La Couronne de Cuivre

Quelques instants après s'être ainsi laissé piéger, il vit une flèche fuser, depuis un buisson à sa gauche, en direction de la haie d'épineux, et entendit le cri de douleur de l'ettercap. Puis Léo bondit... et la lutte fut de très courte durée et certainement très sanglante.
L'ettercap qui était blessé, comprenant que Kasumi n'était pas seul et qu'il y avait encore du danger pour lui, battit prudemment en retraite, geignant toujours d'un air pitoyable pour attirer quelque pitié.
- Attends, je vais vous détacher, j'ai une dague, lança alors Tilmandil, s'avançant enfin, tandis qu'Eärundra se dévoilait à son tour, son arc en main, les yeux fixés sur le dernier ettercap vivant. Beurk, c'est dégoûtant ce truc...

Kasumi, qui ne pouvait toujours pas bouger et à peine tourner la tête rata l'essentiel de la fin du combat et n'était pas très fier de lui-même pour s'être ainsi laissé prendre. Il s'adressa à Tilmandil d'un air un peu dépité :

- Libère d'abord Sylvia, moi je ne courre aucun danger.

Il attendrait d'être libéré et de savoir sa compagne sauve pour livrer son avis concernant la dernière créature. Elle ne partait pas gagnante pour ce qui était de l'amadouer en tous cas.

Tilmandil obtempéra, et s'attaqua d'une main habile au cocon qui enveloppait Sylvia des pieds à la tête. Seuls quelques cheveux roux en émergeaient.
La rôdeuse était consciente, comme il s'y attendait. Pâle, choquée, les cheveux en bataille, mais nullement blessée. Elle aspira une grande goulée d'air - elle en avait très certainement manqué-, toussa et cracha quelques brins visqueux qui avaient pénétré dans sa bouche. Et, enfin libre de ses mouvements, remercia d'une voix rauque ses sauveurs et prit d'autorité la dague des mains de Tilmandil pour libérer elle-même Kasumi.
- Beurk, qu'est-ce que c'est gluant. Je te ferais bien un bisou, mais... non, vraiment, je vais attendre qu'on se soit lavés tous les deux.
Elle demeurait en effet couverte, comme Kasumi, d'une substance gluante blanchâtre qui était très probablement de la bave d'ettercap...
- Qu'est-ce qu'on fait de l'autre ? questionna Eärundra.

Kasumi était tellement soulagé de voir que Sylvia était saine et sauve qu'il faillit l'enlacer sans prendre garde à la substance écœurante qui les recouvrait. Mais la question soulevée par la druidesse méritait une réponse avant qu'ils ne puissent se débarbouiller. Le rôdeur tourna son regard vers le monstre qui ne faisait plus un mouvement. Il aurait été prudent et pragmatique d'éliminer définitivement cette menace qui pouvait chercher à s'en prendre encore à eux mais le demi-elfe n'était pas adepte des massacres de sang froid.

- Je suis pour la laisser déguerpir d'ici sauf si vous préférez régler différemment la question. Peut-être pourrait-elle nous dire quelque-chose d'utile sur les environs, les menaces que nous aurons à affronter sur notre route...

L'ettercap avait bien entendu écouté, et compris, ce que Kasumi disait. Il n'attendit pas qu'Eärundra réponde pour glapir, d'une petite voix sifflante et suraiguë :
- Je... je sais rien. Les environs c'est des bois et des animaux. C'est tout.
- Quel genre d'animaux ?
- Tous les genres.
- Des araignées ?
L'ettercap parut hésiter, et lança finalement :
- Oui. Beaucoup d'araignées. Et elles vous dévoreront !
Tilmandil blêmit.

Le rôdeur choisit d'insister, juste un peu pour s'assurer que le monstre n'avait pas quelque-chose de plus utile à leur révéler.

- Allons, je suis certain que tu as des choses plus intéressantes à nous raconter. Des choses qui nous aideraient assez pour que j'envisage de retirer cette flèche le moins douloureusement possible et que nous te laissions partir. Y a-t-il d'autres membres de ton espèce dans les parages ? Où est ton nid ?

Se faisant, il ponctua sa proposition en prenant un couteau dans son sac, maculant par là-même son sac avec ses doigts collants. Evidemment, tout ce que pourrait révéler l'ettercap serait à prendre avec des pincettes.

L'ettercap couina.
- De toute façon vous allez tuer moi, je sais... Mon nid il est là-bas, fit-il avec un vague geste en direction de l'est, mais vous pourrez pas trouver, les guerriers défendent.
- Et les araignées ? Par là aussi ?
- Oui...

Après avoir repéré les lieux indiqués par le monstre, Kasumi se tourna vers ses compagnons, cherchant à évaluer leur humeur mais ils semblaient tous attendre de lui qu'il réponde et livre son avis le premier. Alors, d'un ton décidé, il s'adressa à Eärundra avant de se tourner vers l'ettercap :

- Si vous pensez pouvoir le soigner, nous ne pourrons pas lui permettre d'aller avertir les siens de notre présence. Nous allons te garder prisonnier le reste de la nuit. Cela ne me fait pas particulièrement plaisir alors tu ferais mieux de ne pas nous donner de raison de t'abattre. une dernière chose : avez-vous d'autres prisonniers dans votre nid ? Des prisonniers encore en vie...

Le regard de l'ettercap allait de l'un à l'autre apeuré, et il semblait chercher la réponse susceptible de lui attirer le plus de clémence. Ou à estimer ses chances de rester véritablement en vie.
- Je dirai rien de ce qu'il y a dans le nid !, hurla-t-il dans un accès de courage, ou de rage peut-être.
Sylvia s'approcha à son tour, son épée à la main, l'air déterminée.
- Non... Me tuez pas... J'ai mal, j'ai tellement mal...Oui, il y a de la nourriture encore vivante. Je crois.
- Humains ?
- Oui... par pitié, soignez-moi...

Le rôdeur blêmit : ils allaient devoir combattre les congénères de ce détachement qui n'avait sans doute été que des éclaireurs. Dans leur nid, bien plus nombreux et peut-être déjà avertis du combat qui s'était tenu non loin, la tâche serait autrement plus coriace et périlleuse. Il n'y avait décemment rien d'autre à faire cependant. Quelque horreur qu'ils trouvent dans le nid des créatures, il allait falloir s'y frotter.

- Je crois que le bain devra attendre. Et les soins aussi... C'est douloureux mais tu n'en mourras pas dans l'heure. Nous allons t'attacher. Si tu nous as menti, si tu cherches à te libérer avant notre retour ou si tu essaie d'appeler à l'aide, nous te tuerons. Et tu sais que cela nous sera très facile. Combien y a-t-il d'ettercaps là-dedans ? Et combien d'araignées ?

L'ettercap secoua la tête. Il tenait son ventre difforme des deux mains et semblait véritablement souffrir. D'ailleurs il s'exprimait avec de plus en plus de difficultés.
- Moi mourir si tu soignes pas... Les bêtes dévorer moi.
Eärundra confirma d'un signe de tête avec une grimace embarrassée à destination de Kasumi.
- Combien ? insista Sylvia.
- Je sais pas... Pas beaucoup ettercaps. Beaucoup araignées.
- Combien ?
- je sais pas, martela la créature. Je sais pas !

Kasumi songea qu'ils ne pourraient plus rien tirer de concret de la créature. Il aurait été plus prudent de l'achever proprement mais le rôdeur refusa d'envisager cette hypothèse déshonorante. Même s'il avait affaire à une araignée sur deux pattes et certainement mauvaise de surcroît, il se sentait tenu par sa parole. Il posa une main sur le bras de sa compagne avant de s'adresser à la druidesse :

- Eärundra, mieux vaut le soigner maintenant dans ce cas. Et si vous aviez de quoi l'endormir efficacement pour au moins une heure ou deux, ce ne serait pas plus mal... Pendant ce temps, nous allons tenter de nous débarrasser d'un peu de cette bave.

Eärundra acquiesça, et se mit à incanter. Une lumière verte l'enveloppa un instant, et, lorsqu'elle s'approcha de l'ettercap, illumina un bref instant le ventre de la créature. La flèche sembla rejaillir d'elle-même, poussée de l'intérieur, et la plaie se referma aussitôt.
- Il me faut un peu de temps pour préparer un somnifère. Je préfère garder mes sorts pour les cas d'urgence... Il va falloir que vous restiez encore quelques instants ici à le surveiller.
- Si dormir, bêtes manger moi...
- Mais non !
La druidesse se tourna vers Kasumi.
- Je me demande s'il ne vaudrait pas mieux attendre le petit jour pour s'attaquer au nid.
Elle désigna Sylvia du menton. la rôdeuse n'y verrait effectivement rien. Mais elle ne sembla guère appréciée d'être ainsi désignée comme un maillon faible de l'équipe.
- Le jour pourrait être un avantage. Les ettercaps craignent la lumière vive. Certaines araignées également.

Kasumi n'était pas très certain de gouter l'idée d'attendre le matin pour prendre d'assaut le nid. Ce délai réduisait les chances de trouver des survivants et réduisait d'autant l'effet de surprise : si elles avaient un semblant d'organisation, les créatures sauraient interpréter l'absence de trois des leurs par la présence d'un danger. Mais il fallait aussi reconnaître que leurs chances de mener l'assaut seraient meilleures si tout le monde était reposé. Et la lumière leur assurerait une approche plus discrète et plus sûre si tous les monstres se repliaient au fond de leur tanière. Il se tourna vers la druidesse pour livrer ses conclusions :

- Très bien. J'espère simplement que quelques heures de plus ne mettront pas davantage en danger les prisonniers mais vous avez raison : nous attaquerons à la lumière du jour. Nous avons des préparatifs à faire d'ici là et j'avoue que je prendrais bien encore une heure ou deux de sommeil. Après m'être décrassé bien sûr !

Il se tourna vers la créature sans masquer son malaise :

- Toi, tu viens avec nous. Tu es notre prisonnier mais il ne t'arrivera rien jusqu'à ce que nous te libérions.

L'ettercap sembla jauger, un instant, ses chances de fuite. Et il dut les juger dérisoire puisqu'il baissa la tête et se contenta de rester immobile, attendant qu'on lui dise où aller.
- Je passe devant, avec Tilmandil, annonça Eärundra. Je vous laisse le surveiller de près. Léo suivra derrière...
Sylvia prit le bras de Kasumi, d'un geste parfaitement naturel qui n'était pourtant pas dicté que par la tendresse : il faisait bien trop sombre pour qu'elle distingue où elle mettait les pieds.

Kasumi aurait aimé ne pas avoir à surveiller l'horrible chose qu'ils escortaient et pouvoir se consacrer à rassurer Sylvia et ainsi anticiper le contrecoup émotionnel de sa capture. Mais avant d'y songer, ils devraient atteindre le campement et ligoter leur prisonnier bien encombrant. Ensuite seulement ils pourraient peut-être songer à se débarrasser de leurs vêtements gluants. S'il n'y avait plus de danger immédiat. Le demi-elfe avait en outre remarqué l'air troublé de Tilmandil à la mention des araignées. Il se demanda, pendant une partie du trajet, s'il ne lui faudrait pas aborder la question avec lui. S'il avait peur des araignées, mieux valait s'en assurer avant de pénétrer dans une tanière qui en serait littéralement infestée.

Tilmandil, en effet, ne semblait pas en mener large. Il resta silencieux tout au long du trajet, et Kasumi nota qu'il évitait soigneusement de poser son regard sur l'ettercap.
Le campement n'était pas très éloigné, et ils y parvinrent sans encombre. Eärundra laissa à Kasumi le soin d'attacher solidement la créature, et assura qu'elle assurerait la surveillance pendant les deux heures à venir, pour la seconde veille de la nuit. Elle conseilla à Tilmandil de se coucher au plus vite pour pouvoir la relayer, ce qu'il fit sans se faire prier. Il restait plus aux rôdeurs qu'à se décrasser avant de pouvoir en faire autant. Et une fois encore, Kasumi dut guider la rôdeuse pas à pas en direction de la rivière.

Au temps pour pouvoir parler à Tilmandil avant qu'il ne prenne son tour de garde mais il fallait reconnaître qu'il était plus important qu'il prenne du repos. Le rôdeur se promit néanmoins de lui toucher un mot avant qu'ils ne se mettent en quête du nid : peut-être accepterait-il de monter la garde dehors en compagnie de Léo. On pouvait toujours rêver...

Pour l'heure néanmoins, il y avait plus urgent à s'occuper aussi le demi-elfe guida-t-il Sylvia jusqu'à la berge sans un mot. Il rompit le silence après avoir retiré sa tunique répugnante en regardant dans la direction de la rôdeuse :

- Sylvia... Tu veux en parler... On a tout le temps vu le travail qui nous attend pour te retirer toute cette glue de tes si beaux cheveux. J'ai eu si peur pour toi, tu sais...

Sylvia ôta ses vêtements sans le moindre signe de gêne ou de pudeur... et une fois n'est pas coutume, sans le moindre regard provoquant non plus. Elle haussa les épaules à la question du rôdeur.
- Je me suis faite piéger bêtement... J'ai entendu un bruit, on aurait dit une voix, j'ai voulu aller voir. Je ne voulais pas réveiller tout le monde sans raison valable. Une toile m'est tombée dessus, depuis un arbre, à même pas cent mètres du campement... Je ne suis pas très fière de moi, tu sais, conclut-elle avec un profond soupir.

Kasumi lui adressa un regard compatissant tout en ôtant le reste de ses vêtements. Quand il les eut déposé au sol, il s'approcha de sa compagne et posa une main sur son épaule, lui offrant l'opportunité d'une étreinte si elle en ressentait le besoin :

- Allons, ces créatures sont des plus sournoises : je me suis laissé surprendre bêtement alors que je pensais que l'une d'elles s'était enfuie. Je ne suis pas très fier de moi non plus. Cela doit nous inciter à nous montrer encore plus prudent d'autant que nous ne savons pas quelles horreurs se mettront encore sur notre chemin.

La rôdeuse hocha la tête, sombrement, et se blottit contre lui, posant la tête sur son épaule, sans se soucier de la bave gluante qui les maculait l'un et l'autre. Elle avait vraiment besoin de réconfort et se laissa enlacer en une douce étreinte, pleine de tendresse.
Puis elle finit par se détacher de lui, à regret, pour s'accroupir au bord de l'eau et y plonger les bras, se débarbouillant le torse et le visage avec une grimace : l'eau était glacée.
"Tu crois que ça pourrait être ton père et ses compagnons, qui sont prisonniers là-bas ?"

Kasumi devait reconnaître que l'idée lui était passée par la tête mais il avait préféré ne pas trop y penser. Sans cela, il aurait été encore plus douloureux d'attendre le lendemain pour tenter de les libérer. Il s'accroupit auprès de sa compagne et plongea ses mains dans l'eau en réprimant une grimace : l'eau était décidément atrocement glacée.

- Je ne sais pas. Ils sont passé par ici, c'est certain mais la piste semblait se poursuivre un peu plus loin. J'espère que ce n'est pas eux et aussi que nous pourrons sauver quelques-uns des captifs. Il n'y a qu'une seule façon de le savoir de toutes façons.

La bave et les filaments se décollaient assez facilement une fois mouillés et le rôdeur eut tôt fait de dégager ses avant-bras au prix d'une nouvelle grimace.

- Attends, je vais t'aider. A deux ce sera plus facile. Et pour tes cheveux, je mettrai de l'eau à chauffer.

Il entreprit de lui frotter le dos en utilisant le moins possible d'eau mais à chaque fois qu'il déposait ses mains glacées sur sa peau nue, il sentait les frissons de froid de sa compagne.

- Courage : il parait que les bains froids sont bons pour la peau. J'espère que cette pensée te réchauffera, mon cœur. Tu crois que des gens seraient prêts à tester notre nouvelle cure à base de bave d'ettercap et d'eau glacée ou seuls les rôdeurs sont assez bêtes pour s'y laisser prendre ?

- Pas tous les rôdeurs... Seulement nous deux ! Et pour mes cheveux, ne t'embête pas à faire chauffer de l'eau, on fera ça demain. Pour l'heure, je vais me contenter d'eau froide. Sinon on va se coucher bien trop tard, le temps de ranimer le feu et de faire bouillir de l'eau.
Elle étouffa un bâillement.
- Je dois avouer que je suis épuisée. Et on aura besoin de forces demain... Il vaut mieux qu'on aille dormir, je pense... D'autant que tu es de garde au petit matin, et que tu parlais de relever les collets...

Une fois leur peau débarrassée de l'essentiel des miasmes, Kasumi trempa ses vêtements dans l'eau pour les libérer des filaments collants :

- Il vaut mieux nettoyer ça maintenant et les laisser sécher le reste de la nuit. Enfin, si tu n'as rien contre courir toute nue jusqu'à la tente. Je suis certain que Tilmandil dort à poing fermé mais je pourrai partir en reconnaissance te chercher des vêtements si ça te gêne.

- Non, ça ira... Bon, Eärundra va nous voir défiler tous les deux tous nus, mais c'est surtout toi que ça devrait gêner, pas moi !
Elle lava elle aussi ses vêtements et se redressa en claquant des dents.
- Le dernier arrivé à la tente s'occupe des tartines demain ! lança-t-elle en se mettant aussitôt à courir.
Malheureusement, malgré la lueur de la lune, le sol était traître pour ses yeux d'humaine, aussi s'étala-t-elle de tout son long quelques mètres plus loin... Elle se releva aussitôt, plus vexée que blessée, et fut bien obligée de ralentir fortement l'allure.

