[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Taliesin]

-Vous savez, certains tournois s'étalent sur plusieurs jours, voire sur une semaine entière. Et ils stimulent l'économie, dans la mesure où ils attirent des milliers de spectateurs, et donc des milliers de clients pour les commerces et les hostelleries.
Il sourit.
-Mais je plaisantais. Simplement, je me suis un moment imaginé dans la lice, et... Brrrr ! Je me suis dit : jamais ça ! Non que cela n'ait pas été intéressant à regarder. Au contraire... Mais c'était parfois tellement impressionnant que cela en devenait éprouvant. Notamment le duel entre Robert et messire Hubert. Je dois avouer que je ne les verrai plus jamais de la même façon... et que j'en viens presque à plaindre les monstres des Landes.
Quelques instants plus tard, Albérich aperçut son ami, accompagné de Ruth et de plusieurs femmes qu'il ne connaissait pas.

[Galathée]

L'ancien clerc ne put s'empêcher de sourire aux paroles d'Ignace. Sans doute ne pourrait-il plus jamais regarder Hubert de la même façon, lui non plus. Il mesurait davantage ce qui les différenciait, combien le paladin l'avait ménagé lorsqu'ils s'entraînaient encore en tête à tête, mais aussi la force sur laquelle il pouvait compter, quelque part. Une seconde, il se demanda comment les choses se seraient déroulées, l'hiver précédent, s'il avait eu Hubert pour veiller sur lui plutôt qu'Hector, tout frais émoulu du fort luménien, impliqué, sérieux mais tellement jeune... C'était une pensée inutile, car il aurait refusé qu'un paladin de la commanderie convalescente perde son temps à le suivre partout. Et quand Erwan de Sallis et ses preux étaient arrivés au bas de la tour, les Sharites les avaient balayés sans la moindre difficulté. Il repoussa ces images, revint dans l'instant. C'était une chance qu'Hubert ait été banni de Luménis. Sans cela, il aurait péri aux mains de Nwalk ou de Calme Péril.
" Je trouve ça rassurant." dit-il néanmoins, en réponse à Ignace.
Il fit ensuite signe à Hubert, lequel se fraya un passage parmi la foule pour venir à sa rencontre. Il avait la main sur l'épaule de Ruth la Terrible et il la guida jusqu'au Luménien.
" On t'a déjà mis au boulot ? Albérich, je pensais que tu allais boire un verre avec moi, pas distribuer des assiettes ! s'exclama le paladin.
— J'essaie de faire ma part."
Le paladin leva les yeux au ciel.
" Nous allons voir ça... Mais je tiens quand même à te présenter formellement Ruth, l'écuyère de choc que tu m'as choisie tout à l'heure. Ruth, je te présente mon ami Albérich, qui est intégralement responsable de l'allure qu'a prise ta journée.
— Enchanté, Ruth." dit le Luménien en lui tendant la main.

[Taliesin]

-Ehcnantée aussi, m'sire ! dit-elle en lui serrant la main de sa poigne petite mais énergique.
Elle le dévisagea un instant.
-Alors c'est vous qui m'avez choisie et pas messire Hubert ? Le prenez pas mal, mais j'suis un peu déçue, parce que je croyais que mon message lui avait plu... Enfin, c'est pas grave, et c'est très gentil à vous de m'avoir sélectionnée, parce que comme ça, j'ai passé une méga journée ! Vous m'avez choisie à cause des fautes, c'est ça ? Vous vous êtes dit que de toute façon, manquer un peu l'école ça changerait rien ? Vous avez bien eu raison !

[Galathée]

Les deux hommes se dévisagèrent un instant et Hubert haussa les épaules avec une grimace.
" Ce n'est pas exactement ça, dit Albérich. Au contraire. Nous n'avons rien pensé de tel. Hubert s'est même inquiété de te faire manquer la classe. Mais nous avons pensé que... tu te rattraperais ensuite. Que tu aurais encore bien le temps de progresser...
— Bon, j'ai soif, moi ! s'exclama le paladin, tentant sans doute de changer de sujet. Qu'est-ce que je t'amène ?
— Un hydromel sera très bien.
— Et un verre de lait pour Ruth !" ajouta-t-il malicieusement.

[Taliesin]

-Dans tes r... commença-t-elle, avant de s'empourprer. Heu, je voulais dire... Je vous remercie, messire, mais je préfère autre chose. Mais vous embêtez pas, je vais me débrouiller toute seule comme une grande ! Et si on me donne pas ce que je veux, ce sera la botte secrète ! On est plus au tournoi, donc j'ai à nouveau le droit de m'en servir !
La petite fille s'élança, et elle avait déjà parcouru plusieurs mètres lorsque sa mère tenta de la rappeler. En vain : soit Ruth n'entendit pas, soit elle fit mine de ne pas entendre. La jeune femme n'eut d'autre choix que de renoncer.
-Ne sera-t-elle donc jamais fatiguée ? soupira-t-elle.

[Galathée]

Hubert haussa les épaules, l'air incertain.
" Vous la retrouverez sans doute endormie dans un coin au moment du rangement..." fit-il.
Il se retourna vers Albérich.
" La maman de Ruth, ici présente, est responsable avec ses amis de nos costumes de tournoi..." expliqua-t-il.
Il refit face à la jeune femme.
" Je réalise que je ne connais même pas votre nom..." ajouta-t-il, embarrassé.

[Taliesin]

-Vous savez, ma fille étant beaucoup plus célèbre que moi au sein de la communauté, on me connaît surtout comme "la maman de Ruth". Mais je m'appelle Ingrid.
Ses amies se présentèrent également et toutes serrèrent la main d'Albérich.
-Hum, je crois que le temps est venu de céder la place à vos autres admirateurs... reprit la jeune femme après avoir jeté un regard autour d'elle.
De fait, bien des gens observaient leur petit attroupement, et nul doute que ce n'était pas uniquement pour avoir à manger, puisqu'il y avait bien d'autres endroits où se faire servir...

[Galathée]

Hubert et Albérich saluèrent les jeunes femmes, le paladin les remerciant encore pour leur beau travail. Il portait d'ailleurs toujours le tabard, franchement fripé désormais, qu'elles lui avaient cousu. Le Luménien sourit en réalisant qu'il dégageait une odeur de sueur marquée, mais comme il n'était pas le seul, et que les parfums de nourriture étaient particulièrement forts, ce n'était pas vraiment dérangeant.
" Je pense que je vais aller nous chercher ce verre pendant que tu accueilles une nouvelle salve d'admirateurs." souffla-t-il.
Hubert avait le regard dans le flou, un sourire un peu béat sur les lèvres, et Albérich le devina très fatigué. Mais il comprenait qu'il n'ait aucune envie d'aller se coucher.
" C'est gentil." finit-il par répondre.
Albérich lui serra doucement le bras, puis fila entre les tables pour leur dénicher de quoi se désaltérer.

[Taliesin]

Débuta ainsi un interminable défilé de gens de tous âges et de toutes sortes qui firent pleuvoir sur le paladin non les coups, mais les compliments dithyrambiques. Les connaisseurs s'extasiaient des techniques et des manœuvres qu'il avait accomplies sous leurs yeux, les autres se contentaient de lui faire part de l'indélébile impression que leur avait laissé le combat, proprement époustouflant. Il y avait cependant un point commun à l'ensemble de ces louanges : chaque personne remerciait Hubert pour le spectacle qu'il avait offert, certes, mais surtout pour sa participation à l'expédition, arguant que face à un homme de sa trempe, les sombres hôtes des marais n'avaient qu'à bien se tenir.
Robert, son adversaire malheureux, finit par apparaître à l'extrémité sud de la place. Il était accompagné non d'Alban, mais d'Agathe et de Rebecca. Ils étaient en grande conversation et les deux institutrices, particulièrement animées, donnaient le sentiment de négocier quelque chose avec le chevalier vaincu.

[Galathée]

Albérich assista à ce déferlement en public tranquille, satisfait de son invisibilité, veillant à ce qu'Hubert ne s'écroule pas, heureux pour lui, fier même, très simplement. Il était parfaitement conscient de n'avoir absolument rien à voir avec la victoire du paladin, mais par association, le sentiment était irrépressible. Son ami recevait chaque personne avec le même sourire, la même modestie un peu feinte, se réjouissait de pouvoir aider à la mission prochaine, refusait de vendre la peau des monstres des marais avant de les avoir tué, associait Robert, les instructeurs, les jeunes chevaliers et même les écuyers à tout compliment, et rayonnait de bonheur. Albérich se demandait cependant s'il ne finirait pas par réaliser qu'une certaine pression allait désormais reposer sur ses épaules. Il avait eu une réputation, il avait prouvé qu'il était bon, les gens allaient l'attendre au tournant. Mais sans doute Hubert était-il persuadé d'être à la hauteur. Et peut-être l'était-il, après tout.
Rien ne te suffit jamais, songea-t-il, un instant décontenancé.
Puis son regard tomba sur les deux institutrices et Robert et il se demanda ce dont elles pouvaient bien l'entretenir.

[Taliesin]

Le chevalier finit par lever les mains en signe de reddition, et il regarda les jeunes femmes s'éloigner en arborant un air littéralement mortifié. Celles-ci se dirigèrent vers le paladin sitôt qu'elles l'eurent remarqué et prirent leur place dans la file encore longue de ses admirateurs.
-Mes félicitations, Hubert, dit Rebecca quand elles furent enfin parvenues à sa hauteur. C'était spectaculaire !
-Incroyable, même, renchérit Agathe.
-Oui. Une telle débauche d'adresse et d'énergie, je n'aurais jamais cru que ce soit possible.
-Après cela, la seule idée de devoir retourner sur le terrain d'exercices dès l'aube doit être horrible...
-Mais soyez rassuré, nous avons pensé à vous !
-Ça n'a pas été facile, et pourtant...
-...nous avons réussi à convaincre Robert d'annuler tous les entraînements prévus demain !

[Galathée]

Hubert rit de bon coeur et Albérich opina du chef, appréciateur.
" Ah, que ferais-je sans de bonnes âmes désintéressées se souciant de ma bonne santé et de ma propension à faire la grasse matinée ! s'exclama le paladin. Mais c'est parfait. Ça permettra à Ted de mettre en route les termes du pari qu'il a perdu dès demain matin... J'ai hâte ! Merci mesdames, je vous suis redevable de votre initiative."
Oh, moi aussi, songea le Luménien.
Il se demanda en quoi consistait ce pari... mais il imaginait qu'il le découvrirait bien assez tôt.

[Taliesin]

Les institutrices parurent désolées.
-Et bien, Hubert, comment vous dire ? Je crains que malgré la suspension des entraînements, il ne vous soit impossible de dormir plus longtemps qu'à l'ordinaire,
-C'est embarrassant, mais... Suite à votre discrète...
-..;et subtile...
-..intervention de cet après-midi, nos élèves ne tenaient plus en place.
-Nous avons tout tenté pour qu'ils se concentrent à nouveau. Peine perdue, hélas !
-Épuisées, tant physiquement que nerveusement, nous avons été contraintes de laisser partir les enfants.
-C'était cela ou nous craquions.
-Et, pour parler franc, nous sommes encore tellement lessivées que nous serons totalement incapables d'assurer nos fonctions, demain.
-Nous en sommes mortifiées, croyez-le bien, mais... Nous avons impérativement besoin d'une grasse matinée.
-D'une longue, très longue grasse matinée.
-Et d'un après-midi d'oisiveté complète.

[Galathée]

Le paladin se figea.
" Misère, et j'ai promis de m'occuper de vos classes pour vous dédommager du désordre que j'y ai mis..." souffla-t-il, stupéfait.
Il se retourna vers Albérich.
" Je crois que je vais aller me coucher. Tout de suite."
Le Luménien n'en croyait pas ses oreilles.
" Tu leur as dit quoi ?
— Qu'est-ce que tu fais demain, toi ?
— Je crois que... je vais peut-être épauler un paladin qui a promis n'importe quoi ?
— Merci, tu es un frère. Mesdames... Ce fut un plaisir mais... il faut que j'aille me reposer."

[Taliesin]

-Attendez ! Nous ne pouvons pas vous laisser partir sans vous en dire un peu plus ! fit Agathe, se fendant d'un sourire enjôleur.
-Déjà... Albérich, je crains que Marthe ne tienne énormément à ce que vous travailliez avec elle, demain. Elle aimerait que votre projet avance...
-Ensuite... Hubert, vous devez savoir que, consciente de la fatigue qu'il a accumulée ces derniers temps, nous avons obligé Philibert, notre collègue, a prendre également des vacances. C'était vital, pour lui.
-Vous devrez donc vous occuper de ses élèves, en plus des nôtres...
-Sachez aussi qu'avant de vous imposer une telle tâche, nous avons songé à, simplement, laisser les enfants à la garde de leurs parents. Cependant, ils ont dû gérer leur surexcitation une bonne partie de l'après-midi...
-Et vont devoir le faire tout ce soir...
-Si bien qu'ils seront littéralement lessivés, demain.
-Alors voilà, nous en sommes absolument navrées, mais...
-Il vous faudra gérer tous les enfants scolarisés de la communauté...
-De l'aube au crépuscule.

[Galathée]

Le paladin ne put alors s'empêcher de sourire.
" Ceci est juste un cauchemar. En réalité, je suis dans mon lit depuis déjà une bonne heure. Vous n'êtes que des émanations de mon imagination. Des goules de la nuit. Des espèces de... songes induits par l'épuisement et l'alcool, sans doute. Il faut dire que cette bière n'est pas mauvaise, mais on sent qu'elle vous dérange le crâne. Et donc, vous croyez que vous allez me faire peur, mais en réalité... Je vais me réveiller et j'aurai absolument tout oublié. J'irai bien sagement donner mes classes sur le terrain d'entraînement. Et les deux femmes réelles qui vous ressemblent, en moins harpies, cependant, s'occuperont de leurs classes."
Albérich leva les yeux au ciel, avec un doute certain quant à l'efficacité de la manoeuvre.

[Taliesin]

-Goules de la nuit...
-Harpies...
-Quelle verbiage imaginatif ! C'est autant pour ceux qui pensent que les hommes d'épée font de piètres rhétoriciens....
-Mais le mythe de la galanterie des paladins et autres chevaliers en prend un rude coup...
Elles lui sourirent.
-Allons, Hubert ! Vous êtes leur idole ! ils ne parlent que de vous ! Tout le temps !
-Vous n'aurez donc aucun mal à vous faire obéir d'eux !
-Mais, si je puis me permettre un conseil... Avant de vous endormir, réfléchissez tout de même à un semblant de programme.
-Il vaudrait mieux, oui.
-Comme il vaudrait mieux que vous n'oubliiez pas de vous réveiller. Car seuls les dieux savent ce dont seraient capables des dizaines d'enfants laissés sans surveillance, livrés à eux-mêmes...
-Mais cela n'arrivera pas, j'en suis certaine ! Vous ne voudriez à aucun prix décevoir tous ces gens qui vous adulent et qui seront fiers que leurs charmants bambins soient placés, une journée entière, sous votre responsabilité !
-Vous ne voudriez pas, non plus, briser les cœurs de ces adorables petits chérubins que la perspective de vous avoir pour maître emplit déjà de bonheur...
-...à un tel point qu'elle les empêchera de dormir !
Elle lui sourirent plus largement encore.
-Merci pour eux, Hubert.
-Merci pour nous, aussi.
Elles lui tapèrent amicalement sur l'épaules, saluèrent Albérich puis tournèrent les talons.

[Galathée]

" Misère, fit Hubert. Tu parles d'une douche froide...
— Allons, je te donnerai un coup de main, je te l'ai dit.
— Est-ce que tu sais seulement combien ils sont ?
— On parle de cinq cent personnes... donc... Je ne sais pas... la moitié d'enfants ?
— Deux cent cinquante enfants, et juste toi et moi.
— On trouvera bien quelque chose.
— Tu es diablement plus optimiste que moi. Et j'avais parlé de me charger des classes l'après-midi, pas plus.
— Ecoute... Ce sera un fiasco, et ce sera formidable, parce que du coup, plus personne ne t'ennuiera jamais avec ça.
— Tu as raison, voyons le bon côté des choses.
— Tu peux déjà commencer par organiser une grande partie de cache-cache le matin. Le camp est plein de tentes, le temps qu'on les retrouve tous, il sera bien midi.
— C'est pas bête.
— Ensuite, je prendrai les grands pour discuter de la charte avec eux, et je te laisserai... jouer bac à sable avec les petits. Puis il faudra prendre le temps de reboucher tous les trous que vous aurez fait dans le terrain d'entraînement, et donc, ce sera la nuit."
Ils quittèrent la tente de la cantine et mirent le cap vers la mer.
" Tu as bu combien de verres d'hydromel, au juste ?
— Six, je crois.
— Six. Tu verras les choses d'un autre oeil demain matin.
— Je ne suis pas obligé de dessaouler... Il doit y avoir moyen de trouver du ravitaillement quelque part.
— A mon avis, c'est douze que tu en as bu.
— Allons, allons..."

[Taliesin]

Parvenus à proximité de leur tente, ils entendirent des pas s'éloigner précipitamment, et Hubert distingua une petite ombre s'enfuir dans les ténèbres. Ce pour quoi était venu ce visiteur, ils ne tardèrent pas à le découvrir : même si le tournoi n'était pas terminé depuis très longtemps, le seuil de leur domicile de toile était déjà jonché d'une bonne dizaine de missives évidemment adressées au paladin. A en juger par ce qui était griffonné dessus, la grande majorité émanait d'enfants suppliant sans doute Hubert de les prendre comme écuyers. Mais deux, au moins, portaient des écritures plus adultes, plus féminines. Des déclarations d'amour, peut-être ?

[Galathée]

" Comme si j'avais le temps de lire ! s'exclama le paladin. Je dois préparer ma journée de demain !"
Il se tourna vers Albérich.
" Secrétaire, voulez-vous bien trier toute cette paperasse ?
— A vos ordre, messire."
Hubert ouvrit la tente et bâilla profondément.
" Misère, j'ai mal partout."
Albérich rassembla tous les parchemins abandonnés et le suivit à l'intérieur. Le paladin terminait d'allumer une deuxième bougie et la lui tendit.
" Ah, bon sang, j'ai oublié mon armure sur le terrain d'entrainement... Tu parles d'un chevalier...
— Bah, quelqu'un te l'aura rangée. Au pire, ça occupera deux gamins demain matin.
— Ça rouille, les armures, fit Hubert en se laissant tomber sur le dos.
— Vu la quantité de sueur qu'il y a eu à l'intérieur, la rosée ne fera qu'équilibrer les choses.
— Je pue ?
— Oui, tu pues.
— Misère."
Le Luménien ouvrit la première des deux lettres à l'écriture féminine.
" Je te fais la lecture pour t'endormir ?
— Faut que je me change. Mais oui, vas-y, pendant que je reprends des forces."

[Taliesin]

La lettre n'était pas exactement un message traditionnel...

Humble
LUmineux
Beau
Exceptionnel
Rayonnant
Tellement mignon !

Ursulina,
Que ses quinze printemps n'empêchent pas de vous aimer tendrement.

[Galathée]

" Un acrostiche, pas mal ! fit Albérich.
— Elle n'a rien trouvé pour le U.
— Urticant.
— Unique ou Utile ou Ultra-formidable, pas urticant ! Maudit Luménien ! Lis-moi la deuxième.
— Tu ne veux pas que je te relise la première ?
— Misère, Albérich, j'avais quitté Solarcis et mes trente-huit soupirantes !
— Peut-être que la bonne est dans la communauté...
— C'est ça."
Il poussa un profond soupir.

[Taliesin]

Cette lettre-ci était plus longue... et non accompagnée de petits cœurs, contrairement à la précédente.

Vos beaux yeux sur mes mots posés,
Vos douces mains effleurant ce papier,
Rien qu'en y songeant, me voilà transportée,
Dans le plus charmant des rêves éveillés.

Ma vie n'est point très longue encore,
Mais déjà j'ai croisé maints beaux seigneurs,
Qu'il n'est nul besoin d'aller chercher ailleurs,
Tels le sémillant Louis ou Étienne le rêveur.

Mais aucun d'entre eux ne vous égale, Hubert,
Pas même le vaillant, le valeureux Robert,
Que vous avez terrassé, tel le lion,
Me faisant m'évanouir, tomber en pâmoison.

Vos beaux yeux sur moi posés,
Vos douce mains me tenant enlacée,
Rien qu'en y songeant, me voilà transportée,
Dans le plus charmant des rêves éveillés.

Qui un jour, si les dieux m'accordent leur bonté,
Ne sera plus un songe, mais la réalité.

Une humble dame qui de vous s'est éprise,
Et vous envoie ses baisers, légers comme la brise.

[Galathée]

Cette fois, Albérich et Hubert demeurèrent silencieux de longues secondes.
« Je me sens indiscret pour le coup. » dit finalement le Luménien, en reposant le parchemin.
Hubert lâcha un gémissement, les poings pressés sur les orbites.
« J’aurais dû perdre, j’aurais dû perdre, j’aurais dû perdre. » répéta-t-il.
Albérich replia la lettre et la referma.
« Dis-toi que si tu avais perdu, tu aurais attiré des demoiselles cherchant à panser tes blessures et soigner ton orgueil. Ça n’aurait rien changé.
— Je voulais juste m’entraîner.
— Je sais. »
Hubert soupira.
« C’est un beau poème. La personne qui l’a écrit est douée.
— Elle l’a peut-être copié dans un bouquin.
— Hum… Il me paraît quand même très… sur mesure.
— Je m’en fiche, Albérich. »
L’ancien clerc sourit doucement.
« Qu’imaginais-tu ? Que subitement ton charme ravageur allait se dissoudre dans l’air des Landes ? La moitié des femmes du fortin de Solarcis recherchaient ta faveur.
— Tu exagères. Et j’espérais avoir la paix, oui.
— Mais tu n’auras jamais la paix.
— Ah merci…
— Pas tant que tu ne te seras pas trouvé quelqu’un. »
Hubert se releva, stupéfait.
« Quoi ? Tu vas faire ta Pernille, subitement ? Je pensais que nous nous comprenions, en la matière !
— Je ne te parle pas de te marier à la première venue. Je te parle de, peut-être, rencontrer l’âme sœur dans cette communauté. Qu’y aurait-il de mal à ça ? Ou de surprenant ?
— Rien, sans doute. Sauf que ce n’est pas sur la liste de mes priorités. »
Albérich sourit. Hubert était sacrément remonté, peut-être valait-il mieux changer de sujet. Mais le paladin prit les devants.
« Je vais aller me laver.
— Où ça, dans la mer ? Elle est glacée…
— Les paladins ne tombent pas malades. » rétorqua Hubert en se levant.
Une seconde plus tard, il était sorti, laissant Albérich surpris mais relativement amusé. Il se décida cependant à le suivre, histoire de vérifier qu’il n’allait pas se noyer.

[Taliesin]

Les paladins n'avaient jamais froid, c'est un fait, contrairement à la plupart des gens. Pourtant, des personnes ne bénéficiant pas de cet avantage avaient décidé de braver la température glaciale de l'eau. Il s'agissait uniquement de combattants s'étant démenés dans l'arène et ne souhaitant pas passer une nuit à mariner dans leur sueur : des élèves, par petits groupes ; les instructeurs, rassemblés, occupés à se brocarder... Hubert crut même distinguer Robert, seul et un peu à l'écart. Aucun d'entre eux n'avait apporté de torche, mais il n'en était nul besoin : la lune brillait, nimbant la plage et les flots mouvants d'une lueur argentée, irréelle, presque féérique.

[Galathée]

Hubert s'était arrêté sur la plage, sans doute surpris de découvrir autant de monde dans l'eau. Mais il ne resta immobile qu'un instant et entreprit rapidement de se déshabiller, jetant tous ses vêtements sales à même le sable, à l'exception du tabard de la mère de Ruth, qu'il replia plus soigneusement. Albérich demeura en retrait tandis qu'il se dirigeait vers l'eau, observant cet étrange bain de minuit. Il avait froid pour eux. Très froid. Et il avait la bonne excuse de n'avoir pas combattu, donc aucune raison d'aller se geler les fesses dans l'océan. Il resta figé un moment, brusquement étourdi par l'effet de l'air frais sur l'alcool qui lui coulait dans les veines. Il sentit un sourire lui coloniser les lèvres. Qu'est-ce qu'il faisait là, planté comme un poireau, à regarder des gens se baigner ?
L'esprit un peu brumeux, il décida de retourner jusqu'à la cantine, juste pour se chercher un dernier verre. Le temps qu'Hubert se lave, il serait de retour, et le paladin ne pourrait rien lui reprocher...

[Taliesin]

Le centre du campement était aussi animé que lors de son départ. Et peut-être plus animé, en réalité. Marthe et Ignace continuaient à faire le service, les affamés n'ayant pas diminué en nombre ; Louis discutait avec un groupe de jolies jeunes femmes, tandis que son écuyer partageait une pinte avec celui d’Étienne - ce dernier étant invisible -, revivant apparemment leur duel ; assis sur un banc, les instituteurs, selon toute vraisemblance quelque peu éméchés, vidaient une coupe en riant de bon cœur. Albérich remarqua également les bardes, dispersés dans la foule, ainsi que Ruth, bras croisés, large sourire aux lèvres, observant des garçons s'éloigner précipitamment d'elle, deux d'entre eux s'efforçant de soutenir un de leurs homologues qui paraissait peiner à marcher. Les gamins, futurs élèves d'Hubert, étaient d'ailleurs légion, courant, se chamaillant, visiblement pas fatigués pour deux sous.

[Galathée]

En arrivant dans la cantine, Albérich réalisa que l'objectif de son périple n'était pas très raisonnable. Il balaya l'environnement d'un regard absent, puis se mit en quête d'une bonne tasse de thé, dans l'idée de se replier sur la tente ensuite et d'y adjoindre le nécessaire pour réduire son degré d'ivresse. Il n'avait aucune intention de s'attarder en ces lieux, mais décida néanmoins d'aller prévenir Marthe qu'il lui fausserait compagnie le lendemain pour soutenir Hubert dans la punition démesurée que lui avaient infligée les institutrices. Il voulait bien croire qu'elles avaient envie d'entamer sa bonne humeur, mais pas qu'elles désiraient qu'il y ait des blessés.

[Taliesin]

La juge, dont le teint était plus coloré qu'à l'accoutumée, lui adressa un sourire désolé en entendant sa requête.
-Je regrette, Albérich, mais je devrai vous garder avec moi demain, de l'aube au crépuscule. Agathe et Rebecca se doutaient que vous voudriez aider Hubert, elle ont donc pris les devants pour qu'il n'en soit rien, pour qu'il doive affronter seul son Épreuve. Elles m'ont menacé d'horribles représailles si je vous donnais mon accord et... Je ne peux donc que vous le refuser.
Elle soupira.
-Dans le fond, c'est mieux ainsi. Dans les Landes, lieu périlleux où le danger nous guettera à chaque instant, notre communauté ne sera pas viable si elle doit sans cesse surveiller tant d'enfants. Et même si elle y parvenait malgré tout, son avenir serait bien sombre, car après ce qu'elles ont vu aujourd'hui, nos chères têtes blondes ne songent plus qu'à se battre, qu'à la carrière martiale... Comment, dans ces conditions, bâtir une société nouvelle, moins violente, qui préférera la plume à l'épée ? C'est devenu tout bonnement impossible. Alors... Alors oui, pour elles, pour nous, il est préférable que leur existence s'interrompe ici, en ce beau paysage côtier. Nous encouragerons nos membres à en faire d'autres après l'installation dans la cité. D'autres qui n'auront jamais vu, qui ne verront jamais de tournoi et qui, de la sorte, ne seront jamais perverties.

[Galathée]

" Je suis désolé, Marthe, mais je n'ai pas envie de plaisanter avec cette histoire, dit alors Albérich, beaucoup plus sérieux qu'il ne l'aurait cru. Je trouve qu'Agathe et Rebecca se montrent déraisonnables et qu'Hubert n'a pas mérité ce qu'elles lui infligent... que vous voulez tous lui infliger, apparemment. Je refuse de m'associer à cette affaire. Je ne la comprends pas et je la trouve démesurée. Hubert n'a aucune compétence en matière d'enfants et probablement aucune envie de s'en occuper. Vous prenez des risques stupides avec la vie des gamins. Comment un homme seul pourrait-il en surveiller efficacement toute une bande ? Vous me direz que nous ne serons pas plus efficaces à deux, peut-être pas, mais Hubert est mon ami et je n'ai aucune intention de le laisser seul demain. Mais ne vous inquiétez pas. Je prendrai la charte avec moi et j'en discuterai avec les enfants. Comme ça la journée ne sera pas complètement perdue."