La Couronne de Cuivre

Il parut alors réaliser qu'il était dans le plus simple appareil et prit une teinte flamboyante. Il attrapa rapidement un morceau d'étoffe qui traînait non loin et se le drapa autour des hanches, avant de sourire à la rôdeuse.
" Tu crois vraiment que je pourrais plaire aux filles ?" demanda-t-il, d'un ton qui reflétait une certaine curiosité.
Son timbre avait changé, devenant plus ordinaire, et son tatouage vert avait disparu.

Astrée rit.
" Bien sûr ! Attends, imagine, un jeune homme qui vient d'échapper aux centaures et trouve refuge chez eux, tu vois le mélodrame ? Déjà, elles sont captivées, fascinées, et vont essayer par tous les moyens de croiser ta route. Et là, elles vont voir qu'en plus tu es mignon comme tout... alors c'est bon, tu les as dans ta poche !"
Elle fouilla dans ses affaires pour en sortir une petite pelote de ficelle, et poursuivit, plus sérieusement.
" Il faut dire que c'est un peu l'âge où les humains vivent leurs premières histoires de coeur sérieuses. Et à cet âge, l'attrait pour quelqu'un venu d'ailleurs, dans leur village qui vit replié sur lui-même, n'est pas à négliger... Mais bon, je peux me tromper après tout... "
Elle se disait que non, il ne pouvait pas envisager sérieusement ce genre de chose. Les humains d'ici étaient les ennemis de son peuple, après tout. Mais pour quelqu'un qui était habitué, sous sa forme naturelle, à être évité par ses pairs, sa curiosité était normale.
"Bon, laisse-moi prendre ton tour de taille, mesurer tes jambes... Je ne sais pas si j'arriverai à te faire un pantalon acceptable, je ne suis pas couturière. Mais tu pourras toujours dire que les centaures t'en ont bricolé un. Ce qui leur prouverait, au passage, que les centaures sont plus respectueux de leurs prisonniers que les humains..."
...Et n'était peut-être pas très crédible.

" Si je suis prisonnier depuis des mois, ce ne sera pas très étonnant que mon pantalon soit défraîchi ou que je l'ai cousu moi-même à partir de morceaux d'étoffe... Ce serait peut-être mieux que tu ne t'appliques pas trop, d'ailleurs. D'autant qu'ensuite, j'irai le frotter dans la boue !"
Une fois les mesures prises, Neffen s'éloigna et alla fourrager dans ses affaires, reparaissant ensuite avec une chemise de lin verte, qu'il passa sur ses épaules. Elle était moins longue que ce qu'il portait habituellement et il parut assez satisfait du résultat. Il s'assit ensuite en tailleur dans la poussière, devant le feu, et se servit un bol d'infusion.
" Bon, je n'aurai pas de bottes, mais j'imagine que c'est plus crédible..."
Il lorgna la plante de ses pieds et l'éprouva du bout des doigts.
" Coprin, que c'est fragile..."

Astrée grimaça.
" Oui, c'est affreusement fragile, je confirme, surtout des pieds tous neufs comme les tiens... Tu vas vraiment souffrir si tu restes pieds nus. Et je n'ai pas de deuxième paire de chaussures à te donner. Mais je peux essayer de bricoler des sortes de sandales demain, juste pour protéger la plante des pieds. Idéalement, il faudrait un peu de liège, si vous avez des chêne-liège quelque part, ce serait le plus mieux. Ça ferait une semelle qui te protégerait, et on pourrait la fixer à ton pied avec des lanières de cuir, si tu as ça... Ce ne serait pas parfait, mais toujours mieux que rien. Bon, sinon on peut prendre une autre sorte de bois, en l'habillant de cuir, mais c'est plus compliqué à faire, je ne sais pas si je pourrai. Et je peux te donner des chaussettes pour amortir un peu les chocs et te tenir chaud. Les pieds c'est un endroit où on a vite froid..."
Elle but quelques gorgées, savourant l'infusion.

" Ce ne serait pas crédible, dit le shaman. Je mettrai un baume protecteur et puis advienne que pourra. Tant mieux si j'ai les plantes des pieds écorchées et couvertes de cloques. Ça ne me gêne pas. Même si c'est douloureux, ça me fera une expérience ! Et puis c'est pour la bonne cause. De toute façon, je ne me transformerai que tardivement. Les gens d'ici ne peuvent pas savoir quelles sont mes intentions. Il faudra que nous partions chacun de notre côté. Je te retrouverai à proximité de leur village... Peut-être le long de la paroi est, c'est la plus sauvage."
Il s'étira et se massa les cuisses et les mollets.
" Je ne comprends pas comment on peut estimer une seconde que toute cette... mollesse puisse être supérieure à un corps comme le nôtre."

Astrée sourit, un peu amère.
" Ça ne l'est pas... Mais il y a des races qui ont apparemment besoin de se croire supérieures aux autres. Les humains, entre autres... Et ils font beaucoup de dégâts."
Elle soupira. Les elfes, les nains, se croyaient sans doute aussi des races supérieures. Mais eux restaient davantage dans leurs secteurs de prédilection, la forêt, la montagne. Alors que les humains s'installaient partout, donc faisaient plus de mal... ou du moins sur un plus large domaine puisqu'ils étendaient partout leur territoire.
" Ceux d'ici, en particulier, sont persuadés de leur toute-puissance. A travers le peu qu'ils me disaient, j'avais la sensation qu'ils n'acceptent qu'un rapport de domination entre eux et les autres races, jamais un lien de coopération ou même juste de confiance. Ils veulent dominer pour ne pas être dominés... ou pour ne pas avoir de concurrence, aussi. Ce n'est pas sain... en tout cas ça me mettait mal à l'aise. Et ils méprisent même les autres humains, ceux de la vallée..."
Elle haussa les épaules, et sourit à nouveau, un peu gênée d'avoir laissé la conversation dévier vers trop de sérieux.
" Bon, donne-moi donc un peu de tissu pour te coudre ce pantalon... Et pour tes pieds, on peut aussi les envelopper dans des morceaux de tissu épais ou même de cuir que tu aurais récupéré, ça aurait pu être crédible... Mais je n'insiste pas, si tu tiens à savoir ce qu'éprouve un humain qui marche sans protection dans les bois !"

" La forêt est mon amie. Je ne crains pas de lui exposer la plante de mes pieds." s'exclama Neffen joyeusement.
Il se redressa et retourna dans son alcôve, puis revint avec deux vieilles tuniques de tissu brun.
" Elles ne sont plus en très bon état, et donc toutes à toi..."
Il bâilla et s'étira.
" Ce corps manque d'énergie, je le sens déjà... Astrée. Toi qui es fille d'esclavagiste. Pourquoi ne comprends-tu pas que les humains de Montequine exploitent les centaures par pur profit ? Tu les penses apeurés, inquiet d'une domination ou d'une concurrence ? A mon sens, il n'y a rien de tout ça. Juste... la paresse, quelque part. Et la soif du pouvoir, pour certains. Mais la vie est tellement plus simple quand d'autres font les travaux pénibles à ta place, et tellement plus facile quand en plus, ça ne te coûte rien... Il n'y a nulle crainte, chez eux, juste le profit."

" Ce n'est pas à la situation des centaures que je pensais... je faisais allusion à ce qu'ils m'ont dit des orques, des ogres... Et, oui, aussi des centaures. Mais ils évitaient d'en parler, des centaures, sans doute pour ne pas se trahir. Ils veillaient à vous ramener, dans la conversation, au rang de simples espèces animales, sauvages et dangereuses, menaçantes pour leur village et qu'ils devaient donc combattre voire exterminer. J'aurais dû me douter que ça cachait quelque chose, quand ils mentionnaient tant d'espèces dangereuses dans la forêt alors que je n'y avais rien perçu..."
Elle grimaça.
" Je ne pouvais pas deviner ce qui se passait vraiment. Ça ne m'a pas effleuré l'esprit une seule seconde. Mais il est clair, oui, que ceux qui ont été à l'origine de cette situation l'ont fait par pur profit. Ils savaient très bien que les centaures avaient été, jusque-là, des amis, ou au moins un peuple avec lequel ils échangeaient... et pourtant ils ont franchi le cap. Ça reste difficilement compréhensible, pour moi, que personne ne se soit élevé contre cette décision. Peut-être qu'à cause de cette volonté de dominer les autres espèces, ça leur était quelque chose de naturel. Peut-être que pour quelques-uns, vous n'étiez déjà considéré que comme des bêtes : puisqu'on domestique le cheval, pourquoi pas les centaures ? Le frontière est floue... En tout cas, j'ai l'impression que les jeunes générations vous voient juste comme des animaux avec un peu d'intelligence. Mais c'est tellement plus confortable, aussi, de vous considérer comme ça, ça permet de légitimer votre asservissement, et d'assurer sans effort la subsistance de leur village. La paresse, le confort, évite de remettre en question les choses...
Elle sourit.
" Tu vas encore trouver que je suis trop gentille... Et tu as raison sans doute. Je crois que j'ai du mal à imaginer que tout un village soit mauvais à ce point, sur Hélonna, ça m'aurait moins surpris près de Mélandis... donc je cherche des explications sur comment on en est arrivés là.

" Je ne crois pas que tu doives chercher plus loin. Et je ne crois pas non plus que ces gens soient mauvais. Simplement... On effectue toujours un classement dans les formes de vie qui nous entourent. Où se situe le moustique par rapport au faucon, à la truite, au sanglier ? Il me reste une gorgée d'eau, vais-je l'offrir à l'enfant humain ou à l'enfant centaure ? Il y a un loup et cent personnes, le loup a faim... Vais-je lui sacrifier une personne ou vais-je le laisser mourir ? Pourquoi ? Parce que ce sont mes semblables. Quand les ressources sont rares, il est facile de tracer des traits entre eux et nous. Je ne suis pas humain. Si je devais choisir, je choisirais la harde. Ça ne me rend pas mauvais pour autant, je suppose. Tu diras que cet esclavage n'est pas nécessaire. Ou tu diras que nous devrions nous percevoir comme interchangeables. Eux, nous, des êtres pensants. Mais ça n'arrivera jamais."

" Sans doute... Mais n'empêche que ce qu'ils font, là, est mal. Et puis, ce n'est plus une question de survie, pour eux, ni de ressource rare à partager. C'est juste du confort, de la paresse ou de la cupidité. Un confort installé depuis des années, dont certains ne se rendent pas compte qu'il repose sur de l'esclavagisme. Parce que je suis sûre que parmi eux, la plupart sont contre l'idée d'esclavagisme, et ne le font que parce qu'il s'agit d'une autre race jugée inférieure... Mais comme tu dis, ils ne peuvent pas se percevoir comme interchangeables avec vous. Comme semblables, quelque part..."
Elle soupira.
" Moi, ça m'a choquée de voir ce qu'ils faisaient, mais pour eux tout ça semble normal... parce qu'ils vivent là-dedans depuis des années, sans doute. Mais ils savent, pourtant, que c'est mal, puisqu'ils veillent à garder le secret. Enfin... c'est surtout qu'ils savent que d'autres humains venus d'ailleurs le jugeraient mal. Peut-être qu'ils se sont persuadés que les conditions de vie difficiles des montagnes justifient certains écarts qu'ailleurs on réprouverait. Ils ne descendent jamais dans la vallée, ils vivent coupés du monde ou presque, et ils se sont forgés une échelle de valeurs bien à eux je pense... où tout est bon pour assurer leur prospérité.
Elle grimaça.
" Et une fois ce genre de conviction installé, à l'échelle d'une population, c'est difficile d'en changer..."
Comment diable allaient-ils pouvoir les faire partir de la vallée ? Il serait impossible de les convaincre... et la guerre était le seul moyen de les y obliger.
Elle s'efforça de se concentrer un peu plus sur son ouvrage : coudre un pantalon n'avait rien de simple...

Neffen la laissa tranquille, ne relançant plus le débat. Au bout d'un moment, il se releva et fit quelques pas dans la tente, comme s'il testait ses jambes, avant d'aller vers sa table à préparations et de se mettre au travail. Assez rapidement, il commença à fredonner, et ils purent, chacun de leur côté, progresser dans leur labeur au son de sa ritournelle. Quand Astrée eut terminé une première ébauche, ils procédèrent à un essayage et elle vit qu'il était nécessaire de rallonger un rien les jambes et de resserrer la taille, que le shaman avait très fine. Il lui fallut une bonne demi-heure supplémentaire avant d'arriver à quelque chose de bien taillé et de pouvoir consolider ses coutures. Neffen finissait d'emplir un pot de terre cuite d'une préparation quant elle en eut complètement terminé. Il revêtit ensuite le pantalon et marcha de long en large dans la pièce, avant de lui sourire.
" Merci, il est parfait. Je vais l'abîmer sérieusement demain, alors profite de cette ultime vision enchanteresse !"
Il tourna encore une fois sur lui-même, puis retira le vêtement et le lui tendit. Il claqua ensuite deux fois dans les mains, murmura un mot, et sous une brume argentée, il retrouva son étrange apparence de centaure, peut-être encore renforcée par contraste.

Astrée était plutôt satisfaite de son ouvrage. De toute façon, une fois consciencieusement abîmé, personne ne verrait qu'il avait été taillé et cousu de façon très sommaire.
Elle observa la transformation d'un air songeur. Elle le préférait presque, au fond, sous forme humaine. Il paraissait moins étrange. Mais ce n'était pas lui.
" Tu dois être soulagé de retrouver à nouveau tes quatre jambes... Ça doit faire drôle, quand même, de se retrouver dans un corps qui n'est pas le sien...
Elle sourit, et plia soigneusement le pantalon.
" Tu veux que je me charge d'emmener tes vêtements humains, demain ? Ou même d'autres choses, pour ne pas t'encombrer d'un sac ? "

" Non, fit Neffen avec un sourire. Je devrai de toute façon emporter un peu de matériel, et cela paraîtra moins étrange si je pars équipé. Même si de toute façon, personne ne cherchera à comprendre pourquoi je m'en vais et où je me rends."
Il rajouta un peu de bois sur le feu puis parut songeur.
" Quant à changer de forme... Mon corps reste mon corps, quelle que soit son apparence. Mon coeur, mon âme, mes bras, mes jambes, tout ça reste mien."

" Oui, bien sûr... Mais je me dis que l'équilibre ne doit pas être le même sur deux jambes ou sur quatre. Et pourtant ça semble te venir tout naturellement. Et tu peux faire certaines choses de plus, comme grimper à un arbre... mais pour pour quelqu'un qui peut se changer en oiseau et voler, ça ne présente pas grand intérêt."
Elle lui tendit le pantalon avec un sourire.
" Je te soupçonne de cultiver soigneusement ta réputation d'étrangeté et d'imprévisibilité... Ça doit être pesant, par moments, cette solitude, le fait d'être perçu comme totalement différent... et de l'être, après tout. Mais dans des cas comme ça, c'est effectivement très pratique de savoir que personne n'osera même songer à te demander où tu vas ni ce que tu vas faire. Il ne faudrait pas que ça dure trop, tout de même, ils finiraient sûrement par s'inquiéter de ton sort."

Le shaman eut un léger sourire, mais qu'elle devina un peu triste.
" Tu sais, quand on a un rôle comme le mien... On est bien forcé de prendre le parti de ce qu'on est. Si je ne profitais pas un peu du fait qu'ils m'imaginent incompréhensible, que me resterait-il ? A me morfondre dans ma solitude ? Ce n'est pas mon genre. Je sais que je suis différent d'eux et je sais qu'ils ne peuvent pas me considérer autrement que comme tel. Mais il faut que je puisse moi aussi y trouver mon compte, sinon je serais un de ces vieux shamans acariâtres et grognons, qui passent leur temps à houspiller les enfants et à barber tout le monde avec des souvenirs du temps jadis."

Astrée rit joyeusement.
" Effectivement, ça ne t'irait absolument pas, comme rôle ! Et je suis sûre que même si tu deviens un vieux shaman un jour, ce qui arrivera certainement si on parvient à sauver Sheldon, tu ne seras jamais acariâtre et grognon. Ce n'est pas ton caractère..."
Elle ajouta, plus sérieusement, en posant une main amicale sur son épaule.
" Finalement, c'est aussi bien que le hasard m'ait amenée par ici. Vous avez tellement peu de visiteurs... Ça permet de briser ta solitude, au moins pour quelques jours. Et je suis sûre que tu apprécieras d'autant plus de retrouver ta tranquillité lorsque tout ça sera terminé."
Ce qui présupposait qu'ils parviennent à libérer Sheldon. Mais c'était une chose qui lui apparaissait, finalement, moins impossible que d'empêcher le massacre des villageois. Presque réalisable... du moins, tant qu'elle ne cherchait pas à se demander comment.

" Sûrement, dit le centaure. Bon, comment allons-nous nous organiser ? Quand comptes-tu partir pour Montequine ? Veux-tu arriver avant ou après moi ? Et il faudrait que je me trouve un nom humain, aussi... Et que je me trouve une ville... Peux-tu m'aider ? Je n'y connais pas grand chose, dans le domaine."

" Pour ce qui est de la ville... Tu pourrais tout simplement être originaire de la vallée : il y a un village qui s'appelle Les Etourneaux, c'est le dernier avant Montequine. Mais ils doivent le connaître un peu, et s'ils te posent des questions précises, tu ne sauras pas répondre, il vaut mieux que tu viennes de plus loin... Il y a des villes, comme Rohan, plus loin dans la Trouée des Chevaux, qu'ils ont une chance de ne pas connaître. Bortheias est plus proche, il se peut que certains y soient allés, mais je l'ai visitée un peu avec Reynald donc je peux t'en parler. Sauf si tu préfères venir d'un tout petit village inconnu... Et il va falloir aussi que tu trouves une explication à ta présence dans les montagnes, au cas où ils te demandent. Hum... La recherche d'herbes, peut-être, mais ça va leur faire penser à moi. Sinon... Tu pourrais être un cartographe qui cherche à faire une carte de la région, il n'en existe pas. Ou un passionné de chasse ? Un déserteur de l'armée qui n'a pas voulu aller à la guerre en Dorrandin ? Je te dis tout ce qui me passe par la tête..."
Elle sourit.
" Pour le nom, je ne sais pas... Gwenaël ? Johan ? Brandon ? Aurélien pour la couleur dorée de tes cheveux ? Prend ce qui te semble sonner le mieux. Et pour l'organisation pratique... Et bien je vais partir peu après le petit déjeuner, je pense. J'ai du mal à estimer le temps qu'il me faut pour arriver là-bas, avec Prince. Mais je ne peux entrer au village qu'une fois la nuit tombée. C'est dommage, j'aurais bien voulu y être avant toi, pour observer les réactions à ton arrivée, vérifier que tout se passe bien... A moins que tu n'arrives toi aussi qu'à la nuit, juste après moi ? Ils rouvriront les portes, je pense, peut-être après réunion du conseil. Bon, peut-être que tu préfères arriver durant la journée, donc avant moi, ce n'est pas dramatique, on se donnera un point de rendez-vous à la nuit... mais pour ça il faudrait être sûr qu'ils te laissent libres de tes mouvements et ne te surveillent pas. Donc je préférerais quand même être là-bas la première.

" Je peux arriver à la nuit tombée, ça ne me gêne pas. Et j'aime bien l'idée du déserteur... mais ils vont alors me prendre pour un lâche... Non. Si les centaures me détiennent depuis plusieurs mois, c'était avant la fermeture des dernières failles, ils ont donc pu me dénicher ailleurs... Il faut que je choisisse une cause à laquelle j'entends quelque chose... Un cartographe, pourquoi pas... mais je connais mal la région, je ne ferai pas illusion... Je ne sais pas chasser... Et les plantes, ma foi... Je ne voudrais effectivement pas qu'ils fassent le rapprochement entre toi et moi... Je pourrais être barde, peut-être. Je pense que ce serait le plus simple. Enfin, vu mon âge, je serais un tout jeune apprenti... Mon maître... serait mort dans une crevasse... Quelque chose comme ça ?"

"Bonne idée, de jouer les bardes... mais à condition que tu saches chanter, voire jouer d'un instrument, ou au moins raconter des histoires. Remarque, tu pourrais être spécialisé dans les tours de magie, aussi. Tu pourrais être né dans une troupe itinérante et avoir appris le métier tout jeune, et avoir eu envie de découvrir le monde par toi-même. Mwouais... Non, le plus crédible c'est effectivement que tu sois débutant, et que ton maître ait disparu en montagne. Comme ça, même si tu ne chantes pas très bien, ça ne les choquera pas trop. Sauf s'ils se rendent compte que tu ne connais aucune chanson traditionnelle des humains... Dommage que Reynald ne soit pas là pour t'en apprendre. Hum... Peut-être qu'il vaut mieux te centrer les histoires ou la magie, en fait."
Astrée sourit.
"Par contre, si tu es barde, tu peux venir de loin, un barde ça voyage beaucoup. Tu peux venir de Luménis ou d'Erhedun par exemple. Il y a très peu de chance qu'aucun d'eux n'y soit jamais allé. Ou tu peux même venir de Féérune, ça pourrait expliquer que tu ne connaisses pas les chansons et histoires d'ici... Mais une origine trop exotique pourrait peut-être leur sembler louche. Rohan me semble suffisamment loin si tu décides d'être originaire de Hélonna... Il suffit que tu saches que ça se trouve à l'extrémité ouest de la Trouée des Chevaux, en direction de Luménis, à une demi-veille de la capitale environ, et que ses habitants sont des passionnés de chevaux, comme dans toute la trouée. Il doit y avoir quelque chose comme mille habitants, peut-être plus. Et sans doute autant de chevaux. Ça te va, comme origine ? Ou alors, Féérune... Et pour ton prénom, lequel tu préfères ?

" Je crois que je vais plutôt m'inventer un village, dit le centaure. Un village lointain, dans le nord. Je ne peux pas prendre le risque que quelqu'un soit déjà allé dans les villes voisines. Quant au prénom... Johan me convient bien. Ça ne sonne pas trop différemment de mon véritable nom, ce sera plus facile pour moi de me retourner quand on m'interpelle."
Il sourit.
" Pour le reste, je ne chante pas trop mal... avec ma voix habituelle, mais il est vrai que je ne connais pas le répertoire humain. Par contre, je leur improviserai des histoires, au besoin... Il reste qu'après des mois de captivité, je doute qu'ils me demandent de donner un récital. Je pourrais être mutique et traumatisé, ça fonctionnerait tout aussi bien..."
Il se leva.
" Je vais aller me coucher. Je veux néanmoins que nous nous retrouvions avant que tu ne gagnes Montequine, demain. Je partirai vers l'ouest mais te retrouverai dans le bois de châtaigniers qui se trouve contre la muraille est, au coucher du soleil. Tu verras qu'il y a un vieux cercle de pierres dans le bois. Je t'enverrai un oiseau pour te guider."

" Comme tu veux. Je serai près de la falaise est au coucher du soleil. Je cherche les châtaigniers, le cercle de pierres, j'attends ton oiseau... Et on pourra mettre les derniers détails au point. Par contre, je franchis d'habitude les murs du côté ouest. L'ombre arrive plus tôt par là-bas, et je connais mon itinéraire pour franchir les remparts. Je ne sais pas si c'est facile côté est. Mais bon, je pourrais toujours traverser la vallée près du village, ou longer le mur..."
Elle étouffa un bâillement.
" Mais tu as raison, on ferait mieux de dormir. La journée va être longue demain... Merci à toi, en tout cas, de m'accompagner là-bas, ajouta-t-elle en souriant. Et bonne nuit !"
Elle sentait une certaine excitation la gagner à l'idée de partir en expédition avec Neffen. Au point qu'elle en oubliait presque, un moment, ses doutes concernant leurs chances de succès.

" Si tu dois retraverser toute la vallée, tu n'arriveras pas avant des heures, dit Neffen, songeur. Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai... Tu peux compter sur ton cheval pour galoper dans la broussaille. Hum... Nous verrons. Gardons ce point de rendez-vous. Je serai peut-être parti avant toi, demain matin... Si nous ne nous revoyons plus, je te souhaite un bon périple. Ne te laisse pas intimider par la harde, mais ne leur cache pas non plus que tu t'en vas. Ils déplaceront le campement. S'ils pensent que tu as sciemment décidé de filer entre leurs doigts, ils perdront la confiance que tu as acquise en sauvant Byron."

Astrée acquiesça.
" Je ne compte pas me cacher, je sais qu'ils trouveraient ça suspect. J'ai expliqué à Dymphéa ce que je voulais faire, je le dirai peut-être à Byron aussi. Si d'autres me questionnent, je raconterai que je vais espionner discrètement le village pour voir si je peux apprendre quelque chose d'utile pour la suite. Je ne pense pas utile de préciser davantage. Et je n'ai pas spécialement envie de me retrouver à nouveau piégée dans un trou de terre... Bon, je pourrais dire aussi que je pars définitivement, par le nord, mais je ne suis pas une bonne menteuse, et ils risquent de voir que je ne prends pas cette direction. Au fait, tu as pu savoir qui a voulu m'empêcher d'atteindre le village la première fois ? Et pour quelle raison ?"
Elle réfléchit un instant, se remémorant les quelques mots entendus.
" En repensant à ce qu'ils disaient, je pense qu'ils ne voulaient pas forcément me tuer, même si j'ai bien failli mourir asphyxiée. Ils voulaient peut-être juste m'emprisonner pour que je ne libère pas Byron, ou que je ne risque pas de trahir les plans de la harde..."

Neffen eut un sourire léger.
" Ceux qui ont voulu t'empêcher de rejoindre Montequine ne regrettent sans doute pas leur geste, et se sentent certainement mieux de l'avoir tenté. Tu n'es qu'une humaine et ils ont le souci de la harde... Tu ne fais pas le poids. Mais je sais qui t'a tendu ce piège, oui. Je ne te le dirai pas, cependant. Ce n'est plus utile : Byron est revenu et avec lui, la parole de Sheldon. Tu n'es plus en danger. "

" Si tu le dis..."
Astrée soupira.
" Je sais bien qu'ils ont fait ça parce qu'ils le pensaient dans l'intérêt de la harde, et que ma vie à moi ne pèse rien en comparaison. Ce n'est pas très confortable pour moi de sentir toujours cette défiance, même si je peux la comprendre... Mais si tu penses qu'ils ne chercheront pas à m'empêcher de libérer Sheldon, je te fais confiance."
Elle aurait bien voulu savoir, pourtant, qui étaient ses agresseurs. Et s'ils regrettaient d'avoir raté leur coup, s'ils lui en voulaient d'avoir libéré Byron. Mais Neffen avait raison : devant la parole de leur chef, mêmes les opposants se taisaient désormais. C'était difficile à comprendre.
" Bonne nuit Neffen. Et à demain..."

" Bonne nuit Astrée." dit simplement le shaman avant de se retirer dans son alcôve.
A l'extérieur, il s'était remis à pleuvoir, les gouttes d'eau crépitaient sur le cuir des parois de la tente. La nuit était désormais noire et seules les braises rouges du brasero dégageaient encore une légère clarté. La rôdeuse entendit le centaure se coucher, puis fredonner à mi-voix, une sorte de litanie ondulante, sans paroles. Sans le vouloir, elle commença à dériver, comme hypnotisée par ce chant, et il lui fallut rassembler toute sa volonté pour parvenir à s'arracher à cette étrange torpeur et regagner sa propre couche.

Astrée se déshabilla et se glissa sous les fourrures, savourant le confort de sa couche. Elle n'avait pas vraiment sommeil, trop préoccupée par l'expédition du lendemain. Qu'est-ce qui se passerait s'ils se méfiaient trop de Neffen ? S'ils l'enfermaient quelque part et si elle ne parvenait pas à lui venir en aide ? Peut-être allaient-ils le surveiller à son insu ? Il était probable qu'ils ne le laissent pas sans surveillance, au moins au début... Quoique... il serait de toute façon emprisonné, de fait, à l'intérieur du village, sans moyen d'en sortir. Ils surveilleraient peut-être simplement qu'il n'escalade pas les murailles. Mais ils allaient sans doute le soumettre à un interrogatoire en règle. Elle espérait qu'il s'en tirerait...
L'étrange litanie du centaure, cependant, l'empêchait de trop se creuser les méninges. Elle se sentit peu à peu dériver, comme hypnotisée, et ne tarda finalement guère à s'endormir.

Le soleil lui caressa le visage et elle ouvrit les yeux. Un oiseau chanta quelque part sur sa droite et elle réalisa… qu’elle s’éveillait à l’air libre. Une toile fixée à deux branches plantées dans le sol la protégeait des éléments, sa couche était intacte, mais il ne restait absolument rien de l’habitation du shaman : elle s’était volatilisée pendant la nuit, intégralement. Un peu plus loin, les premiers centaures émergeaient de leur grande tente circulaire et Astrée, les yeux encore brumeux, vit Dymphéa s’approcher, un sourire embarrassé sur les traits. Les nuages avaient disparu, le ciel était bleu, mais le fond de l'air encore frais. Prince broutait un peu plus loin sur sa droite, agitant tranquillement sa longue queue noire dans la brise piquante. La centaure parvint à sa hauteur.
« Je suis désolée. On dirait que Neffen a décidé d’aller se promener… Il peut être… un peu cavalier, quand il a une impulsion subite. J'espère que tu n'as pas eu froid... »

Le visage d'Astrée devait refléter la plus parfaite incompréhension. Elle se redressa lentement, un peu abasourdie, prenant conscience qu'effectivement, elle se trouvait dehors. Elle regarda Dymphéa, et secoua la tête d'un air perplexe.
" Misère, il aurait au moins pu me prévenir... C'est pas possible..."
Elle finit par sourire largement, sensible à la cocasserie de la situation. Une bête petite farce. Au moins lui avait-il laissé un bout de toile pour la protéger... Et puis, en y réfléchissant, il était normal qu'il emmène sa tente en partant, puisqu'il s'attendait à ce que la harde déménage et que nul n'allait la démonter à sa place.

" Bon, laisse-moi juste le temps de m'habiller, et j'arrive..."
Elle s'habilla chaudement, en se protégeant à demi sous les fourrures, et se leva, un peu embarrassée d'être ainsi exposée aux regards de tous les centaures qui émergeaient. Au moins, personne ne risquait de soupçonner que Neffen allait la rejoindre là-bas.
" Il ne me reste plus qu'à aller déjeuner... Et je pense que je vais te confier les fourrures jusqu'à ce que Neffen se décide à revenir."

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine