La Couronne de Cuivre

Kasumi avait dû agir vite et donc ne pas s'encombrer de finesse : il avait commencé par trancher la main qu'utilisait son adversaire pour le larder de fléchette puis l'avait décapiter d'un coup puissant entre deux cervicales. Ce serait déjà un problème de moins ! Mais un autre - et de taille - était déjà presque sur lui. Le demi-elfe fit mine de s'embusquer là où s'était trouve le petit squelette pour provoquer une attaque puissante de la part du mastodonte. Son idée était de profiter du mouvement pour le contourner d'une roulade et chercher à l'atteindre dans le dos, peut-être à la nuque s'il avait beaucoup de chance...

Il parvint à rouler sur le côté, esquivant l'attaque. Le combattant en armure, déséquilibré, ne fut pas assez rapide pour se retourner, et Kasumi put porter un coup d'épée qui, hélas, rencontra le fer de l'armure et ne causa aucun dommage à son adversaire. Mais il pouvait renouveler assez facilement ce genre d'esquive : son adversaire, gêné par les feuillages, peinait à trouver un angle d'attaque efficace, et ses attaques étaient plus lentes qu'auprès de la source. Kasumi avait pour lui la souplesse et la rapidité : il esquivait sans peine, et finit par réussir à porter un coup d'épée à la tête qui, s'il ne vint pas à bout de son adversaire, le blessa néanmoins grièvement. Dès lors, le combat était gagné. Il suffisait d'une esquive et d'une contre-attaque similaire pour l'achever.
Mais alors qu'il commençait à croire en la victoire, il perçut un mouvement à l'extrémité de son champ de vision. Quelque chose de sombre et d'intangible qui se ruait sur lui, et qu'il évita d'extrême justesse. Une ombre, peut-être, ou quelque chose d'approchant.

Par Mielikki ! N'en viendrait-il jamais à bout ? Toutes les engeances non mortes semblaient s'être donné rendez-vous dans la clairière ce soir. Mais le rôdeur ne pouvait pas se laisser aller une seule seconde au découragement : le nouvel ennemi était bien plus rapide que le squelette et il devait donc s'éloigner de ce dernier pour l'affronter. En espérant qu'il ne se fasse pas déborder pendant qu'il lui réglait son compte.

Mais le squelette en armure était décidé à lutter jusqu'au bout, et n'avait pas l'intention de laisser le rôdeur s'éloigner un tant soit peu. Il frappait de son épée, taillant dans les buis et perdant de la puissance, et il était suffisamment rapide dans ses mouvements pour qu'il soit risqué de le perdre des yeux plus d'un instant. Il parvint heureusement, en esquivant une attaque, à le déséquilibrer suffisamment pour qu'il titube, obligé de se raccrocher aux maigres branchages, luttant contre le poids de son armure. Kasumi disposait de quelques instants pour l'achever.
L'ombre, quant à elle, avait disparu de son champ de vision, tapie quelque part dans les buissons à demi calcinés, se préparant certainement à attaquer à nouveau.

En outre, trois autres adversaires venaient d’apparaître de l'autre côté de la clairière. Deux squelettes ainsi qu'une créature humanoïde que Kasumi identifia comme un nécrophage. D'une taille et d'une corpulence assez impressionnantes, il ne semblait pas armé, mais Kasumi savait que ses coups drainaient l'énergie de ses victimes. La gemme donnée par Bélenn qui ornait son épée le protégeait heureusement contre ce genre d'attaque, et il disposait encore d'un peu de temps avant qu'il ne soit sur lui. Si toutefois il ne préférait pas, à l'instar des deux goules restée sur place, s'intéresser au chêne : les goules avaient commencé à en arracher méthodiquement quelques feuilles.

Cette vision le mit dans une rage noire : comment ces créatures impies qui ne devaient leur aberrante existence qu'à une magie maudite osaient-elles s'en prendre à ce symbole pur de la vie ? Kasumi ne devait qu'à son expérience des combats de ne pas se précipiter immédiatement sur eux pour les empêcher de nuire davantage. Il savait que l'occasion d'achever le squelette ne se représenterait pas de sitôt et c'est ce qu'il commença à faire. Ensuite seulement il pourrait aller défendre le jeune chêne. Et il devait trouver le moyen de rester en vie pour y parvenir.

