La Couronne de Cuivre

" Sauf quand on est chatouilleux."
Il sourit à Marthe, sans relancer la conversation. Il ne pensait pas qu'Ithilion puisse se fendre d'une réelle attaque : ce serait l'excuse dont Luménis avait besoin pour aller calmer leurs ardeurs une bonne fois pour toutes et même le Prince, aussi mégalomane soit-il, ne pouvait l'ignorer.
Il se contenta de terminer son petit déjeuner en bonne compagnie, s'amusant des habituels échanges enlevés entre les participants. Marthe ne tarderait sans doute pas à filer et, de leur côté, les gens de lettres battraient en retraite vers leur chariot hédoniste. Le Luménien espérait que la journée serait aussi tranquille que la veille : il lui faudrait au moins dix jours pour se remettre des événements du jour qui l'avait précédé. Y songeant, il ne put s'empêcher de frémir. Ils étaient dans les Landes. Il devait rester réaliste.

Marthe ne tarda effectivement pas à se lever, leur disant à tout à l'heure, allant rapporter ses couverts puis s'esquivant hors de la tente, y laissant entrer, du même coup, une bourrasque d'air glacé. Les Académiciens se firent dès lors moins diserts, se concentrant sur leur repas. Cependant, cela ne les empêcha pas d'échanger quelques mots à propos du vote et de ses résultats, Agathe en profitant pour dire que ceux qui avaient dû héberger certains membres de l'expédition et donc endurer certaines conséquences indirectes de celle-ci devraient également recevoir une récompense, ce qui fit rire ses compagnons. Giovanni ajouta alors qu'il fallait également tenir compte des avantages déjà obtenus, en particulier la possibilité de côtoyer un charmant homme d'épée. Sortie qui ne manqua pas de lui attirer des taquineries et des remarques à propos des mœurs dissolues des Sunites.

Albérich ne put s'empêcher d'en rire de concert, tout en s'interrogeant sur la part de vérité dans les boutades du barde. Pour avoir côtoyé Thibault peu de temps auparavant, il n'ignorait pas que les Sunites en question usaient parfois de l'humour pour faire passer des messages très sérieux. Mais Hubert était absent et s'il y avait là une intention, elle se perdait dans des oreilles moqueuses.
Il termina son petit déjeuner et rassembla ses couverts à son tour. Il avait néanmoins l'intention d'attendre que tout le groupe soit paré avant de sortir : ensemble, ils se protégeraient peut-être davantage de la bise...

***

De son côté, Hubert s'était mis en quête de Robert, une routine bien huilée désormais. Il espérait que la nuit du chevalier n'avait pas été trop épouvantable, tout en sachant que ça avait probablement été le cas. Lui-même avait dormi comme un loir, dans une atmosphère bien plus agréable que la tente des officiers, où certains ronflaient comme des ours. Il était reposé et donc prêt à renvoyer Robert à la sieste, si c'était nécessaire... Ce qui échouerait, bien sûr. Mais il commençait à avoir l'habitude de briser ses élans contre le roc de son supérieur. C'était presque une convention.

Comme chaque matin, l'escorte de la communauté avait formé autour de son camp un cordon de sécurité, afin qu'aucun de ses membres civils n'en sorte. Et, comme chaque matin, le conseiller en charge de la défense procédait à son inspection, échangeant quelques mots avec les gardes et les officiers, s'informant sans doute de la manière dont s'était passée la nuit. Le paladin le rejoignit alors qu'il terminait manifestement sa tournée. Non accompagné de son écuyer, une fois n'est pas coutume, un épais manteau enveloppant sa massive carcasse, il avait paradoxalement l'air à la fois en meilleure santé et plus fatigué que la veille. Plus soucieux, aussi. A moins que ce ne soit qu'une fausse impression...
-Bonjour Hubert, le salua-t-il, souriant. J'espère que votre nuit a été aussi paisible que nos sentinelles, qui n'ont absolument aucun incident à signaler.

Que les sentinelles n'aient rien vu n'était pas surprenant... Le paladin imaginait qu'on l'aurait réveillé dans le cas contraire.
" Je suis bien reposé, dit-il, sensible aux signaux contraires que lui renvoyait le chevalier. Et prêt à vous suppléer si vous avez besoin de repos supplémentaire..."
Autant y aller franchement...
" Mais j'imagine que vous voyagerez à nouveau en chariot... Puis-je m'enquérir de votre nuit ?"

Le chevalier haussa les épaules.
-Elle fut épique et je ne suis pas exactement bien armé pour ce genre de combats, avoua-t-il. Mais j'ai survécu et Alban aussi, donc je pense que nous pouvons parler de victoire. Je compte cependant sur votre discrétion à ce niveau : si Agnès m'a condamné à une nouvelle journée sur le banc d'un chariot, elle a déclaré que c'était la dernière, et elle m'a autorisé à garder mon cheval à portée de main, afin de pouvoir me déplacer rapidement en cas de besoin. Par conséquent, je ne voudrais pas que l'amélioration de mes conditions de convalescence et plus encore la fin de cette pénible période, prévue pour demain, soient réduites à néant...
Son sourire s'élargit et il croisa les bras.
-En attendant, comme je vais devoir jouer les cochers, comme j'ai déjà déjeuné et comme je gage que ça n'est pas votre cas, je vous suggère... Non, je vous ordonne d'aller vous sustenter.

Hubert ne comprenait pas pourquoi on le réveillait toujours si tardivement. Il était paladin de Lathandre et pourtant il manquait l'aube jour après jour et n'avait aucun moment pour prier. Il se fit une note mentale d'en parler à Edgar au plus tôt. La solution était peut-être d'aller dormir près de l'instructeur, histoire de profiter de son réveil matinal pour se mettre en mouvement.
" J'obéirai à vos ordres, dit-il finalement à Robert. Mais souvenez-vous de ma proposition de vous relayer auprès d'Alban cette nuit. Elle tient toujours."
Il n'ajouta pas ce que Robert devait savoir : qu'il estimait encore et toujours que le chevalier ne se ménageait pas suffisamment. Mais la rengaine était trop éculée pour qu'il ose à nouveau la verbaliser.

-Je m'en souviens et j'y réfléchirai, même si j'en connais un qui nous opposera un refus tout net : selon lui, la seule chose à faire est de le ligoter, de la bâillonner et de l'abandonner seul dans un chariot, afin qu'il ne dérange personne, répondit Robert. Enfin, nous verrons. J'ai toute la journée pour y songer et pour faire la sieste, sans compter que la nuit à venir sera peut-être plus calme et qu'il existe, au pire, bien des solutions pour lui offrir un sommeil paisible.
Il eut un bref soupir, sourit à nouveau.
-Allez manger. Passer toute une journée en selle est épuisant, vous le savez.

Reposé comme il l'était, Hubert n'imaginait pas pouvoir souffrir de la journée, mais il ne contredit pas son supérieur et battit en retraite dans le campement. Cependant, il ne mit pas le cap sur l'intendance mais bien sur le chariot où avait dû dormir Ruth. Chemin faisant, il songea aux paroles du chevalier et à l'intransigeance d'Alban envers lui-même. Il espérait qu'un clerc, ou qu'un confident, pourrait chasser les cauchemars, même s'il imaginait que cela prendrait forcément du temps...
Une fois qu'il eut localisé le véhicule qu'occupait généralement la gamine, il se posta à l'extérieur.
" Dame Ruth est-elle dans les parages ?" demanda-t-il d'une voix forte.

-Elle est là !
S'ensuivirent des murmures, une vive agitation, et la petite fille bondit lestement hors du chariot, l'air parfaitement réveillée et en pleine forme.
-Bonjour m'sire ! lança-t-elle joyeusement.
Mais son sourire radieux ne tarda pas à se muer en rictus inquiet.
-J'ai encore fait une bêtise ? s'enquit-elle. J'ai pas bien fait mon boulot de sentinelle ?

" Personne ne s'en est plaint, c'est donc que c'était parfait."
Il lui sourit doucement puis s'en voulut de la forcer à se lever tôt alors qu'elle avait été sur le pont une partie de la nuit. En même temps, elle semblait pétillante d'énergie, comme à son habitude. Et il s'était juré d'intervenir désormais dans son quotidien.
" Mais le départ est imminent et je n'ai pas encore petit-déjeuné. Je voudrais que tu ailles me chercher mon cheval. Il est peut-être déjà prêt, mais si ce n'est pas le cas, je veux que tu observes et que tu aides les palefreniers. Mène-le ensuite au chariot de l'Académie. Il a une bâche rouge sombre et se trouve plutôt de ce côté-là. Je ne pense pas que s'introduire à l'intérieur soit indiqué, mais je t'y retrouverai pour que nous y récupérions mes fontes."

Elle rit.
-Moi, rentrer dans le chariot où dorment les maîtres d'école ? Jamais de la vie ! Chuis pas folle, je veux pas mourir ou pire, avoir des devoirs à faire !
Son sourire était reparu, plus lumineux que jamais.
-Bon, ben je vous retrouve près de l'Académie, alors. Le temps de dire à ma mère où je vais, et je file voir où ça en est pour votre destrier !
Elle se fendit de ce qui se voulait être un salut martial puis, sans perdre un instant, remonta dans son chariot.
-

Hubert se détourna, satisfait, et partit enfin vers la cantine. Il ne pensait pas y retrouver les membres de l'Académie, ces derniers devaient avoir terminé de se sustenter, mais il espérait qu'il resterait quelque chose à manger pour les retardataires dans son genre. Tout en cheminant entre les chariots et les tentes qui s'abattaient, il lorgna le ciel nuageux, les colons affairés, gelés, et se réjouit d'être si peu frileux. Moins de moustiques, plus de neige. Il pressa le pas, désireux d'être en selle au plus vite. Plus tôt ils seraient partis, moins ils risquaient de se retrouver bloqués dans la tourmente.

Il pénétra dans la cantine alors que nombre de convives la quittaient, laissant la majeure partie des tables désertes. Toutefois, contrairement à ce qu'il avait imaginé, celle des Académiciens était toujours occupée : ils faisaient des efforts visibles pour manger rapidement et en silence mais... ce n'était guère convaincant. De surcroit, il y avait une place libre parmi eux : celle abandonnée par Marthe, sans nul doute.
-Hubert, venez nous rejoindre, officialisez votre ralliement définitif aux gens de lettres ! lança Rebecca.
-Il n'osera pas, avança Agathe.

C'était un défi qu'Hubert ne pouvait que relever et il poussa Albérich pour prendre la place en bord de banc. Ce dernier lui servit une tasse de thé et lui attrapa le panier de pain, ce qui devenait aussi presque une habitude.
" Est-ce qu'il suffit de s'asseoir à table avec vous pour devenir membre à part entière ? demanda-t-il. Ou bien est-ce que vous allez à nouveau me demander de composer des poèmes ? Je dois dire que votre chariot est diablement confortable, et si cela peut nuire à ma popularité, c'est tout bénéfice."
Le Luménien rit.
" Nuire à ta popularité. Voilà qui est très sympathique pour notre Académie.
— C'est une question de ménager la chèvre et le chou, Albérich. Mieux vaut être en relativement bons termes avec tout le monde que d'être considéré comme un héros par seulement la moitié de la communauté...
— Te voilà stratège politique, maintenant. On aura tout vu.
— Non, c'est un défaut de personnalité. J'ai besoin qu'on m'aime bien."

-Mais tout le monde vous aime bien, Hubert ! Tout le monde sans exception !
-Un toast pour notre futur roi ! A Hubert Ier ! fit Agathe en levant sa tasse de thé - la troisième consécutive, si Albérich avait bien compté.
-Ceci dit, si vous voulez entrer dans nos bonnes grâces... Enfin, encore plus y entrer, il vous faudra manger avec nous alors que la cantine sera comble. Là, il n'y a presque aucun témoin...
Un témoin, il en vint un nouveau. Un certain clerc de Lathandre dont la joyeuse expression se teintait d'une pointe d'inquiétude.
-Giovanni ? Je peux vous dire un mot ? s'enquit-il une fois parvenu près d'eux.
-J'imagine que répondre non n'est pas une option envisageable... lâcha l'intéressé, déconfit.
Et il se leva pour suivre Gabriel. Quelques instants plus tard, ils discutaient avec animation mais à mi-voix, si bien que les Académiciens ne purent entendre les paroles échangées.
-Pauvre, pauvre petit barde... glissa Rebecca, tout sourire.

Il ne servait à rien de tenter d'écouter leur conversation : Giovanni viendrait certainement se lamenter dans quelques minutes.
" Allons, vous y survivez chaque jour, en temps normal. Le pauvre petit barde survivra lui aussi. Même moi, j'ai tenu le coup ! dit le Luménien.
— De toute façon, les bardes peuvent charmer leur auditoire par des chansons, dit le paladin, philosophe. Je suis sûr que Giovanni, même s'il est peintre avant tout, a de bons tours dans son sac...
— Il pourrait organiser une grande séance de décoration des toiles des chariots... Ça mettrait de la couleur dans toute cette grisaille, s'il a des pigments qui survivent à la bise."

-Sauf qu'il veut sans doute les garder pour sa fameuse fresque...
-Mais c'est gentil de lui chercher des idées. Je suis sûr que ça lui remontera le moral.
Qu'on lui remonte le moral, Giovanni semblait en avoir grand besoin lorsqu'il les rejoignit : il affichait une mine de six pieds de long.
-Alors, c'est pour ce soir ?
-Oui, c'est pour ce soir, maugréa le barde.Je pourrais croire que Marthe a décidé de me punir bien que je me sois levé rapidement mais... Je ne peux même pas la prendre comme bouc émissaire. Parce que c'est la faute à ces foutus marais... Notre lieu de bivouac, ce soir, et aussi celui de demain... Ce seront apparemment de vrais champs de boue. L'ayant appris, un comité de parents hystériques a dépêché une délégation auprès de Gabriel pour exiger que les activités qu'il proposera aux mioches ne seront en rien salissante, ce qui exclue toute course, toute acrobatie... Or, les trucs calmes, ça n'est pas le fort de notre Lathandrite qui m'a donc demandé de m'en charger.
-Allons, tu vas t'en tirer ! En plus, Albérich a plein de bonnes idées à te suggérer !
-Ah ?
Et il leva des yeux plein d'espoir sur l'ancien aubemestre.

" Ah... Heu... fit le Luménien. Je me disais juste... que vous pourriez les inviter à faire de la peinture... mais tout bien réfléchi...
— C'est encore plus salissant que la boue !" s'exclama Hubert avec bonheur.
Le paladin en profita pour se lever.
" Je vous souhaite une excellente journée. Je suis certain que si tous vos esprits fins et supérieurs s'y mettent de concert, vous trouverez une multitude d'excellentes idées pour Giovanni avant le bivouac. Les amis se serrent les coudes, devant l'adversité."
Puis, sur un clin d'oeil, il les abandonna aux derniers instants de leur petit déjeuner.

-Et comme vous êtes des nôtres, comme vous êtes notre ami, comme il faut se serrer les coudes, vous lui trouverez des idées pour demain soir, n'est-ce pas ? l'interpella Agathe avant qu'il ne soit hors de portée.
-Vous n'y couperez pas ! renchérit Rebecca. Vous êtes un homme de lettres désormais, ne l'oubliez pas ! Et un paladin doit toujours aider les malheureux dans le besoin !
Giovanni, lui, avait englouti les vestiges de son petit-déjeuner.
-J'ai besoin d'un petit remontant, alors on se retrouve au chariot, annonça-t-il avant de s'éloigner.
-Ouch, il a pas l'air content...
-Il n'aime pas qu'on chamboule son programme à l'improviste.

Hubert avait fui et Albérich avait la certitude que tout souvenir de cette conversation s'estomperait aussitôt qu'il aurait posé les fesses sur le cuir de sa selle. Les dangers du marais remplaceraient les enfants surexcités dans son champ mental, et c'était tant mieux : chacun ses prérogatives, Hubert avait déjà beaucoup à faire.
" Nous allons réfléchir, dit le Luménien. Enfin... Pas vous, vous êtes en vacances... Mais si je peux aider Giovanni, je le ferai."
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
" Cela dit, s'il fait très froid aujourd'hui, et ça a l'air bien parti, la boue sera gelée et nettement moins salissante que dans son état habituel. Les choses ne sont peut-être pas aussi désespérées qu'elles le paraissent."

-Mais les braséros installés sous la tente feront fondre la glace.
-Et de toute façon...
Les instituteurs échangèrent un regard entendu.
-De toute façon, il faut que, pour lui, les choses soient désespérées.
-Giovanni fait partie de ceux qui pensent que notre métier est facile.
-Nous allons donc lui prouver le contraire.
-Et lui donner les pires idées possibles pour que ce soit une catastrophe. Une catastrophe sans nom.
Sourires.
-Évidemment, nous comptons sur toi pour nous aider dans cette noble tâche, Albérich.

Le Luménien écarquilla des yeux stupéfaits.
" Diable ! Il existe aussi des cabales à l'intérieur même de l'Académie ?! Moi qui espérais qu'il s'agissait là d'un refuge protégé de la vilenie du monde ! Quelle déconvenue !"
Il frémit.
" Mais permettez-moi de vous assurer, à tous, que je suis parfaitement conscient de la pénibilité de votre tâche. Des compétences nécessaires pour la mener à bien. De l'impossibilité de vous remplacer efficacement. Au cas où vous en doutiez... On ne sait jamais."

-Nous n'en doutons pas.
-Pas un seul instant.
-D'autant que tu as eu un bref mais intense aperçu de ce que nous devons quotidiennement endurer.
-Giovanni, lui, va le découvrir. Et il faut que ce soit une leçon mémorable.
-C'est le seul moyen de progresser sur la voie de la sagesse.
-Or, il faut souffrir pour être sage.
-Je croyais que c'était pour être beau, qu'il fallait souffrir ?
-Beau, Giovanni l'est déjà.
-Pas autant qu'Hubert.
-Nul ne peut être aussi beau qu'Hubert.

Le Luménien leva les yeux au ciel. C'était une chance que le paladin soit déjà parti, il aurait été mortifié d'attirer à ce point l'attention. Ou peut-être pas vraiment. Il songea à nouveau à toutes ces lettres d'amour... Jusqu'ici, pour autant qu'il puisse en juger, aucune des demoiselles n'avait tenté d'approche plus frontale. Le cadre s'y prêtait mal, sans doute.
" Je crois que je vais plutôt me tenir à l'écart de vos manigances. Après tout, je n'y connais rien, je n'aurai pas grande imagination, ni pour les bonnes, ni pour les mauvaises idées. Par contre, j'ai du travail sur la constitution... Vous pourrez palabrer pendant que je lis, ça ne me gênera pas une seconde."

***

Hubert, de son côté, rallia le chariot de l'Académie à grands pas. La conversation détendue du petit déjeuner avait conforté sa bonne humeur, mais il se força à regagner l'instant présent et les défis de la journée. Le froid, la boue, les marais de plus en plus hostiles... Il faudrait être vigilant, bien sûr. Il aperçut la silhouette de Grand Vent avant de deviner celle de Ruth à ses côtés. Le destrier avait une bonne nature et il était content que la gamine n'en ait pas peur. Sans doute son attitude changerait-elle si elle avait un jour l'occasion d'observer ses capacités meurtrières au combat... Il ne le lui souhaitait pas.
" Parfait ! fit-il en arrivant devant la petite fille. Je vais rassembler mes affaires, puis je te conduirai à ton chariot. Vas-tu à nouveau voyager avec Alban et Sire Robert ?"

Ruth se rembrunit et secoua la tête.
-Non. Messire Robert, il l'a bien proposé, mais Alban il a dit que c'était mieux s'il retournait à sa place habituelle, si les choses rentrent dans l'ordre.
Soupir.
-Il dit qu'il va bien, que tout va bien. Manque de bol pour lui, c'est pas un super comédien, mais faut surtout pas lui dire qu'il trompe personne, sinon... Ah, c'est une foutue tête de mule, ce garçon ! Ça donne presque envie de lui donner des claques.
Elle s'empourpra.
-Je le ferai pas, hein. Jamais. Mais je suis inquiète pour lui.

" Tu ne devrais pas dire jamais, dit le paladin. Parfois, c'est utile."
Il grimaça.
" Mais est-ce que tu ne veux pas voyager avec lui, tout de même ? Je pourrais demander à Ignace que tu sois déplacée. Et nous pourrions trouver une bonne excuse. Ce n'est pas que je veuille te charger de ça, cependant... Mais je me dis que tu as un tonus qui lui fait défaut en ce moment, et si j'ai bien compris, il a parfois des problèmes avec les autres habitants de son chariot..."
Il pinça les lèvres.
" Il pourrait cependant voir clair dans notre jeu et mal le prendre."

Elle baissa les yeux.
-Vaut mieux oublier cette idée, m'sire... souffla-t-elle. J'y ai pensé aussi, et comme messire Robert avait dit qu'il faudrait me responsabiliser, ben... J'ai dit à Alban que je pourrais lui demander de me demander à moi aussi de surveiller les armes. Mais il a dit que valait mieux pas, que les autres garçons du chariot ils se moquent plus de lui maintenant qu'ils ont vu comme c'était fatiguant d'être sentinelle, et qu'ils recommenceraient à se moquer s'ils voyait qu'on envoyait quelqu'un d'autre avec lui, que ça ferait comme s'il était pas capable de s'en sortir seul... Mais il a ajouté que j'aurais pas de mal a trouver un autre poste ailleurs.

" Hum. C'est dommage. Mais bon, au moins il n'est pas seul dans le chariot. Attends une seconde."
Il entra dans le chariot de l'Académie pour rassembler rapidement ce dont il aurait besoin en journée, c'est à dire pas grand chose. A présent qu'il avait élu domicile parmi les gens de lettres, il pouvait abandonner la plupart de ses affaires sous un banc, et se contenter du strict minimum en selle. Il prit quand même le livre sur les créatures de marais, histoire de l'avoir sous la main au besoin. Il regagna l'extérieur et fixa ses fontes sur Grand Vent, ceignit son épée, puis attrapa Ruth et l'installa sur le destrier, avant de l'y rejoindre.
" Bon. Je te ramène chez ta mère, alors ? Je ne suis pas contre que tu surveilles quelque chose, mais ce n'est pas passionnant, et tu vas déjà y passer la soirée."

-Vous savez, c'est pas super passionnant non plus, de passer la journée dans le chariot de ma mère. Bon, j'essaie de lire, mais je crois que c'est définitivement pas mon truc... Alors je demanderai à messire Robert si je peux pas être utile quelque part, un de ces quatre. Mais pas en ce moment : il a déjà trop de soucis comme ça, je veux pas l'ennuyer...
Elle grimaça.
-Alban déteint sur moi, c'est horrible.
Giovanni fit son apparition pour disparaître aussitôt dans le chariot, leur accordant à peine un regard.
Autour d'eux, le camp n'était plus que l'ombre de lui-même. Dans un quart d'heure maximum, tout serait prêt pour le départ.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée