La Couronne de Cuivre

Le gosse resta figé sur le seuil.
" Mais on va rien toucher ! Il nous faut juste... je sais pas... des indices !"
Baptiste et Titus étaient descendus du chariot mais n'avaient pas gravi les marches et les observaient depuis la pelouse.

-Reste néanmoins qu'entrer sans permission chez quelqu'un est illégal.
Il soupira.
-Si nous n'avions pas d'autre choix, je m'y résoudrais. Mais y penser d'emblée... Non. Nous aurions pu, au préalable, tenter de savoir si le garde-chasse était parti depuis peu ou depuis longtemps, par exemple, et aviser ensuite.

" Mais comment tu vas faire pour savoir s'il est parti depuis peu, si on ne va pas voir à l'intérieur ?" demanda Victor.
Il était ressorti et, penaud, Phelan en avait fait de même, avant de refermer derrière lui. Ils avaient une mine sensiblement similaire, même si le gosse était plus belliqueux.

-On va... chercher des indices. répondit-il avec aplomb.
Puis il se tourna vers Titus.
-Est-ce que tu aurais un moyen de savoir si le garde-chasse s'est absenté depuis peu ou si cela fait un moment qu'il n'est pas revenu chez lui ? En examinant les traces, peut-être ? En liant contact avec des animaux ? Je te demande pardon si mes idées sont idiotes mais comme je ne sais pas exactement quels sont tes pouvoirs...

Titus parut embarrassé.
" Je peux essayer mais... Il n'y a vraiment pas beaucoup d'animaux, dans cette vallée... Vraiment pas beaucoup. Peut-être si on trouve des abeilles... ? Il n'y a pas de moustiques, en tout cas."
Phelan regardait le sol avec scepticisme.
" Si j'étais rôdeur, je dis pas... Mais là, je sais même plus quelles sont mes empreintes, les vôtres... et Victor a de vachement grands pieds, déjà, pour un si petit gars...
—*Non mais oh !"
Malgré lui, Baptiste ne put s'empêcher de glousser.

Il se garda bien d'intervenir dans leur échange.
-Raison de plus pour ne pas foncer de partout... Nous allons essayer de voir s'il y a des traces sur le chemin.
Puis, à Titus :
-Si tu en es d'accord, essaie de voir si tu trouves des animaux capables de te renseigner dans les parages.

Le chemin avait déjà souffert, à cause du chariot et de Minuit. On distinguait bien de vagues traces humides, mais elles semblaient anciennes.
" C'est pas sûr qu'il a emprunté la route pour se déplacer, remarqua Phelan.
— Faut regarder autour de la cabane, directement." proposa Victor.
Ils se dispersèrent autour de la construction de bois. Il y avait des traces de botte, mais elles semblaient anciennes : il avait manifestement plu dessus.

Il croisa les doigts pour que Titus ou un autre membre de leur groupe trouve quelque chose de probant. Sinon... Il faudrait entrer dans la maison, oui, où ils auraient plus de chances d'obtenir des indices concrets. Bien sûr, Victor et Phelan se moqueraient alègrement de lui, puisqu'au final, on en serait revenu au même point. Toutefois, ils auraient cherché une autre solution avant de commettre une infraction, et cela changeait tout. Pas sûr, cependant, qu'ils comprennent la nuance. Le gosse, surtout.

Leur examen des lieux ne leur apprit pas grand chose, sinon qu'il n'y avait aucune trace fraîche qui ne fut pas la leur autour de la cabane. Il n'était évidemment pas impossible que le garde-chasse, en habitué, soit capable de se déplacer sans laisser d'empreintes, mais la raison pour laquelle il aurait pu vouloir se dissimuler paraissait difficile à imaginer.
Titus eut davantage de chance avec les abeilles. Taliesin le vit converser avec les petites créatures, assis près d'un massif d'églantier. Il revint ensuite à sa rencontre.
" C'est difficile parce que les abeilles, elles ont pas beaucoup..."
Il se tapota la tête.
"... d'esprit, tu vois... Elles savent pas parler. Elles envoient des images et des sensations bizarres... et la manière dont elles estiment le temps... est franchement bizarre. Mais elles ont l'air de dire que le garde-chasse, il est parti depuis hier matin. Au moins."

-Merci beaucoup.
Il transmit la nouvelle aux autres.
-Peut-être est-il parti à la recherche de Cordélia en constatant qu'elle avait beaucoup de retard... En tout cas, dans de telles circonstances, sachant qu'il a peut-être besoin d'aide, lui aussi, je crois que nous pouvons entrer.
Le mieux serait de trouver une trace concrète du passage de la jeune femme. Car après tout, elle avait pu aller à Viveverte et le garde-chasse faire une simple excursion de deux jours...

Ils entrèrent donc dans la chaumière et eurent la confirmation qu'elle n'avait pas été utilisée le jour-même : l'âtre était froid et Baptiste, inspectant la vaisselle abandonnée, décréta que les aliments séchés avaient bien deux jours. Il n'était pas impossible que le garde-chasse soit même parti l'avant-veille. Des traces de Cordélia, par contre, il n'y en avait pas de prime abord... Sans doute auraient-ils dû chercher quelque chose, plus précisément...

-Bon, essayons de voir s'il n'y a pas un indice probant : le texte de l'annonce, par exemple, ou un morceau de ocrnaline. Si vraiment nous ne trouvons rien, il nous faudra décidé si nous allons à Viveverte pour vérifier si ce n'est pas là que Cordélia s'est rendue ou si nous nous lançons sans tarder sur la trace du garde-chasse.

Ils ne trouvèrent ni l'un ni l'autre, par contre il y avait deux tasses au fond noir craquelé dans le bassin de nettoyage. Et Victor se mit à examiner les empreintes de bottes devant l'âtre. Une chaise avait aussi déplacée auprès du fauteuil. Impossible de savoir si Cordélia s'était trouvée là, mais il y avait en tout cas eu une seconde personne.
Titus respirait avec bruit, les narines écartées, aux aguets.
" Les odeurs sont anciennes... mais c'est possible... Je ne sais pas. Les humains sentent tous pareils."

-Merci. Et ça me fait penser... A l'occasion, explique à Victor que tous les elfes ne sentent pas les champignons des bois. Surtout les Solaires qui n'ont pas de lien particulier avec la forêt.
Il lui sourit puis se tourna vers les autres.
-Bon, il y a eu deux personnes ici et je vois plus Cordélia opter pour de la chasse que pour de l'abattage. Bien sûr, nous n'avons aucune certitude et faire un crochet par Viveverte pour s'assurer qu'elle n'est pas passée là-bas serait l'idéal mais... ça nous ferait perdre du temps.

" On peut toujours se séparer, dit Phelan. Je veux bien galoper jusqu'à Viveverte, si ça vous tranquillise. Ou alors vous allez jusque là, et moi je commence à chercher ici.
— Moi je reste ici, en tout cas." grommela Victor.

Ce qui n'arrangeait pas ses affaires : s'il laissait et Victor et Phelan ici, il seraient à des lieues quand il reviendrait.
-C'est vraiment dommage que je ne puisse pas utiliser un coursier fantôme : l'affaire serait réglée en moins de deux. Enfin... A votre avi, combien de temps prendrait l'aller-retour pour un cavalier ?

" Hum, ça dépend de la bête... Trois heures avec votre hongre ? En imaginant que cela aille vite sur place et qu'il ait encore un peu de coffre pour le retour." dit Phelan, songeur.
Victor était déjà en train de musarder du côté du bois, avec les deux autres enfants. Baptiste était légèrement en retrait, Titus beaucoup plus entreprenant.
" Ecoutez... Pourquoi ne pas tenter le coup ici ? On n'est plus à un jour près, vous ne croyez pas ?"

Soupir.
-Avant de nous engager sur cette piste qui promet d'être longue à suivre, j'aurais aimé être sûr que ce soit la bonne. Mais il y a des indices concordants, sans compter que je vois davantage Cordélia se lancer dans ce type d'aventure que dans de l'abattage. Enfin... Plus nous tarderons à lancer l'enquête ici, plus les traces seront difficiles à suivre.
Il jeta un regard à leurs montures.
-Bon, je propose que nosu les installions un peu plus confortablement puis que nous nous mettions au travail.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Enfin... Les enfants ne les aidèrent pas le moins du monde, déjà dans les sous-bois. Ils restèrent cependant à proximité. Taliesin se chargea du mulet, Phelan de Minuit, avec lequel il avait pu sympathiser pendant la route. Il n'y avait pas stalle pour les installer, mais ils les attachèrent à l'un des piliers de la cabane, avec suffisamment de longe pour qu'ils puissent brouter à leur aise.
" Quel est le plan ?" demanda ensuite le jeune homme.

Il s'accorda quelques instants de réflexion.
-Dans l'absolu, nous avons assez de vivres et de matériel pour rester au moins deux jours dans les bois. Mais les chevaux auront besoin que nous revenions nous occuper d'eux : il n'ont rien pour s'abreuver... Bref, prenons du matériel pour pallier à toutes les éventualités tout en sachant que nous serons sans doute de retour ici avant la nuit. Et d'ici là... Chasse aux empreintes !

" On peut sûrement trouver un seau à remplir, si tu t'inquiètes pour les chevaux. Si on le fixe bien, il ne se renversera pas... et il va pleuvoir cette nuit, de toute façon."
Phelan avait glissé vers le tutoiement sans s'en rendre compte, manifestement.
" Mais on sera sûrement rentrés ce soir, c'est vrai."

