La Couronne de Cuivre

-Je ne suis pas sûr que l'ordre aura de l'influence sur le résultat final. Mais allez, commençons par le nettoyer. Je devrais pouvoir m'en tirer.
Grâce au sortilège de prestidigitation, décidément très utile.
-Mais... Qu'est-ce que c'était que cette... créature ? demanda-t-il avant d'incanter.

" Une vase quelconque...
— Mieux vaut éviter de savoir laquelle.
— C'est un blob bleu, je pense. Sinon il aurait dissous la caisse du luth, non ?
— Je ne me risquerais pas à une identification... Espérons que les pixies ne le récupèrent pas."

Prenant bien soin de ne pas toucher les parties ayant été en contact avec l'étrange créature - il jugeait cela plus prudent, quelle qu'elle ait été -, Taliesin ôta les gents et lança son sortilège.

Taliesin --> Prestidigitation --> Luth

Enfin, il présenta l'instrument à Olivier, pour qu'il procède magiquement aux réparations. Ensuite... Eh bien, ensuite, il serait temps de tenter de l'accorder. On verrait alors s'il était ou non possible d'en user.

Comme il l'avait prévu, le druide eut besoin de trois sortilèges pour réparer l'instrument, qu'il rendit ensuite à Taliesin. Le soir tombait. Epona était revenue, puis repartie, Agrim buvait pensivement son verre de vin de sureau tandis qu'Ayu prenait des notes en devisant à mi-voix avec la dryade. Le luth paraissait comme neuf et le son qu'il rendit était prometteur.
Il y eut, au loin, un grand bruit d'éclaboussures.
" Je m'en charge." dit Olivier d'un ton apaisant.

-Très bien.
Il n'était pas inquiet et comptait accorder tranquillement l'instrument. Néanmoins, se demandant si Victor, Marius ou Titus, oublieux des consignes d'Olivier ou par simple maladresse, n'avait pas fini dans l'étang, il jeta un regard dans la direction d'où avait provenu le son.

Il y avait effectivement eu un accident du côté de l'étang, mais Taliesin était trop loin pour discerner clairement sa nature. Suivant son regard, Epona sourit doucement.
" Ne vous en faites pas. Je vais aller chercher une serviette."
Elle se leva aussitôt. Olivier était déjà en train de revenir, précédé par Titus, suivi par Victor, et portant un Marius bien trempé entre les bras.
" Encore une victime de Roussette, dit le druide en déposant l'enfant devant Taliesin. Pas de mal, juste de l'eau.
— Elle m'avait promis un trésor ! protesta Marius.
— Ne fais jamais confiance à une jolie fille qui te promet la lune, assise sur un rocher, mon gars... C'est un conseil.
— C'est un trésor qu'elle me promettait !
— Ou un trésor, oui."

Il sourit.
-En tout cas... Retiens le conseil d'Olivier, Marius. Il te sera utile, surtout si tu marches sur les traces de Gérard de Berge !
Il se tourna vers le druide.
-Qui est Roussette ? Une sorte de sirène ?

" Une très très très vieille nixe, mais qui a toujours l'esprit farceur. Elle ne noie personne, cependant.
— Ce sont des balivernes qu'on raconte sur les nixes, dit Epona en posant une serviette sur les épaules de Marius.
— Elle devient de plus en plus farceuse avec l'âge, observa Ayu. Je pense qu'elle est... gâteuse, oui.
— Ne dis pas ça de Roussette. Elle a toujours l'esprit follet, c'est tout. C'est dans sa nature."
Victor avait la mine de quelqu'un qui a un demi-million de choses à raconter mais qui n'ose pas devant pareil public. Marius se frictionnait. Titus choisissait des noix.

-Vous m'avez donné envie de faire sa connaissance, dit-il. Je crois donc que j'irai la voir, avant le repas...
Il n'avait jamais eu la chance de croiser de nixe et si, de surcroit, elle était facétieuse, la rencontre promettait d'être intéressante. Peut-être demanderait-il à Victor de le conduire jusqu'à elle, ce qui permettrait au gamin de lui raconter certaines choses, ce dont il mourait d'envie.

" Je vous garderai une serviette, dit Epona avec un sourire résigné.
— Est-ce que les elfes ne sont pas immunisés contre les charmes ? demanda Ayu.
— Seulement ceux liés au sommeil, non ? Roussette, ce n'est pas tellement son créneau."
Marius s'était approché d'Ayu.
" Elle, c'est un centaure. Lui, un faune. Elle, une dryade, mais toi... T'es juste une fille, en fait ?
— Ouais, une fille drôlement douée au bras de fer. Si tu veux, je te montre après le dîner, petit."

L'elfe sourit.
Peut-être aurait-il une petite discussion privée avec Ayu : qui sait si celle-ci ne pourrait pas convaincre Marius qu'être une femme n'avait rien de honteux ? D'autre part, en tant que garou, elle aurait peut-être des conseils à lui donner... Bien sûr, elle n'appartenait pas à la même espèce que la petite fille, mais il se pouvait que des similitudes existent malgré tout. Et puis, rien que le récit de sa vie, de la manière dont elle avait su composer avec sa particularité pouvait être intéressant.

Victor s'installa près de Taliesin et se servit une poignée de noix tandis qu'Epona lui tendait un verre rempli d'un liquide orange qu'il trouva à son goût. Il la remercia avec un sourire.
" L'été est la saison spéciale pour les gourmets." dit Epona.
Ayu haussa les sourcils.
" Je préfère le printemps, dit-elle.
— Et je préfère l'automne, dit Agrim.
— Je ne vais pas dire ce que je préfère." fit Olivier d'un air mutin.
Ayu se tourna vers Epona.
" Tu lui tends des perches !
— Tu t'engouffres dans mes pièges !
— C'est l'hiver ? demanda Victor.
— C'est pire, chut, changeons de sujet ! Maître barde, ce luth, alors ?"

Taliesin affichait un sourire en coin. Il faut dire qu'en son fort intérieur, il songeait à demander à Olivier, l'air innocent, quelle était sa saison préférée. Mais il décida finalement d'opter pour autre chose.
-Il devrait convenir, et même mieux que ça. Le temps d'achever de l'accorder et je pourrai vous jouer quelque chose. Peut-être bien Les Quatre Saison de Vif Haldy...

Tous lui retournèrent un regard interdit tandis qu'Olivier éclatait de rire.
" Allez, je vais avoir pitié... et je vais aller préparer le souper, dit le druide en se levant. Je suis sûr que j'apprécierai la musique à travers la fenêtre ouverte."
Et il disparut à l'intérieur.
" Non mais c'est quoi sa saison préférée ? demanda Victor.
— C'est un druide. Toutes les saisons sont sa saison préférée, dit Epona à mi-voix.
— Et si tu aimes les discours sur le cycle de la nature, et l'interdépendance de chacun, et la beauté intrinsèque du bourgeon, de la feuille, de la feuille morte et du rameau rabougri, repose-lui la question. Mais souviens-toi : c'est un druide, pas un barde.
— Il est très doué pour endormir les insomniaques, cela dit." intervint Agrim, l'air de rien.

-Allons, je suis sûr qu'il est passionnant à écouter et que sa sagesse vaut bien toutes les musiques, toutes les histoires des bardes...
Il arbora un sourire aussi lumineux qu'innocent mais n'en acheva pas moins d'accorder l'instrument. Puis il commença à en penser distraitement les cordes, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir leur jouer.
Ce qui lui passerait par la tête, probablement. Puis, s'ils avaient des demandes, il s'efforcerait de les satisfaire.

La conversation bruissa sur des choses anodines tandis que l'elfe pinçait ses cordes et s'habituait au son du luth. Victor interrogeait Ayu et Epona sur certaines des créatures et plantes qu'ils avaient rencontrées dans la clairière, tandis que Marius, à ses côtés, tâtait pensivement les biceps d'Ayu, manifestement interloqué. Agrim était silencieux, observant la nuit, Titus assis près de lui. En réalité, le plus jeune des deux faunes était en train de piquer du nez. De bonnes odeurs s'échappaient de la cuisine, signe que le repas progressait. Des grenouilles, des cigales et des grillons avaient joint leur voix aux cordes pincées. Epona veillait à ce que les verres ne désemplissent pas.

Taliesin avait opté pour des morceaux tranquilles et les jouait à un volume modéré : sa musique n'avait en l'occurrence pas pour but de s'imposer, de pousser tout le monde à se concentrer sur elle mais au contraire d'accompagner les conversations, de se prêter à une écoute distraite. Et lui-même, s'il demeurait silencieux, ne se privait pas pour écouter les autres, pour observer les échanges... Il s'amusait notamment de l'attitude de Marius envers Ayu : les choses semblaient se faire naturellement, sans qu'il ait eu besoin d'intervenir. Mais cela ne l'empêcherait pas de discuter, à l'occasion, avec l'ourse-garou.

Le véritable récital viendrait effectivement plus tard car le repas fut bientôt servi. Il s'agissait d'un cochon presqu'entier, accompagné de plusieurs plats de verdure, champignons et autres légumes de saison, ainsi que de belles miches de pain. Epona et Ayu aidèrent Olivier à disposer les plats sur la table basse, puis ils servirent de généreuses portions à chacun, dans des bols en bois. Il y avait aussi des truites grillées et ce qui ressemblait à une soupe mais d'une couleur violacée tout à fait originale. Ce fut la dryade, Tilia, qui s'en servit le plus généreusement, tandis qu'Olivier le déconseillait à Marius qui posait la question.
" C'est pas végétarien, un druide ? demanda Victor.
— Jamais de la vie." répondit leur hôte en faisant circuler les plats.

-Pas plus que les elfes ! dit-il d'un ton léger.
Il avait déposé le luth - ce bien en vue, histoire de compliquer la tâche aux pixies si, d'aventure, leur venait l'idée de le récupérer en douce -, et s'apprêtait désormais à manger avec appétit. Il faut dire que tous les mets servis étaient prometteurs, au point que son estomac soit brusquement sorti de sa réserve lorsqu'ils étaient apparus.

C'était bon, simple, copieux, comme ce qu'on aurait pu préparer chez soi un soir d'été (si on n'avait pas eu Baptiste aux fourneaux, du moins, car plus rien n'était jamais ordinaire en cuisine, depuis qu'il était à la Ferme Desmoulins). Mais Baptiste dormait toujours, l'honneur d'Olivier était sauf, et ils se sustentèrent tous avec bonne humeur.
Les enfants posèrent des questions indiscrètes, et Taliesin apprit ainsi qu'Ayu était la doyenne de leur communauté, que c'était elle qui avait élevé Olivier à partir de l'âge de douze ans environ, après une "petite fugue" sur lequel le principal intéressé ne s'étendit pas. Epona expliqua candidement qu'elle avait été recueillie encore pouliche, qu'il ne lui restait pas de souvenir d'un "avant", Agrim fut plus concis sur son propre passé d'artiste de cirque, et Olivier raconta comment Tilia était arrivée suite à la destruction de son arbre, tandis que la dryade bruissait doucement des feuilles. Il y avait des histoires similaires pour chacun des pensionnaires des lieux — le tressym s'était installé sur les genoux de Victor qui lui donnait, pas très discrètement, des morceaux de cochon grillé — des conflits avec les humains, la plupart du temps, mais pas toujours. Ils évoquèrent le tout sans douleur, avec la sérénité de ceux qui ont désormais remisé le passé à sa place, et embrassé la suite de leur parcours.

Qui sait s'ils ne se doutaient pas, aussi, que leurs invités avaient également des parcours difficiles ? Aucun des gosses n'avait eu une vie facile, c'était le moins que l'on puisse dire, et leur présence à ses côtés était assez explicite, en la matière... D'où, peut-être, le fait que leurs questions indiscrètes n'aient pas été mal prises.
Lui-même était davantage sur la réserve, soucieux de ne froisser personne, et se contentait la plupart du temps découter. Quoiqu'il ne s'abstienne pas de répondre quand on l'interrogeait, évidemment.

Vint le moment pour le barde de donner libre cours à son art. Les enfants fatiguaient, Marius bâillait à intervalles réguliers et Titus se frottait répétitivement les yeux. Vu la saison, vu la noirceur du ciel, il devait être près de minuit, déjà. La campagne bruissait des chants de la nuit. Quelque part, loin, un loup hurla, bien que la lune ne fut pas ronde. Les convives se déplacèrent pour faire face à l'elfe. Agrim et Olivier débarrassèrent la table. Un hibou vint se percher dans le tilleul, puis une chouette, et des chauves-souris frôlèrent un instant les lampes avant de disparaître dans leur ballet nocturne. Les insectes étaient moins frénétiques, le chant des grenouilles s'était tu. Tout était tranquille et Taliesin pouvait se lancer...

Au préalable, il s'enquit toutefois des envies de chacun : si les enfants en émettaient, il s'efforcerait de les satisfaire en premier, avant d'enchaîner avec celles des adultes. Ils n'étaient pas si nombreux que cela, si bien qu'il avait bon espoir de parvenir à faire plaisir à chacun. En tout cas, puisqu'on en avait émis le souhait, il avait déjà inclus une ballade elfique dans son ébauche de programme.

Personne n'avait de desiderata particulier : l'artiste était libre de leur offrir la musique et les chants de son choix. Les enfants, en particulier, n'émirent pas la moindre demande : Marius et Titus n'étaient plus en état, et Victor paraissait satisfait de la compagnie. Les adultes de leur côté n'avaient plus entendu de barde depuis belle lurette (ou jamais pour certains d'entre eux), aussi étaient-ils heureux de l'originalité de la soirée, quoi qu'il en sorte.

Taliesin fit donc selon son inspiration. Il évita les airs trop dansants ou trop mélancoliques, car ils ne lui semblaient guère convenir à la situation, et privilégia plutôt des morceaux paisibles, contemplatifs, propices à la rêverie, parfois emprunts d'une joie contenue... Il y eut beaucoup d'instrumentaux mais quelques chants aussi, certains en elfique, d'autres en commun. Un ensemble varié, donc, mais marqué d'optimisme. De quoi faire passer une bonne soirée à son auditoire, du moins l'espérait-il.

Et son auditoire se montra enchanté. A mi-parcours, cependant, Epona et Olivier portèrent Marius et Titus, qui dormaient à poings fermés, à l'intérieur. Au fur et à mesure du concert, d'autres créatures émergèrent de l'obscurité, des animaux pour la plupart, mais aussi quelques silhouettes plus indistinctes qui, si elles n'entrèrent jamais franchement dans le cercle de lumière, s'installèrent dans l'ombre pour profiter de la musique.
Lorsque le barde eut terminé, la petite foule manifesta son plaisir par des applaudissements étouffés et de chaudes félicitations : la nuit ne se prêtait pas aux vivats et autres exclamations plus bruyantes, cela aurait brisé la magie de l'instant. Les visiteurs du soir disparurent dans les hautes herbes et ne restèrent plus que la clique initiale, à l'exception de Victor, qui suivit Epona à l'intérieur. Il était maintenant très très tard.
" Allons-nous regarder le soleil se lever ? demanda Ayu dans un profond bâillement.
— Pas moi, répondit Epona. Mais c'est l'affaire de quelques heures."

Le barde, ravi d'avoir satisfait l'assistance, étouffa également un bâillement.
-Pour ma part, je vais aller voir comment se porte Baptiste, puis je dormirai un peu...
Il n'était pas fatigué au oint de devoir se coucher immédiatement mais... il devait veiller à ne pas être trop fatigué le lendemain. Car les gosses, eux, seraient en pleine forme.
-Ayu... Avant notre départ, si vous en êtes d'accord, j'aimerais discuter avec vous de Marius...

" Bien sûr."
Olivier précéda Taliesin dans l'habitation, qui tenait de la grotte, du terrier, de la hutte et de la chaumière. Très vite, ils descendirent une volée d'escaliers et se retrouvèrent sous terre, dans des pièces basses de plafond mais chaleureusement éclairées, meublées simplement.
" Les sabotés vivent en haut, expliqua Olivier. Ici, c'est la tanière."
Il guida le barde jusqu'à une pièce, à la porte voilée, où dormaient les quatre enfants. Baptiste reposait, aussi paisiblement que les trois autres, son état semblait n'avoir évolué en rien.
" Vous pouvez vous tirer un hamac ici... ou alors dormir à côté. A votre convenance."

-Très bien, acquiesça-t-il. Merci beaucoup, Olivier : j'ai passé une excellente soirée. Je vous souhaite bonne nuit et vous dis à demain !
En temps odrinaire, il aurait sans doute opté pour dormir dans une autre pièce, puisque la place ne manquait pas. Mais comme Baptiste était toujours convalescent, il préférait rester à proximité immédiate, au cas où il se réveillerait enfin : sans doute, si cela advenait, se sentirait-il complètement perdu...

Mais rien de tel ne se produisit. La nuit fut tranquille, troublée par les ronflements et les soupirs des enfants, sans que les sons de la nuit ne leur parviennent, étouffés par la terre au-dessus d'eux. Taliesin perçut quelques pas au-dessus de sa tête, un mouvement dans le couloir voisin, mais dans l'ensemble, ce fut le règne d'un silence profond. Il leur fut également impossible de deviner quand le jour se leva. Le barde émergea subitement alors que seuls Victor et Baptiste étaient encore dans la pièce, assoupis. Il devina, au travers du plafond, le murmure de conversations et une odeur de quelque chose qui cuit.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...