La Couronne de Cuivre

Il se retrouva donc dans la pénombre en compagnie de Baptiste, qui se changeait en repliant consciencieusement ses vêtements, vestige sans doute de son enfance à la commanderie. Il avait l'air légèrement troublé, mais aussi passablement épuisé, et il se pelotonna dans ses couvertures. Il ne trouverait sans doute pas très rapidement le sommeil, cependant.
On apercevait le feu orangé au travers de la toile de la tente, les braises craquaient de temps en temps, et le vent soufflait dans les branchages au-dessus d'eux. Les guetteurs et Titus étaient parfaitement silencieux.

-Bonne nuit, Baptiste, murmura-t-il. Si à un moment, quelque chose ne va pas, n'hésite pas à me réveiller ou à venir me trouver.
Et à moins que le gosse ne souhaite discuter un moment avec lui... Il entrerait en rêverie.

Baptiste ne voulait pas parler, mais il vint quand même se réfugier tout contre Taliesin. Cette présence un peu remuante ne facilita pas sa Rêverie et il mit un certain temps à trouver la disposition d'esprit adéquate. Mais il finit néanmoins par s'y enfoncer et louvoya dans cet univers de souvenirs et d'impressions diffuses, sereines et apaisantes, pendant un long moment dont il perdit la notion. Enfin, on le réveilla doucement.
" Je crois que Phelan s'endort. C'est ton tour." murmura Victor à son oreille.
Le gosse était encore habillé mais commençait à se changer. Peut-être ne s'était-il écoulé que quatre heures... ou peut-être plus, comment le savoir ? Il n'était pas certain de savoir s'il était encore en Rêverie ou bien endormi quand Victor l'avait secoué. Mais il se sentait globalement reposé.

-Merci de m'avoir réveillé. Bonne nuit, bonhomme. A demain. murmura-t-il.
Puis il entreprit de s'extirper silencieusement - et sans bousculer Baptiste - de la tente.
Une fois qu'il aurait motivé Phelan puis que celui-ci se déplace jusqu'à ses ocuvertures... débuteraient des heures qui s'annonçaient passablement ennuyeuses.
Mais c'était pour la bonne cause.

Phelan ne dormait pas, mais il accepta la relève et alla rejoindre son propre abri. Taliesin ne vit Titus nulle part, mais il s'était sans nul doute trouvé un refuge quelque part entre une souche et un tas de feuilles mortes. La nuit demeura tranquille, comme il l'avait prévu, et hormis la silhouette d'un petit carnivore et le chant d'une chouette, il ne perçut rien de notable. Les heures s'égrenèrent, une à une, le ciel grisa, et Baptiste émergea à son tour.
" Tu veux retourner te coucher une heure ou deux ? proposa le garçon en le rejoignant. Je suis bien réveillé."

-C'est gentil mais je vais rester ici, quitte à entrer quelques minutes en transe. De toute façon, le plus tôt on se mettra en route, le mieux ce sera.
Il lui sourit.
-Tu as bien dormi ?

" Ça va. Je suis habitué à la respiration de Victor, elle me berce... C'est paradoxal, vu qu'on ne dort même pas ensemble à la ferme..."
Il fronça le nez et lui jeta un petit regard en coin.
" Est-ce que c'est vrai que Galathée et toi, vous pensez à nous faire déménager ?"

Il le fixa, stupéfait.
-Comment es-tu au courant de cela ? Galathée et moi en avons seulement discuté ensemble, sans en parler encore à personne...
A moins que la rôdeuse n'ait commencé à préparer le terrain.

Baptiste rougit.
" Je... Heu... C'est un des frères Merlu qui m'en a parlé. Je ne sais plus lequel. Je crois qu'il avait entendu Galathée parler avec son père... d'une maison dans les environs... Enfin, c'est ce qu'il avait dit... C'était Félix, je crois. Hum... Tu sais, il y a toujours des enfants partout, dans cette ferme... Ce n'est pas comme si on pouvait jamais être complètement certain d'être seul."

-C'est vrai.
Et Galathée avait donc parlé de ça à Guilhem... Sans doute pour ancrer davantage les choses dans le concret.
-Mais donc... Oui, c'est en projet. Cela permettrait de vivre moins les uns sur les autres, d'avoir davantage d'intimité... Cela laisserait plus d'espace aux Merlus, aussi, à Guilhem en particulier...
Il se garda de dire que l'idée émanait de sa compagne, que c'était surtout à elle que cela tenait à cœur. Il le savait, sa propre position en ce domaine était un peu égoïste.

Baptiste acquiesça.
" Je comprends, dit-il finalement. C'est un peu effrayant, quand même."
Il sourit.
" J'ai toujours vécu en communauté. Mais je pense que j'aimerais bien essayer... une famille pour de vrai."

Au final, il serait peut-être le seul à nourrir des regrets quant à ce changement de vie...
-Il y a encore quelques difficultés pratiques à résoudre mais... rien d'insurmontable, je pense. Et ensuite, ce sera le grand saut. Une nouveauté pour moi également : j'ai grandi au sein d'une famille, certes, mais elle était si nombreuse qu'elle avait quand même un petit côté communauté, comme à la ferme.

" J'espère qu'on trouvera une maison pas loin, quand même... Ce serait dommage de ne plus pouvoir jouer ensemble..."
Il croisa les bras, poussa un bref soupir.
" Ce sera plus calme, cela dit. Je pense que ça me conviendra. Mais Victor sera sûrement déçu, lui."

Oui, tout bien réfléchi, Victor accueillerait la chose moins posément : n'était-il pas devenu un membre à part entière de la famille Merlu ?
-L'idée est de trouver une maison proche, oui. Proche et qui ne soit pas une ferme. Bref, ce ne sera pas simple à trouver mais... on s'y efforcera.

" J'espère que je pourrai avoir ma chambre, dit le gosse, avant de s'empourprer violemment. Enfin... Hum... S'il y a la place, bien sûr, je ne voulais pas..."
Il était manifestement très embarrassé.
" Partager me va très bien, évidemment."

Il lui sourit.
-Dans mon idée, il va de soit que Victor et toi auriez chacun votre chambre. Et j'aimerais bien qu'on ait assez de pièces libres par ailleurs pour aménager une bibliothèque.

" Et un laboratoire ? Tu crois qu'on pourra avoir un laboratoire ?" s'enthousiasme le jeune garçon.
Son sourire s'élargit.
" Ça pourrait être dans la cave... ou le grenier... Faudrait une cheminée, bien sûr, pour pas s'étouffer... ça peut être petit, ça m'est égal, juste pour que les jumeaux aillent pas mélanger les produits..."
Il grimaça.
" Mais on va payer une maison comme ça comment ? Ça doit être rudement cher, surtout aussi près de Luménis..."

-Ne t'en fais pas pour ça : nous avons des solutions en tête. Et si nécessaire, je travaillerai beaucoup durant quelques mois. Le temps de me faire une réputation dans la région, de décrocher quelques cachets bien payés... Cela peut aller très vite, tu sais. Au besoin, je pourrais même envisager de séjourner à Loth Imarhil quelques veilles... Bref, nous aurons de quoi acheter cette maison et t'aménager un petit laboratoire bien comme il faut.

Il sourit puis se rembrunit.
" Je ne suis pas certain que je voudrais que tu te tues à la tâche pour me payer un laboratoire... C'est quand même un peu excessif, non ?"
Il poussa un bref soupir, son sourire revint.
" Mais on trouvera une solution, oui."

-Pour ma part, je ne trouve pas que t'aménager un laboratoire soit disproportionné. Si c'est ce qui te passionne, si c'est vers ça que tu souhaites te diriger, notre rôle est de te soutenir, de t'offrir les meilleures conditions possibles pour appréhender cette voie. Après, nous n'aurons pas forcément les moyens de t'offrir quelque chose d'extraordinaire mais une pièce où tu pourras à loisir et sans risques te livrer à des expériences, ça me semble tout à fait raisonnable.

Il sourit.
" C'est gentil."
Il jeta ensuite un coup d'oeil derrière son épaule.
" Mais en parlant d'expériences, je crois que je vais aller m'occuper du petit déjeuner..."
Le soleil s'était levé mais il demeurait encore timide, dissimulé par le sous-bois dense.

-D'accord. De mon côté, je vais entrer quelques minutes en rêverie, pour m'assurer d'être d'attaque aujourd'hui. Mais n'hésite surtout pas à m'appeler si tu as besoin de quoi que ce soit.
Puis de joindre le geste à la parole. S'il parvenait à rester en transe ne serait-ce qu'une demi-heure, ce serait déjà très bien.

Il y parvint, bien que la transe fut plus légère que d'ordinaire : il continua à percevoir ce qui se déroulait autour de lui, confusément, les déplacements de Baptiste, la naissance du feu, les odeurs de nourriture. Il put ainsi émerger à sa convenance et rejoindre le petit garçon au moment où celui-ci commençait à remplir les bols de gruau. Titus émergea du bois, des feuilles mortes dans les cheveux et accrochés à sa toison. Phelan et Victor, par contre, dormaient encore tranquillement en dépit du jour.

Il salua chaleureusement le petit faune, songeant qu'il avait dû apprécier cette nuit à la belle étoile. Puis il se tourna vers Baptiste :
-L'heure est venue de réveiller les marmottes. De qui préfères-tu te charger ? Victor, Phelan ?
Lui-même arracherait l'autre à son sommeil, évidemment.

" Je te laisse Victor... Je crois que Phelan est moins rancunier... et il n'osera jamais se donner en spectacle, contrairement à d'autres."
Il sourit.
" Cela dit, si tu me laisses commencer, il pourrait se lever en un éclair juste pour montrer qu'il est d'attaque aussi rapidement que son adversaire..."

L'elfe lui rendit son sourire.
-Excellente stratégie ! Faisons donc ainsi !
Baptiste ayant remarqué la rivalité entre son frère et leur nouveau compagnon d'aventure, inutile de lui faire un laïus à ce sujet : il saurait se protéger des dommages collatéraux.

Le plan de Baptiste fonctionna à merveille : il réveilla Phelan, qui se leva sans maugréer et rejoignit le coin du feu, chiffonné mais de bonne humeur. Le son de sa voix, s'enquérant du menu, suffit à agir comme un seau d'eau glacé sur Victor, qui émergea de la tente comme s'il avait été propulsé par une catapulte. Cordélia n'était bien sûr pas cachée dans le fond des bols de gruau, mais on aurait presque pu le penser.
" J'ai un peu regardé, dit Baptiste au détour du repas. Je crois qu'il n'y a qu'une seule personne qui a campé ici. Il n'y a qu'une seule sorte d'empreintes, en tout cas."

-Mince...
S'ils avaient fait fausse route, si Cordélia s'était en réalité rendue à Viveverte, ils auraient perdu beaucoup, beaucoup de temps, et il préférait ne pas songer aux conséquences potentielles...
-Peut-être n'ont-ils pas voyagé ensemble, peut-être le garde-chasse ne s'est-il lancé à sa recherche qu'après avoir constaté qu'elle ne revenait pas... En tout cas, c'est une raison de plus pour nous hâter : si nous nous sommes fourvoyés, nous devons le savoir au plus vite.
Bref : terminer le petit-déjeuner, lever le camp et s'y remettre.

Titus n'avait rien compris à ce que Taliesin racontait — c'était impossible de traduire continuellement tout ce qu'il disait et le faune n'apprendrait le commun qu'en y étant confronté le plus souvent possible, mais il parut percevoir son humeur, et s'approcha de lui comme il repliait la tente. Il demanda des explications et Taliesin lui exposa ses inquiétudes.
" Les moustiques disent que deux personnes sont passées ici, mais pas le même jour. Il n'y en a qu'une qui a dormi."

Il lui adressa un sourire chaleureux.
-Je n'aurais jamais imaginé devoir un jour remercier des moustiques mais... force est de constater que la vie réserve bien des surprises. Cependant, c'est surtout toi que j'ai envie de remercier : je pense que tu viens de nous apporter la preuve que nous sommes sur la bonne voie et c'est très réconfortant.
De fait, il se sentait déjà l'esprit bien plus léger.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile