Posté : sam. 02 avr. 2005, 12:01
« C’est étrange, à travers une vitre elle m’a l’air si loin »
Aifé, le visage tourné vers la fenêtre observait la forêt. On l’avait installée avec Kieran dans une pièce confortable au dernier étage de l’ambassade de Tierlune. La pièce, aux murs et aux plafonds vitrés leur permettait d’avoir une vue imprenable sur les chênes séculaires. Si Aifé ne quittait pas l’extérieur des yeux, Kieran était tranquillement plongé dans un livre.
« Je me sens comme en prison »
Le jeune homme leva les yeux vers elle.
« Vous devriez lire. Cela vous permettrait de vous évader »
Elle secoua la tête. Je ne vois pas comment une feuille blanche et quelques lignes noires pourraient vous permettre toute évasion. Bien au contraire. Je me sentirais enfermée devant un livre
-Au contraire, répondit il calmement, les livres referment les plus grands voyages et les plus beaux trésors...Vous traversez aussi le temps, vous rencontrez de nouveaux compagnons …
-Peuh, l’interrompit Aifé sceptique, vous racontez vraiment n’importe quoi »
***
« Maintenant, regardez moi »
Andreia, les mains posées sur les épaules d’Hanna. La jeune femme tourna doucement vers elle ses yeux d’écureuil.
« Vous êtes en sécurité maintenant, vous n’avez plus à avoir peur »
Une ombre de sourire naquit sur le visage d’Hanna. Une simple ombre qui donna à l’être fée la conviction qu’elle n’était pas totalement perdue. Le retour envisageable. L’essentiel était de ne pas la brusquer pour que la carapace tombe.
« Je suis heureuse rencontrer enfin notre meilleur agent de liaison. Chaque esclave libéré ne tarit pas d’éloge lorsqu’il parle de vous. Si vous le désirez, je vous emmènerai leur rendre visite demain. Qu’en pensez vous ? »
Pendant de longues minutes, Hanna n’eut aucune réaction puis ses yeux s’éclairèrent et elle hocha la tête.
« Je savais que cela vous ferait plaisir, dit elle avec un sourire, en attendant, je voudrais vous présenter deux personnes. Elles aimeraient s’entretenir avec vous. Puis je les laisser venir ? »
Hanna hocha la tête avec un peu d’appréhension.
***
« Nous n’aurons qu’à lui dire bonjour et nous présenter. Rien d’inquiétant somme toute » Maïwenn et Aelis attendaient en silence derrière la porte, le cœur emplit d’appréhension et d’impatience. Dans quelques secondes, elles seraient en présence de la dernière damnée. Hanna de Govannon, agent de liaison dans la résistance de Quarlune. Chacun la connaissait sans jamais l’avoir vue. Une jeune femme brillante par son humanité et la grandeur de son courage. Andreia leur avait parlé du mutisme dans lequel elle s’était enfermée. Elle pensait que le fait de lui parler lui serait profitable. Hanna devait se rétablir avant qu’elles ne reprennent la route. Une guerrière amoindrie serait d’avantage un poids mort qu’un allier.
Elles sursautèrent quand Andreia vint leur ouvrir la porte. Hanna se tenait derrière elle, le visage entièrement dénué d’expression, semblant plus intéressée par ce qui se passait dehors que par leur présence.
« Hanna, je vous présente Maïwenn de Lochnohan de Tierlune et Aelis de Vortiguern du Septentrion »
Hanna leva lentement la tête et Aelis tresaillit. Ses yeux immenses, ses longs cils, ce visage aux traits si doux …
« Guielin ... » murmura t’elle.
La jeune femme en face d’elle sursauta. Puis sa bouche s’arrondit et laissa échapper un souffle.
« Guielin, mon frère … »
Une larme roula sur sa joue. Ses yeux se posèrent sur Aelis et ne la quittèrent plus. Des yeux soudain remplis d’espoir.
***
« Et si elle se trompait ? Si je ne suis pas celui qu’elle cherche. Te rends tu compte de la déception que cela pourrait lui causer ? Non, Aelis, je ne peux pas la rencontrer. C’est au dessus de mes forces »
Guielin s’était arrêté d’un coup dans le couloir, les bras croisés. Cette envie de fuir mêlée au désir de pousser la porte et de faire face à son passé.
Aelis faisait face à son compagnon. Il ne semblait plus la voir, perdu dans ses pensées. Son passé ressurgissait brusquement en la personne d’Hanna. Elle le voyait assombri, submergé par la panique.
« Et que veux tu que lui dises ? Nous ne nous presque pas. L’enfant qu’elle connaissait s’est enfui de ma mémoire. Elle n’a rien à voir avec l’homme que je suis devenu. Des étrangers, voila ce que nous sommes »
Aelis allait répondre quand la porte s’ouvrit. Hanna se trouvait sur le seuil. La conversation s’interrompit automatiquement. Guielin s’avança. Elle s’approcha à son tour. Même yeux à l’expression interrogatrice, même nez parsemé de taches de rousseur … Semblables comme deux frères. Ils se reconnaissaient.
« Guielin, murmura Hanna, enfin je te retrouve »
Il avança d’un pas. Soudain, n’y tenant plus, Hanna se jeta dans ses bras et le serra contre elle.
***
« Du blanc, une ligne noire, du blanc, une ligne noire. Je ne vois rien d’intéressant. Votre livre me bouche la vue »
Kieran soupira dépité.
« Mais vous n’avez pas encore essayé de lire. Vous allez voir, ce n’est pas compliqué »
Aifé reprit le livre. Kieran lui avait appris à identifier les dix premières lettres de l’alphabet, simplement pour ne pas mourir d’ennui. Ils s’étaient assis cote à cote, sur le lit de Kieran.
« B-A ba, répéta t’elle soudain lassée, et avec un r, cela fait barbe. La barbe ! J’en ais assez de vos leçons et de vos airs supérieurs ! »
Il la regarda offusqué.
« Comment, mes airs supérieurs ? Je ne vous permets pas. Et comment voulez vous que je réagisse fasse à vos airs bornés et agressifs de mauvaise élève ? »
Ils se lancèrent un regard noir et se tournèrent le dos.
Kieran soupira :
« Je suis désolé. Je suis maladroit. Je n’ais jamais partagé la chambre d’une femme
-Si cela ne tenait qu’à moi, cela n’aurait jamais eu lieu » marmonna Aifé.
Kieran fit mille efforts pour continuer.
« Nous sommes très différents. Mais ne prenons pas ce qui nous différencie pour des signaux de haine et d’incompréhension. Nous allons passer quelque temps ensemble. Alors pourquoi ne pas tenter de nous connaître »
Aifé hocha la tête mais ne répondit rien.
***
Il mange doucement, par petites bouchées. Il ne se souvenait pas à quel point manger était agréable. Nécessaire besoin, délicieux raffinement. De la viande, du pain d’orge, du fromage …A coté de lui, le bébé gazouille dans son berceau de fortune.
« Vous ne m’avez toujours pas dit d’où vous venez maître Feldorn »
Il se retourne vers l’enfant qui le regarde fasciné.
« A quoi cela te servirait que je te le dise ? Tu ne connais pas autre chose que ta petite cabane, ton père, ta chèvre et ton champ »
Il soupire, sans doute un peu vexé.
« Justement, racontez moi, apprenez moi à voyager »
Il a un léger rire …Rire … Plaisir qu’il croyait à jamais oublié.
La porte s’ouvre à nouveau. Le père entre, visiblement essoufflé, du sang sur son manteau.
« Et voila, dit il doucement, plusieurs soldats en moins »
Les sourcils de Feldorn se froncent.
« Pourquoi les avez-vous tué ? »
L’homme hésite, soudain méfiant.
«Guerec le Grand s’est allié avec les dragonides pour conquérir Cuarluna et le territoire des êtres fées. Il lève pour cela une armée immense. Ses guerriers ne suffisant pas, il mobilise de force …Mon fils a été appelé à rejoindre les rangs. Il ne partira pas. Il se fera tuer inévitablement, ce n’est pas un soldat. Mais je préfère le voir mort que de le voir combattre contre son pays. Ils le recherchent … »
Feldorn hoche mécaniquement la tête. Ainsi, le chef de Tierlune s’est allié à Afang. Traître à son pays, aux siens, à ses enfants. Le pacte avec le mal absolu. Sa part d’humanité lui demande quelle aurait été sa réaction à la place de ces gens ? Résistant ou soumis ? Attiré par le pouvoir ou fidèle à ses racines ?
