[Lieu] Aubépine

[Kasumi]

Voilà qui ne faisait qu'accroître la confusion du demi-elfe et ajouter quelques nouvelles interrogations sans réponses. Complètement désorienté, Kasumi se demandait à présent s'il n'était pas en plein songe et il avait bien du mal à mettre de l'ordre dans ses pensées. Il tenta de fouiller dans sa mémoire pour tenter de déterminer à quoi il avait affaire mais il ne se risqua pas à le lui demander directement à la créature au risque de la vexer. Au lieu de ça, il préféra tenter de rembobiner le fil des événements :

- Que s'est-il passé ? Depuis que je suis tombé inconscient. Pourquoi dis-tu que nous ne craignons plus les morts-vivants ? Quelque-chose les a chassé ?

[Voyageuse]

" Et bien... Comment expliquer ?... Et pourquoi expliquer, d'ailleurs?... As-tu vraiment besoin de savoir ? Hum... "
La petite créature sauta, d'un bond spectaculaire, sur l'une des branches du chêne qui surplombait Kasumi. Elle avait de longs cheveux verts, un visage pâle, et une tunique bleue azur tombait sur ses jambes brunes et velues. Sans doute était-ce une sorte de petite fée, un esprit follet quelconque.
Autour de la clairière, Kasumi découvrait des buis presque semblables à ceux qui entouraient autrefois la source, avant l'incendie. Mais ceux-ci étaient bien plus fournis que dans son souvenir, et parsemés de quelques buissons d'aubépine en fleur.
" Les morts-vivants sont dans le monde duquel tu viens. Celui-ci leur est inaccessible. Peut-être sont-ils toujours là où tu les as laissés, c'est même probable, mais ils ne te rejoindront pas là, tu n'as rien à craindre ! Il y a avait ta main dans la source, comme un appel à l'aide, alors Edhel'sha et Ôgetëlfii t'ont tiré jusqu'ici et t'ont soigné. Enfin, je crois. Moi... hum... j'ai préféré ne pas voir, je suis revenu après."

[Kasumi]

Kasumi peinait à se concentrer et les paroles de l'étrange petit être à faire sens. Il n'était pas dans son monde ? Mais pourtant il était encore vivant... Par quel prodige cela se pouvait-il ? Une alarme s'alluma dans son esprit à ce que venait de dire la fée :

- Il faut que j'y retourne ! Le chêne, la source que je gardais. Ils sont sans défense !

Et de tenter, sans succès aucun, de se redresser sur son séant.

[Voyageuse]

Tout se mit à tourner, et il manqua perdre conscience.
" Ah mais t'écoute jamais ce qu'on te dit ? Tu dois rester tranquille !"
La petite créature semblait presque en colère. Presque. En réalité, c'était difficile à dire : son visage semblait constamment souriant.
" La source ne risque rien, regarde, elle est là. Le chêne... Le nôtre va bien, comme tu le vois. Dans ton monde, je ne sais pas... Sain ou non, tout dépend du moment."
Portant machinalement le regard vers la source que l'esprit follet désignait, Kasumi vit apparaître trois silhouettes surgissant d'un creux entre les racines de l'immense sorbier qui la dominait. Il reconnut cette fois-ci les créatures en question : des dryades.
" Tu es réveillé... constata la première d'une voix douce.
- Mais encore faible.
- Tu devrais dormir..."

[Kasumi]

Kasumi ne put détacher les yeux des dryades, des créatures à la fois envoûtantes et sacrées pour sa déesse et tout ce qu'elle représentait. Elles étaient indéniablement attachées aux chênes avec lesquelles elles vivaient en symbiose. Elles pourraient comprendre ses inquiétudes et il essaya à nouveau de focaliser ses sens défaillants pour répondre :

- J'ai tenté de le défendre. Mais il est encore si jeune. Si vulnérable. Je ne veux pas avoir fait tout ça en vain.

Malheureusement, il était bien trop faible pour ne serait-ce que penser à essayer à nouveau de se lever mais comment dormir tout en sachant que des créatures impies étaient libres de tout détruire dans son monde. Qu'elles allaient empêcher la clairière qu'il connaissait de devenir aussi magnifique que ce havre de paix.

[Voyageuse]

" De quoi parle-t-il ?
- Peut-être du chêne qu'il protégeait dans son monde...
- Ah, je vois..."
Les trois dryades échangèrent un sourire. L'une d'elle s'approcha de lui, d'une démarche souple. Un jeune merle, niché dans sa chevelure d'un vert sombre, s'envola pour venir se percher sur le bras de Kasumi. Son visage merveilleux avait une jeunesse éternelle, mais son instinct lui disait qu'elle était en réalité très âgée.
" Pourquoi t'inquiètes-tu de ce chêne, demi-elfe ? Ceux de ton monde ne s'en soucient généralement guère..."

[Kasumi]

Le rôdeur redressa lentement la tête pour pouvoir regarder en face la dryade qui lui parlait. Il déglutit pour se rafraîchir la gorge avant de lui répondre d'un ton faible :

- Certains s'en soucient. A commencer par ceux qui ont embrassé la voie de la nature en devenant druide ou rôdeur comme moi. Et je me soucie particulièrement de ce chêne car je l'ai vu grandir. Et que c'était la mission que m'a confié Celd le sylvanien. Et ma déesse.

Il fut pris d'une quinte de toux avant de pouvoir reprendre :

- Ce chêne est un espoir de renaissance pour le bosquet qui se trouvait dans mon monde.

[Voyageuse]

" Si c'est ce qui t'inquiète, tranquillise-toi. Tu as protégé le chêne jusqu'à la mi-nuit du solstice, tout ce temps où il était aussi vulnérable qu'un arbre ordinaire. Il s'est éveillé désormais."
L'une des deux autres dryades s'approcha à son tour. Elle tenait une petite tasse de bois dans laquelle se trouvait de l'eau claire, qu'elle tendit à Kasumi. Celui-ci, en buvant, eut la sensation que la Vie se répandait dans tout son être, comme une force brute qui redonnait vie et force à son corps. ce n'était pourtant que de l'eau...
" L'une de nos soeurs pourra y naître, compléta-t-elle avec un sourire
- Et c'est grâce à ta vigilance. Sois-en remercié."

[Kasumi]

L'eau était définitivement la meilleure qui lui était donné de boire. D'autant plus qu'il avait été assoiffé. Mais c'est avant tout pour ses paroles rassurantes que Kasumi eut envie de remercier la dryade. Son regard reprit vie sous l'effet de l'eau bienfaisante et de cette excellente nouvelle :

- La naissance de l'une de vos sœurs serait le plus beau des remerciements !

[Voyageuse]

La dryade sourit, puis son regard se fit plus grave.
" La forêt autour de ce bosquet que vous voulez voir renaître est sombre. Dangereuse, emplie de noirceur. Certes, cela rend d'autant plus important d'y maintenir un havre. Mais... Je suis inquiète. Même si le chêne est mature, notre sœur ne saurait survivre sans protection. Elle sera vulnérable, au moins les premiers temps.
- La magie d'une jeune dryade n'est pas très puissante...
- Et le chêne encore bien jeune, lui aussi. Il demeure vulnérable.
- Il le sera toujours. Il gagnera en puissance, mais ce serait orgueil de le croire invulnérable. Tout être vivant est mortel..."
Elle soupira, et plongea son regard violet dans les yeux de Kasumi, comme si elle cherchait à le sonder.
" Qui veille sur ce bosquet ? Vous ? Êtes-vous un servant de Mielikki ?"

[Kasumi]

Kasumi s'en doutait : sa tâche était loin d'être terminée. Mais pour qui avait cru, quelques minutes plus tôt, avoir échoué, cela semblait facile à accepter. A aucun moment, il n'avait pensé que passer cette nuit suffirait à lui retirer toutes ses obligations envers le bosquet. Certes, il avait d'autres projets pour le début de l'automne mais veiller sur la clairière serait tout de même un honneur.

- Oui, c'est moi qui veille depuis quelques semaines. J'ai bénéficié de l'aide d'un sylvanien puis d'un druide mais je suis seul à veiller depuis quelques jours. Et oui, je suis un fidèle de la dame de l'automne.

[Voyageuse]

La dryade acquiesça, songeuse.
" Veiller sur un bosquet et sa dryade requiert un dévouement sans faille. Et aussi... un lien particulier avec la Dame des Bois. C'est un peu... comme ce qui relie la feuille d'un chêne à ses racines. Ta déesse est la racine et toi la feuille. Tu reçois sa puissance comme la feuille reçoit l'eau et les nutriments puisés dans la terre, et tu la rend visible aux yeux de tous. Comme le font chacun des Quêteurs au service de Mielikki. "
Elle sourit.
" Pour être plus claire... Si tu veux pouvoir veiller sur le bosquet et la dryade qui y naîtra, il te faudra encore renforcer le lien que tu as avec Mielikki. Il faudra que tu choisisses d'être davantage qu'un fidèle. Que tu décides de vouer ta vie à la Dame. Je ne sais pas si tu y es prêt".

[Kasumi]

Les paroles de la dryade le laissèrent songeur et dubitatif mais il se risqua tout de même à répondre :

- Peut-être que j'ignore encore moi-même si j'en ai la carrure... Vous devez comprendre que je suis tout prêt à me vouer à la défense du bosquet car il représente un espoir pour la région où il se trouve. Mais je ne peux pas m'y consacrer exclusivement. J'ai aussi une famille sur laquelle je me dois de veiller. Cela dit, ma compagne partage ma foi et ma profession.

[Voyageuse]

" Se vouer à un dieu, quel qu'il soit, est un sacerdoce. C'est exigeant. Pour autant, les divinités n'empêchent jamais leurs suivants de vivre leur vie, pour peu qu'ils ne se détournent pas des préceptes de leur foi. Il y a toutefois... une question de sens de priorités. Des obligations à respecter. C'est le prix à payer pour avoir l'immense honneur d'entrer en communion avec la puissance d'un Dieu. Mais je suis mal placée pour vous parler de cela. Ma vie n'a rien à voir avec celle d'un demi-elfe, et pour nous autres dryade, la question de choisir de se vouer à Mielikki ne se pose même pas. Je ne saurais vous conseiller..."
Elle sourit avec douceur.
" Mais vous avez encore un peu temps pour réfléchir. Quelques jours je pense. Quand notre soeur sortira pour la première fois du chêne, vous entendrez son appel, et il vous faudra décider à ce moment-là de la façon dont vous pouvez y répondre."

[Kasumi]

Il sourit à son tour : comment ne pas répondre ainsi à l'expression avenante de la créature sacrée ?

- Je vais mettre ce temps à profit pour réfléchir même si je sais déjà, au fond de moi, que je m'engagerai au maximum de ce que me permettent mes convictions et ma loyauté envers mon épouse et mon bébé à naître. Je sais que Mielikki encourage les siens à vivre en harmonie avec les autres et qu'elle permet à ses servants de fonder une famille.

[Voyageuse]

" Pour nous dryades, il est évident que la fidélité à Mielikki passe sans conteste avant tout le reste. Mais peut-être n'en est-il pas exactement de même pour toutes les races, peut-être y a-t-il plus de souplesse. Je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, quand vous sentirez l'appel de notre soeur, ne tardez pas à la rejoindre. Elle aura besoin de protection. Et en échange, elle vous donnera, si vous en acceptez la charge, le moyen de renforcer votre lien avec la Dame et de vous ouvrir à sa puissance."
La dryade recula de quelques pas. Ses compagnes s'étaient déjà éloignées, se dirigeant vers le rideau de buis qui entourait la clairière, peut-être pour rejoindre l'un des chênes multi-centenaires dont Kasumi voyait les frondaisons.
" Mais il est temps pour vous de vous reposer. Votre organisme en a besoin."

[Kasumi]

L’effet des paroles de la dryade fut quasiment magique. A moins qu’elle ait parfaitement anticipé les besoins du rôdeur. Car celui-ci s’endormit aussitôt, bercé par les sons et les senteurs délicieux qui baignaient cette magnifique clairière. Son esprit était maintenant en partie rassuré, il avait pu se désaltérer et reprendre quelques forces mais son corps avait besoin de rattraper le sommeil perdu et en profiter pour se réparer.

[Voyageuse]

Un souffle d'air frais et parfumé sur son visage le tira de sa torpeur. Il faisait nuit, mille étoiles brillaient dans le ciel. Il se sentait somnolent, vaseux, épuisé sans doute par ses blessures. Mais il avait la sensation qu'il n'était pas seul, sans pouvoir dire d'où lui venait cette sensation dans le calme de la nuit.
Tournant la tête, il crut apercevoir, un instant, une silhouette féminine aux cheveux roux, assise sur une margelle de pierre, à côté d'une source. Elle lui sourit sans un mot, puis se leva et s'approcha de ce qu'il prit d'abord pour un cheval. Il écarquilla les yeux en reconnaissant une licorne.
Un instant plus tard, elle prenait le galop et disparaissait à sa vue.

[Kasumi]

Etait-il encore en train de rêver ? Quelque-chose lui donnait l'intuition que non même si la scène qui s'était déroulée sous ses yeux paraissait fantasmagorique. Pouvait-il seulement se permettre de douter après avoir été propulsé dans ce monde qui n'était pas le sien ? Après s'être entretenu avec des dryades ! Non, ce qu'il vivait n'était pas un simple produit de ses songes et n'était pas imputable à son état. Il se sentait faible, alangui, mais pas fiévreux ni encore moins délirant.

Alors, prenant sur lui et procédant prudemment pour éviter tout risque de vertige, il entreprit de se redresser en position assise. Et si l'opération était concluante, il tenterait de rallier la source la plus proche et de s'y abreuver.

[Voyageuse]

" Hum... Je croyais qu'on t'avait dit de rester couché et de te reposer !" lança une voie railleuse.
La voix en question, qui ressemblait beaucoup à celle qui l'avait accueillie dans l'autre monde, avait certainement raison : tout se mettait à tourner dès qu'il tentait de se redresser. Il fut contraint de reposer sa tête sur le sol.
" Les demi-elfes, finalement, ils sont comme les humains. Il faut toujours qu'ils se croient plus fort qu'ils ne sont...
- Et qu'ils assouvissent leur curiosité !
- Finalement, ils sont comme des jeunes louveteaux qui veulent tout voir...
- Ou de jeunes lapins qui s'échappent du terrier...
- Ou de jeunes oisillons qui risquent de tomber du nid !
- Tu devrais dormir, jeune homme. Tu auras besoin de tes forces demain...", fit une voix douce et chantante qu'il reconnut : celle de l'une des dryades qu'il avait vu dans cet autre monde.
" Je suis sûre que c'est Uilosthir'driel qui l'a réveillé !
- Qu'est-ce qu'il a fait ?
- Il lui a pris ses bottes !
- Oh, ça va, je lui remets !
- Et plus vite voyons! On a bien autre chose à faire...", répondit la voix d'une autre des dryades.
Kasumi réalisa qu'effectivement, il avait particulièrement froid aux pieds. Une silhouette d'environ deux empans de haut passa dans son champ de vision, un esprit follet semblable à celui qu'il avait déjà aperçu, portant une tunique d'un rouge vif... et déplaçant une botte qu'il reconnut comme étant sienne, et qui ne tarderait pas à retrouver le chemin de son pied.
Derrière, il y avait d'autres silhouettes semblables, une demi-douzaine peut-être, en train de s'activer en tout sans sans qu'il parvienne à savoir ce qu'ils faisaient : une cueillette d'herbes, peut-être. Ou des plantations. Deux d'entre eux tenaient une cruche avec laquelle ils arrosaient le pied d'un chêne. De son chêne, il le devina sans même avoir besoin de le voir. Il aperçut aussi les deux dryades, l'une auprès de la source, l'autre en train d'arroser les buis.
Mais l'effort qu'il avait fait en tentant de s'asseoir lui avait tant tourné la tête que tout se brouillait devant ses yeux.

[Kasumi]

Malgré sa gêne et la nausée qui menaçait de l'envahir au moindre geste de la tête, Kasumi se plut à regarder les êtres sylvestres peuplant la clairière vaquer à leurs occupations. Pouvait-il espérer qu'un jour, celle de son monde jouisse d'une agitation similaire ?

Se sachant condamné à se reposer et observer de loin pour un temps, le rôdeur chercha des yeux l'éventuelle présence de brindilles ou de feuilles pouvant lui faire office d'oreiller. Ainsi il pourrait continuer à observer tout en se détendant la nuque. Mais si ce projet là aussi n'était pas réalisable, il se contenterait de fermer à nouveau les yeux et chercher à nouveau le sommeil, sans se soucier, pour une fois, du temps qui passait.

[Voyageuse]

Les êtres ne semblèrent guère se préoccuper de lui. Ils plantaient, arrosaient, taillaient, entretenaient, s'occupant tant des buis que du jeune chêne qui se trouvait derrière lui, celui sur lequel il avait tant veillé. Ils parlaient entre eux, plaisantant gaiement sur des choses qui lui étaient étrangères, dans une langue qu'étrangement, il comprenait... et que subitement il ne comprit plus. Les discussions n'avaient pas cessé, pourtant. Mais il s'aperçut qu'elles étaient en sylvestre, qu'il ne parlait pas.
" Tu as encore les yeux ouverts..., fit la voix d'une dryade, en commun cette fois-ci. Tu dois dormir..."
Et cette fois-ci, il n'eût pas d'autre choix que d'obtempérer. Une fine poussière argenté, comme soufflée par la brise, tomba sur son visage, et il s'endormit aussitôt.



Il se réveilla alors que le soleil était haut dans le ciel, le visage caressé par les rayons du soleil estival. Au-dessus de lui se trouvait le jeune chêne, qui lui paraissait avoir encore grandi de quelques mois en une seule nuit. Se redressant lentement, il aperçut la source, magnifique, son eau cristalline jaillissant entre les racines du sorbier. Juste à côté se trouvait un buisson aux fleurs blanches parfumées, qui lui fit écarquiller des yeux : il ne s'y trouvait pas auparavant. C'était un plant d'aubépine, vigoureux et touffu.
Mille et une fleurs avaient éclos dans la clairière, et, tout autour, le buis avait retrouvé toute sa vigueur. Il n'y avait plus la moindre trace de l'incendie qui avait dévasté les alentours...
Des souvenirs de ce qu'il avait vu lui revenaient, flous comme un rêve. Il se souvenait cependant qu'on lui proposait de devenir un Quêteur de Mielikki.

[Kasumi]

Kasumi se sentait encore plus désorienté que lors de son réveil précédent. Alors, tout était plus clair dans son esprit : il était dans un autre monde et tout ce qu'il voyait et entendait lui appartenait. Mais maintenant ? Il était de retour chez lui, il en avait la conviction. Mais bien des choses étaient différentes. A tel point qu'il ne les reconnaissait plus.

Ces changements auraient dû prendre bien plus d'une nuit et il ne pouvait que se demander, plongé dans la plus grande confusion, s'il ne s'était pas écoulé bien plus longtemps. Alors, pour reprendre pied dans cette réalité et surtout pour en appréhender les merveilles qui s'offraient à ses sens, il se redressa tout à fait et chercha à se tourner vers son arbre. Pour adresser une prière de remerciement à sa déesse : car c'est grâce à ses miracles qu'il avait survécu à la nuit. Cela au moins était certain et c'était un point de départ comme un autre auquel s'accrocher.

[Voyageuse]

Son chêne se balançait doucement sous la brise, et il eût la sensation étrange, et certainement fausse, que l'arbre entendait sa prière, vibrant à son rythme, la relayant peut-être auprès de sa déesse. Il n'eût aucune peine à se plonger dans un état de méditation profond, et, comme chaque fois qu'il priait ici, il se sentit écouté, accueilli, entendu, comme si Mielikki était toute proche et l'accueillait auprès d'elle dans son immense bonté. Elle était à proximité, il savait qu'elle le voyait et l'entendait, mais il avait la sensation d'être lui-même sourd et aveugle, incapable de percevoir sa réponse. Il y avait quelque chose à creuser dans cette histoire de lien dont parlait la vieille dryade.
Il émergea une heure ou deux plus tard, à en juger par la course du soleil. Tout était parfaitement paisible aux alentours. Il n'y avait pas la moindre trace du combat qui s'était déroulé la nuit précédente -ou peut-être était-ce il y a plus longtemps que cela, il n'aurait su le dire. Il n'avait en tout cas plus aucune trace de blessure, même s'il se sentait encore un peu faible. Faiblesse qui pouvait aussi s'expliquer par la faim qui lui tenaillait l'estomac et dont il prit soudain conscience.

[Kasumi]

La faim était en elle-même un bon signe de rétablissement : si son corps réclamait des vivres, c’est qu’il s’était remis à fonctionner et sa guérison avait dû consommer beaucoup de son énergie. Il se mit aussitôt en quête de son sac de provision pour se restaurer. En outre, l’état de ses vivres le renseignerait certainement sur le temps qui s’était écoulé. Ensuite, sa prochaine priorité serait de chercher à entrer en contact avec Sylvia pour la rassurer au cas où il ait été absent plus d’une nuit.

[Voyageuse]

Il découvrit sa réserve moins fournie qu'il ne l'escomptait : apparemment, quelques rongeurs avaient réussi à se servir. Le pain avait quasiment disparu, mais il lui semblait trop sec, les légumes un peu plus flétris, la viande restant de la carcasse du chevreuil avait peut-être davantage ranci qu'elle n'aurait dû. Tout indiquait qu'il s'était peut-être écoulé un peu plus qu'une nuit. Peut-être un jour ou deux. Guère plus, cependant.
Il en eût la confirmation en entendant le cri perçant d'un rapace qui fondit sur lui. Le faucon avait un court message attaché à sa patte :

" Vif-Argent dit que tu dors... Donne-moi des nouvelles quand tu seras réveillé, je suis inquiète..."

[Kasumi]

Kasumi fut immédiatement rasséréné par l'arrivée du faucon et il lut fébrilement le message de sa compagne. Il ne réalisait pas vraiment ce qui s'était déroulé dans ce laps de temps d'absence : était-il resté inconscient dans la clairière ou avait-il été entièrement transporté ailleurs sans laisser de trace. Sylvia devait vraiment se ronger les sangs et il en était désolé. Il entreprit donc aussitôt d'écrire un court message en retour :

- Ma Sylvia, j'ai eu affaire à très forte partie le soir du solstice. J'ai été blessé mais des dryades m'ont soigné. Sois rassurée : je suis de retour et je vais bien maintenant !

Il était conscient de passer sous silence une grande partie du récit des événements mais il ne pouvait pas vraiment s'appesantir avec ce moyen de communication et il y avait pas mal de zones d'ombre dans sa mémoire récente.

[Voyageuse]

Le faucon s'envola aussitôt, chargé de la missive, et Kasumi se retrouva seul dans la clairière. Quelque chose avait changé dans l'atmosphère des lieux. Certes, il y avait toute la vigueur de la nature alentours : toute trace de l'incendie avait disparu aux alentours, le chêne semblait plus grand, les buis qui entouraient la clairière étaient plus fournis, les fleurs omniprésentes. Il y avait aussi les oiseaux, bien plus nombreux, et Kasumi devinait de petits animaux cachés sous les racines. mais il y avait aussi un je-ne-sais-quoi qui émanait des lieux. Kasumi avait presque la sensation que la clairière était devenue une sorte de petite chapelle, avec ses murs de buis, son chêne en guise d'autel peut-être, sa source claire et lumineuse. Tout la noirceur de la forêt maudite semblait complètement repoussée, et la sensation perdurait même lorsqu'il franchissait le mur de buis pour s'enfoncer un peu dans les bois.

[Kasumi]

Le rôdeur sentait que sa vigueur se régénérait de minute en minute dans cet environnement qui lui était favorable et il ne résista pas bien longtemps à l'envie d'une simple promenade, sans but particulier : il n'avait pas vraiment besoin de reconstituer immédiatement ses stocks et bien plus de reprendre pied dans la réalité et ce nouveau contexte qu'il appréhendait à peine.

Il laissa ses pensées vagabonder, imaginant un nouveau système de défense efficace pour empêcher les morts-vivants d'atteindre le sanctuaire. Ce serait bien plus aisé à présent que les buis le protégeaient sur la plupart du périmètre. Il songea aussi au plaisir qu'il aurait de partager cet endroit avec Sylvia, Première Neige et même Mylène. Il espérait aussi le retour prochain du sylvanien pour oser quitter sa surveillance plus de quelques heures afin de regagner le village. Mais avant toute chose, il était impatient de savoir ce qui se produirait dans les heures à venir : une dryade allait-elle vraiment faire honneur à son chêne ?

[Voyageuse]

Il put se promener paisiblement, savourant le nouvel équilibre de la nature dans cette partie des bois. L'endroit semblait désormais une forêt comme les autres, qui n'avait plus rien de maudit, au moins dans les environs. Il fit fuir un petit groupe de chevreuils, surprit une famille d'écureuils chapardant des noisettes, entendit des milliers de pépiements d'oiseaux. Tout ce petit monde semblait en harmonie parfaite.
La faim se fit assez rapidement sentir : il n'avait pas mangé grand-chose, finalement, ses provisions étant trop peu abondantes. Il lui faudrait songer sérieusement à du ravitaillement. Peut-être en chassant, cueillant, pêchant ; ou peut-être en rentrant. La seconde solution lui faisait cependant courir le risque de manquer l'apparition tant espérée de la dryade. Il n'avait hélas guère d'information sur le moment où elle pourrait apparaître, et il ne pouvait pas passer tout son temps à guetter au pied du chêne.