La Couronne de Cuivre

Valaellyn tiqua franchement en écoutant la première remarque de la rôdeuse. Elle jeta un coup d'œil dans la direction par laquelle Gérol était parti, puis adressa un étrange regard à la jeune femme. Puis elle se détourna et se leva brusquement.
-Je vais continuer les inspections. Après tout, je connais la plupart de ces gens depuis qu'ils sont enfants. En cas de nouveau malade détecté, ils prendront peut-être mieux la chose, si elle vient de moi...
Sans un regard en arrière, elle s'en fut à grands pas et disparut bientôt dans une allée transversale, laissant Galathée seule avec le mouton qui bêlait toujours misérablement.

La rôdeuse réalisa que ses mots avaient dépassé sa pensée. Elle n’avait pas voulu être revêche. Mais la fatigue et la tension étaient mauvaises conseillères.
Elle s’assit dans l’herbe, à proximité du mouton, le lorgnant avec attention. Etouffant un bâillement dans son poing, elle chercha la présence, infime, de la chouette. Dans l’attente de plus d’informations, elle avait préféré la garder à l’écart du bétail. Cela dit, si les oiseaux étaient affectés par ce mal mystérieux, il était alors trop tard pour s’inquiéter de quoi que ce soit.
Ce qui lui semblait le plus étrange, était que cette maladie ait surgi de nulle part, soudain, du sol dans un pré au cœur d’un petit village sans histoires. C’était une genèse pour le moins surprenante. Si encore la bête incriminée était venue de loin, transportant son virus sur les flots de l’océan…
Elle se passa les deux mains sur le visage pour repousser le sommeil, insidieux. Elle se sentait anesthésiée, comme hors du monde, étrangère, observant un univers un peu flou. Si elle n’avait reconnu là les symptômes d’un épuisement tant physique que nerveux, elle aurait pu croire à sa contamination. Mais elle était simplement éreintée. Et les choses semblaient tout juste commencer.
Elle soupira, songea une seconde à Taliesin et Victor, hors d’atteinte, protégés. Puis elle repensa à ce qu’avaient dit Vallaelyn et Gérold. S’ils avaient été incapables de sauver les moutons grâce à leurs sorts, il y avait fort à parier que la petite désinfection magique à laquelle la prêtresse se prêtait régulièrement ne serve strictement à rien. Il restait donc à espérer que le mal, quel qu’il soit, ne se transmette pas aux humains. Sinon…
Curieusement, cette perspective ne l’inquiéta pas réellement. Ils ne savaient rien sur rien. Il était trop tôt pour succomber à la panique. Il fallait juste repousser la fatigue.

La nuit s'écoula, sinistre, à la lueur tremblante des torches que portaient les hommes sillonnant le foirail à la recherche d'un animal malade. Bientôt, ce furent les heures froides et obscures précédant l'aube : ni Gérold ni Valaellyn n'était venue trouver Galathée, elle en déduisit donc que, pour l'heure, les recherches n'avaient rien donné.
Lorsque l'aube survint, elle n'avait toujours pas reçu de visite ou de nouvelles. Quant au mouton, dont la fatigue avait fini par avoir raison de l'angoisse, il se réveilla d'un sommeil paisible et bêla presque joyeusement. Pour l'heure, il ne présentait aucun symptôme alarmant.
Vers les huit heures, un homme s'approcha de l'enclos où veillait la rôdeuse. Elle reconnut sans mal l'aubergiste du village, lequel portait un plateau chargé de victuailles.
Je vous ai apporté de quoi manger, fit-il en lui adressant un sourire chaleureux. J'me suis dit que vous ne quitteriez pas votre poste tant que la relève serait pas assurée. Or, comme Gérold est allé dormir et que Val continue ses patrouilles, vous allez encore en avoir pour une bonne paire d'heures...
Il jeta un regard en coin au vieux mouton.
-L'a l'air de bien se porter, çui-là. Comme la plupart des animaux de la foire. Rien n'a été signalé, cette nuit. C'est peut-être bon signe... Même si avec ce genre de chose, il ne faut jurer de rien.

Galathée remercia l’aubergiste pour ses attentions mais n’eut pas le cœur d’entrer en matière avec lui sur ses dernières remarques.
Ce qu’une nuit tranquille tendait à prouver, c’était que les animaux morts étaient arrivés infectés, rien de plus. Que l’incubation de la maladie était plus longue que quelques heures. C’était en réalité plutôt inquiétant.
Comme l’aurait été un champ de mort.
« De rien, non. » dit-elle simplement.
Peut-être était-ce une maladie non transmissible d’animal à animal, véhiculée par une eau contaminée, un moustique, une fleur sauvage.
Peut-être était-ce un poison virulent, qu’un importun avait jeté dans la nourriture de l’un ou l’autre.
Peut-être, peut-être, peut-être…
Ils n’en savaient rien.
Et de toute façon, tant que personne ne venait la relever au chevet du mouton, elle ne pouvait rien faire. Elle se contenta donc de manger en lorgnant le soleil levant, qui viendrait recouvrir la campagne d’une nouvelle chape de plomb.

L'aubergiste prit congé et s'éloigna d'un pas pressé pour vaquer à ses occupations, à travers le foirail étrangement calme. Les éleveurs étaient bien présents, surveillant leur bétail, mais de chalands, nulle trace. Qui voudrait acheter un animal dans de telles circonstances ?
L'attente de Galathée reprit son cours mais dura seulement une heure, et non deux : Gérold reparut bientôt. S'il avait effectivement pris du repos, sa physionomie n'en laissait rien supposer.
-Je viens prendre mon quart... dit-il en se laissant tomber près de la jeune femme. Il n'y a aucune nouvelle particulière... N'hésitez donc pas à aller dormir un peu. Et prenez tout le temps dont vous aurez besoin : le fait qu'il n'y ait pas eu de nouveau cas a un peu calmé les esprits. Calme trompeur, probablement, mais les gens sont plus enclins à patienter, dans ses conditions, et veulent croire qu'il n'y aura pas d'épidémie... Normalement, vous avez une chambre de réservée à l'auberge. Mais j'imagine que vous préférerez le calme de notre sanctuaire au commerce des éleveurs et des chalands. Un lit vous attend donc au temple, ainsi que de quoi vous sustenter, au besoin.

« Très bien. J’y serai si vous avez besoin de moi. » fit la rôdeuse, puis elle reprit le chemin du village, à moitié endormie déjà.
Elle avait envie d’être à mille lieues de là. Et en même temps, pas. C’était son métier, elle l’avait toujours exercé avec une certaine maîtrise. Plier à la première difficulté n’était pas très professionnel. Mais reconnaître que la nature regorgeait de mystères, certains hors de portée, était tout aussi vital. Elle se demanda ce qu’il était advenu de la petite communauté rurale qu’elle avait quitté, dans les Vaux. Elle avait perdu toutes ses bêtes, puis s’était redressée. Elle en montrait les signes, du moins, lorsque Galathée s’était enfuie dans la nuit. Peut-être était-ce la raison pour laquelle elle restait calme au travers de cette tempête. La vie prenait toujours, immanquablement, le dessus.
Elle gagna le temple sans encombres, se décrassa rapidement avant de s’écraser sur sa couche, épuisée. Le sommeil la gagna presque immédiatement, compatissant. Si elle rêva de charniers et d’animaux mourants, elle n’en garda aucun souvenir, et s’éveilla quelques heures plus tard, encore ankylosée, mais suffisamment reposée pour reprendre son poste sur le foirail.
Le soleil était haut dans le ciel, il était probablement passé midi. Le ciel semblait avoir eu pitié d’eux car quelques nuages épais cheminaient dans l’azur, masquant régulièrement les rayons meurtriers de l’astre diurne. Les mains dans les poches, encore un peu chiffonnées, Galathée rejoignit donc son mouton.

Lorsqu'elle regagna le foirail, Galathée le trouva encore moins animé qu'à son départ. Sans doute la chape de plomb que le soleil faisait peser sur les lieux expliquait-il en partie la langueur ambiante et la désertion manifeste. Peut-être aussi que ceux qui en avaient eu la possibilité - chalands, simples visiteurs - avaient fui vers des cieux plus cléments. Quant aux baladins et autres bateleurs qui la veille encore peuplaient les rues et les abords du village, ils avaient purement et simplement disparu. L'humeur n'était plus du tout à la fête, et les recettes potentielles quasiment nulles.
Dans le petit enclos, Gérold était assis à l'ombre précaire d'une stalle voisine. Il releva la tête à l'approche de la jeune femme et lui sourit, tout en épongeant de la manche son front couvert de sueur.
-Bien dormi ? demanda-t-il. Ici, rien de neuf. Le mouton se porte comme un charme, aucun nouveau cas n'a été détecté, et les rats quittent le navire... Beaucoup d'éleveurs voudraient le faire aussi, et le bourgmestre a été obligé de leur rembourser le prix de location des emplacements pour les convaincre de rester. Et notre brave aubergiste n'a pas lésiné non plus : il rembourse les chambres... Il n'y aura plus sous vaillant à Hautépine avant la fin de cette foire, je le crains. Mais ça vaudra toujorus mieux qu'une épidémie sévissant par tout le pays... Si épidémie il y a.

Galathée s’assit dans l’herbe, songeuse.
« Je dois dire que j’admire votre noblesse, mais je ne comprends pas pourquoi vous devriez être seuls à supporter le poids financier de cette éventuelle épidémie… Les gens devraient rester par bon sens. S’ils entraînent un germe meurtrier dans leur communauté, ce n’est pas de votre ressort, ce n’est pas votre problème. Hautépine n’a pas à subir le coût de quelque chose qui lui échappe… »

-Les éleveurs pensent que leurs animaux sont sains, répondit le vieil homme. Qu'ils n'ont pas approché les bêtes malades de trop près, que les précautions -notamment au niveau de la répartition des différents cheptels - ont fait leurs preuves, et que les mesures que nous avons prises en urgence ont été efficaces. Pourquoi, dès lors, risquer la contamination en restant ici ? Pourquoi risquer de tout perdre alors qu'en partant, tout est sauvé ? Voilà le genre d'idées contre lesquelles nous devons lutter. Voilà pourquoi il nous faut les convaincre par tous les moyens à nôtre disposition. Mais ne vous y trompez pas : il y a trois foirails, en tout, dans la région. Et nous avons un système de foires tournantes... Si l'événement avait eu lieu dans l'une des autres communautés qui les abrite, ils auraient pris les mêmes mesures. C'est nôtre intérêt commun.

« Je sais ce qui les attire au dehors. Je ne comprends pas bien que vous deviez saigner le village pour leur faire entendre raison. C’est un accord injuste, et disproportionné. » fit-elle.
Elle soupira.
« Vous pouvez retourner vaquer à vos occupations. Je vais prendre mon quart sur le mouton… »

-Je vais y aller. Mais avant de prendre le congé que vous m'offrez, laissez-moi vous dire que l'accord n'est pas injuste. Les foires sont l'un des principaux revenus de Hautépine. Si tous les animaux de la région venaient à mourir à cause d'une épidémie que nous n'aurions su juguler, c'est toute notre communauté qui sombrerait dans la misère. Et toutes les communautés des environs, celles qui hébergent un foirail comme celles qui vivent surtout de l'élevage. Nous ne sommes pas une région très riche. Nous vivons bien, mais l'équilibre financier de bien des gens est précaire. Il en faut peu pour tout faire basculer.
Il adressa un sourire triste à la jeune femme, puis s'en fut, clopinant, parmi les allées écrasées désertées.

Galathée le regarda s’éloigner, sceptique. Rien de tel pour couler un village que de mettre sur son dos le coût entier d’une épidémie. Peut-être d’ailleurs était-ce là une piste intéressante, bien qu’inutilement machiavélique. Les deux foirails restants profiteraient certainement de la disparition de Hautépine sur la carte des grands marchés. De toute façon, quoi qu’en pense Gérold, le mal était partiellement fait. Les éleveurs se souviendraient de cette année, du manque à gagner, des tracas…
Elle réalisa qu’elle avait oublié cet esprit étroit, cette humeur liée sans cesse au profit, cette incapacité à rester raisonnable devant l’adversité, cette tendance à blâmer le ciel ou les autres lors de coups durs, que bien des fermiers partageaient. Bien sûr, la précarité les guettait. Ils avaient des familles à nourrir.
Comme moi, songea la jeune femme.
Finalement, à bien y réfléchir, si le contact des bêtes lui avait manqué, le contact des hommes…
Elle frémit, chassa ses pensées, et en revint à son mouton solitaire.

Lequel se portait comme un charme. Sans doute ne comprenait-il pas bien pourquoi on l'avait arraché à son pré pour le mener ici, et pourquoi des humains s'acharnaient à le surveiller alors qu'il était dans un enclos. Mais il avait pris son parti de la situation et, après avoir brouté tout son soul, il s'était décidé à faire une petite sieste.
L'après-midi sécoula paisiblement. Parfois, Gérold faisait une apparition pour s'enquérir de l'animal et donner des nouvelles de la foire. Même s'il n'y avait pas grand chose à en dire : aucun cas nouveau n'était à signaler nulle part.
A l'approche du soir, Valaellyn revint. Elle avait l'air passablement fatiguée et s'assit non loin de l'animal.
-C'est à mon tour de monter la garde, dit-elle. Vous pouvez recommencer vos inspection, même si je commence à me demander si cela sert à quelque chose. Rien, nulle part. Ni dans la partie du foirail mise en quarantaine, ni ailleurs.

« Je pense que nous devons attendre une nuit supplémentaire. Au delà… au delà, cela signifie que les animaux qui sont morts étaient infectés, empoisonnés, maudits, que sais-je, avant leur arrivée. Et nous ne serons pas plus avancés. »
Elle s’étira.
« Ce… cette chose peut rester sous incubation des mois… des années, même. Je ne vois pas ce que nous pouvons faire de plus, sinon retourner à la source : interroger les fermiers sur leurs derniers mouvements, sur des choses particulières dans leurs villages… Aller jusqu’à ces villages… Je ne sais vraiment pas. »

-Je ne sais pas non plus, répondit la prêtresse. Des épidémies classiques, j'en ai eu mon lot, et Gérold comme moi-même sommes assez rodés. On identifie le mal, on prend les mesures qui s'imposent, aussi rudes soient-elles. Ici, nous ne savons absolument rien... C'est cette incertitude qui est la plus pénible. Nous pouvons faire des erreurs sans même nous en rendre compte, ou faire une montagne d'un incident sans gravité... Bref, vous avez raison, attendons demain soir, nous verrons si nous avons de nouveaux éléments.
Il n'y en eut pas. Galathée passa toute la nuit à errer parmi les stalles et les enclos, examinant tous les animaux sans rien déceler de particulier. Lorsque le ciel nocturne vira au gris, Gérold lui conseilla de retourner au sanctuaire pour s'y reposer, ce qu'elle fit. Et, à son retour sur le foirail, en milieu de matinée, il n'y avait toujours rien. Rien de rien. Jusqu'au mouton qui était toujours aussi fringant.
S'ensuivit une nouvelle journée d'attente, de veille et de recherches infructueuses. A l'approche du soir, cependant, alors que Galathée finissait son tour de garde auprès du mouton, elle vit arriver Gérold, Valaellyn ainsi qu'un homme qu'elle n'avait qu'entraperçu jusqu'ici : d'âge mûr et de taille moyenne, sa chevelure brune se raréfiant sur le sommet de son crâne buriné par le soleil, il se présenta comme étant le bourgmestre de Hautépine.
-Nous sommes arrivés au terme officiel de la foire, dit-il. Et je doute que nous puissions retenir les éleveurs encore longtemps. Les morts étranges les ont inquiétés mais comme rien ne se passe, ils veulent partir, et nous somems à court d'arguments pour les en dissuader. Il faut donc que nous décidions de ce que nous allons faire : demander un ultime délai, ou bien laisser aller...

" Vous savez ce que j'en pense. Nous avons mille bêtes sur le foirail, il y en a des milliers et des milliers encore aux alentours. Je serais pour un abattage massif. Mais puisqu'ils n'en voudront pas... C'est votre décision. C'est votre communauté, votre foirail. Je m'abstiens. Un jour ne servira à rien. Il en faudrait au moins dix. Le temps que nous rallions une ville décente, avec des experts compétents à consulter, une bonne bibliothèque..."

Les deux clercs et le bourgmestre s'entreregardèrent.
-L'abattage massif serait la solution la plus... prudente. Et la plus radicale, fit Gérold. Mais vous avez raison de penser que personne n'en voudra. Si nous avions affaire à une épidémie comme on en a déjà eu, les éleveurs seraient bien obligés de coopérer... Mais là, ils refuseront tout net. Quant à prolonger la quarantaine de dix jours...
-Comment ?fit le bourgmestre. On n'a pas de quoi nourrir tant de monde et tant de bêtes sur une aussi longue durée. Et comment convaincre les éleveurs de rester ?
-Et quand bien même nous y arriverions, fit Valaellyn. Ce n'est pas dix jours qu'il nous faudrait pour trouver un ouvrage ou un expert susceptibles d'éclaircir cette énigme. Ni Gérold ni moi n'avons la prétention de tout connaître, mais nous avons quand même quelques décennies d'expériences. La réponse existe sans doute, mais la trouver prendrait des semaines...
Nouveaux échanges de regards.
-Le mouton que nous avons exposé est toujours valide,finit par dire Gérold.Les bêtes malades ont donc été contaminées chez elles. Quant à la durée d'incubation... Nous garderons l'animal sous surveillance. Avec la dispersion du cheptel, cela ne servira pas à grand chose, sinon à diffuser l'ordre d'abattage massif. Renvoyons les éleveurs, puisque nous n'avons guère d'autre choix. Mais prévenons-les de ce qu'il risque d'advenir.
Les autres acquiescèrent sans grand enthousiasme.

Galathée soupira et lorgna le ciel dégagé.
« Si vous voulez, je peux monter jusqu’à ce village de Roseraies pour voir si j’y trouve quelque chose. »
L’idée de postposer son retour à la clairière ne l’enchantait guère, mais s’il restait quelque chose à tenter… En même temps, une fois les bêtes disséminées, il serait trop tard. A moins de trouver un remède miracle, c’était la région entière qui se viderait de son cheptel. Il restait donc à espérer que le germe responsable parade avec de grands drapeaux dans les rues du hameau. Cette image lui arracha un sourire, mais elle se rembrunit bien vite.
« Je ne sais pas si ce sera utile, mais au point où nous en sommes… »

-Cela vous f'rait une bonne trotte... fit le bourgmestre.
-Mais pas forcément inutile, répartir Valaellyn. Peut-être d'autres cas se sont-ils déclenchés là bas. Et, de plus, les autres bêtes malades étaient originaires de communautés voisines. Ce ne serait pas un bien long crochet pour vous y rendre, si Rosières ne vous révèle rien.
Gérold se lissa la barbe.
-Oui, ce pourrait être le mieux à faire... Cependant, cela dépasse de loin les engagements que vous avez pris à notre égard, Galathée. Comme vous l'avez dit vous-même, ceci nous concerne. Vous n'êtes donc pas obligée de faire cela pour nous. Réfléchissez bien, alors, avant de vous décider. Ce n'est pas un si petit voyage.

« Une journée de cheval, ce n’est pas la mer à boire. Je vais envoyer ma chouette prévenir Taliesin et Victor. Ils comprendront. »
Elle sourit doucement.
« Vous allez avoir à faire ici. Je viens d’arriver mais je n’ai pas le souhait que le région devienne un champ de mort. Je partirai dès que j’ai rassemblé mes affaires. Est-ce que quelqu’un dispose d’un semblant de carte de la région ? »

Le bourgmestre se gratta la tête.
-Hum... On doit avoir ça... Une vieille carte du cadastre, peut-être ben... Je vais vous chercher ça...
Il tourna les talons et s'en fut à grandes enjambées, tandis que Gérold et Valaellyn échangeaient un regard.
-Nous vous rassembler quelques provisions pour la route, fit le prêtre. Vous ne trouverez pas d'auberge sur votre chemin. La première est à Montcerf, mais c'est au-delà de Rosières...
Le vieil homme fit signe à Galathée de le suivre et l'entraîna vers le village, tandis que Valaellyn demeurait près du mouton pour poursuivre la garde.

De retour au sanctuaire, Galathée prit quelques minutes pour réfléchir aux mots furtifs que Plume pourrait transporter jusqu’à la chaumière où devaient déjà reposer l’elfe et l’enfant. Elle savait qu’ils n’apprécieraient guère qu’elle s’éloigne pour plus longtemps que prévu, mais elle avait le sentiment que la situation l’exigeait et elle voulait qu’ils comprennent qu’elle ferait au mieux, au plus vite, mais qu’elle n’avait pas réellement le choix, quoi qu’en dise Gérold.
Elle imaginait sans peine la mine déconfite de Victor et ses remarques acerbes, enfantines, sa déception un peu théâtrale. Et Taliesin, bien évidemment, prendrait la chose avec philosophie, aurait un geste contenu, une parole apaisante. Sans doute ressentirait-il un peu d’angoisse. Mais elle avait une parfaite confiance en eux, elle sentait qu’ils ne pourraient que profiter de ce temps en tête à tête, à tisser une relation qui pourrait durer des années…
La jeune femme n’avait pas le temps de penser à ce qu’elle ressentait réellement. Tout son esprit restait tendu dans l’urgence et la nécessité. Elle confia donc à la chouette un parchemin bref mais explicite, puis plia bagage et rejoignit le vieux clerc dans la cour champêtre. Il faisait déjà nuit, et elle le remercia rapidement avant de se mettre en selle et d’envoyer Tempérance sur le chemin.
Alors qu’elle s’éloignait, sur une bête potentiellement contaminée, elle aussi, elle observa le foirail qui se démontait, se dépeuplait, s’éparpillait dans les collines. Elle eut envie de maudire ces fermiers stupides qui étaient incapables de penser plus loin que leur profit immédiat. Leur départ était une catastrophe.
Mais elle se retint. A quoi bon. Les dés étaient jetés. Elle devait aller chercher une confirmation que la maladie n’en était pas une, n’était pas contagieuse, n’était que le résultat d’un feuillage mal digéré. L’inverse signerait immanquablement une période difficile pour la région.

Le village ne tarda guère à disparaître derrière Galathée. De-ci, de-là, au bord de la route, elle voyait des fermes par les fenêtres desquelles tombait parfois la lueur tremblotante de quelque chandelles. Mais bientôt, même ces fermes disparurent, et la jeune femme se retrouva en pleine campagne.
La route n'en était pas pour autant difficile à suivre. Le ciel était dégagé : les nuages s'en étaient allés vers l'ouest, et un croissant de lune s'alliait aux étoiles pour nimber monts et vaux d'une douce lumière argentée. Parfois, la rôdeuse traversait un bois épais, et la lumière devenait alors si chiche qu'on n'y voyait pas à quelques toises devant soi. Mais la route était bonne, et le pied de la jument sûre, et pas une fois elle ne trébucha.
Il en alla ainsi toute la nuit. Si Galathée ne croisa âme qui vive, elle rencontra moult embranchements. Ceux-ci, toutefois, ouvraient sur des chemins étroites, des sentes presque invisible. Et la carte remise par le bourgmestre était claire : suivre la grand route sans s'en écarter. Toujours plus au nord.
Le premier village - guère plus qu'un hameau -, elle le traversa alors que l'aube rosissait le ciel, à l'orient. Quant aux Rosières, c'est seulement vers les dix heures qu'elle les atteignit. Il s'agissait d'un infime regroupement de masures basses serrées autour d'une placette et du puits de pierre qui y trônait. Au delà des bâtisses s'étendaient quelques prés, quelques champs. De loin en loin, on voyait quelques clôtures. Et encore plus rarement, une vache ou un petit groupe de moutons. Quant au rues du hameau, elles étaient pour le moins désertes.

Galathée mit pied à terre dans la bourgade déserte et prenant sa jument par les rênes, elle se mit en quête d’un être vivant, de préférence doué de raison. Elle finit par choisir une masure au hasard et frappa doucement à la porte.
La plupart des habitants de Rosières devaient être aux champs. Le poids du soleil avait certainement précipité les moissons.

La jeune femme entendit un infime bruissement à l'intérieur de la maison. Puis se fut à nouveau le silence. Elle s'apprêtait à frapper à nouveau à l'huis lorsque retentit le bruit de vérous que l'on tournait, et la porte s'entrebailla légèrement, lui laissant entrevoir le visage ridé d'une vieille femme. Celle-ci la dévisagea de la tête aux pieds, l'air soupçonneux, avant de lâcher d'un ton rude.
-C'est pour qoui ?

Galathée se composa une mine avenante et sourit.
« Bonjour madame. Pardonnez-moi de vous déranger. Je viens du foirail de Hautépine, et je cherche à retrouver une dame qui s’y est rendue avec son fils et une vache. Elle doit être rentrée il y a peu. Pouvez-vous me renseigner ? »

La vieille femme grimaça.
-Non, j'peux pas.
Et de claquer aussitôt la porte au nez de la rôdeuse.
-De toute façon, elle aurait rien pour payer l'amende, lança-t-elle derrière le battant tandis qu'elle refermait les verrous. Alors allez faire votre boulot de charognard ailleurs !

C’est bien parti, songea Galathée.
« Je ne veux rien lui faire payer, je veux juste… essayer de comprendre ce qui s’est passé. » lança la jeune femme à travers la porte. « S’il vous plait, c’est important. Toutes les bêtes du village pourraient périr si nous n’agissons pas rapidement. »

-La plupart des nôt' sont d'jà mortes, cracha la vieillarde derrière son battant clos. Alors ce s'rait que justice qu'vos richards d'éleveurs en pâtissent aussi un peu. Vous me ferez pas pleurer sur leur sort. Pas question qu'on leur paye quoi que ce soit.
Il y eut un nouveau silence, puis elle ajouta.
-Et si vous voulez pas des ennuis, j'vous conseille de rentrer par chez vous. Les hommes vont pas tarder à rentrer des champs, et j'crois que leurs fourchez les y démangent d'jà pas mal. Ce s'rait bête qu'ils s'passent les nerfs sur vous.

Galathée soupira.
« Mais il vous en reste, des animaux. Vous ne voulez pas essayer de faire quelque chose ? Pour vous ? Votre communauté ? Je vous répète que je ne vous demande rien. Juste des informations. Il ne s’agit pas de sauver le bétail des riches, il s’agit de sauver toute la région de la ruine. »

La Couronne de Cuivre

[Quête] Par monts et par vaux

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