Il se souvient de la dernière guerre. L’ultime. Celle du tous contre tous. Il avait signé l’accord pour envoyer la bombe tout en sachant ce que cela impliquerait. Du moins, ce qu’il croyait savoir. Il ignorait que les autres pays riposteraient avec leurs armes atomiques. Si seulement, il avait su …
Aifé, le visage tourné vers la fenêtre observait la forêt. On l’avait installée avec Kieran dans une pièce confortable au dernier étage de l’ambassade de Tierlune. La pièce, aux murs et aux plafonds vitrés leur permettait d’avoir une vue imprenable sur les chênes séculaires. Si Aifé ne quittait pas l’extérieur des yeux, Kieran était tranquillement plongé dans un livre.
« Je me sens comme en prison »
Le jeune homme leva les yeux vers elle.
« Vous devriez lire. Cela vous permettrait de vous évader »
Elle secoua la tête. Je ne vois pas comment une feuille blanche et quelques lignes noires pourraient vous permettre toute évasion. Bien au contraire. Je me sentirais enfermée devant un livre
-Au contraire, répondit il calmement, les livres referment les plus grands voyages et les plus beaux trésors...Vous traversez aussi le temps, vous rencontrez de nouveaux compagnons …
-Peuh, l’interrompit Aifé sceptique, vous racontez vraiment n’importe quoi »
***
« Maintenant, regardez moi »
Andreia, les mains posées sur les épaules d’Hanna. La jeune femme tourna doucement vers elle ses yeux d’écureuil.
« Vous êtes en sécurité maintenant, vous n’avez plus à avoir peur »
Une ombre de sourire naquit sur le visage d’Hanna. Une simple ombre qui donna à l’être fée la conviction qu’elle n’était pas totalement perdue. Le retour envisageable. L’essentiel était de ne pas la brusquer pour que la carapace tombe.
« Je suis heureuse rencontrer enfin notre meilleur agent de liaison. Chaque esclave libéré ne tarit pas d’éloge lorsqu’il parle de vous. Si vous le désirez, je vous emmènerai leur rendre visite demain. Qu’en pensez vous ? »
Pendant de longues minutes, Hanna n’eut aucune réaction puis ses yeux s’éclairèrent et elle hocha la tête.
« Je savais que cela vous ferait plaisir, dit elle avec un sourire, en attendant, je voudrais vous présenter deux personnes. Elles aimeraient s’entretenir avec vous. Puis je les laisser venir ? »
Hanna hocha la tête avec un peu d’appréhension.
***
« Nous n’aurons qu’à lui dire bonjour et nous présenter. Rien d’inquiétant somme toute » Maïwenn et Aelis attendaient en silence derrière la porte, le cœur emplit d’appréhension et d’impatience. Dans quelques secondes, elles seraient en présence de la dernière damnée. Hanna de Govannon, agent de liaison dans la résistance de Quarlune. Chacun la connaissait sans jamais l’avoir vue. Une jeune femme brillante par son humanité et la grandeur de son courage. Andreia leur avait parlé du mutisme dans lequel elle s’était enfermée. Elle pensait que le fait de lui parler lui serait profitable. Hanna devait se rétablir avant qu’elles ne reprennent la route. Une guerrière amoindrie serait d’avantage un poids mort qu’un allier.
Elles sursautèrent quand Andreia vint leur ouvrir la porte. Hanna se tenait derrière elle, le visage entièrement dénué d’expression, semblant plus intéressée par ce qui se passait dehors que par leur présence.
« Hanna, je vous présente Maïwenn de Lochnohan de Tierlune et Aelis de Vortiguern du Septentrion »
Hanna leva lentement la tête et Aelis tresaillit. Ses yeux immenses, ses longs cils, ce visage aux traits si doux …
« Guielin ... » murmura t’elle.
La jeune femme en face d’elle sursauta. Puis sa bouche s’arrondit et laissa échapper un souffle.
« Guielin, mon frère … »
Une larme roula sur sa joue. Ses yeux se posèrent sur Aelis et ne la quittèrent plus. Des yeux soudain remplis d’espoir.
***
« Et si elle se trompait ? Si je ne suis pas celui qu’elle cherche. Te rends tu compte de la déception que cela pourrait lui causer ? Non, Aelis, je ne peux pas la rencontrer. C’est au dessus de mes forces »
Guielin s’était arrêté d’un coup dans le couloir, les bras croisés. Cette envie de fuir mêlée au désir de pousser la porte et de faire face à son passé.
Aelis faisait face à son compagnon. Il ne semblait plus la voir, perdu dans ses pensées. Son passé ressurgissait brusquement en la personne d’Hanna. Elle le voyait assombri, submergé par la panique.
« Et que veux tu que lui dises ? Nous ne nous presque pas. L’enfant qu’elle connaissait s’est enfui de ma mémoire. Elle n’a rien à voir avec l’homme que je suis devenu. Des étrangers, voila ce que nous sommes »
Aelis allait répondre quand la porte s’ouvrit. Hanna se trouvait sur le seuil. La conversation s’interrompit automatiquement. Guielin s’avança. Elle s’approcha à son tour. Même yeux à l’expression interrogatrice, même nez parsemé de taches de rousseur … Semblables comme deux frères. Ils se reconnaissaient.
« Guielin, murmura Hanna, enfin je te retrouve »
Il avança d’un pas. Soudain, n’y tenant plus, Hanna se jeta dans ses bras et le serra contre elle.
***
« Du blanc, une ligne noire, du blanc, une ligne noire. Je ne vois rien d’intéressant. Votre livre me bouche la vue »
Kieran soupira dépité.
« Mais vous n’avez pas encore essayé de lire. Vous allez voir, ce n’est pas compliqué »
Aifé reprit le livre. Kieran lui avait appris à identifier les dix premières lettres de l’alphabet, simplement pour ne pas mourir d’ennui. Ils s’étaient assis cote à cote, sur le lit de Kieran.
« B-A ba, répéta t’elle soudain lassée, et avec un r, cela fait barbe. La barbe ! J’en ais assez de vos leçons et de vos airs supérieurs ! »
Il la regarda offusqué.
« Comment, mes airs supérieurs ? Je ne vous permets pas. Et comment voulez vous que je réagisse fasse à vos airs bornés et agressifs de mauvaise élève ? »
Ils se lancèrent un regard noir et se tournèrent le dos.
Kieran soupira :
« Je suis désolé. Je suis maladroit. Je n’ais jamais partagé la chambre d’une femme
-Si cela ne tenait qu’à moi, cela n’aurait jamais eu lieu » marmonna Aifé.
Kieran fit mille efforts pour continuer.
« Nous sommes très différents. Mais ne prenons pas ce qui nous différencie pour des signaux de haine et d’incompréhension. Nous allons passer quelque temps ensemble. Alors pourquoi ne pas tenter de nous connaître »
Aifé hocha la tête mais ne répondit rien.
***
Il mange doucement, par petites bouchées. Il ne se souvenait pas à quel point manger était agréable. Nécessaire besoin, délicieux raffinement. De la viande, du pain d’orge, du fromage …A coté de lui, le bébé gazouille dans son berceau de fortune.
« Vous ne m’avez toujours pas dit d’où vous venez maître Feldorn »
Il se retourne vers l’enfant qui le regarde fasciné.
« A quoi cela te servirait que je te le dise ? Tu ne connais pas autre chose que ta petite cabane, ton père, ta chèvre et ton champ »
Il soupire, sans doute un peu vexé.
« Justement, racontez moi, apprenez moi à voyager »
Il a un léger rire …Rire … Plaisir qu’il croyait à jamais oublié.
La porte s’ouvre à nouveau. Le père entre, visiblement essoufflé, du sang sur son manteau.
« Et voila, dit il doucement, plusieurs soldats en moins »
Les sourcils de Feldorn se froncent.
« Pourquoi les avez-vous tué ? »
L’homme hésite, soudain méfiant.
«Guerec le Grand s’est allié avec les dragonides pour conquérir Cuarluna et le territoire des êtres fées. Il lève pour cela une armée immense. Ses guerriers ne suffisant pas, il mobilise de force …Mon fils a été appelé à rejoindre les rangs. Il ne partira pas. Il se fera tuer inévitablement, ce n’est pas un soldat. Mais je préfère le voir mort que de le voir combattre contre son pays. Ils le recherchent … »
Feldorn hoche mécaniquement la tête. Ainsi, le chef de Tierlune s’est allié à Afang. Traître à son pays, aux siens, à ses enfants. Le pacte avec le mal absolu. Sa part d’humanité lui demande quelle aurait été sa réaction à la place de ces gens ? Résistant ou soumis ? Attiré par le pouvoir ou fidèle à ses racines ?
Il se souvient de la dernière guerre. L’ultime. Celle du tous contre tous. Il avait signé l’accord pour envoyer la bombe tout en sachant ce que cela impliquerait. Du moins, ce qu’il croyait savoir. Il ignorait que les autres pays riposteraient avec leurs armes atomiques. Si seulement, il avait su …