-Je pense aussi. Mais autant pallier à toutes les éventualités : si d'aventure nous ne revenons pas, ce sera autant de soucis en moins.
Et donc de se mettre en quête et d'un saut, et de quoi le remplir. Ainsi n'y aurait-il aucun risque que les chevaux aient soif en leur absence. Ensuite, il serait grand temps de se mettre en route.

Ce dernier point réglé, les deux hommes gagnèrent les buissons où s'égayaient les enfants. C'était un sous-bois presque ordonné, avec peu de taillis, composés uniquement de noisetiers et d'églantiers, tandis que des hêtres aux troncs élancés s'élevaient vers le ciel. Des myrtilliers et des fraisiers sauvages poussaient ça et là, chargés de fruits.
" Tu crois qu'on peut cueillir ? demanda Baptiste. Ou bien c'est aussi à quelqu'un ?"

Ah, ce Baptiste !
-Je pense qu'on peut. Mais attendons quand même de nous être éloignés : si ça se trouve, le garde-chasse aime à cueillir ici... Et puis, ce serait bien si nous pouvions avancer un maximum tant qu'il fait grand jour.
Mais si, par moments, retrouver la piste prenait du temps, il n'empêcherait nullement le gosse de se faire plaisir.

Mais de piste, il n'y en avait pas vraiment, aussi leur fallut-il déjà un certain temps avant de trouver des traces qui paraissaient plus ou moins récentes. Les insectes communiquaient des informations à Titus, mais il semblait plus agacé que renseigné : les différences de perception entre créatures ne rendaient pas la compréhension évidente.
Ce fut finalement Victor qui dénicha une belle empreinte de botte dans la boue qui jouxtait une zone plus humide. C'était un grand pied d'homme, immanquablement, mais il y avait des traces plus indistinctes aux alentours. Ils se dirigeaient plus profondément dans les bois.

Ils étaient sur la bonne voie, c'était déjà ça.
Bien sûr, embarquer les gosses dans l'aventure n'était pas très prudent mais ils avaient besoin de l'aide de Titus. Par ailleurs, il avait emporté ses armes et le pipeau tandis que Phelan possédait sa rapière : dès lors, s'ils faisaient preuve de vigilance, ils devaient pouvoir poursuivre sans grand risque...

Ils continuèrent donc leur route, Titus en avant, Victor sur ses talons, Baptiste dans l'ombre du barde, Phelan à l'arrière. Plus ils s'éloignaient de la cabane et plus la nature se faisait sauvage. Les buissons devenaient plus nombreux, plus touffus, moins amènes, les arbres baissaient leurs branches comme pour occuper tout l'espace disponible jusqu'au sol. Les oiseaux se mirent à chanter plus fort, ils aperçurent une fourmilière gigantesque, une espèce de rat ventru les observa entre deux souches avant de disparaître.
Ils perdirent la piste, durent revenir en arrière, la retrouvèrent. Le garde-chasse n'avait probablement pas cherché à dissimuler ses traces, mais il n'en laissait pas beaucoup, respectueux des lieux. Le soleil déclinait déjà derrière les arbres. Victor commença à trouver le jeu de piste ennuyeux et se mit à jouer dans les bois, se laissant parfois distancer par le groupe. Baptiste fatiguait. Seul Titus paraissait absolument ravi de l'expédition.

Il échangeait régulièrement avec ce dernier, lui demandant de l'aider à trouver des points de repères pour faciliter leur retour à la cabane : luî-même s'y efforçait mais deux paries d'yeux valaient mieux qu'une, sans compter que pour pareille tâche, le petit faune était assurément plus doué que lui. Pour l'instant, toutefois, il n'avait pas encore décidé s'ils rebrousseraient ou non chemin avant la nuit : il voulait continuer encore un moment, aviserait s'ils découvraient un lieu propice pour dresser le camp...

Ils poursuivirent donc dans la pénombre de la fin d'après-midi. Baptiste pesait désormais à la main de Taliesin : il y avait peu de chances qu'il soit capable de refaire tout le chemin dans l'autre sens sans une pause conséquente. Victor poussait des soupirs agacés mais continuait à avancer. Il y avait des clairières, de temps en temps, d'herbes hautes et de fleurs, où planter une tente ne serait pas impossible. La piste qu'ils suivaient les mena d'ailleurs à l'une d'entre elles, où quelqu'un avait manifestement établi un bivouac... la veille, peut-être.

Il s'immobilisa, observa l'ensemble du petit groupe.
-Bon, l'heure est venue de trancher. Est-ce qu'on fait une pause avant de retourner à la cabane du garde-chasse ou est-ce qu'on campe ici cette nuit ? Maintenant que nous n'avons plus besoin de chercher les traces et que nous connaissons l'itinéraire, je pense que nous pourrions être assez vite rendus. Alors voilà, si vous voulez des conditions de bivouac plus agréables, h'hésitez pas.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile