La Couronne de Cuivre

-C'est déjà la ruine, chez nous. Et même si vous l'empêchiez ailleurs, c'est pas d'là qu'on aurait de l'aide. Pis pour les trois bêtes qui nous reste, qu'elles crèvent, ça changera rien. Et elles ont pas l'air décidé, pour l'instant. Les autres sont mortes tout par un coup, sans signe, après que la femme que vous cherchez soit allez vendre sa vache à Hautépine. Pof, toutes mortes l'même soir. Rien, du d'puis. Si personne à rien vu v'nir, si personne sait c'qui s'est passé, pourquoi qu'vous l'sauriez, vous, hein ?

« Vous avez raison. Pourquoi accepter l’aide qu’on vous propose. » grommela Galathée.
Elle recula, laissant la vieille derrière sa porte, et s’éloigna dans la rue déserte. Rien ne l’empêchait de se rendre directement sur un pré, histoire de constater pour elle-même. Elle se dirigea donc vers le coin d’herbe désert le plus proche, supposant qu’on n’aurait pas laissé les animaux sains dans un enclos frappé par la tragédie.

La rôdeuse n'eut pas de mal à trouver un pré vide : il ne semblait y avoir que cela, aux abords des Rosières. Elle jeta son dévolu sur un vaste carré d'herbe sèche constellé des traces de digestion récentes d'un petit groupe de vaches. Lesquels avaient disparu, visiblement.
Après s'être assurée qu'il n'y avait personne aux environs, Galathée pénétra dans le pré et commença à l'examiner, en quête d'indices pouvant expliquer l'origine de l'étrange maladie. Malheureusement, elle ne trouva rien : ni colonies de parasites potentiellement porteurs de germes, ni plantes empoisonnées. Non, à bien y regarder, la seule trace de danger potentiel était un nid de guêpes abandonné à la branche d'un vieux pommier sauvage.

Par acquis de conscience, la rôdeuse ouvrit le nid de guêpes, examina le tronc du pommier, puis continua sa route. Elle essaya de se dessiner une carte mentale des lieux, l’endroit où passaient les cours d’eau, le type de végétation dans les prés déserts, par rapport aux derniers prés occupés, n’importe quel détail pouvant les distinguer.
Puis elle redescendit au village, espérant y trouver des individus un peu mieux disposés que la vieille fouine qui l’avait rembarrée. Se faisant, elle ne put s’empêcher de songer à Fumeterre et une boule se forma dans son estomac. Elle hésita à prendre son arc, mais le laissa finalement attaché à la selle de Tempérance, et prenant une bonne inspiration, elle s’engagea dans la rue unique du hameau.

Tandis qu'elle arpentait les quelques ruelles du hameau, Galathée avait la désagréable impression que des regards s'attachaient au moindre de ses mouvements. Pourtant, elle ne vit personne et ne put jamais déceler le moindre mouvement derrière les les fenêtres aux volets mis à l'espagnolette pour préserver un semblant de fraîcheur à l'intérieur des masures, et elle n'eut d'autre choix que de poursuivre ses recherches.
Elle commençait à désespérer de croiser âme qui vive lorsqu'une voix claire résonna dans son dos.
-Si j'étais vous, je m'en irai. La mère Déchais est allée prévenir maman que vous la cherchiez pour lui faire payer l'amende, et maman elle est allée chercher les hommes aux champs. Vont venir avec leurs fourches, je crois.
En se retournant, elle reconnut le fils de la fermière dont la vache avait été la première victime de l'étrange maladie. Celui-ci se tenait à bonne distance, prêt à détaler.
-J'aurais pas du vous le dire, reprit-il. Mais comme vous étiez avec les clercs et qu'ils ont été gentils... Enfin voilà, j'vous ai prévenu.
Et il s'apprêta à déguerpir.

« Attends un instant. » fit-elle.
Elle hésita.
« Non laisse. Merci de ton aide. Je suis désolée pour ce qui vous frappe. »
Galathée enfourcha Tempérance.
« Je reviendrai peut-être, quand j’aurai une solution. » ajouta-t-elle.
Puis elle lança la jument au petit galop et détala vers la sortie du village, regagnant rapidement la route. Elle veilla à mettre une distance respectable entre elle et Rosières, puis s’immobilisa et sortit la carte. Puisque les Roserons étaient peu coopératifs, il ne lui restait plus qu’à se rabattre sur le village d’où était venu l’homme au vieux cheval. A bien y réfléchir, elle aurait pu y porter ses pas dès le départ : Eaux-Vives était un peu plus proche de Hautépine.
Elle remit donc sa monture au petit galop, et reprit sa route, espérant y trouver meilleur accueil. Si ce n’était pas le cas, elle n’aurait plus qu’à aller se chercher une escorte un peu musclée à Hautépine pour se protéger des éventuels querelleurs.

Elle atteignit Eaux-Vives une paire d'heures plus tard, sans qu'aucune embûche n'ait ponctué son trajet. Le village était un peu plus grand que Rosières, et portait bien son nom : niché au creux d'un vallon, il était établi sur la berge nord d'une rivière qui cavalait gaiment, à la plus grande joie de la nuée de gamins qui s'y baignaient pour l'heure dans un concerts retentissant d'éclaboussures et de clameurs aiguës
Aux abords du village s'étendaient quelques champs et des prés aussi déserts, ou peu s'en fallait, que ceux de Rosières. Elle remarqua cependant plusieurs vaches, dûment surveillées par des pâtres qui, alors qu'elle suivait la route, lui jetèrent des regards soupçonneux.
Dans le hameau lui-même, les rues étaient sensiblement moins désertes que celles de Rosières. Elle croisa quelques femmes parties puiser de l'eau, et des hommes rentrant des champs. Tous la dévisagèrent ostensiblement, mais personne ne lui adressa la parole.

Galathée mit pied à terre et aborda une femme qui semblait, au premier abord, peu revêche.
« Pardonnez-moi, je cherche un homme qui reviendrait de Hautépine. Un homme qui avait un cheval malade. »
Tout en parlant, elle gardait un œil sur les autres villageois, prête à réagir au moindre signe menaçant.

La femme la dévisagea un instant.
-Et pourquoi voulez-vous le voir ? s'enquit-elle finalement. Je ne veux pas me mêler de vos affaires, mais... Si c'est pour lui chercher des noises, rapport à sa bête morte, vous pouvez passer votre chemin. Il n'a pas besoin qu'on ajoute encore à ses problèmes. Ni nous non plus.
Elle avait parlé sans élever le ton et, pour l'heure, les autres habitants se contentaient de leur jeter des regards curieux avant de retourner vaquer à leurs occupations.

« Je ne cherche nullement à l’importuner. Simplement… Je voudrais comprendre ce qui est arrivé à sa bête… et je pense à d’autres, ici aux environs, pour empêcher que cela ne perdure… Et pour ça, je dois lui parler. Ou à n’importe qui d’autre qui aurait perdu un animal dans des circonstances similaires. »

La femme soupira.
-Vous en trouverez quelques-uns, par ici. Anselme nous a raconté comment ça s'était passé, à la foire. Ben ça a été pareil ici, pour trois fermiers qui comptaient peut-être amener leurs bêtes à Hautépine, mais qui aaient pris du retard... Mortes sans crier gare, ou presque. Et toutes le même soir. Depuis, plus rien... Personne n'y comprend goutte, et pourtant, on en a vu d'autres. Enfin... Si vous voulez aller le voir, il habite un peu à l'écart du village. Prenez à l'est, vous trouverez sa maison.
Elle jeta à la rôdeuse un regard aiguë.
-Si vous êtes vraiment venue pour les raisons que vous dites, il vous accueillera bien. Mais si vous en avez menti, là, ça se passera autrement, je préfère vous prévenir.

« Je vais aller voir, merci. » fit Galathée.
Mais elle s’immobilisa.
« Des bêtes ont survécu, alors ? J’ai vu des vaches en arrivant. Vous dites que les morts concernent quatre fermiers ? »

La femme fronça les sourcils.
-Oui, quatre, si on compte Anselme, mais ce n'est pas un fermier. Les autres ont perdu tout leur bétail, ou presque. Ah, et les Merlus ont aussi perdu des bêtes. Mais ils sont assez loin du village, eux, du coup, j'y ai pas pensé tout de suite... Ce sont les seules personnes d'Eaux-Vives qui avaient un petit cheptel. Nous autres, on a qu'une ou deux bêtes, pour le lait, en général, ou pour tirer les charrues.

« Merci. » fit Galathée, avant de saluer son interlocutrice et de remonter en selle.
Les choses s’annonçaient nettement mieux qu’à Roseraies, c’était un soulagement en soi. La rôdeuse espérait qu’Anselme se montrerait plus disert qu’au foirail. Peut-être avait-il pu commencer à digérer la perte de son vieux compagnon… Elle n’avait pas un souvenir particulièrement positif de l’individu, mais il était sa première piste pour en apprendre davantage sur ce qui avait frappé les animaux. Et s’il ne montrait trop difficile, elle irait glaner des informations chez ceux qui n’avaient pas rallié le foirail et n’avaient donc rien à lui reprocher personnellement.
Le fait que d’autres fermiers aient été touchés confirmait ses craintes : le cheval était arrivé porteur, n’avait pas été contaminé par la vache… Il devenait de plus en plus possible que l’incubation dépasse de loin la misérable journée qu’ils avaient obtenues des fermiers participants au marché.
Galathée leva les yeux, scrutant un instant le ciel. Elle espérait que Plume ne tarderait plus trop à lui revenir, peut-être porteuse de quelques mots tracés par Taliesin, des lettres souples et régulières, qui lui réchaufferaient le cœur quoi qu’elles portent.
J’aurais dû rentrer, songea-t-elle. Il est trop tard, je m’épuise pour rien.
Mais elle prit le trot et se dirigea vers l’est, à la recherche de la maisonnette où devait résider le dénommé Anselme.

HRP : en espérant que Fossy apprécie l’effort

Au sortir du village, la route de l'est faisait un paresseux virage et s'éloignait progressivement de la rivière. Bordée de haies ou de murets de pierre, elle serpentait à travers des prés vallonnés, des collines basses souvent couronnées de petits bosquets d'arbres. et, de-ci, de-là, franchissait un semblant de bois dont la rôdeuse goûta la fraîcheur relative.
Vingt minutes après avoir quitté le hameau, Galathée tomba sur la maison du dénommé Anselme. Elle était petite - sans doute ne contenait-elle qu'une pièce - mais soigneusement tenue : un toit de chaume, des murs de torchis, un potager courant au pied de ses fenêtres entrouvertes Et, non loin, un pré enclos d'une barrière de bois refaite depuis peu. L'endroit où, sans doute, s'était alangui le vieux cheval avant d'entreprendre son dernier voyage.
Quant à Anselme, il était assis sur son perron, un large chapeau vissé sur la tête, une pipe à la bouche. Il leva les yeux à l'approche de la jeune femme, ne put réprimer une grimace mais ne fit aucun geste pour la renvoyer ou lui faire comprendre de passer son chemin.

Galathée mit pied à terre et mena sa jument jusqu’au perron, réfléchissant à la manière d’aborder l’homme. En même temps, elle n’avait pas l’intention de tergiverser. Elle ne demandait rien à ceux que le mal avait frappé, juste des informations.
« Bonjour. » fit-elle lorsqu’elle fut devant lui. « Je m’en veux d’avoir à vous rappeler de mauvais souvenirs, mais je dois vous reparler du cheval, et de ce qui a mené à son trépas. Les clercs de Hautépine m’ont envoyée à la recherche de n’importe quoi qui pourrait nous guider vers… vers ce qui a affecté votre monture. Les fermiers ont désormais quitté le foirail avec leurs animaux et nous ne savons toujours pas ce qui s’est produit. »

L'homme, placide, haussa les épaules.
-Je vous avais dit tout ce que je savais lorsque vous me l'avez demandé, à Hautépine. Mon cheval ne présentait aucun signe particulier lorsque nous avons quitté la maison, et le soir, il était juste un peu fatigué. Un peu moins fatigué à son réveil, le lendemain, et il a passé une journée relativement tranquille jusqu'à ce que le mal se déclare, peu avant le crépuscule, et l'emporte en moins de deux. Quant à ce qu'il avait mangé ici, avant de partir... L'herbe de son pré, et un peu de fourrage supplémentaire. Il fait chaud, l'herbe est plus que grillé, un petit supplément était donc souvent nécessaire. Voilà tout ce que je sais. Mais si vous voulez examiner le pré, la maison... Faîtes.

La jeune femme jeta un œil sur la maisonnette, le pré voisin, fronça les sourcils comme elle réfléchissait.
« Je comprends. Et j’irai voir le pré, puisque vous me le proposez. Le fourrage, aussi… Mais… La question va vous sembler étrange, mais… vous n’aviez pas d’ennemis ? Personne qui aurait pu vouloir empoisonner votre cheval ? Sciemment ? Même quelque chose qui daterait d’un certain temps… Ou une personne passée au village, que les Aquaviviens auraient mal accueillie… »

L'homme parut éberlué.
-D'ennemis ? Capables d'empoisonner mon cheval ? Non, grands dieux non ! Je ne vois pas qui serai assez méprisable pour recourir à de telles extrémités. Il y a des gens avec qui je n'ai guère d'affinité, mais c'est le lot de tout un chacun. Je ne vois pas qui, dans les environs, pourrait m'en vouloir à ce point. Et en vouloir à ce point à tous ceux qui ont perdu des bêtes...
Il secoua la tête.
-Non, décidément, je ne vois pas qui pourrait faire cela. Mais dois-je déduire de votre question que les animaux morts sur le foirail ont été empoisonnés? Tant vous que les clercs sembliez vous orienter vers une maladie... Le poison, cela se reconnaît, tout de même...

« Justement, dans ce cas précis… Nous ne savons pas encore ce qui a causé ces morts. Les estomacs des animaux ne recelaient rien de particulier, mais les poisons peuvent se respirer, se transmettre par la peau… Certains sont invisibles. C’est très difficile de trancher. »
Elle secoua la tête.
« Toutes les hypothèses sont possibles, à ce stade. Et je dois dire qu’un poison me rassurerait. Cela signifie que toute contagion est écartée. Malheureusement… Il vaut mieux imaginer le pire. Les choses tournent rarement comme on l’espère. »
Elle grimaça.
« Avez-vous d’autres animaux ? Qui seraient entré en contact avec votre cheval ? Un chat, un chien, de la volaille ? »

Anselme secoua la tête.
-Pas d'autres animaux, non. Mon chien s'est fait éventrer par un sanglier il y a six mois, et je n'ai pas eu de quoi en racheter un depuis, ce qui me réduit à utiliser des collets... C'est pour ça que je voulais vendre le cheval. Pour la chasse, un chien, c'est plus utile...
Il soupira.
-Vous pouvez chercher des indices tant que vous voudrez, si ça peut vous aider. Mais je doute que vous trouviez quoi que ce soit. Je n'ai rien remarqué de spécial, moi. Mais je n'avais sans doute pas vraiment la tête à ça, faut dire.

« J’ai une dernière question avant d’aller me promener. » fit-elle. « Puis je cesserai de vous importuner. »
Elle déroula sa carte.
« Savez-vous où se trouvent les autres villages dans lesquels sont organisés des foirails semblables à celui de Hautépine ? »
La possibilité d’une rivalité entre places commerciales demeurait vive dans l’esprit de la rôdeuse. Mais empoisonner quelques bêtes semblait une technique bien hasardeuse pour parvenir à ce genre de fin. Restait que les hommes agissaient rarement de manière parfaitement rationnelle.

L'homme lorgna vers la carte.
-J'suis désolé, mais je sais pas lire, fit-il. Et j'ai jamais utilisé de carte. Mais je peux quand même vous répondre. L'un des foirails se trouve à Beaulieu, à un peu moins de deux journées au nord-ouest d'ici. L'autre est un peu plus près, à l'est. C'est à Vieux-Gué. Les trois villages ont mis en place un système de foire tournante, histoire qu'il y en ait une tous les mois, dans les bonnes périodes, ce qui permet à tout le monde d'avoir une chance de vendre ses bêtes, les besoins étant pas les même selon les endroits...

La rôdeuse prit donc congé d’Anselme et commença par l’écurie où le cheval avait vécu ses derniers jours. Rien ne semblait étrange, la paille et le fourrage paraissaient sains, elle en préleva cependant quelques échantillons, par acquis de conscience. Elle doutait pouvoir procéder à de nouvelles expériences, cependant, à moins de mettre des animaux sauvages à contribution. Ce serait peut-être nécessaire.
Le pré était tout aussi quelconque. Un mulot crevé pourrissait au soleil, mais sa mort pouvait être due à mille et une choses, et son état n’en permettait pas un examen approfondi. L’herbe était jaune, couleur normale au vu de la chaleur ambiante, les plantes sauvages qui émaillaient la prairie banales, et elle ne découvrit ni champignon suspect, ni insecte mystérieux.
Un peu dépitée, mais en réalité, nullement surprise, la jeune femme remonta en selle pour s’éloigner quelque peu de l’habitation et gagner le bois voisin. Peut-être trouverait-elle des carcasses de gibier, ce qui la renseignerait sur une éventuelle dispersion de l’épidémie. C’était sans doute un coup dans l’eau supplémentaire, mais elle ne parvenait pas encore à se résigner. Chaque heure qui passait rendait pourtant ses investigations plus inutiles.

Comme elle le pressentait, les bois ne lui révélèrent rien sur cette sinistre histoire. Elle tomba bien sur deux carcasses, mais elles avaient été rongées jusqu'à l'os par quelque prédateur. En dehors de cela, pas de dépouilles suspectes, pas de subite mortalité pour quelque espèce que se fut. Faute de mieux, au moins pouvait-elle se dire que la maladie ne semblait pas avoir (encore) touché le monde animal.
Comme elle n'avait pas mangé depuis belle lurette, Galathée s'accorda une pause pour piocher dans les provisions dont l'avaient munie Gérold et Valaellyn. Puis, faute de mieux, elle regagna la rouge, songeant de plus en plus sérieusement à regagner Hautépine.
Après avoir consulté la carte, elle se décida à poursuivre vers l'est : un embranchement devait bientôt lui permettre de regagner la route de Hautépine. Elle n'allait pas tarder à le rejoindre lorsque, venant en sens inverse, elle aperçut deux cavaliers cheminant à bonne allure. Vêtu de mailles malgré la chaleur, leur surcot était blasonné d'un cerf brun sur fond mi parti d'or et de vert. Lorsqu'ils la remarquèrent, les hommes d'armes réduirent leur vitesse et, parvenus à sa hauteur, s'immobilisèrent complètement.
-Bien le bonjour, mam'zelle, fit le plus jeune des deux. Faites excuses, mais... Peut-on savoir ce qui pousse un joli brin d'fille comme vous sur les routes par l'temps qu'il fait ?

Les raisons pour lesquelles elle arpentait les routes n’étaient pas secrètes, et la rôdeuse n’avait pas l’intention de déclencher un incident en se montrant désagréable avec de stricts inconnus, qui semblaient peu menaçants pour l’heure.
« Je suis mandatée par les gens de Hautépine pour me renseigner sur la santé des bêtes dans les environs. » répondit-elle simplement.
Elle pensa ajouter des précisions, mais s’abstint.
« Et je m’en retourne justement. »

Les deux soldats échangèrent un regard.
-Z'êtes véto, quoi... reprit le plus jeune. Beau métier, et utile, hein ! Bon, par contre, si des fois vous v'niez exercer sur les terres d'not maître, l'seigneur d'Montcerf, faudrait qu'vous achetiez un permis. L'est sourcilleux sur ces choses là, not bon comte. Veut s'assurer que les animaux soient bien soignées, qui ait pas de charlatans qui fassent n'importe quoi. J'dis pas qu'vous êtes un charlatan, hein, mam'zelle. Pas du tout. D'ailleurs, suis sûr que vous l'auriez sans problème, votre permis...
L'autre leva la main pour l'interrompre.
-Le permis, c'est une chose. Mais je crois qu'il est avant tout de notre devoir de vous appeler à faire montre de prudence. La région n'est plus très sûre, depuis quelques temps. Avec la chute du Tyran, à Luménis, les campagnes se sont peuplées de fuyards malintentionnés... Il semblerait que certains se soient carapatés jusqu'ici et qu'ils font chanter les paysans, s'en prennent à leurs biens pour les obliger à les nourrir... Le sire de Montcerf nous envoie parcourir la région pour tenter de les capturer et prévenir les habitants, mais on est peu nombreux. Alors faites attention à vous... Ce ne sont pas des enfants de chœur, je le crains.

« Merci du renseignement, je resterai sur mes gardes. » fit-elle avec un sourire humble.
Des renégats morféens, songea-t-elle, il ne manquait plus que ça.
Se pouvaient-ils qu’ils aient un lien avec cette maladie étrange ? Comme une forme de représailles auprès de fermiers qui auraient refusé de les aider…
Non, Anselme avait eu l’air sincère lorsqu’il lui avait dit n’avoir pas d’ennemis, or elle savait détecter les signes du mensonge sur le visage d’un homme.
En général.
Elle était cependant encore proche d’Eaux-Vives, et d’autres personnes avaient été touchées par ce fléau mystérieux. Peut-être pouvait-elle se rendre chez ces Merlus, par exemple, juste pour vérifier…
Bon sang, des Morféens.
Rien que la pensée de ces vermines hantant la calme campagne hélonnienne lui donna la nausée.

Les gardes la saluèrent poliment puis s'en furent suivre leur propre route. Quant à Galathée, elle sortit sa carte et évalua la zone où devait se trouver, d'après ce qu'on lui en avait dit, la ferme des Merlus. Peu après, elle empruntait un chemin de traverse, tout juste une piste, à vrai dire, qui serpentait au milieu d'un sous-bois touffu. Lieu idéal pour une embuscade... Mais la harde de chevreuils, seule rencontre notable de son périple sylvestre, ne semblait pas d'humeur pillarde.
De l'autre côté des bois s'étendaient des landes herbeuses, puis, enfin, elle retrouva quelques prés. Un petit pâtre craintif accepta de lui indiquer ce qu'elle cherchait et, peu après, elle atteignait les abords de la ferme. Elle était plus vaste que nombre de celles qu'elle avait entrevues jusqu'ici. Plus coquette, aussi. Mais ses pâtis étaient absolument déserts...
Dans la cour bien tenue, adolescent était en train de charrier du bois. Mais dès qu'il aperçu la nouvelle venue, il déposa son fardeau et gagna le logis dont il émergea bientôt accompagné par un homme de haute taille. Le maître des lieux, probablement. D'un geste de la main, il fit signe à la rôdeuse d'approcher et s'enquit de ce qu'elle lui voulait.

La jeune femme mit pied à terre, un peu lasse, mais sourit au fermier, tentant de retrouver un peu d’énergie.
« Excusez-moi de vous importuner. Je viens de Hautépine. Et j’enquête sur le mal qui a frappé plusieurs animaux, et troupeaux, dans les environs. Aux Eaux-Vives, on m’a indiqué votre ferme, et… que si vous n’y voyiez pas d’inconvénients, j’aimerais vous poser quelques questions… »

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