Kasumi la rattrapa sans peine et, plutôt que de risquer qu'elle se fasse mal en recommençant à courir dans le noir, il décida de changer les règles du jeu en l'attrapant et en la hissant sans peine sur ses épaules avant de reprendre sa course, hilare.

- Aha ! J'ai déjà gagné : tu n'as aucune chance de poser les pieds avant moi dans la tente maintenant. Est-ce que tu rends les armes ? Je traite bien mes prisonniers, je te promets.

Et pour ponctuer sa victoire à plate couture, il lui tapa gentiment sur les fesses avant de continuer vers la tente. Evidemment, se présenter ainsi dans le champ de vision d'Eärundra allait faire jaser aussi espérait-il que Sylvia accepterait de se montrer raisonnable. Un tout petit peu plus que lui en tous cas.

Sylvia dut se faire la même réflexion car, après s'être désespérément débattue pendant quelques minutes, elle se calma subitement.
- Bon, d'accord, tu as gagné, tu es le plus fort. Je me rends... Pis c'est pas juste, tu as l'avantage de voir dans le noir... Pfff.... j'aurais dû naître elfe !
Elle poussa un soupir exagéré.
- Bon... tu me laisses descendre alors ? Avant d'arriver près du feu ?
Celui-ci se devinait déjà entre les branchages, faible lueur rougeâtre qui tranchait dans l'obscurité : visiblement, la druidesse l'avait rallumé.

Kasumi la posa délicatement au sol mais ne la laissa pas s'enfuir immédiatement :

- J'ai triché alors j'accepte de m'occuper de tes tartines demain matin. Et tu es bien plus jolie que toutes les elfes réunies ! Bon, je vais passer devant pour m'assurer que Tilmandil ne traîne pas dans les parages. Mais je courrai vite pour ne pas être vu : hors de question de laisser Eärundra me lancer un de ses regards entendus qui me font passer pour un gamin !

Aussitôt dit, aussitôt fait : le rôdeur courut comiquement en portant ses vêtements devant lui dans le vain espoir de masquer une partie intime de sa personne. La démarche devait avoir quelque-chose de hautement comique mais il préféra ne pas regarder dans la direction de la druidesse pour laisser une place à la bienheureuse ignorance.

Mais il n'avait pas anticipé la duplicité de sa partenaire. Elle se mit à courir elle aussi, profitant de la lueur des flammes pour se diriger. Et elle ne cherchait nullement à dissimuler quoi que ce soit avec ses vêtements, aussi était-elle bien plus à l'aise de ses mouvements. Elle lui fit un léger croc-en-jambe, qui le fit à peine trébucher, juste suffisant pour lui faire perdre son avance. Et elle pénétra ainsi la première sous la toile de tente, hilare.
- Désolée, fit-elle entre deux éclats de rire. Mais je voulais gagner pour de bon... Pas simplement bénéficier de ta pitié pour une pauvre humaine aveugle.
Et elle repartit à rire de plus belle.
Au moins Eärundra n'avait-elle fait aucun commentaire. Et ils auraient été bien incapables de dire si elle avait eu l'un de ces regards qu'ils craignaient tant.

Kasumi avait été surpris par la manœuvre et pourtant ce n’était pas faute de savoir combien Sylvia détestait perdre le moindre jeu innocent et savait tout mettre en œuvre pour emporter la victoire. Il l’avait peut-être un peu oublié à dire vrai mais il était ravi que la rôdeuse conserve ce côté espiègle qui l’avait toujours amusé dans leurs plus jeunes années.

Quand il pénétra dans la tente, il croisa les bras sur sa poitrine et fit mine de se vexer des éclats de rire de la jeune femme avant de changer brusquement d’attitude en lui dédiant un large sourire :

- Tu as toujours été bien plus rusée que moi, mon petit renard roux ! Je reconnais donc humblement ma défaite et tu auras droit aux meilleures tartines que tu aies jamais mangées demain matin.

Il s’approcha et posa une main sur sa joue avant d’ajouter un ton plus bas et soudain très sérieux :

- J’ai toujours adoré ton caractère espiègle. Je m’en souvenu l’autre jour quand tu as essayé de faire gagner Amish avec ce faucon. J’étais bien tenté de m’y laisser prendre mais j’avais un peu peur qu’elle ne me réclame plus que des tartines.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines