La Couronne de Cuivre

Il se tourna vers les deux enfants, auxquels il s'adressa successivement en sylvestre et en commun.
-Quand vous serez sur le chemin du retour, je compte sur vous pour rester ensemble, être prudents et revenir tout deoit ici, d'accord ?
Puis, à Olivier :
-Merci de les laisser vous accompagner. Et merci pour ce que vous avez fait concernant Baptiste : cela m'a grandement soulagé. Je vous souhaite bonne continuation et vous dit à bientôt.

Victor et Titus emboîtèrent donc le pas d'Olivier vers les collines, tandis que Taliesin restait dans la cour de l'auberge. Il les observait rapetisser sur le chemin lorsqu'une voix s'éleva des hauteurs.
" Attention, j'arrive !"
Il eut tout juste le temps de tourner la tête que Marius sauta de son perchoir pour lui atterrir entre les bras.
" Bravo les réflexes !" s'exclama-t-il, enchanté.

Le barde poussa un bref soupir.
-Tu as failli me faire avoir une attaque ! protesta-t-il sans brusquerie.
Il le déposa ensuite au sol.
-Je ne sais plus si j'étais aussi casse-cou, à votre âge. Hum, peut-être bien que si...

" C'est moi qui ai fait l'attaque !" s'exclama joyeusement Marius en entreprenant aussitôt de ré-escalader ses ballots de paille.
Le fils de l'aubergiste, qui pelletait du fumier, le regarda avec horreur.
" J'sais pas comment vous faites, m'sire. Moi j'ai l'impression d'avoir des tas d'cheveux blancs en plus !"

-Bah, il y en a une dizaine comme ça, chez nous. Rassurez-vous, ils ne sont pas tous à moi : nous partageons une ferme avec la famille d'un ami. Néanmoins, ça grouille de mômes plein d'énergies et pour survivre, il faut s'adapter.
Il sourit.
-J'espère néanmoins qu'ils ne vous ont pas causé trop de tracas.

" Aucun ne s'est rompu l'cou, si c'est ça qu'vous voulez dire. Et j'pense qu'les poules vont continuer à pondre."
Il eut un sourire embarrassé.
" Pas d'soucis, en somme."
Son regard inquiet suivait néanmoins la progression de Marius dans la paille.

-Sois quand même prudent, lui lança Taliesin. Je n'ai plus de sorts de soins en réserve et il est un peu tard pour rattraper Olivier.
Mais Marius ne devait pas en être à ses premières acrobaties et, avec un peu de chance, garder un œil sur lui ppour prévenir des opérations trop téméraires s'avérerait suffisant...

Marius en était à son quatrième saut de l'ange lorsqu'un oiseau descendit du ciel pour venir se poser sur l'épaule de Taliesin. C'était un geai, l'oeil vif et le bec noir, des taches d'un bleu azur sur les ailes, dans son plumage brun. Marius poussa des cris de joie en le voyant, demanda au barde s'il pouvait le caresser, et l'oiseau se laissa faire, bien volontiers. Il portait un petit rouleau de parchemin à la patte. Le barde le déroula et découvrit ces mots.

Cher ami,

Votre petit Titus désirant passer plus de temps avec Agrim, je me proposais de vous inviter tous pour la soirée. Je suis conscient que vous devez veiller sur un blessé, mais nous pourrions aisément le transporter jusque là : il n'est point pesant et ne risque rien d'une promenade en pleine nature. J'ai de quoi vous accueillir pour la nuit et vous pourriez nous régaler de vos histoires, puisque vous êtes barde ! Donnez-moi votre réponse par voie des airs !

Olivier.

-Eh bien, nous sommes invités à passer la nuit chez Olivier, annonça-t-il après avoir lu la missive.
Et il ne voyait aucune raison de refuser ladite invitation.
-Je vais aller chercher de quoi lui répondre. Ensuite, nous ferons nos préparatifs.
Quant au messager, peut-être accepterait-il de patienter sur l'épaule de Marius ?

" Ouais ! Trop cool !" s'exclama Marius.
Le geai accepta le transfert d'épaule sans rechigner, tandis que Taliesin cherchait de quoi écrire. Le parchemin qui portait l'invitation pouvait servir pour la réponse. Le barde devait sans doute décider s'il porterait Baptiste jusqu'au point de rendez-vous ou s'il entendait se servir de Minuit. L'aubergiste, de son côté, accepta de garder leurs affaires sous clé en leur absence.

Recourir à minuit aurait été bien pratique pour la première partie du trajet. Mais ensuite, elle risquait d'être gênée par la présence de Diva et de peiner à progresser pour peu que le terrain soit difficile ou encombré de végétation.
Il décida donc de faire sans. Baptiste lui paraîtrait de plus en plus lourd au fil de la marche, évidemment, mais... Il faudrait voir cela comme un bon exercice dans le cadre de son entraînement martial.
En revanche, il choisit de voyager léger, n'emportant guère que son épée - au cas où -, le remède donné par Olivier et quelques frusques de rechange pour Baptiste.

Ils se mirent donc en route vers les collines, Marius devant, Taliesin avec Baptiste derrière. Et l'enfant, inerte, était effectivement lourd, si bien que le barde arriva au point de rendez-vous passablement fatigué. Olivier, Agrim, Victor, Titus et la panthère les y attendaient, ainsi que le geai, perché sur l'épaule du druide.
" Je vais vous relayer, offrit ce dernier sur un ton d'excuse. Couché, il paraissait moins grand. Nous trouverons un système adéquat pour le transporter dans l'autre sens demain... et il sera peut-être éveillé et capable de marcher, qui sait !"

-Espérons-le !
Il transféra précautionneusement son fardeau au druide.
-Mais dans tous les cas, on se débrouillera.
Il reprit son souffle quelques instants.
-Et merci beaucoup pour votre invitation, conclut-il.

" C'est avec plaisir. Nous avons peu de visiteurs : la plupart de mes protégés ont vécu des choses difficiles et ils se méfient des êtres humains. Mais vous n'en êtes pas et les enfants... sont toujours des enfants. Ça mettra un peu d'animation dans notre refuge sauvage. Si en plus vous avez quelques histoires ou quelques chansons à offrir... Je crois que ce sera une réussite !"
Il sourit et emboîta le pas à Dina, qui avait pris la tête, flanquée de Marius et Victor. Agrim et Titus suivaient.
" Vous avez dit que le faune venait de chez une alaghi ? Je ne savais pas qu'il y en avait dans la Vallée. En général, ils vivent dans des environnements plus montagneux..."

-C'est ce que j'ai cru comprendre... Mais il y a donc bien une alaghi dans la vallée, quoiqu'elle soit pour l'heure en phase de repos.
Il se fendit d'un large sourire.
-Mais sinon... Merci beaucoup pour ce que vous venez de dire, Olivier. "Les enfants sont toujours des enfants". C'est ce que j'ai essayé d'expliquer aux habitants non-humains de la vallée et à ceux de Féérie. Sans grand succès... Pourtant, sensibilisez de petits humains à certaines choses, faites-leur rencontrer d'autres peuples et vous aurez des chances d'obtenir des hommes plus respectueux des autres cultures, plus à même d'établir un mieux vivre ensemble.

" C'est certain. Mais il faut se méfier de projeter ce que vous et moi entendons par enfants sur ce que d'autres peuples imaginent. Toutes les cultures n'envisagent pas l'enfance comme ce moment d'innocence et d'insouciance bénignes. Respecter les autres cultures, apprendre à les connaître, c'est aussi respecter leurs codes, leurs lois et leurs représentations."
Il sourit.
" Ecoutez-moi parler. Je suis druide, évidemment, je suis attaché à l'ordre naturel du monde, et opposé à une uniformité des conduites... mais je ne suis pas en désaccord avec vous. De toute façon, chez moi, c'est un grand mélange de créatures : trouver sa place en ce monde n'est pas donné à tous."

-Mais vous savez, je comprends et respecte votre point de vue, comme je comprends et respecte le leur. Cependant, quand je vois les tensions qui existent dans la région, je me dis que bâtir des passerelles, favoriser la compréhension et le respect mutuels... cela éviterait que la situation ne s'agrave. Cela pourrait même l'améliorer, qui sait. Les humains sont un peuple qui croit et se multiplie, mais je suis persuadé qu'il est possible de faire en sorte que cela n'advienne pas au détriment des autres...
Il haussa les épaules.
-Mais les grandes théories... restent des théories. Il faut souvent voir au cas par cas.

" Oui, c'est bien vrai."
Ils étaient arrivés à mi-hauteur de la colline suivante et les enfants, toujours derrière la panthère, s'engagèrent dans un sentier qui s'enfonçait dans les broussailles vers la droite.
" Vous êtes de passage dans la région, alors ? En route vers Luménis ?"

-En effet. Nous avons passé quelques semaines près de la Lorien et, à présent, nous rentrons à la maison. Nous habitons dans une ferme à quelque distance de la capitale.
Un charmant coin de campagne... Mais très domestiqué. Pas sûr qu'Olivier l'apprécierait beaucoup.

" Beau coin que la Lorien. Impénétrable pour la plupart, mais même depuis l'orée, c'est une vision enchanteresse."
Le chemin descendait dans la pénombre d'un petit bois jusqu'à atteindre le cours d'un ruisseau presque à sec. Ils remontèrent ensuite vers l'amont, dans les feuilles mortes et les cailloux. Olivier semblait porter Baptiste sans mal, une main sous les fesses, une autre à hauteur des épaules.
" Je n'ai pas d'enfants, personnellement, même si vu le nombre de créatures diverses qui vivent sous mon toit, je pourrais prétendre le contraire. En même temps... Je ne me suis jamais imaginé comme leur père. J'imagine qu'on peut donner bien des définitions à ce mot."

-En effet, acquiesça-t-il. En ce qui me concerne, je n'accorde guère d'importance au sang, à la race... Mon épouse est humaine et nous avons eu des jumeaux, l'an dernier. Je ne fais pas de différence entre eux et Baptiste et Victor, que je considère comme mes enfants. En revanche... je n'attends pas qu'ils me condidèrent d'une façon particulière.
Il sourit.
-De toute façon, peu importe les mots. Ce qui compte, ce sont les liens qui se tissent, le fait de se sentir bien ensemble.

" Oui, mais dans le rôle de père, il y a fatalement, sous-jacente, une idée d'autorité et de transmission d'un savoir... ou de valeurs... En cela, le mot n'est pas complètement anodin. Ce n'est pas le même qu'ami ou frère ou même chef, maître ou mentor.
Ils débouchèrent dans un pré fleuri à flanc de colline qu'ils commencèrent à gravir. Le soleil avait désormais nettement décliné, le ciel était dégagé, les insectes et les oiseaux saluaient la fin du jour.
" Nous ne sommes plus très loin."

-Bel endroit, commenta-t-il. La grand-route et Pont-l'Ire m'auraient presque fait penser que nous avions quitté la Vallée du Nirvana, mais il suffit de s'éloigner quelque peu de la civilisation pour qu'elle se rappelle à notre bon souvenir.
Les lieux plairaient aux enfants. Sans doute moins à Baptiste, mais, à moins qu'il ne se réveille...

" Toutes les énergies magiques et les forces naturelles qui grondent dans la Vallée la rendent inhospitalières en bien des endroits. Il faudrait une action concertée des humains pour faire reculer l'essence des lieux. Et heureusement, ils semblent y avoir renoncé pour l'heure. Mais c'est pour ça qu'il faut des gens comme moi, qui veillent à ce que la Vallée reste discrète dans sa vitalité. Pour vivre heureux, vivons cachés, disait le sage, et les humains sont une espèce qui répond à la peur par la violence, bien souvent. Ce qu'ils ignorent, ils ne peuvent le craindre."
Au fond du champ, en contrebas, se trouvait un rideau d'arbres et de broussailles épais et il apparut rapidement à Taliesin que c'était leur direction, même s'il n'y avait aucune trace de passage dans les herbes qu'ils foulaient.

-J'allais justement vous demander si la proximité de la ville n'était pas dérangeante, pour vous et vos protégés, commenta-t-il. Mais j'ai l'impression qu'il faudrait un extraordinaire hasard pour qu'un promeneur tombe sur votre demeure...
Olivier avait mis en pratique l'adage qu'il venait de verbaliser. Cela lui permettait de profiter des avantages de la proximité de la civilisation sans avoir à en souffrir les désagréments.

" Et ce hasard extraordinaire n'existe pas." dit le druide avec un sourire.
Arrivé devant le mur de végétation, Olivier se mit à incanter. De l'énergie verte jaillit de ses paumes et se diffusa en brume dans les plantes. Celles-ci se murent alors pour leur dégager un tunnel obscur de branches et de feuilles entrelacées. Dina passa devant, suivie de Marius et Victor, ébahis, puis d'Agrim et de Titus, beaucoup moins surpris, enfin de Taliesin, et Olivier prononça quelques mots pour refermer le passage derrière eux. Ils marchèrent quelques minutes dans le tunnel de verdure, puis débouchèrent au soleil couchant, dans un petit vallon fleuri. Il y avait de nombreux arbres, moins serrés que dans une véritable forêt, un ruisseau, un étang, et une maison assez étendue, qui paraissait avoir poussé petit à petit, de bois, de roche et de torchis, à moitié grotte, à moitié terrier, à moitié chaumière, adossée à un arbre où on avait construit une sorte de cabane de paille. Il y avait toutes sortes d'animaux dans le vallon et un bon nombre s'enfuit à leur arrivée : lapins, cerfs, oiseaux de toutes sortes, au moins un renard, quelques écureuils. D'autres ne bougèrent point : un ours continua à se gratter langoureusement à un arbre, loin sur la gauche, une jeune femme à la peau brune resta dans l'ombre d'un saule, un peu plus loin à droite, et une femme centaure à la robe d'un blanc parfait s'approcha d'eux, d'un pas tranquille.
" Bienvenue chez nous !"

-Merci de nous y accueillir, répondit-il avec sincérité mais d'un ton un peu distrait.
Il faut dire qu'il était absorbé dans la contemplation des lieux, qu'il trouvait superbes, et dans l'observation de ses habitants, quels qu'ils soient. Nul doute que cette soirée serait l'occasion de belles rencontres et d'intéressantes conversations...
Mais vu la diversité du public, trouver des histoires convenant sinon à tout le monde, au moins au plus grand nombre, cela n'aurait rien d'évident.

" Vous pouvez aller vous promener, dit le druide aux enfants. Mais il est interdit de mettre les pieds dans le ruisseau : l'eau doit rester claire, et de se baigner : les créatures de l'étang sont assez territoriales. N'ayez pas peur des serpents ou des araignées, si vous en voyez, ils ne sont pas dangereux. Et ne dérangez pas ceux qui dorment, quelle que soit leur espèce."
Marius et Victor s'élancèrent aussitôt tandis que Titus restait auprès d'Agrim.
" Tu aurais pu me prévenir que tu ramenais des visiteurs ! dit la centaure lorsqu'elle les eut rejoints.
— Je t'ai envoyé Suri ! protesta Olivier.
— Il s'est de nouveau perdu en chemin, il faut croire." dit la centaure.
Elle avait les cheveux aussi blancs que son extrémité chevaline.
" Taliesin, je vous présente Epona. Epona, voici Taliesin, barde de son état.
— Un barde ! Merveilleux !" s'exclama-t-elle avec un enthousiasme tout enfantin.

-Enchanté de faire votre connaissance, Epona, dit-il en la saluant courtoisement.
Voilà une centaure qui semblait autrement plus sociable qu'un autre de sa connaissance. Mais la situation était très différente et leur parcours aussi, sans doute.
Restait néanmoins que les échanges qui s'annonçaient seraient moins tendus et donc, plus agréables.

" Tout le plaisir est pour moi, maître barde." répondit la centaure dans un commun parfait.
Elle se tourna vers Olivier et Baptiste.
" Qu'est-il arrivé à celui-ci ? Il s'est endormi en route ?
— Pas exactement, mais je vais l'emmener à l'intérieur. Installe Taliesin, veux-tu ?"
Epona acquiesça tandis que le druide se dirigeait vers la petite maison. L'elfe vit, dans les herbes folles, trois petites têtes au nez pointu qui l'observaient mais disparurent dès qu'il se tourna dans leur direction. La centaure conduisit le barde jusqu'à un semblant de table en bois, basse, autour de laquelle se trouvaient diverses structures de mousse, de branches et de pierre, qui étaient sans doute des sièges, mais il était clair que peu d'humanoïdes y prenaient place.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...