D'un coup bien ajusté, il décapita le squelette en armure qui s'effondra sans un cri dans les buis. Puis il se put se précipiter auprès du chêne : le nécrophage, s'arrêtant auprès des goules, semblait décidé à en arracher quelques branches. Les deux squelettes qui l'accompagnaient, quant à eux, fonçaient droit dans sa direction, prêts à intercepter son attaque.
Malheureusement, une attaque le freina dans son élan : l'ombre choisit ce moment pour réapparaître, si bien tapie dans les buis qu'il ne l'avait pas aperçue. Cette fois-ci, son attaque le heurta de plein fouet et il eut la sensation d'avoir traversé un mur d'eau glacé. Le souffle coupé, il lui fallut quelques instants pour reprendre le contrôle de ses mouvements. Il devina la présence de l'ombre, tapie sur sa droite, prête à attaquer à nouveau. Plus loin devant, le nécrophage s'en prenait au chêne... Et le poids de son épée dans la main lui apprenait que le contact avec l'ombre n'avait pas été sans dégâts.

HRP : -3 points en force, les dés ont parlé...

Ce choc fut d’autant plus rude que le demi-elfe avait déjà consenti bien des efforts et reçu plusieurs blessures au cours de la soirée. Il en eut le souffle coupé durant quelques secondes et eut toutes les peines à s’en remettre. Il se sentait à la fois fiévreux et fébrile, presque nauséeux.

Mais le rôdeur ne pouvait pas se laisser aller à regarder les morts-vivants ruiner ses efforts et s’en prendre une nouvelle fois au chêne magnifique. Il aurait peut-être dû se servir de l’avantage tactique que lui offraient ses ennemis qui restaient dispersés.

Mais il tenait trop au chêne pour le laisser subir les assauts du nécrophage à sa place. Il mit donc toute son énergie pour charger dans la direction du chêne en ayant l’intention d’éviter les deux squelettes ou en les frappant s’ils se montraient assez vifs pour prévoir sa manœuvre de contournement. L’essentiel était de forcer le nécrophage à l’affronter même si la partie n’aurait rien de facile avec une ombre et les dieux savaient quoi d’autre à combattre en même temps.

Les squelettes n'avaient pas anticipé sa manoeuvre de contournement : ils s'attendaient certainement à une attaque frontale. Il parvint donc très vite auprès des deux goules et du nécrophage. Les deux squelettes, bien sûr, changèrent de trajectoire pour se diriger vers lui, mais ils étaient lents et il avait quelques secondes devant lui. L'ombre était invisible. La lune, dans son dernier quartier, venait d'apparaître à l'horizon, éclairant la scène d'une lueur bleutée.
Les goules et le nécrophage, dans un bel ensemble, se tournèrent vers lui, abandonnant leur tâche et lâchant les feuilles déchiquetées qu'ils tenaient. Ils l'attaquèrent tous simultanément, sans se coordonner, se gênant même les uns les autres. Les goules étaient lentes et il les vaincrait sans difficultés, même en étant affaibli, d'autant que ses épées étaient peut-être encore un peu imbibées de l'eau de la source. Mais le nécrophage semblait puissant et leste.

Kasumi savait avoir maintenant deux ennemis principaux et il fonda sa stratégie sur cet état de fait. alors, plutôt que de détruire les goules et les squelettes, il chercha à s'en servir comme bouclier en les bousculant et en tranchant occasionnellement quelques membres tout en conservant le nécrophage comme cible prioritaire et en cherchant à rester soit dans la lumière lunaire soit dos au chêne pour éviter les attaques en traître de la part de l'ombre.

L'ombre, pour le moment, semblait hésiter à quitter le couvert des arbres. La lumière de la lune, même faible, tranchait avec l'obscurité des taillis, et aurait révélé sa présence. Kasumi ne pouvait pas en être complètement certain cependant : concentré sur son combat, il eût tôt fait de perdre de vue les alentours.
Deux goules, deux squelettes et un nécrophage formaient un ennemi coriace. Kasumi avait beau tenter de rester dos au chêne, le tronc de celui-ci était mince et il eût tôt fait d'être plus ou moins encerclé. Il parvint à trancher dans les chairs, à sectionner quelques membres, mais la mêlée devenait confuse et il sentit une dague entailler son bras droit, causant une douleur fulgurante et une sensation de brûlure qui se prolongea bien trop longtemps : ce n'était peut-être pas une dague ordinaire. Il avait cependant réussi, dans le même temps, à achever une goule et à blesser sérieusement le nécrophage à l'épaule. Celui-ci, dans un cri de douleur, recula brutalement, avant de se ressaisir en réalisant que son mouvement de recul l'avait amené sur le dos trempé par l'eau bénie de la source, ce qui semblait lui déplaire.
Ce court répit permit à Kasumi d'occire l'un des squelettes, avant que le nécrophage revienne à la charge. La douleur au bras pulsait, et le rôdeur avait de plus en plus de difficulté à soutenir son épée. Il lui semblait que la douleur à la cheville se réveillait également, sous l'effet de la fatigue sans doute. Il n'avait plus que trois adversaires face à lui, dont le nécrophage, plus l'ombre invisible, plus celui qui l'avait blessé à la cheville, mais il était de plus en plus faible.

Kasumi savait que le temps ne jouait pas en sa faveur et lui était compté. Alors, acculé et pour se donner du courage, il activa le pouvoir d’Etincelle et entonna une prière à Mielikki pour se rassurer plus que dans l’espoir de s’attirer sa bénédiction. Et pendant qu’il récitait à haute voix les paroles qu’il avait mainte fois murmuré, il attaqua violemment le nécrophage, conscient de consommer ses dernières forces mais sachant qu’il n’avait de toute façon plus le choix.

Protégé par le pouvoir de son épée, Kasumi ne craignait pas l'absorption d'énergie qui accompagnait d'ordinaire les coups d'un nécrophage. Mais ceux-ci demeuraient puissants, et, Kasumi avait besoin de toute sa souplesse pour les éviter. Néanmoins, il était mieux armé, et finit par porter un coup, puis un autre, blessant grièvement le nécrophage. Il tua, au passage, le dernier squelette.
La brume qui régnait dans la forêt semblait vouloir s'étirer en direction de la clairière, dissimulant peu à peu le buis. Elle n'atteignait cependant pas la source, comme si la magie qui l'imprégnait l'en protégeait. Au-dessus d'eux, le ciel se voilait, masquant la lumière de la lune. Kasumi crut voir un mouvement tout proche, peut-être l'ombre qui profitait de la baisse de luminosité pour se faufiler derrière le chêne, ou peut-être un nouvel adversaire qui s'approchait... et ce court instant d'inattention faillit lui coûter la vie : il reçut un coup violent à la tempe, porté par le nécrophage presque agonisant. Celui-ci, affaibli par ses blessures, tenait à peine debout, et avait mis toute la force qui lui restait dans ce dernier coup. Titubant, il semblait ne pas avoir la force de pousser son avantage : il suffisait d'un coup d'épée pour l'achever.

Kasumi vit des étoiles lui emplir les yeux en recevant ce coup en traître. Pour un peu, s'il n'avait pas eu autant d'instinct de survie, il en aurait lâché son épée et se serait probablement effondré face à ses derniers adversaires. Dans un dernier réflexe, il brandit son épée pour frapper la poitrine du nécrophage trop engagé pour se défendre. Mais il s'exposait lui-même sans plus s'en rendre compte, fatigué et usé par ce combat trop intense, par toutes ces blessures endurées.

Son épée se planta dans la poitrine de son adversaire qui s'effondra dans un gémissement. Mort. Kasumi, titubant encore un peu sous l'effet du coup reçu, dut user de toutes les forces qui lui restaient pour retirer l'épée du corps de la créature malfaisante. Ce faisant, il resta quelques instants vulnérable, à la merci de la goule qui, d'un grand coup de griffes, lacéra son dos au moment même où il parvenait enfin à récupérer son arme.
Ce coup de griffe fut la blessure de trop. Il se retrouva subitement paralysé, incapable du moindre mouvement, à la merci du coup de griffe suivant, puis du suivant. Le temps semblait s'être arrêté, et la goule s'en donnait à coeur joie contre le rôdeur impuissant. Cela lui parut durer des minutes. En réalité, ça n'avait probablement duré que quelques secondes. La vie revint dans ses membres, la douleur également, et il put parer, de justesse, le coup de griffe suivant. Et achever d'un dernier coup d'épée l'immonde créature.

Son corps était atrocement meurtri. Son esprit tout autant. Et pourtant, il était heureusement trop inconscient pour seulement réaliser l'état pitoyable dans lequel le combat l'avait mis. Il n'aurait pas dû pouvoir encore tenir debout et encore moins rester éveillé. Mais c'est avec des yeux bien ouverts qu'il contemplait tout le désastre des corps démembrés et sanguinolent, qu'il sentait l'odeur épouvantable de la mort, qu'il sentait le tronc du chêne contre son dos et qui le soutenait à peine. Il ne voulait plus qu'une chose : s'asseoir, s'allonger, s'endormir. Mais il n'en avait même plus la force : cela semblait lui demander un effort surhumain alors même que le moindre de ses muscles refusait de lui obéir. Et même dans cet état à faire frémir le plus expérimenté des chirurgiens, une part de son esprit restait focalisée sur le présent, lui soumettait une alarme pressante : il n'avait pas fini. Il n'avait pas vaincu tous ses ennemis. Il restait l'ombre. Il restait la créature qui aimait tant le mordre en traître. II restait Mielikki sait quoi d'autre qui rôdait dans la brume, attendant son heure pour se repaître de sa chair. Et il savait qu'il n'aurait alors plus aucune force pour résister. Peut-être même plus pour appeler à l'aide. Cela aurait été vain.

Pendant un moment, il n'y eut rien. Pas de bruit, pas de mouvement. Juste le silence. Et le froid. Trop important pour la saison. La douleur, atroce, l'empêchait de réfléchir, mais ce froid ne pouvait pas être dû qu'à son état, il était bien réel. Un froid trop humide. Il avait l'impression que la brume s'épaississait, doucement, autour de la clairière. Et même, pénétrait dans la clairière...
Il lui sembla percevoir un frottement, quelque part, tout proche. Quelque chose qui s'avançait, dissimulé par la brume. L'ombre, peut-être, ou la créature aux dents pointues... Il finit par comprendre qu'il s'agissait de quelque chose de petite taille, pas assez discret pour être une ombre. Et qui se faufilait jusqu'à lui.

La vision trouble. La tête complètement vide. C'est plus par instinct et réflexe qu'il trouva la ressource insoupçonnée de lever légèrement la pointe de son épée mais il était évident que cela ne servirait à rien si ce nouvel ennemi ne venait pas - de lui-même - s'empaler sur sa lame. Il n'avait plus aucune force pour frapper et encore moins pour esquiver : il avait perdu beaucoup trop de sang et la douleur intense avait fini par l'anesthésier. Tout autant que le froid mordant.

Il finit par apercevoir la créature, juste au moment où elle bondissait sur sa cheville -qu'elle trouvait décidément fort à son goût. Une minuscule chose, de la taille d'un chat et aussi rapide que lui, avec pourtant un aspect vaguement humanoïde, qui semblait sortie tout droit d'un charnier à en juger par la terre noire qui la recouvrait -ou la constituait?-, au milieu de laquelle apparaissaient des morceaux d'os ou de dents.
Il n'eut ni le réflexe, ni la force, de réagir suffisamment vite, et la répugnante créature enfonça ses dents pointus dans son mollet pour y prélever un beau morceau de chair, avant de bondir de côté pour esquiver une probable contre-attaque, laissant une plaie sanguinolente à l'aspect effroyablement sale.

Cette ultime attaque était presque de trop pour que sa raison y résiste. Et s'il ne fit que tomber sur un genou plutôt que de s'effondrer complètement c'est en songeant qu'il n'avait pas le droit d'abandonner. C'est en songeant à Sylvia qui ne se doutait probablement même pas de ce qui se tramait ici. C'est en songeant - aussi - au jeune chêne qu'il s'efforçait encore de protéger, même moribond. Et c'est avec la force de ces ultimes convictions qu'il parvint à frapper en direction de la créature contre-nature.

Son coup porta, à en juger par le cri suraigu que poussa la créature. Mais il n'avait pas frappé assez fort, et la créature réussit à bondir hors d'atteinte de son épée. Peut-être allait-elle guetter, tapie dans les buissons, le prochain signe de faiblesse. Ou peut-être avait-elle filé sans demander son reste. Il n'était pas vraiment en état de voir clairement ce qui se passait autour de lui. Il voyait en revanche, assez nettement, sa blessure gonfler et prendre une couleur noirâtre, avec une sorte de liquide verdâtre qui en suintait...

Le demi-elfe ne put retenir un haut-le-cœur en constatant l'ampleur des dégâts. Il sentit que ses doigts étaient devenus gourds et ne parvenaient que tout juste à rester serrés autour de son épée. Et pourtant, dans un sursaut d'horreur il chercha à faire un pas - puis deux - dans la direction de la source. La seule à peut-être pouvoir contrer le maléfice. Mais ce faisant, il s'était appuyé sur son pied cruellement blessé. Sa vision se brouilla encore un peu plus et s'emplit d'étoiles avant qu'il ne se sente défaillir, glissant son grâce et même avec lourdeur.

Il fut réveillé par une douleur vive à son mollet : la petite créature malfaisante, ravie sans doute de trouver un adversaire allongé sans défense, mordait cruellement, à nouveau, dans sa chair. Au niveau de son bras cette fois-ci. Elle bondit de côté dès qu'il fit un mouvement, mais, à travers les brumes qui emplissaient son regard -ou peut-être l'atmosphère-, il la voyait tapie tout près, prête à revenir à l'attaque s'il semblait hors d'état de nuire.
Cette nouvelle blessure était affreusement douloureuse, et il pouvait sans peine imaginer son aspect...
Et puis, il y avait du bruit, du mouvement, en périphérie de la clairière. Un autre adversaire sans doute. Il ne le voyait pas, pas encore.

Ce nouveau coup dur eut au moins le mérite de le tirer de l'inconscience et il parvint - difficilement - à se redresser et même à se traîner sur le sol. La seule chose qu'il pouvait tenter, sa seule perspective, était d'atteindre la source. Mais elle semblait soudain si loin...

La petite créature -un sépulcreux sans doute-, le voyant bouger, resta un moment sur la défensive. Il parvint, péniblement, à avancer, à genoux, presque rampant parfois. La source ne se trouvait qu'à deux ou trois toises, presque rien, mais il lui sembla qu'il mettait un temps fou à l'atteindre.
Puis une douleur aiguë à la cheville lui apprit que le sépulcreux l'avait mordu à nouveau. Un réflexe lui fit frapper la bestiole de son autre pied, ce qui l'envoya au loin. Il touchait au but : il lui suffisait de tendre le bras pour toucher l'eau... Mais il eut la sensation de quelque chose de glacé lui étreignant la poitrine : l'ombre venait d’apparaître, lui portant un coup qui lui ôta une part de la force qui lui restait. Elle s'apprêtait à le frapper à nouveau quand les nuages s'écartèrent d'un coup, laissant apparaître la lune. Sa lumière bleutée illumina la clairière, faisant fuir l'ombre à couvert. La brume avait étrangement disparu, et sous la lumière venue du ciel, la source semblait presque irradier d'une lumière intérieure.
Il y avait un mouvement quelque part en lisière de la clairière, le bruit de branches piétinées, un nouvel ennemi approchait sans doute. Mais Kasumi était épuisé, gravement blessé, sans forces.

Il se vit mourir quand il fut à nouveau assailli sans pouvoir rien y faire. Il crut avoir basculé dans le monde des morts lorsque la lumière de la lune illumina la clairière, lui apportant une atmosphère fantasmagorique. Il savait devoir atteindre la source : c'était la seule chose qui comptait encore pour le salut de son âme. Et c'est la dernière chose qu'il s'employa à faire.

Il tendit la main, et sentit tout son corps frissonner au moment où il plongeait la main dans l'eau pure et bienfaisante. Elle était fraîche, glacée même, mais elle était la vie, rempart contre la mort qui semblait lui tendre les bras. Elle était son salut, et son simple contact semblait lui redonner un peu d'énergie, mais il était difficile de lutter contre l'épuisement absolu. Il parvint à s'éclabousser le visage, et le contact de l'eau le tira de la torpeur qui menaçait de l'engloutir. Il rouvrit les yeux sur le monde qui l'entourait, juste à temps pour voir quelques squelettes avancer dans sa direction. L'un d'eux tira une fléchette qui s'enfonça profondément dans son torse. La douleur lui fit perdre conscience...

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Chaleur du soleil baignant son visage, légèreté d'une brise frôlant sa peau, douceur des parfums flottant dans l'air... Des myriades d'oiseaux chantaient autour de lui, plus qu'il n'en avait jamais entendus, et l'air était incroyablement parfumé.
Il ouvrit les yeux pour découvrir un ciel sans nuage, d'un bleu presque turquoise. Une sensation d'irréalité. Il se trouvait dans une clairière, près d'une source, au pied d'un chêne millénaire. Un lieu inconnu et pourtant pas vraiment. Tout lui rappelait la clairière dans laquelle il venait de s'effondrer -peut-être était-ce une éternité plus tôt?- et pourtant tout était différent. Les fleurs blanches d'un buisson d'aubépine embaumaient l'atmosphère. Un rossignol l'observait, chantant à tue-tête, tout comme ses congénères, incroyablement nombreux. Aucun ne s'enfuit lorsqu'il bougea. Il avait la sensation que ses perceptions étaient décuplées, que ses sens percevaient la plus infime parcelle de vie... et que la vie elle-même, ici, était immensément puissante. Il n'avait plus mal nulle part...

Il devait être mort. Sa première réaction fut de porter une main à sa poitrine, là où la douleur s'était faite sentir dans son dernier souvenir. Mais, d'une façon ou d'une autre, sa lutte était terminée : il avait échoué à défendre la clairière mais il avait combattu jusqu'au bout. Et dans sa mansuétude, sa déesse lui avait permis de rejoindre son royaume. Il observa le rossignol, sentit les doux parfums, écouta le concert de chants. Mais ne bougea pas : sa lutte était terminée et il méritait bien quelques instants de repos.

" Tu fais bien de rester allongé, fit une voix aiguë et cristalline en provenance du buisson. Tu as perdu beaucoup de sang, et la magie ne peut pas tout réparer... Tu m'as presque fait peur, je n'avais jamais vu autant de sang ! Tu vas rester faible quelques temps encore. Mais repose-toi, tu es en sécurité ici. Aucun de ceux qui t'ont blessé ne peut t'y rejoindre."
L'origine de la voix demeurait un mystère. L'accent était chantant, et cela ne ressemblait pas à une voix humaine, ni même elfique. Mais il ne savait pas pourquoi il en était si sûr.

Des questions se bousculèrent dans son esprit embrumé en même temps qu'il faisait quelques déductions. S'il était blessé, c'est qu'il n'était pas mort. Mais alors, que faisait-il ici ? Qui l'y avait amené ? Qu'était-il advenu du chêne et de la source ? Et qui était cette personne qui veillait jusque là sur son sommeil ? Seulement deux d'entre elles parvinrent à franchir ses lèvres, lui coûtant un effort et lui révélant qu'il avait la gorge très sèche :

- Où sommes-nous ? Et qui-es-tu ?

" Nous sommes dans la clairière, voyons, tu le vois bien !", répliqua la voix comme si c'était une évidence.
Elle eut un rire cristallin.
" Et mon nom ne te dirait rien, sans compter qu'il est absolument imprononçable dans ta langue. Mais ouvre bien les yeux, tu devrais me voir dans le buisson... cherche juste plus petit que ce que tu imagines !"
En regardant attentivement, Kasumi vit une forme humanoïde toute petite, de moins de deux empans de haut, à demi dissimulée dans les branchages du buisson d'aubépine.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine