La Couronne de Cuivre

" Moi j'ai de quoi les payer, dit Lunn avec un calme sourire. Et je le dois à Mathieu."
Il s'approcha d'eux.
" Bon, je vais vous demander de vous mettre autour de moi, en cercle, et de vous tenir les mains. Ne les lâchez pas, quoi qu'il arrive, c'est très important. La Chasse Sauvage ne vous fera pas de mal, je vous le jure."

Machinalement, Astrée prit la main de Ellie, et commença à se placer là où le brownie l'indiquait. Mais elle s'arrêta subitement, alarmée.
" Lunn... qu'est-ce que tu veux dire ? Avec quoi tu veux les payer ?"
La seule chose que Mathieu lui avait donné, c'était sa liberté. Il n'allait tout de même pas... se sacrifier ?

" Je vais les payer avec moi-même. Mais tu ne dois pas t'en faire... Ils sont déjà sur ma piste... La seule raison pour laquelle ils ne m'ont pas encore attrapé, c'est qu'ils ne sont pas payés pour le faire. Ici, j'ai la possibilité de monnayer ma liberté pour sauver quelqu'un qui le mérite... Ce n'est pas cher payé.
— Je ne comprends pas... dit Lae. Pourquoi la Chasse Sauvage... veut-elle t'attraper ?
— Longue histoire. Je vous la conterai plus tard, si nous en avons le temps."
Kerun, qui connaissait à peine Lunn, paraissait désorienté par ce qui s'échangeait.
" Est-ce que c'est possible que la petite fille ne fasse pas partie du cercle ? Il vous faudrait juste vous trois."

Astrée fronça les sourcils.
" Attends... pourquoi il faut juste nous trois ? Tu vas faire quoi, nous emmener ailleurs ? On ne peut pas la laisser seule ici. Ni K...Calaan. Explique-nous juste..."
Elle ne lâchait pas la main de l'enfant, pour le moment.
Et quoi qu'en dise Lunn, elle s'inquiétait pour lui : qu'est-ce que la Chasse Sauvage pouvait bien lui vouloir ? Qu'est-ce qu'un pauvre brownie inoffensif et opposé à toute forme de violence pouvait bien avoir à faire avec eux ?

" Non, nous n'allons pas bouger, ne t'en fais pas. Mais j'ai besoin de vous pour me protéger. Je ne les connais pas assez pour qu'ils soient efficaces."
Il sourit et prit à sa ceinture la petite flûte dont il avait médiocrement joué lorsqu'il était encore prisonnier de Minzeiros. Ellie s'accrocha aux jambes d'Astrée, les yeux fixés sur le lutin. Sur un sourire brave, Lunn porta l'instrument à ses lèvres et, plutôt que d'en tirer quelques notes aigrelettes, il en obtint le son résonnant, assourdissant, d'un cor de chasse.
" Pardon pour les oreilles." dit-il.
Dans le lointain, déjà, on entendait des aboiements.

Astrée pâlit, et son regard alla d'Ellie, au brownie, puis à Kalju, incapable de décider où elle devait installer l'enfant pour qu'elle soit en sécurité. Elle allait être terrifiée par les chiens...
Elle l'attrapa dans ses bras, et franchit la courte distance qui les séparait du genasi.
" Ellie... tu restes là, à côté de Calaan. Tu lui tiens la main. Il va y avoir de gros chiens, mais ne t'en fais pas, ils ne viendront pas vers toi, juste vers moi, et ils ne nous feront pas de mal."
Elle prit la main de Kalju et la referma sur celle de la fillette, puis se rapprocha du brownie, attrapant la main de Kerun et celle de Lae.

Les chiens apparurent en premier. Ils étaient une quinzaine et couraient ventre à terre, d'énormes bêtes hirsutes, rapides comme des lévriers et pourtant massives comme des dogues. Ils arrivaient à grande vitesse dans leur direction et Ellie, pleine de ressources, escalada Kalju comme si c'était un arbre pour se percher sur ses épaules. Sur la piste des chiens surgirent alors les cavaliers, taches sombres sur la verdure de l'herbe, et Astrée en compta huit. Leurs chevaux énormes, des destriers qui auraient pu porter des paladins, étaient tous alezan sombre, sauf un, noir comme la nuit. Ils galopaient à une vitesse phénoménale, soulevant des mottes de terre, sans ralentir, comme si le terrain s'aplanissait sous leurs sabots, et Astrée constata que, véritablement, la rive du lac s'était élargie, ou la forêt reculée, pour leur céder le passage. Les cavaliers étaient casqués, en armure de cuir brun, et chacun arborait le masque d'un animal sauvage, ici un sanglier, là un loup, ici encore un ours.
Les chiens atteignirent le petit groupe les premiers et se déployèrent autour d'eux, leur coupant toute retraite. Ils n'étaient pas agressifs, mais pas amicaux non plus. Silencieux, ils les encerclaient sans bouger mais prêts à bondir.
Les cavaliers approchèrent et suivirent la même stratégie. Armés d'arc ou d'épieu, on ne voyait pas leur visage. Aucun ne descendit de selle. Le cavalier qui montait le cheval noir arriva le dernier. Contrairement aux autres, il était torse nu, le visage apparent, et des bois de cerf lui poussaient sur le crâne, dans une crinière de cheveux châtains. Bien qu'il ait les traits d'un fey, sa peau était sombre, couverte de tatouages, ses épaules larges et musclées, et des yeux verts, presque lumineux, irradiaient dans son visage furieux. Il sauta de sa monture, la lance à la main, et marcha d'un pas décidé vers eux.
« Te voilà, donc, vermine, gronda-t-il. Tu vas payer cher de t’être joué de moi. Minzeiros devait te garder en laisse !
— Je crois que ses instructions étaient un peu floues, dit Lunn.
— Tu vas payer pour ton impertinence, misérable. Cette fois, tes chaînes seront plus solides."
Il marcha droit sur leur cercle.
" Tu ne peux pas m'attraper ! Je suis dans un cercle de l'amitié !"
Le chasseur s'immobilisa.
" Je pourrais les tuer un à un...
— Mais tu ne tues pas les innocents. Les faons, les renardeaux, les marcassins... Ce n'est pas digne de toi."
Avec violence, la créature enfonça sa lance dans le sol, juste à côté de ses pieds. Elle fulminait de rage mais semblait, effectivement, incapable d'approcher davantage.

Des innocents... Astrée n'était pas certaine que ce terme s'applique pleinement à Kerun, étant donné sa profession, ou à Lae, étant donné sa nature. Il aurait davantage convenu à Ellie ou à Kalju... Mais apparemment, il suffisait que le chasseur en soit convaincu pour que le sortilège fonctionne.
Elle garda le silence, cherchant à comprendre ce qui se jouait. Lunn avait visiblement joué un tour aux chasseurs, par le passé, et ils lui en tenaient rancune... et il voulait se livrer à eux ? Était-il fou ?
Elle raffermit sa prise sur les mains de ses compagnons. Puisque leur cercle protégeait Lunn, il ne fallait pas lâcher. Pas tant qu'il n'aurait pas négocié ce qu'il voulait.

" Tu dis que ce sont tes amis, alors que tu leur as menti, gronda le chasseur.
— Entre amis, on n'est pas obligés de tout se dire ! protesta Lunn. Ce qui compte, c'est l'affection et le respect. Pas des trucs à ta portée, évidemment.
— Assume, au moins, couard !"
L'être fée souleva sa lance et la frappa à nouveau sur le sol en prononçant un mot en sylvestre. Une petite brise glacée parcourut la rive du lac et, là où s'était tenu Lunn, se trouva subitement quelqu'un d'autre. C'était un fey aux cheveux noirs, sans âge, vêtu de rouge et de vert. Il se frotta les joues avec le sourire.
" Je suis toujours plus séduisant que toi, malgré tout ce temps !"
Il croisa le regard d'Astrée, puis des autres, avec une petite grimace.
" J'espère qu'on est toujours amis, sinon je vais avoir des ennuis. Prématurément."
Le chasseur tournait autour d'eux, cherchant une faille dans leur cercle.

Astrée lui sourit.
" Bien sûr ! Mais il faudra tout de même que tu nous raconte tes aventures un de ces jours... Si tu arrives à en trouver l'occasion, bien évidemment. Ce doit être palpitant !"
Elle n'était pas surprise qu'il se soit parfaitement entendu avec Mathieu. Finalement, ils avaient des points communs : se faire passer pour autre que ce qu'ils étaient, par exemple... et s'attirer des ennuis.
Elle ne regrettait qu'une chose : qu'ils n'aient pas pris le temps d'expliquer à Kerun ce qui s'était passé, la façon dont Mathieu avait libéré Lunn, l'amitié qui s'était nouée entre eux. Pour Kerun, Lunn était encore un inconnu, et elle craignait que cela fragilise le cercle. Elle serra fermement sa main, espérant lui transmettre la confiance qu'elle avait toujours envers le brownie.

Kerun serra sa main en retour et lui sourit, signe qu'il n'était pas prêt de rompre le cercle. Lae paraissait stupéfaite, mais aussi amusée, un peu à la manière d'Astrée.
" Mon cercle est solide, reprit Lunn avec morgue. Mais j'ai un marché. Je ne t'ai pas appelé pour le plaisir de te voir bisquer."
Le chasseur croisa les bras.
" Tes amis finiront par s'endormir, je suis patient."
Lunn secoua sa flûte.
" Ils peuvent tenir des années. Et tu seras appelé ailleurs, tôt ou tard."
Sur un cri de rage, le chasseur s'éloigna de quelques pas. Il avait besoin de lancer son arme sur quelques choses, et ce fut un arbre qui en fit les frais. Son tronc se fendit de part en part et il s'effondra dans un grand craquement. La lance se rematérialisa presque immédiatement dans la main de son propriétaire.
" Parle, aboya-t-il.
— Nous avons besoin que tu nous retrouves quelqu'un. Si tu nous l'apportes, sain et sauf, je me livrerai.
— Non." dit le chasseur.
Lunn parut stupéfait.
" Comment ça, non ?
— Ça ne marche pas comme ça, faquin. Je retrouve votre proie, et en échange, tu te livres à la Traque. »
Le fey leva les yeux au ciel.
« Encore ?
— Cette fois, quand je te trouverai, je ferai en sorte que tu restes dans une cage beaucoup mieux fermée. J’ai entendu dire que tu avais offensé la Princesse Niyebe.
— Vraiment ?
— Je suis certain qu’elle aura des chaînes à ta mesure.
— Ainsi soit-il. Est-ce que j’ai le droit de prendre de l’avance ? »
Le chasseur rit, un grondement puissant, sans joie.
« Est-ce que tu crois que ça va faire une différence ? »

Les chasseurs voulaient le plaisir de la chasse, et non pas une proie qui se livrerait à eux. C'était presque absurde, étant donné les pouvoirs que Lunn leur avait décrits. Ils le trouveraient en un rien de temps, probablement comme Mathieu... Il devait leur suffire d'un nom, ou peut-être d'un objet.
" En fait... tu n'as pas la moindre chance de lui échapper, c'est bien ça ?, souffla Astrée en regardant Lunn avec compassion. Et tu es vraiment sûr... que ça va aller ?"
Elle se demandait qui était la princesse en question, et s'il y aurait à nouveau moyen d'acheter la liberté du brownie... ou plutôt du fey. Mais ce n'était pas le moment de poser ce genre de question.

" Ne t'en fais pas, gente dame, dit-il avec un clin d'oeil. Ce genre de choses fait partie du jeu."
Le maître de chasse était retourné vers son cheval et l'enfourcha.
" Quelle est la proie ? demanda-t-il.
Les chiens et les cavaliers se rassemblèrent autour de lui. Il avait saisi, à sa selle, un imposant cor de chasse.
" Il s'appelle Mathieu. C'est un humain. Ne lui fais pas de mal."
La créature sauvage acquiesça, la mine sévère.

Sauf que Mathieu n'était pas son vrai nom, se souvint Astrée. Il avait signé d'un autre nom sa lettre d'adieu.
" Il faut nous le ramener sain et sauf, insista-t-elle. S'il vous plait..."
Il lui semblait que Lunn ne se montrait pas assez précis sur ce "détail".
" Mais juste... est-ce que ça pose un problème s'il utilise parfois un autre nom ? Est-ce que ça va vous empêcher de le trouver ?"

Le chasseur la dévisagea durement, de son regard vert débordant de lumière.
" Quel que soit son nom, je le trouverai." répondit-il.
Puis il sonna du cor, un son tonitruant, qui les ébranla tous jusqu'aux tréfonds de leur carcasse, et il leur fallut toute leur volonté pour ne pas lâcher la main de leurs voisins pour se boucher les oreilles. Puis, dans un fracas de corps sombres, la Chasse Sauvage s'ébranla, au grand galop dans l'herbe rase, aussi vite disparue qu'elle n'était arrivée.
" Et bien, ça ne s'est pas trop mal passé !" dit Lunn avec enthousiasme.

" Je suppose..."
Astrée haussa les épaules, un peu dubitative. Certes, ils avaient obtenu ce qu'ils voulaient, mais Lunn allait retrouver la captivité, et elle trouvait son enthousiasme un peu forcé compte tenu des circonstances.
" Mais... Comment feront-ils pour le trouver en n'ayant pas son nom... ni un objet lui appartenant... ni... rien, quoi ! Tu crois vraiment qu'ils peuvent y arriver ?"

" Le Maître de Chasse peut percevoir sa proie dans nos pensées. Il a eu amplement le temps de s'imprégner de Mathieu... ou quel que soit son véritable nom. D'autre part, ses chiens auront aisément isolé son odeur parmi les nôtres. Nous avons tous eu des contacts avec lui. Bref, ne vous en faites pas. Ils seront de retour avant la nuit."
Lae croisa les bras.
" Je pense que tu nous dois quelques explications."
Le fey se tourna vers elle. Il était un peu plus grand qu'elle, mince et souriant, non dépourvu de charme. En fait, il fallait bien avouer qu'il était extrêmement séduisant.
" Je n'ai pas été honnête avec vous... mais je ne vous ai pas franchement menti non plus. Je ne suis pas un brownie. Je suis un fey comme il en existe mille et mille encore. Je m'appelle Rannaibhei, mais on me surnomme le Prince des Pipeaux. Ma flûte est mon arme... et elle est redoutable."

Astrée lui sourit.
" Pipeau... dans le sens où tu es expert en tromperie et mensonges ? Parce que chez nous, jouer du pipeau, ça veut aussi dire ça... Ou alors, ta flûte a d'autres pouvoirs ?"
Il lui semblait tout aussi sympathique sous forme de fey que sous forme de brownie. Et finalement, cela ne changeait pas grand-chose, à part qu'ils n'avaient plus besoin de baisser la tête pour s'adresser à lui.

" Je ne suis pas particulièrement expert en tromperie... C'est le Maître de Chasse qui m'a métamorphosé en brownie, je n'ai pas essayé de me cacher, même si, une fois libre, j'aurais pu lever l'enchantement."
Il parut songeur.
" Mais la plupart des feys sont capables d'illusions plus ou moins complexes... C'est l'essence de Féérie. Donc, oui, je suppose qu'à votre échelle, je suis expert en tromperie."
Son expression devint chagrine.
" Je ne vais pas pouvoir rester. Même si le maître de chasse pavoise et prétend, j'ai bien l'intention de ne pas lui rendre la tâche facile... J'aurais aimé vous accompagner jusqu'au bout, mais vous y êtes presque... Vous vous en sortirez très bien sans moi."

Continuer seuls ? Ils ne savaient même pas où étaient exactement ces fichues cascades...
" Je comprends bien, même si j'aurais préféré avoir le récit complet de tes aventures, notamment la raison pour laquelle ce chasseur t'en veut autant..."
Elle lui sourit.
" Mais juste avant de partir, si tu peux nous indiquer par où rejoindre les cascades, ce serait bien.... Et le maître de chasse, est-ce qu'il ne risque pas d'être furieux que tu te sois échappé ? Il pourrait, par exemple, s'en prendre à Mathieu ?"

" Le maître de chasse m'a donné l'autorisation de prendre de l'avance... implicitement. La traque n'a pas d'intérêt si je suis juste devant lui au moment où il lance ses chiens ! Ce qu'il veut, c'est que j'ai l'espoir que je vais m'en sortir...
— Tu nous dois ton histoire, insista Lae.
— Seulement si on avance un peu. Je vais vous trouver les cygnes et ils vous mèneront aux cascades. Le maître de chasse vous retrouvera où que vous soyez. Il ne fera rien à Mathieu. Nous avons un accord."

Astrée acquiesça. Ce n'était sans doute pas très prudent, pour le fey, de rester trop longtemps avec eux, mais elle était curieuse d'entendre l'histoire, elle aussi.
" Mettons-nous en route, dans ce cas. Tu nous parleras en route... Et je présume qu'on a peu de temps pour ça, s'ils sont aussi efficaces que tu le dis. Donc hâtons-nous..."
Elle revint vers Kalju, sourit à la fillette pour la rassurer, et lui prit la main. Puis elle poussa doucement Kalju par l'épaule pour le mettre en route lui aussi, en un geste devenu machinal.

Mais Ellie n'avait pas l'intention de descendre des épaules de Kalju et ce dernier ne semblait pas incommodé par la présence de la petite fille au-dessus de sa tête, aussi Astrée fit-elle d'une poussée deux coups. Lae et le fey l'attendaient un peu plus loin, Kerun avait pris la tête de leur équipée, quelques pas plus loin.
" Alors, cette histoire ?" demanda à nouveau Lae.
Il y avait un petit pétillement neuf dans ses yeux.
" C’est une histoire stupide… Au cours d’une soirée un peu arrosée, j’ai parié avec le Chapelier que je pouvais voler le Cor du Maître de Chasse et le remplacer par une Corne d’Abondance qui vomirait des fruits frais. Vous ne connaissez pas le Chapelier, mais c’est un joyeux drille : il m’a mis au défi… Je ne résiste pas à un bon défi. J’ai donc mis mon plan à exécution… sans grosses difficultés. Ces gros balourds de la Chasse sont tellement imbus d’eux-mêmes qu’ils ne sont pas très prudents. Bref… J’ai remplacé le Cor avec la Corne et quand ils ont voulu repartir en chasse, au moment de sonner… Le Maître de Chasse a propulsé des grappes de raisin, des cerises et des pommes dans toutes les directions. Il parait que c’était désopilant. Bon, je n’en ai rien vu, j’avais préféré prendre le large... Mais évidemment, j’ai été démasqué… mon odeur sur le Cor, apparemment, que j’avais pris soin de ne pas garder avec moi et caché dans un buisson. Bref, j’ai eu droit aux Honneurs de la Chasse. Une fois troussé comme un lièvre, le Maître de Chasse m’a métamorphosé en brownie et m’a offert à la bonne garde de son larbin Minzeiros. Mais sans lui dire qui j’étais réellement. Du coup, je n’ai pas eu trop de mal à obtenir ma libération, une fois que Mathieu a été décidé à plaider ma cause. »
Il sourit avec un haussement d'épaules.
" Ne pouvons-nous rien faire pour toi ? demanda Lae.
— Non, mais ne vous en faites pas… J’ai de nombreux alliés et je ne manque pas de ressources. Et puis c’est le jeu de ces lieux. Je serai capturé, prisonnier un certain temps, puis je m’évaderai à nouveau, ou quelqu’un plaidera ma cause et je serai pardonné… Nous sommes immortels, il nous faut bien un peu d’amusement. Voyager avec vous a été un plaisir. Vous n’êtes plus si loin du but : le lac regorge de créatures dangereuses mais les cygnes sont bienveillants. Une fois sous leur escorte, vous ne risquerez plus de mauvaises rencontres, du moins jusqu'aux cascades. »

La mésaventure du fey était tout à fait innocente, aux yeux d'Astrée. Mais ces chasseurs avaient tendance à prendre la mouche facilement, semblait-il. Elle voulait bien croire qu'il fallait trouver à occuper les longues années de la vie éternelle, mais tout de même, passer quelques décennies ou siècles dans la peau d'un brownie ou d'une autre créature lui semblait une punition largement suffisante pour la mauvaise blague qu'il avait faite...
Ses pensées revinrent fatalement à Dimitri : combien d'année devrait-il passer dans le corps d'un humain ? L'éternité ? Ou deviendrait-il mortel ? Avait-il quelque chose à se faire pardonner, lui aussi ? N'y avait-il pas moyen de plaider sa cause ?
Mais elle revint rapidement à des questions plus terre à terre... et plus urgentes.
" Et une fois aux cascades, sais-tu où nous devrons aller ou à qui demander notre chemin ?"

" Il faudra monter aux sources, dans la haute montagne. L'ascension est impressionnante mais il y a un chemin qui serpente derrière le rideau dl'eau. Il n'est pas impossible que vous y croisiez l'une ou l'autre créature en mal de conversation... mais c'est un site préservé et tant que vous ne profanez pas les eaux, les créatures de la cascade ne vous attaqueront pas. Vous pouvez en boire mais pas vous y soulager. Pensez-y avant de commencer à grimper. Oh, juste... Il n'est pas impossible que le Violoniste soit en bas. Un beau gars, à moitié nu, qui joue du violon sous la cascade... Il vaut n'importe quelle lorelei de la rivière. A fuir comme la peste. Si vous entendez du crincrin, bouchez-vous les oreilles et passez votre chemin."
Lae avait glissé la main dans le creux de son bras.
" Une fois en haut... Je ne saurais dire. Ce ne sera plus loin. Je ne serais pas surpris qu'elle vienne à votre rencontre. Elle sait que vous la cherchez, vous l'avez tant répété."

La réaction de Lae fit bourgeonner un sourire attendri sur les lèvres d'Astrée. Le fey avait évidemment un charme fou, comme beaucoup de ses congénères. Mais ils étaient sur le point de se séparer, malheureusement pour la drow...
Elle songea qu'elle devrait apprendre à oser faire de même. Juste un simple contact pour faire le premier pas... Ce n'était pas dans sa nature, cependant. Bah, elle verrait bien à son retour comment les choses tourneraient. Certes, il n'avait pas autant de charme, sous forme humaine, même s'il était absolument fascinant et tellement formidable... Et puis, il pouvait être si froid et si dur par moments... Elle n'était pas sûre d'oser quoi que ce soit.

Elle s'obligea à chasser ces pensées prématurées, réalisant qu'elle affichait un sourire rêveur bien peu compatible avec la gravité de leur situation.
" Lunn... heu... Rannaibhei. Merci à toi pour tout ce que tu as fait pour nous, et pour tous tes conseils... et surtout pour Mathieu. Du fond du coeur. Et... sait-on jamais, si tu voulais venir passer un moment dans notre monde, n'hésite pas. Avec un peu de chance, les chasseurs ne t'y chercheront pas..."
La proposition lui était venue, spontanément, en observant Lae. Mais elle n'était pas certaine que ce soit une excellente idée, se souvenant de l'attitude de Mathieu et Kerun envers Dimitri. Un être aux pouvoirs puissants susciterait immanquablement une certaine réserve des autorités...

" Oh si, malheureuse, les Chasseurs se soucient peu des Plans."
Il sourit et s'arrêta. Il avait couvert la main de Lae de la sienne.
" Nos chemins vont se séparer. Je vous emprunte votre ensorceleuse une minute..."
La drow parut surprise mais se laissa entraîner entre les arbres.
" Je dois avouer que... je n'y comprends rien, dit Kerun en les suivant des yeux. C'était une sorte de lutin jusqu'il y a peu... et je n'ai aucun souvenir de lui avant mais... il suffit qu'il se métamorphose et il devient irrésistible ?"

" Il faut croire... Il a un charme fou sous cette forme, il faut bien reconnaître."
Elle sourit joyeusement à Kerun.
" Mais je présume qu'il n'y a que les femmes qui y sont sensibles... Ou peut-être que les magiciennes le sont encore plus ? Et puis, il s'est toujours montré absolument adorable sous sa forme de brownie, aussi."
Elle songea que c'était tout de même triste, pour la drow, de tomber sous son charme au moment même où ils devaient se séparer. La vie était décidément mal faite...

Kerun secoua la tête, manifestement incapable d'y voir clair. Lae et le fey reparurent peu après et la drow rejoignit ses compagnons en quelques pas. Le Prince des Pipeaux resta à quelques mètres et s'inclina devant eux.
" Bonne route, mes amis. Je vous remercie pour votre bienveillance envers un inconnu. Suivez mes conseils, soyez prudents et bon retour en vos terres. Gardez-moi dans vos pensées : je vais en avoir besoin dans les temps à venir.
— Bonne chance à toi, Rannaibhei, dit simplement Lae.
— Merci pour votre aide. Je n'en ai pas le souvenir mais... je vous en remercie néanmoins.
— Prenez soin de Mathieu et passez lui mes salutations. Dites-lui que je suis désolé pour les moyens employés... Il finira par comprendre."

Astrée sourit.
" Je suis sûre qu'il comprendra. Et qu'il sera très déçu de ne pas pouvoir te remercier personnellement."
Peut-être, également, qu'il serait furieux que Lunn ait pris un tel risque pour lui. Tout dépendait, bien sûr, des circonstances dans lesquelles le maître de chasse allait le retrouver. Si, contrairement à leurs craintes, il ne se trouvait pas en mauvaise posture, il allait être en colère.
" Bonne route à toi, Prince des Pipeaux. Sois prudent, toi aussi. Essaie de ne pas te faire prendre..."

La Couronne de Cuivre

[Féérie] Sur la piste de Kaljivahu...