devenait suffocante, et le silence un peu oppressant. Il était difficile d'évaluer le temps qui passait. Et difficile d'être certain que les serpents auraient quitté l'abri lorsque le sort les ramènerait à la surface.

Le contact sur sa peau le fit frémir mais c'était certainement le but recherché par la druidesse et c'était plutôt de bonne guère. Somme toute, la distraction - même gênante - valait mieux que le silence oppressant et la chaleur de plus en plus suffocante dans leur petite bulle d'air de plus en plus raréfié. Heureusement qu'il n'était pas de nature claustrophobe sinon l'expérience en aurait été d'autant plus traumatisante. Cependant, il était tout à fait désagréable de ne pouvoir quasiment pas faire de mouvement et de n'avoir aucun moyen de mesurer le temps qui passait. Ni même de savoir si la menace qui planait au-dessus de leurs têtes s'était envolée ou - au contraire - n'attendait que l'instant où ils réapparaîtraient en étant extrêmement vulnérables pour les frapper mortellement. Même en transpirant à grosses gouttes, le rôdeur sentit un frisson lui parcourir l'échine à cette pensée. Alors, pour se rassurer avant tout, il chuchota à mi-voix :

- Brr, ça me rappelle mon exploration de certains tunnels extrêmement étroits mais au moins on pouvait bouger et je n'avais pas aussi chaud. Tu n'aurais pas un petit sort pour nous rafraichir ? Je sais, j'abuse éhontément de tes pouvoirs !

" Hum... le seul sort qui me semble convenir, c'est celui qui permet de créer de l'eau... Tu l'auras voulu !"
Elle incanta, et aussitôt une fine pluie tomba du plafond, les trempant instantanément jusqu'aux os. Elle était relativement fraîche, et Kasumi se sentit immédiatement un peu mieux. Mais la chaleur aurait tôt fait de reprendre le dessus, et leurs vêtements, désormais trempés par l'eau de pluie et la sueur, ne sècheraient pas de sitôt dans cette atmosphère surchargée d'humidité.

Et puis, au bout d'un temps indéfini, ils sentirent que le sol bougeait. Le plafond s'ouvrit au-dessus d'eux et ils se retrouvèrent dans la caverne, contre le mur où ils s'étaiet cachés... Avec, par chance, aucun serpent visible dans les parages. Mais la grotte avait été fouillée de fond en comble.

Le sortilège - quoiqu'un peu surprenant - l'avait effectivement soulagé et au moins Eärundra n'avait pas choisi de pousser son avantage en lui suggérant de retirer sa tunique... Mais l'attente fut à nouveau longue, presque interminable avant qu'enfin le demi-elfe ne constate que le sortilège avait pris fin. Il ne se fit pas prier pour s'extraire de leur cocon trop serré plus par souci de prudence que pour échapper à la présence de l'elfe avec laquelle il avait fini par composer.

Pas un seul ennemi en vue... Et la grotte avait été chamboulée. Les serpents et leurs maîtres devaient donc penser que leur cible ne se trouvait plus ici. A moins qu'ils aient décidé de leur tendre une embuscade malgré tout. Le demi-elfe fit rapidement l'inventaire de ce qui n'avait pas été saccagé en dehors de leurs sacs. Il attendit aussi patiemment qu'Eärundra se soit rhabillée pour chuchoter à son adresse :

- C'est trop dangereux de rester ici : il faut retrouver Rubis.

Cela signifiait qu'elle allait devoir effectuer une reconnaissance avec tous les dangers que cela comportait.

La druidesse grimaça.
" Il est assez loin d'ici. C'était plus prudent. Pour revenir rapidement, j'ai pris ma forme de panthère, puis je me suis faite mulot pour creuser discrètement le sable et ne pas attirer l'attention des serpents. Maintenant... Il ne me reste plus que deux possibilités de me transformer pour aujourd'hui. Je peux facilement redevenir mulot, pour partir en reconnaissance là-haut. Mais si je reviens t'informer de ce que je vois, je devrai redevenir elfe. Et je n'aurai alors plus qu'une seule transformation... Mais je dois pouvoir me faire aigle pour rejoindre Rubis, ils n'auront pas le temps de réagir et de m'attaquer..."
Elle réfléchit.
" Et que voudrais-tu que nous fassions avec Rubis ?"

Kasumi envisageait sérieusement la possibilité d'abandonner la cache de Ta'sslan maintenant découverte. Evidemment, rester à découvert alors qu'ils étaient activement recherchés n'était pas forcément une bonne solution non plus... Toutefois, le plus urgent était de s'assurer que l'aigle allait bien et de s'éloigner un peu de la zone patrouillée par les abominations des mages de l'ombre.

- Je voudrais m'assurer qu'il va bien. Et nous pourrions peut-être le rejoindre tous les deux si les serpents ne sont plus dans les parages. Et peut-être nous trouver un abri moins exposé en attendant notre rendez-vous avec Opale.

La druidesse hésita.
" Le plus urgent, il me semble, est que j'aille faire une reconnaissance. Qu'on sache s'ils sont toujours dans les parages, et où exactement. Ensuite on avisera."
Avec un soupir, elle ajouta.
" Peut-être que c'est le scorpion géant d'hier qui les a prévenus. Peut-être que les mages de Pénombre nous voyaient à travers lui... Enfin, ça n'est qu'une hypothèse... Mais ça ne change rien. Je vais aller voir là-haut. A moins que tu n'aies une autre idée ?"

Le rôdeur acquiesça, confirmant qu'il n'avait pas de meilleur plan à proposer tant qu'ils ne disposeraient pas d'informations sur la position des créatures. Puis, saisi d'une impulsion sincère, il posa une main sur l'épaule de la druidesse et croisa son regard pour prononcer quelques paroles d'encouragement avant de la retirer :

- Soit prudente surtout ! Je reste ici et je garde le fort.

Il avait aussi l'intention de réunir les affaires qu'ils pourraient emporter dans l'hypothèse où un changement de lieu se révèlerait faisable ou nécessaire.

La druidesse disparut un en éclair de fumée verte, et un petit rongeur s'en fut en direction de l'extérieur, longeant prudemment les parois de sable. Kasumi le vit s'éloigner, puis creuser un trou dans le sable et s'y engouffrer.
Il eût tout le temps de rassembler leurs affaires, œuvrant dans le plus grand silence pour ne pas attirer les reptiles s'ils étaient à proximité. Il n'y avait aucun bruit suspect, mais il aurait été imprudent de sortir vérifier.

Le mulot finit par reparaître, alors que tout était prêt, et reprit forme elfique. A en juger par la luminosité, l'après-midi était déjà bien avancé.
" Ils sont là, souffla la druidesse à voix très basse. Ils guettent. Je pense qu'ils nous croient sortis et attendent notre retour..."

Les nouvelles n'étaient pas bonnes. Le point positif était qu'Eärundra n'ait pas été repérée. Mais le fait que les serpents attendent toujours restreignait drastiquement leurs options. Au moins pouvaient-ils espérer que les serpents ne tenteraient pas une nouvelle exploration de leur petite grotte de sitôt. Le demi-elfe doutait que l'elfe ait pu rejoindre Rubis en si peu de temps mais il tint toutefois à le vérifier.

- J'imagine que tu n'as pas eu le temps de rejoindre Rubis pour le rassurer ? Nous pourrons peut-être tenter de le rejoindre quand la nuit sera tombée. Qu'en penses-tu ?

La druidesse secoua la tête.
" Pour rejoindre Rubis, il aurait fallu que je me transforme en un animal plus rapide... mais moins discret. Je peux le rejoindre, maintenant, en me transformant en aigle, pour lui dire de venir te chercher, mais je ne pourrai pas me retransformer pour revenir. Il faut d'ailleurs qu'on réfléchisse à ce qui est la meilleure stratégie pour fuir. Est-ce qu'il vaut mieux que j'aille chercher Rubis, quitte à rester aigle et à le guider sous ma forme d'aigle ? Sachant que son apparition dans le ciel va éveiller la méfiance des serpents... Il faudra agir très vite si on fuit avec lui. Ou est-ce qu'il vaut mieux d'abord s'éloigner à pied à la nuit tombée ? Mais il n'y a plus guère de lune, et Rubis ne pourra pas voler en pleine nuit..."

Le plus problématique était en effet que Rubis ne puisse plus se déplacer une fois la nuit tombée. Et pourtant, il lui paraissait essentiel de ne pas laisser l'aigle livré à lui-même. Non seulement c'était leur seul moyen de quitter le désert mais le rôdeur voulait s'assurer de sa sécurité par simple loyauté.

- Ou alors je reste caché ici pendant que tu le rejoins et que vous cherchez un meilleur abri avant la nuit...

Ce serait très dangereux, notamment pour lui et il doutait que l'elfe accepte ce plan sans broncher.

- J'imagine que nous n'avons aucune chance de les distancer à pied une fois la nuit tombée ? Sinon, tu pourrais revenir seule et les distraire avec ta tempête de neige. Ce sera pour moi le signal de te rejoindre aussi discrètement que possible. Je peux aussi me cacher plus efficacement si tu me fais diminuer de taille...

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines