La Couronne de Cuivre

- Bien sûr ! Elle t'aurait réclamé le droit de t'accompagner ! Elle rêve d'aventure, elle veut faire ses preuves.... Donc elle aurait exigé de participer à l'expédition.
Sylvia sourit.
- Et tu aurais été obligé d'accepter... Donc tu aurais été obligé de ne pas la quitter des yeux, et ça aurait été dramatique pour moi ! On 'aurait pas eu le moindre instant de tête à tête... Brrr... On l'a échappé belle !
Elle déposa un léger baiser sur sa bouche.
- Allez, viens donc dormir, demi-elfe de mon coeur. On a une rude journée qui nous attend demain.

Un nouveau sourire s'épanouit sur le visage du rôdeur tout en suivant sa compagne sous les couvertures. Aucun d'entre eux ne fit remarquer à l'autre qu'il n'avait pas pris la peine d'enfiler le moindre vêtement mais le demi-elfe était ravi de cette complicité naissante dans l'intimité. Il la laissa s'installer tranquillement, poussant un soupir d'aise quand elle se lova contre son épaule. Il garda néanmoins les yeux ouverts quelques instants pour répondre d'un ton ensommeillé :

- Bonne nuit, belle rousse de mon cœur. Il n'y a que toi que j'ai envie d'emmener à l'aventure. Mais j'espère quand même que nos prochains voyages seront moins mouvementés. Enfin, pas pour ce qui concerne nos têtes à têtes bien sûr !

Tilmandil vint réveiller Kasumi deux bonnes heures avant l'aube. Il ne semblait pas franchement dans son assiette en revenant avec lui près du feu. L'ettercap avait les yeux ouverts, des yeux vaguement rougeâtre qui scrutaient l'obscurité alentours, comme s'il espérait qu'on lui vienne en aide. Ou alors, peut-être guettait-il une occasion de s'échapper. Kasumi nota que le barde évitait soigneusement de trop regarder vers la créature.
- Je n'ai pas veillé très longtemps... Eärundra m'a passé le relais plus tard que prévu, je crois qu'elle préférait veiller elle-même le plus longtemps possible. Et comme je ne suis pas très à mon aise pour surveiller un prisonnier et guetter les bruits alentours, je... je te réveille un peu en avance. Avec sa manie de surveiller ce qui se passe dans les bois, je sursautais au moindre bruit. J'ai trop peur de ne pas réussir à anticiper un danger. Ou, au contraire, de paniquer pour rien. Tu sauras mieux faire...

Kasumi posa une main sur l'épaule du barde et lui dédia un sourire tranquille.

- Tu as bien fait : présumer de ses forces ne sert à rien. Mais je pressens qu'il y a autre chose. Pardonne-moi si je te parait trop direct mais est-ce que tu es mal à l'aise parce qu'il s'agit d'araignées ? Je peux reconnaître que ce n'est pas très ragoutant, voire franchement écœurant...

Tilmandil hocha la tête d'un air sombre.
- Je déteste les araignées... C'est trop... beurk. Même les normales, je veux dire. Trop de pattes qui courent beaucoup trop vite pour que je puisse les écraser. Et puis il y en a des venimeuses en plus. Alors, là, avoir affaire à des énormes monstres à huit pattes... Brrr... je crois que je m'évanouirai de trouille. Je ne vais vous servir à rien là-bas...
Il poussa un profond soupir.

Kasumi esquissa l'ombre d'une grimace même s'il avait anticipé cette réponse : l'arachnophobie était une peur très répandue et les signes de la journée ne l'avaient pas trompé au sujet de Tilmandil. Cependant, le barde avait courageusement pris sur lui jusque là et il serait bon de le lui faire remarquer, pour qu'il accepte de venir peut-être. Ou plus probablement qu'il reste à l'écart sans en ressentir de culpabilité. Il répliqua d'un ton qui se voulait compréhensif :

- Tu sais, je pense que Léo ne pourra pas nous suivre dans le nid alors avoir quelqu'un pour veiller sur lui ne serait pas forcément une mauvaise idée...

Il grimaça à nouveau, prenant conscience que cette approche manquait cruellement de crédibilité. IL reprit d'un ton plus posé :

- Tu pourrais rester dehors et nous avertir si un ennemi approche dans notre dos... Mais si tu tiens à nous accompagner, dis-toi que Sylvia et moi tuerons toutes ces horreurs avant qu'elles n'arrivent jusqu'à toi. Et ça te ferait une superbe aventure à raconter pour faire frémir ces dames elfes si raffinées de la cour ! Une de plus qui mette en valeur le courage et l'abnégation de leur beau Tilmandil !

Il hésita, baissa la tête, et finit par avouer, d'une voix sourde :
- Je crois... que je préfèrerai monter la garde dehors, si ça ne gêne pas.
Il redressa légèrement la tête et coula vers le rôdeur un regard timide.
- Je pourrai vous aider un peu, cela dit, même sans pénétrer dans leur repaire. Je peux rendre l'un d'entre vous invisible, ou même... je devrais pouvoir transformer l'un de vous en ettercap... Ou même deux. J'ai aussi des sorts qui peuvent permettre qu'ils aient du mal à vous viser... ou des sorts que je peux lancer à distance, si j'ose m'approcher assez, pour qu'ils paniquent... mais ça je ne sais pas si j'y arriverai.

Kasumi hocha la tête gravement en entendant la réponse de son demi-frère puis, sans prévenir et agissant d'instinct, il s'approcha de lui pour lui dispenser une accolade brève mais franche et ensuite répondre d'un ton amical :

- Cette aide nous sera très précieuse. Encore une fois, présumer de ses forces ne sert à rien et tu nous seras bien plus utile si tu te sens à l'aise que si tu dois faire face à tes peurs. Tu crois que je ferais un ettercap beau et ténébreux ? Ou qu'il vaut mieux me rendre tout simplement invisible ?

Le barde lui jeta un regard faussement critique, paraissant évaluer sa corpulence.
- C'est toi et Sylvia qui faites les meilleurs candidats au déguisement en ettercap, à mon avis. Vous en êtes les plus proches, morphologiquement parlant... sans vouloir te vexer ! Donc c'est plutôt Eärundra que je rendrai invisible, je pense, si elle n'y voit pas d'objection. A moins qu'elle n'ait sa propre idée de stratégie. Elle est tellement indépendante... Par contre, il va falloir que vous réussissiez à imiter leur démarche, leur façon de se tenir. Donc observez bien le prisonnier, demain matin...

Kasumi fit mine de s’offusquer avant d’adresser un large sourire à son demi-frère et de répondre d’un ton ingénu :

- Voyons Tilmandil ! L’examen de passage pour devenir rôdeur inclut une épreuve d’imitation de tous les animaux communs, araignées y compris. Je suis donc parfaitement au point. Et Sylvia sera ravie d’apprendre que tu la considères comme physiquement proche d’un ettercap. C’est presque un compliment pour une rôdeuse. Enfin, presque… Bon après, tu en assumeras les conséquences. Mais tu ferais mieux d’aller dormir un peu, tu auras la surprise de sa réaction au lever.

Tilmandil lui adressa sa plus belle grimace, et s'éloigna en direction de sa petite tente, évitant tout regard en direction de l'ettercap.
Le ciel se dégageait, petit ) petit, mais la clairière où ils campaient était minuscule et ne laissait voir qu'un petit bout de ciel étoilé. les bois alentours étaient sombres, très sombres, et Kasumi ressentait une sensation diffuse d'hostilité. Il eut même, une fois ou deux, l'impression d'être épié, mais rien ne bougeait, aucun bruit ne se faisait entendre : un simple effet de son imagination peut-être.
La seule bonne nouvelle de la nuit était que leurs collets avaient fonctionné : Kasumi y dénicha deux lièvres dodus à souhait, et un gros ragondin beaucoup moins appétissant.

Tant qu'il s'agissait de viande, le rôdeur doutait que Léo se montrerait difficile quant au menu qu'on lui proposerait, affamé comme il devait l'être. Et les deux lièvres leur permettraient de manger toute la journée sans puiser dans leurs maigres réserves et ainsi peut-être regagner le temps consacré à leur exploration du nid des ettercaps. Du moins il l'espérait. Qu'ils n'auraient pas à regretter cette décision. Qu'aucun d'entre eux ne serait blessé dans ce lieu bien plus dangereux et hostile que la forêt environnante et son aura diffuse de mal-être.

Le rôdeur attendait que Tilmandil émerge pour se mettre en tête de réveiller Sylvia et de ranger les tentes. Dans l'attente et pour ne pas perdre de temps sur son objectif de partir à l'aube, il préparerait le petit-déjeuner sur leurs réserves et mangerait seul en premier, si toutefois Eärundra ne se montrait pas d'ici là. Il n'osait toutefois pas trop relâcher son attention tant qu'il ne serait pas épaulé pour surveiller leur prisonnier.

Eärundra apparut aux premières lueurs de l'aube, se laissant souplement glisser d'un arbre en bordure de la clairière. Elle fit provision de mûres, abondantes sur les nombreuses ronces alentours, tandis que Kasumi préparait le petit déjeuner, presque aussitôt rejoint par Sylvia qui se glissa silencieusement derrière lui pour le surprendre en se pendant brusquement à son cou. Tilmandil fut le dernier à sortir de sa tente, et sourit en voyant les deux amoureux enlacés dans les premiers rayons du soleil levant.
- J'ai faim, fit le prisonnier d'une vois plaintive.
Il lorgnait les lièvres sanguinolents. Léo eut un grondement sourd.

Kasumi avait souri avant même de se retourner pour découvrir sa compagne qui l'avait enlacé avec une spontanéité et une complicité qui lui faisaient chaud au cœur. Il ignora les geignements du prisonnier, refusant d'assombrir son humeur pour le moment. Il se retourna pour faire face à sa compagne et passa une main dans ses cheveux puis lui dédia un sourire et parla d'un ton doux :

- Bonjour, je t'ai préparé des tartines, comme promis. J'espère qu'elles te plairont.

Il dévoila un bel assortiment joliment agencé sur une assiette en retirant le tissu qui la recouvrait jusque là.

Le visage de Sylvia s'illumina.
- Oh...! Moi qui croyais que tu aurais oublié... Merci ! Mais il y en a trop, jamais je ne pourrai tout avaler... il va falloir que tu en prennes la moitié ! Si, si, j'insiste !
Et le baiser qui accompagna la demande fut tel qu'il ne pouvait décemment refuser.
Un raclement de gorge leur rappela la présence de Tilmandil, qui s'assit en face d'eux et le plus loin possible de l'ettercap.
- Même le thé est prêt, à ce que je vois.
- Et les fruits... Et Léo a eu sa ration aussi, intervint Eärundra en les rejoignant à son tour. Parfait ! Tout en déjeunant, je propose que nous discutions un peu de la façon dont nous allons nous y prendre... J'ai déjà eu affaire à ce genre de créature. Elles vivent généralement dans des zones au climat plutôt chaud, et trouvent une grotte quelconque où s'installer, de préférence un réseau avec plusieurs pièces, l'une servant de réserve de nourriture. Il y a souvent des pièges aux alentours, des toiles, difficiles à détecter. Et des araignées qui montent la garde... Il y a rarement plus d'une demi-douzaine d'ettercaps, au total, dans le même nid. Et peut-être le double d'araignées...

Le demi-elfe avait été ravi par la réaction de sa compagne et, dans une moindre mesure, de la satisfaction des deux elfes pour l'avancée de leurs préparatifs. Voilà qui avait le mérite de redorer quelque peu son blason personnel pour l'aptitude aux corvées matinales. Cependant, la conversation tourna bien vite vers des sujets autrement plus cruciaux. il s'y fit un devoir d'y participer plutôt que de finir le rangement de leur campement. De toutes façons, il était bien obligé de manger certaines des tartines délaissées par Sylvia :

- Je propose de ne rien laisser ici en dehors de notre prisonnier. Pour le reste, Tilmandil me faisait des suggestions pour que nous passions relativement inaperçus, tous les trois. Il peut faire en sorte de nous faire ressembler à des ettercaps, Sylvia et moi. Et vous rendre invisible, Eärundra. Mais cela suppose que ces créatures se repèrent uniquement à l'aide de leur vue, ce qui me parait peu probable, à dire vrai. Peut-être que nous devrons prendre l'odeur de ces choses en sus de leur apparence. Avec cette approche discrète, il nous serait peut-être possible d'atteindre les prisonniers sans combattre. L'autre faille de ce plan est qu'il nous faudra combattre pour ressortir, avec des personnes affaiblies à défendre... Mais à part cette solution ou nous munir de torches pour brûler les toiles et attaquer les créatures qui nous barreront la route, je n'ai pas vraiment d'autre idée à proposer.

Il n'avait pas mentionné le rôle que comptait jouer Tilmandil, espérant que ce dernier aborderait lui-même la question.

- Je ne pense pas qu'il soit possible d'imiter leur odeur...
- On devrait peut-être compenser par une odeur plus forte. En se roulant dans l'humus par exemple... ça pourrait masquer notre odeur.
- Peut-être... par contre, si on brûle les toiles, on les avertit de notre approche. Je pense qu'une approche discrète, dans un premier temps, pourrait être préférable... Je dois pouvoir détecter les toiles, surtout si vous les guettez aussi. Il y a peu de chance qu'à nous trois, nous nous fassions piéger. Enfin, je l'espère...
- Mais Tilmandil, tu ne peux en déguiser que deux, et en rendre un invisible, c'est ça ? Et toi, tu feras quoi ?
- Et bien... Je pense monter la garde... et couvrir votre retraite si vous parvenez à libérer les prisonniers, j'ai quelques sorts qui peuvent aider.
Le barde avait un ton gêné, et ne mentionnait pas ce qu'il ferait s'il leur fallait combattre à l'intérieur. Mais les deux filles eurent la gentillesse de ne pas relever.

Kasumi adressa un sourire tranquille à son demi-frère avant de réagir aux interventions des deux femmes du groupe :

- Nous tenterons donc l'approche discrète et il sera toujours temps de choisir une stratégie plus agressive en fonction des événements. Je suis d'accord pour l'odeur : l'humus nous permettra de ne pas porter l'odeur de proies pour ces créatures.

Il adressa un sourire rayonnant à la rôdeuse qui l'avait proposé. Ils avaient maintenant un plan, ne restait qu'à remballer leurs dernières affaires et de disposer du prisonnier. Si Eärundra avait eu le temps de préparer le somnifère comme convenu la veille, il pourrait être utile, sinon, il faudrait se contenter de le laisser attaché ici. Après tout, ils étaient assez éloignés du nid pour espérer que le prisonnier ne puisse pas donner l'alerte en hurlant.

Eärundra avait profité de sa veille pour préparer le somnifère prévu. Elle interrogea une nouvelle fois leur prisonnier, toutefois, qui leur indiqua à nouveau la direction de leur nid. C'était à peu de chose près, la même que celle prise par l'expédition d'Elryndel. Il leur suffirait probablement de suivre leur piste jusqu'à repérer des toiles d'araignées.
Ils replièrent rapidement leur toiles et rangèrent leurs affaires dans les sacs, gestes devenus quotidiens et machinaux. Leur prisonnier les regardait d'un air inquiet, mais obtempéra, sous la menace de l'épée de Sylvia, quand on lui présenta le somnifère.
- Tu vas dormir près de huit à dix heures... , expliqua la druidesse.
Elle se tourna vers Kasumi.
- Je le détache pour qu'il soit libre ensuite ? Ou nous revenons par ici ?

Kasumi y réfléchit un moment avant de répondre d’un ton calme et serein :

- Si l’effet est aussi long que cela, détachons-le, cela nous évitera de revenir sur nos pas et il ne pourra pas nous nuire pendant l’opération. Nous serons loin au moment où il se réveillera. En tous cas je l’espère.

Il ajouta en se tournant vers la créature en s’adressant directement à elle cette fois :

- Je ne vous aime pas mais l’honneur m’oblige à prendre soin de nos prisonniers, même de vous. Je vous conseille donc de grimper dans cet arbre là-bas. Vous aurez bien moins de chance d’être surpris dans votre sommeil. Et la prochaine fois que vous croiserez notre route, ne vous attendez à aucune mansuétude.

Il ne restait plus qu’à se mettre en route, repérer le nid, en approcher discrètement, mener le plan à bien. Tout un programme avec de multiples aléas à chaque étape. Le demi-elfe ne pouvait qu’espérer y trouver des survivants et qu’aucun d’entre eux ne se retrouve piégé à leur place.

La première phase du programme - se mettre en route - fut rapidement expédiée. Comme de coutume, Léo prit la tête, suivi de près par Sylvia et Kasumi. Eärundra fermait la marche.
La piste d'Elryndel était toujours aussi bien délimitée et facile à suivre. Les ronces avaient été tranchées net, et même Tilmandil pouvait progresser à son aise. Mais l'atmosphère s'appesantissait, sans qu'ils puissent clairement expliquer ce qu'ils ressentaient. L'impression d'être observés, par quelque chose ou quelqu'un d'hostile. D'être guettés, peut-être même avec délectation. Ou, parfois, la sensation que la forêt se refermait derrière eux, comme pour les emprisonner. Impression fugace et subjective, comme ils s'en rendaient compte lorsqu'ils regardaient en arrière : le sentier était toujours là. Il n'y avait pas de raison qu'il leur paraisse un peu plus étroit...
Une fois ou deux, ils perçurent des mouvements dont ils ne purent déterminer l'origine. Puis Léo eut les poils qui se hérissèrent et s'arrêta net, trop affolé, pendant quelques instants, pour faire un pas de plus. Mais ils eurent beau guetter, rien ne se passa : ils semblaient parfaitement seuls dans cette portion des bois. Seul Léo semblait détecter une présence... mais celle-ci le terrorisait. Puis, peu à peu, il reprit ses esprits, et avança à nouveau comme si de rien n'était, peut-être un peu plus lentement, un peu plus méfiant.
Midi approchait, et ils n'avaient vu nulle trace d'araignées ou même de toile. La forêt, en revanche, était de plus en plus dense, et de plus en plus sombre également, comme si l'épaisseur de feuillages au-dessus de leur tête ne parvenait plus à laisser filtrer la lumière. Il faisait chaud, humide. Moite. Mais la piste était toujours là, immuable.

Kasumi se sentait mal à l'aise comme jamais il ne l'avait éprouvé en forêt. En tous cas pas depuis qu'il avait appris à en comprendre le fonctionnement, la vie multiple qui l'habitait, les signes du passage d'animaux. Pas depuis qu'il avait appris à s'y repérer. Ici, rien de tel, rien qui lui semblât familier. Il songea confusément à son passage par la forêt maudite à l'ombre des montagnes de fer, sa corruption évidente. Mais même cette menace ne lui avait pas paru aussi déroutante, aussi inquiétante. Il se sentait aussi désorienté que cette fois, où tout jeune il avait emmené Geoffrey dans les bois et s'était perdu, à son plus grand dam. Cette fois là aussi, une force malveillante était à l'œuvre. Comme à l'approche de ce bosquet, il en aurait juré. Une force qui pesait sur le moral, se jouait des peurs de chacun, comme il pouvait en juger par le silence de ses compagnons et le comportement étrange de Léo. Le demi-elfe adressait régulièrement des regards vers Sylvia et Eärundra qui devaient être tout aussi sensibles que lui à ce phénomène. Il s'adressa à la druidesse plus pour briser le silence pesant qu'en quête d'une réponse :

- Pensez-vous que Léo a détecté un prédateur à l'affût ? N'oubliez pas de regarder régulièrement en hauteur : cette frondaison pourrait abriter n'importe quoi...

Eärundra semblait avoir des yeux partout, guettant mille directions à la fois. Sylvia, son arc en main, était plus concentrée que jamais.
- Je pense plutôt à un mort-vivant quelconque, pour qu'il ressente un tel affolement. C'était une sensation qui le dépassait, qu'il ne comprenait pas... Et vu l'obscurité ambiante... il faut redoubler de prudence.
- Heureusement que Kasumi est un spécialiste de la traque des morts-vivants, fit remarquer Tilmandil d'un ton qui se voulait léger mais ne réussissait pas à masquer le moins du monde son angoisse.
Un léger frôlement, sur la droite, nettement perceptible, ramena immédiatement le silence - et l'immobilité. A nouveau, Léo eut les poils qui se hérissèrent, et sembla incapable de faire le moindre pas, lorgnant avec affolement en direction de sa maîtresse. Celle-ci fronça les sourcils et se rapprocha de lui.

Kasumi se rapprocha lui aussi de Léo cette fois, humant l'air à la recherche d'une odeur caractéristique annonçant la présence d'une créature morte. Dans cette atmosphère saturée d'humidité, ce n'était pas chose aisée mais mieux valait mettre toutes les chances de leur côté pour éviter de se laisser surprendre. Et il avait une réputation à tenir : Tilmandil venait de lui mettre la pression en tous cas.

Le rôdeur avait troqué son arc contre ses épées, plus efficaces contre ce genre d'engeance, surtout si la densité de la végétation dissimulait une créature jusqu'à ce qu'elle soit sur eux. Et puis il faisait toute confiance à Sylvia pour tenir le combat à distance mieux qu'il ne saurait le faire.

Et brusquement, une silhouette jaillit sur leur flanc droit. Suivie aussitôt de deux autres. Sombres, d'allure humaine, mais dont l'odeur de décomposition leur assaillit instantanément les narines. Des nécrophages peut-être. Le premier se précipita sur la druidesse, les deux autres sur Kasumi.
Sylvia, bien sûr, se porta aux côtés de son compagnon, son arc aussitôt remplacé par une épée. Léo demeurait paralysé par la peur. Et Tilmandil, après une brève hésitation, se mit à incanter.

Les créatures qui avaient certainement été humaines ou elfiques autrefois n'en conservaient quasiment plus aucun trait. Légèrement voûtées mais diablement rapides, Kasumi savait que le contact de leurs griffes était capable d'affaiblir durablement les êtres vivants. Il fallait absolument empêcher les trois cadavres ambulants de s'en prendre à ses compagnons aussi se porta-t-il à leur contact sans hésiter, déployant ses deux épées pour couvrir une vaste zone d'attaque. Il savait qu'Etincelle ferait des merveilles s'il parvenait à en toucher les monstres. D'autant que l'arme avait déjà prouvé son efficacité à le protéger contre certaines des attaques des non morts par le passé. il adressa un remerciement silencieux à Lathandre pour le don octroyé par son prêtre et porta une attaque latérale à hauteur de torse à l'une des créatures devant lui. Il avait trop conscience de la proximité de Sylvia sur son flanc gauche et avait peur de la toucher par inadvertance aussi avait-il visé la créature la plus proche de lui :

- Attention à ses griffes !

Etincelles faisait effectivement des miracles : la créature recula brutalement lorsque Kasumi lui entailla légèrement ce qui lui restait de chair, comme si le contact de l'épée l'avait brûlée. Et même lorsque, bondissant à nouveau, elle parvint à toucher le rôdeur de ses griffes, il ne ressentit pas la faiblesse subite qui aurait dû accompagner ce contact. Mais aussitôt, rendu prudent par le premier contact avec l'épée, et perturbé par la résistance inattendue de son adversaire, le nécrophage bondit à nouveau en arrière, veillent à éviter soigneusement l'épée.
Sylvia, de son côté, avait fort à faire pour se défendre contre son assaillant et, surtout, éviter le contact dangereux de ses griffes. Fort heureusement, Tilmandil lui vont en aide, achevant fort opportunément son incantation : le nécrophage qu'elle combattait roula subitement au sol, pris d'un fou-rire inextinguible.
Et Léo se décida subitement à bondir... en direction d'Eärundra qui semblait avoir besoin de son aide.

Le combat tournait en leur faveur mais tout relâchement pouvait mener à une catastrophe face à de telles abominations. Kasumi hésita l'espace d'un instant quand il fut mis face à un choix quand son adversaire choisit de battre prudemment en retraite. Il choisit immédiatement de faire confiance à Sylvia pour achever son propre adversaire. S'il lui avait volé sa victoire pour la protéger, la rôdeuse l'aurait très certainement pris comme une remise en cause de ses compétences et il la jugeait tout à fait capable de prendre la mesure de son adversaire sans prendre de risque inutile. Eärundra était davantage en difficulté mais Léo se portait déjà à son secours. Il espérait que son demi-frère ciblerait également cette créature quand il pressa celle qui lui faisait face, souhaitant l'acculer contre la végétation dense pour l'empêcher de lui échapper. Il entra dans une danse meurtrière, multipliant les attaques à l'aide de ses deux armes pour bloquer le monstre à l'endroit où il le souhaitait.

La créature, acculée contre une haie d'épineux, avait des gestes vifs et précis, lui permettant d'esquiver sans trop de mal les attaques du rôdeur. Mais celui-ci la harcelait tant qu'elle n'avait plus guère le loisir de contre-attaquer, se cantonnant à des parades incessantes, diablement efficaces du reste, mais qui devraient peu à peu l'épuiser.
Ses attaques mobilisaient toute sa concentration et Kasumi ne pouvait voir ce qui se passait dans son dos. Il entendit Tilmandil incanter, puis le cri de douleur d'une des créatures. Puis un cri déchirant - il reconnut la voix d'Eärundra-, et un rugissement de Léo. La bataille faisait rage derrière, mais une seule seconde d'inattention, de son côté, pouvait lui coûter la vie.

Kasumi faillit se retourner, comme par réflexe, quand il entendit le cri de la druidesse mais il en appela à toute sa volonté pour rester concentré sur la créature qui le tenait en échec, pestant contre son agilité hors normes. Il fallait en finir vite néanmoins car à chaque seconde le risque que les blessures d’Eärundra s’aggrave ou qu’un autre de ses compagnons ne soit touché. Inquiet et impatient d’en finir, le rôdeur concentra toute sa maîtrise dans plusieurs feintes et attaques destinées à blesser la créature qu’il combattait plutôt qu’à la maîtriser, quitte à s’exposer davantage à une riposte éventuelle.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines