La Couronne de Cuivre

Mornagest parcourait les sombres ruelles, récemment dégagées par l’armée de la neige qui les encombrait. Bien que celle-ci ne le dérangeait nullement, il était satisfait du travail, car les mendiants et autres sans-abris pourraient à nouveau loger dans la rue. Et donc, il pourrait en interroger quelques-uns, jusqu’à trouver réponse à sa requête.

Un souffle de vent froid vint mordre le visage de Mornagest. Il sourit, repensant aux contrées nordiques dont il était originaire. Puis il se mit à la recherche de quelque passant à qui il pourrait soutirer des informations.

Ce faisant, il n’entendit pas tout de suite les pas furtifs qui s’approchaient de lui. Il se retourna dès qu’il se rendit compte de la présence de l’intrus : un petit homme aux allures de brute, lui faisait face, dague au poing et un sourire mauvais aux lèvres.

Que me veux-tu, pouilleux ?, lui demanda Mornagest.
A ton avis, crétin ? lui répondit le truand . Ta bourse ! Tu es vraiment inconscient de te balader par ici… et tu vas en payer les conséquences, maintenant !

Et il se jeta sur Mornagest, en pointant la dague vers son visage. Mornagest évita le coup assez difficilement, l’homme était rapide. Il se retourna pour parer une nouvelle attaque. Celle-ci fusa. Le brigand lui porta un coup au torse, mais, la faiblesse de son offensive ne lui permit que d’égratigner la besantine de Mornagest Ce dernier lui asséna un violent coup de poing dans le visage. L’homme chancela mais resta en garde. Mornagest l’attaqua, et lui coupa la main droite d’un geste large. La main et la dague qu’elle portait allèrent s’écraser contre une porte sombre, plus loin.

Mornagest s’apprêtait à achever l’homme, mais, au dernier moment, celui-ci prit ses jambes à son cou et disparut derrière une congère, à quelques mètres seulement du lieu de l’agression. Mornagest renonça à le poursuivre, pensant que ce serait inutile. Il préféra concentrer son attention sur ses recherches. Il continua donc à déambuler dans les rues sales et sordides des Bas Quartiers, espérant faire une meilleure rencontre…

Un froid glacial avait envahi les lugubres ruelles, et un sinistre vent hululait sa haine macabre entre les parois dévastées des bâtiments composant cet infâme quartier. Malgré le travail de déblayement fait par l’armée Melandienne, de massives plaques de neige jonchaient encore les rues. La plupart des mendiants et autres loqueteux s’étaient réfugiés dans les interstices des rares portes donnant sur les ruelles, ils s’y entassaient telles des bêtes et le visiteur les voyant, ne doutait pas que certains devaient certainement n’être plus que de vulgaires enveloppes charnelles frigorifiées. Une inquiétante brume planait sur la zone, obligeant Mornagest à ralentir sa marche, à chaque pas il devait faire attention à ne pas trébucher sur le cadavre d’un pouilleux surpris par la froideur hivernale…

Après quelques minutes écoulées en vaines tentatives d’aborder l’étrange communauté peuplant ce lieu maudit, véritable tumeur putrescente saillant au coin de l’abominable visage de la cité de la Destruction, Mornagest s’immobilisa brutalement. Son oreille avait reçu l’écho agonisant d’un râle affreusement rauque. Il se retourna et scruta les ténèbres de la paroi qui lui faisait face. Ce ne fut qu’après un examen minutieux qu’il remarqua la forme humaine gisant pitoyablement sur le sol humide. Deux yeux au teint brumeux le fixaient paisiblement, mais une énigmatique lueur brillait discrètement dans le cristallin. Le personnage se découvrit soudainement, laissant apparaître son visage.

Mornagest tressaillit, et une expression d’horreur ineffable se forma sur son faciès de combattant. Si les rayons de l’astre solaire avaient eu une âme, ils auraient fui avec désespoir l’ignoble visage qui contemplait Mornagest. La mort elle-même aurait rechigné à venir chercher pareille aberration. Le mendiant semblait ne pas posséder la moindre trace de chair sur la tête, et sortant interminablement de ce qui avait été autrefois des oreilles humaines, un fleuve de sang maculait peu à peu la neige dans une funèbre procession. De larges lambeaux de peau encore attachés au visage se balançaient machiavéliquement, au gré du vent destructeur. Il avait visiblement subit des sévices inimaginables. Le loqueteux gémit de souffrance, et leva ses yeux sur l’inconnu lui faisant face. D’horribles miasmes délétères surgirent brutalement aux confins des poumons de Mornagest, qui toussa bruyamment et fit mine de s’éloigner. Le mendiant, dans un suprême effort de volonté, beugla.

« ‘Tendez, … Je peux vous faire gagner d’l’argent… Tuez celui qui m’a fait ça, Zhindan Mhorg… Et ensuite, prenez la clé qu’il porte sur lui et… »

Il s’interrompit et toussa violemment, souillant la neige vierge de glairons parsemés d’hémoglobine.

« Acceptez et j’vous dit tout… Pitié...»

Mornagest devait se décider rapidement, l’homme ne respirait plus que par de brutales saccades et semblait peu à peu plonger vers le gouffre d’outre-tombe.

Surmontant son dégoût et, avec une envie presque irrésistible de partir loin de cette chose qui se mourrait devant lui, Mornagest fit un effort mental pour se convaincre de s'agenouiller près d'elle et tenter d'écouter la suite de ce qu'elle avait à dire. L'occasion était trop belle, et ce reste humain ne tenterait certainement pas de l'attaquer, fut-il accompagné d'autres de ses semblables, car, semblait-il, un seul coup de pied aurait suffit à le décomposer vivant.

"Je vous écoute. Parlez.".

Mornagest espérait maintenant que son "interlocuteur" pourrait trouver la force nécessaire pour lui confier ce qu'il avait sur le coeur, avant de s'en aller rapidement vers l'éternel gouffre obscur et intemporel de la mort...

Il observait l'agonisant, tout en attendant une réponse de ce dernier. Jamais il n'avait vu de chose aussi répugnante, même dans ses pires cauchemars, même parmi les descriptions des monstres les plus redoutables et affreux dont il avait pu prendre connaissance dans quelque ouvrage savant. Quant à l'odeur que cela dégageait... un amalgame de pourriture, de troll en décomposition et de reste de nourriture d'un gnoll bilieux. Ce qui laissait Mornagest à penser qu'il perdait un temps précieux, en bien charmante compagnie, en ce lieu enchanteur...

Il s'impatienta, et regarda l'agonisant dans ce qui devait autrefois être ses yeux, mais qui avait laissé place à deux petites orbes noires, irrégulières et bordées de croûtes purulentes, qui tomberaient certainement en poussière d'un moment à l'autre.

"Alors ?", reprit Mornagest. "Que savez-vous ?"

Un maigre sourire sembla se dessiner sur la mare de sang composant le reste d’expression humaine du vieillard.

« C’est ce maudit Mhorg qui m’a fait ça ! Cette crapule ère dans les Bas-Quartiers depuis quelques temps et… »

Le vieillard semblait se rabougrir de seconde en seconde et sa voix n’était plus qu’un simple murmure se perdant dans le vent glacial.

« Et il… »

Mornagest se pencha encore plus pour tâcher de percevoir ce qu’avait à dire le vieux. Il entendit soudain un léger craquement provenant de derrière lui et sut qu’il venait de se faire piéger. Dans un réflexe désespéré il se projeta sur le côté, la masse de fer atterrit lourdement sur son épaule droite, lui brisant presque la clavicule dans un immonde craquement. Haletant, il se retourna pour contempler son adversaire. Ce dernier le dominait de toute sa taille, véritable carrure de videur de taverne, heureusement car sans cela Mornagest ne l’aurait jamais entendu approcher, et il ne serait certainement plus de ce monde pour regretter son manque de prudence. Le massif brigand ricana.

« Haha, je t’ai entendu à la taverne parler au tenancier de Mhorg, et le problème vois-tu, c’est que Mhorg a des amis… Hahaha »

Pendant ce temps, le vieillard qui avait paru si vulnérable et faible s’était relevé et dardait un regard amusé sur Mornagest, ce dernier regarda avec terreur la peau du visage se reconstituer peu à peu. La chair se reformait dans un sinistre concert de gargouillis, et lorsque l’opération fut finie, le vieil homme afficha un rictus jaunâtre…

« Tue-le et garde le corps, on en aura peut-être besoin pour un quelconque rituel. »

Le vieillard s’enfuit, il courait incroyablement vite pour quelqu’un de son âge et son agilité laissait supposer le pire quant à ça véritable identité. Mornagest fut soudain tiré de ses pensées par un énorme ricanement.

« Bon ma puce, je crois qu’il est temps de te briser les côtes ! »

Le videur se jeta sur Mornagest, masse au poing…

Avec un réflexe presque surhumain, et survolté par la dose d'adrénaline qui venait de se décharger dans tout son corps, Mornagest frôla d'un demi-centimètre l'énorme masse de la brute, évitant ainsi d'avoir le crâne réduit en une infâme bouillie. Puis, se ressaissant, il bondit de côté, tout en tenant douloureusement son épée en main, son épaule le faisant souffrir le martyr.

Mornagest put enfin faire face à son redoutable adversaire. Celui-ci ne semblait avoir aucun point faible, tant au niveau de la force, que de l'agilité et de la ruse. Le combat s'annonçait rude...

Respirant à courte haleine, il jaugea plus avant la brute. L'homme sourait mechamment, signe d'une grande cruauté, mais aussi d'arrogance. Les adversaires trop sûr d'eux finissaient toujours par dévoiler leurs faiblesses, en commettant une erreur irréparable. Mornagest devait compter sur cela s'il voulait espérer y rééchapper. Il se promettait intérieurement de se méfier de toute crétaure vivante, quel que soit son état de décomposition, a fortiori si celui-ci était simulé.

La brute avança vers Mornagest, tenant sa masse haut en l'air, prêt à l'abattre sur sa tête. Mornagest plongea sur la droite, et entendit la masse sifller dans l'air, s'attendant à tout moment à ressentir une effroyable douleur. Il roula sur les pavés, se retint de hurler de douleur, car son épaule venait d'encaisser un dur choc contre le sol.

Tant bien que mal, et le plus prestement possible, Mornagest se releva. Juste à temps, l'homme attaquait encore, en riant à gorge déployée. Mornagest leva son épée et para le coup. Mais ce dernier fut si puissant qu'il atterri malgré cela sur le bras droit de Mornagest. Nouveau hurlement, de douleur et de rage.

Enfin, Mornagest se décida à attaquer, plutôt que de subir les dommages. Il fendit rapidement l'air, et parvint à toucher son adversaire au flanc gauche, laissant une certaine quantité de sang s'échapper par la plaie béante. Mais le colosse ne semblait pas s'ébranler pour autant. Tout au plus cessa-t-il d'attaquer durant un bref instant. Que Mornagest mit à profit pour réitérer son offensive, sur le côté droit, cette fois. La lame de son épée vint à la rencontre de la masse de la brute, avec un tintement sinistre.

Puis, la dextérité et la souplesse de Mornagest l'emporta cependant sur la masse de muscles l'opposant. Il s'acroupit en un éclair, et planta la pointe de son épée dans l'entrejambe de son adversaire, se faisant par la même occasion copieusement arroser de sang et autes liquides séminaux sur le visage. La brute s'effondra sans mot dire, sur Mornagest, qui eu toutes les peines du monde à se dégager avant d'étouffer sous les 200 livres installées inopinément sur sa carcasse sérieusement entamée... Une clavicule réduite en poudre, et l'avant-bras formant pratiquement un second pli de coude. Cher pour pas grand-chose. Il ne pourrait pas interroger ce monstre mort, et le pseudo-vieux débris s'était enfuit depuis longtemps.

Contemplant l'étendue des dégâts, Mornagest ne savait que faire. Le seul indice qu'il possédait était ce vieil illusionniste, dont il ne retrouverait sans doute la trace que pour se faire achever d'un coup de sort. Son avenir semblait bien incertain...

Un mutisme macabre régnait sur la ruelle ensanglantée. Mornagest, grièvement blessé, ne s’y laissa prendre. C’était trop silencieux. Même les cris d’agonie résonnant habituellement dans le lointain, tels de funestes clairons, s’étaient tus. Le vent, quant à lui, n’était plus qu’une fine petite brise, aussi froid et discret que la Mort venant chercher le malheureux condamné.

À peu de choses près, Mornagest aurait cru être seul au monde, mais il savait qu’il ne pouvait se fier à ses sens et son esprit était perturbé par un mal obscur, qui paraissait se rapprocher inéluctablement. Une inquiétante apathie psychique l’avait envahie et le désespoir, ce monstre machiavélique, s’insinuait peu à peu dans son cœur. Au vu de ses os brisés et du sang qui perlait sinistrement sur sa tunique, il ne ferait guère long feu s’il croisait à nouveau quelque brigand sachant manier l’épée, il devait partir. Il tituba piteusement dans un suprême effort de volonté vers ce qui lui semblait être l’endroit d’où il était venu, mais était-ce véritablement par ici ? Un instant, il frissonna à la perspective de finir ses jours dans ce labyrinthe putride, oublié de tous et prochain festin des rats, ou de pire encore. Chassant cette funèbre idée de ses pensées, il se concentra sur le fait de survivre, et continua sa lente progression.

Soudainement, il sentit une légère onde glacée se propager le long de son corps, le faisant grelotter. Il était perdu, d’un instant à l’autre, le coup allait s’abattre sur sa tête et le plonger à jamais dans l’infernal abîme de la décrépitude. Mais l’attaque ne vint jamais. Haletant, Mornagest se retourna peu à peu pour contempler qui s’était glissé subrepticement dans son dos…

Un personnage élancé dardait sur lui des yeux d’une noirceur abyssale. Comme s’il cherchait à lui transpercer le crâne par un simple regard. Il affichait un lugubre teint marmoréen, à la fois cadavérique et noble, et revêtait une forme de linceul ombreux, qui paraissait absorber la lumière. Une obscurité sépulcrale planait autour de la créature. Elle sourit, dévoilant une inquiétante dentition, qui reflétait totalement la symbiose entre le buveur de sang et les ténèbres. Mornagest frémit il n’avait jamais vu cet homme, mais ce dernier paraissait irrémédiablement maléfique, son humanité avait été dévorée une terrible nécrose, ne laissant qu’un être diabolique à l’esprit perfide et sinistre. À qui avait-il affaire ?

Quelques secondes d’un silence insoutenable s’écoulèrent avant que le vampire ne se décide enfin à prendre la parole.

« Vous arborez un teint presque aussi blafard que le mien, vous ne devriez pas, votre mort ne me sied guère pour le moment. » dit-il d’une voix grave et hantée par les maléfices.

Un léger rictus déforma les traits de l’abominable interlocuteur de Mornagest.

« Prenez ceci et achevez ce que vous devez faire. »

Le terrible regard de la créature en dit long sur ce qui se passerait en cas d’échec. Le vampire posa à ses pieds une fiole contenant un liquide bleuté ainsi qu’un parchemin décrépi.

« C’est un plaisir que de vous avoir rencontrer, petite canaille des bas-fonds. Je te laisse espérer que l’on ne se revoie pas. »

Le vampire disparut dans la brume qui l’entourait, s’évaporant peu à peu dans un triste tourbillon venteux, quelques secondes plus tard, personne n’aurait pu se douter qu’il avait été là. Ces dernières paroles avait été prononcées tel un souffle funèbre sur la maigre corde rattachant Mornagest à la vie. Grelottant encore, il déplia l'indication que le vespéral visiteur avait soigneusement déposée sur la putrescence de ce sol souillé par une pléthore d'immondices. Le vent s'était remis à hululer entre les maisons vermoulues et il du tenir fermement le papier pour pouvoir le lire.

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« Bâtisse aux briques sanglantes, défiant celle à la façade jaune. Votre clepsydre se vide… »

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Mornagest soupira puis se saisit de la fiole contenant la mixture bleuâtre, cela semblait être une potion de soins. Mais en était-ce vraiment une ?

Il tenta de mettre de l'ordre dans ses pensées confuses. Les récents évenements le forçaient à revoir sérieusement sa façon d'agir, et de réfléchir dans cette ville gangrainée par les complots, le meurtre et la corruption. Si toutefois on lui en laisserait l'occasion....

Il tenait la fiole dans sa main gauche, observant les volutes de fumées dansant au-dessus du liquide azur, opaque comme le goudron et fluide comme l'eau pure. Son salut. Peut-être.... Car si cette substance se révélait être un poison mortel....

D'un autre côté, qu'aurait eu ce vampire à gagner, en l'empoisonnant ? Il ne pourrait définitivement plus se nourrir de son sang, dès lors contaminé par le mortel liquide. Et le tuer aurait été pour la créature un jeu d'enfant, alors qu'il s'était approché de Mornagest aussi silencieusement qu'une ombre.

De toute façon, je n'ai pas trop le choix., se dit Mornagest. C'est ça ou mourir bêtement dans ce quartier mal famé.

Il souleva lentement le bouchon en liège, qui s'effrita légèrement, et quelques particules de poussières tombèrent dans la substance, ce qui eu pour effet de renforcer l'épais nuage de vapeur en suspension dans la fiole.

Mornagest eu un frisson de dégoût. Que lui arriverait-il en buvant cette mixture ? Allait-il se décomposer entièrement en quelques instants ? Ou se métamorphoser en une bête innommable ?

Puis, enfin, d'une traite, il but la potion. Elle lui laissa un goût âcre en bouche, avec un arrière-goût de moisissure. Un nouveau frisson parcouru l'échine de Mornagest. A quoi devait-il s'attendre, désormais ?

Quelques secondes passèrent, sans que rien d'anormal ne se produise. Quand, enfin, au bout d'une minute qui lui paru interminable, ....

Mornagest sentit alors ses forces lui revenir, une violente et inespérée bouffée de soulagement recouvrait ses blessures, le plongeant dans une euphorie passagère. Il sentait ses os se reformer et ses plaies cicatriser. Même s’il n’était pas totalement guéri, l’effet curatif de la mixture lui avait redonné des forces. L’étrange personnage lui avait donc bel et bien donné une potion de soin. Mais qui était-ce donc dans ce sinistre tissu d’intrigues ? Mornagest eut la désagréable sensation de n’être qu’un pion dans une terrible partie d’échecs aux revers morbides.

Malgré la colère qui s'emparait de lui, à l'idée de servir de valet à une quelconque puissance supérieure, Mornagest s'estima heureux de s'en sortir quasiment indemne. Seule une légère douleur au bras droit le gênait dans ses mouvements, mais, en comparaison avec la souffrance qu'il venait d'endurer, cela ne lui semblait être qu'une peccadille.

Subitement, Mornagest se rappela le parchemin fripé que le vampire lui avait donné, en même temps que son remède. Il le redéroula, et relu le message : Bâtisse aux briques sanglantes, défiant celle à la façade jaune. Votre clepsydre se vide…

Curieuse énigme, surtout la dernière phrase. Les deux premières devaient sans doute décrire l'apparence générale de l'endroit où il devait se rendre. Pour quoi faire ensuite ? Y rencontrer des monstres à annihiler, au risque de se refaire trouer la peau ? Un nouvel élan de fureur toucha Mornagest. Puis il se calma en pensant aux "ordres" qu'il avait reçu. Tout ceci n'était sans doute qu'un test, pour évaluer ses possibilités. Et il devait le passer du mieux qu'il pouvait.

Il se remit donc en marche, en route vers cette bâtisse rouge sang, face à une autre, jaune... Le brouillard ne lui faciliterait certainement pas la tâche, mais il n'avait guère le choix...

Ses recherches furent ponctuées de succès, au bout de deux longues heures de marche infructueuse dans les ruelles lugubres de Mélandis.

Il aperçut enfin la maison en question, d'aspect encore plus sale que ses voisines. La couleur des briques de façade rappelait tellement celle du sang que Mornagest en vint à penser qu'il pourrait réellement en s'agir. A nouveau, il s'interrogea sur la situation. Et sur la suite de l'énigme : votre clepsydre se vide... S'agirait-il de son propre corps, laissant s'échapper des décilitres d'hémoglobine, à peine quelques heures auparavant ?

Faisant le vide dans son esprit, Mornagest se décida à toquer à la porte de l'inquiétante demeure. Il attendit une réponse, tendu...

Après quelques secondes d’une attente insoutenable, Mornagest entendit de légers bruits de pas faisant grincer des lattes vermoulues, certainement juste derrière la massive porte d’entrée de la lugubre bâtisse jaunâtre. Le personnage qui venait de torturer le plancher s’interrompit soudainement, puis ouvrit une sorte de loquet dans la porte, ce dernier protesta face à la pression par un sinistre frottement métallique mais coulissa finalement. Le panneau de fer, affreusement rouillé, que l’individu venait de déplacer était en fait une forme de rectangle coulissant, d’une dizaine de centimètres de largeur pour une quinzaine de longueur. Les occupants de la maison pouvaient ainsi darder des regards inquisiteurs sur les visiteurs de ce quartier putride dans une sécurité relative.

Ce fut un œil bourru et grossier qui apparut dans la mince fente, d’où émanaient des rayons lumineux. Il scruta Mornagest de fond en comble, comme un vulgaire animal. Puis, soudainement, une voix rude et grave acheva l’examen visuel, couvrant les clameurs de beuverie qui résonnaient dans la bâtisse.

« Qu’est-ce que tu veux morveux ! Dégage de mon perron… »

Mornagest frémit, ce serait moins facile qu’il se l’était imaginé…

Il hésita un moment avant de répondre. Ce gros rustre ne semblait pas vouloir le laisser entrer, pour quelque raison que ce soit. La solution la plus simple, mais pas forcément la plus prudente ou judicieuse, était de dire la vérité. Ainsi, Mornagest ne prendrait pas le risque de s'emmêler les pinceaux dans une multitudes de mensonges d'où il ne pourrait ressortir qu'une confusion inévitable. Il prit donc une inspiration et déclara à l'homme :

Je suis ici sur invitation d'un vampire, qui m'a remit l'adresse de cette maison. Je ne sais au juste pourquoi. Sans doute en connaissez-vous la raison ?

Cette méthode d'investigation était certainement maladroite. Mais de toute façon, Mornagest ne voyait pas comment agir autrement. Sauf peut-être par la force. Mais son interlocuteur n'était sans doute pas un homme facile à battre. Et il ne se sentait pas au mieux de sa forme, après le combat qu'il venait péniblement de remporter.

Il attendit une réaction, quelle qu'elle soit, de la part de l'inconnu...

Le gros interlocuteur de Mornagest fut soudainement pris d’un rire guttural, ses énormes bourrelets adipeux, qui parsemaient sans distinction son corps dont la forme rappelait celle d’une immonde poire, volaient dans toutes les directions au gré de ses tressautements d’hilarité. Il riait presque à gorge déployée, si bien que l’on pouvait contempler avec effroi son horrible dentition qui aurait fait pâlir une charogne putréfiée. Finalement, se ressaisissant tant bien que mal, il darda un œil amusé sur le Melandien dépité par une telle réaction.

« T’es un bien drôle d’oiseau que de venir mendier je ne sais quoi dans la propre demeure de Zhindan Mhorg ! Et c’est la façon la plus ridicule que j’ai entendue depuis des lustres de vouloir nous effrayer ! »

Le personnage aux manières si bourrues explosa à nouveau de rire et se retourna, tout en laissant un œil distrait planer sur le visiteur.

« Vous entendez ça les gars ! Ce pauvre hère a sans doute perdu l’esprit. »

Mornagest perçut quelques clameurs joviales et malsaines émanant de la salle, il ne parvenait pas cependant à discerner combien de personnes il y avait, l’imposante silhouette de son interlocuteur obstruait presque totalement la voûte de la porte. Ce dernier ricana une dernière fois et jeta une pièce de cuivre sur le sol boueux.

« Tiens, on te remercie de nous avoir autant fait rire, si seulement Zhindan avait été là ! »

L’homme claqua violemment la porte, et on entendit clairement le son d’un verrou agonisant se tournant dans un dernier effort lugubre.

Une fine pluie commençait à tomber sur Melandis. Peu à peu, l’eau emportait les immondices du sol, raclant tant bien que mal le linceul pestilentiel couvrant les pavés noircis par d’antiques haines qui ne s’éteindraient jamais, gravées dans la pierre, dans la cité elle-même. Puis, finalement, de sinistres cascades noirâtres plongeaient définitivement dans les égouts putrides et nauséabonds, repères de créatures abominables se baignant dans les miasmes…

Mornagest pesta, c'était véritablement une journée atroce.

Il ne savait que faire. La seule "piste" qu'on lui avait soufflé s'étaignait ici-même, ainsi que ses espoirs d'un jour retrouver Zhindan Mhorg.

Perdu dans ses sombres pensées, Mornagest ne remarquait pas la pluie battante et froide qui tombait du ciel, lourd de nuages gris et menaçant de se déchirer sous la foudre.

Comment faire ? La rage l'envahissait. ll était vraiment trop maladroit que pour mener à bien une enquête. Son point fort, c'était le combat, pas la réflexion.

Je pourrais tenter de m'introduire par un soupirail. , se dit-il. Faisons le tour de la maison, il doit bien y avoir une autre issue que cette bête porte avec ce bête type caché derrière !

Il entreprit donc d'examiner plus avant les contours de la bâtisse. Ses efforts furent couronnés de succès : à l'arrière, un petit soupirail, dont la grille était rouillée, lui permettrait sans doute de pénétrer dans la maison. Il força sans problème les attaches rongées par l'oxydation et posa la grille sur le sol, avant de se glisser dans l'interstice.

Il atterrit dans une petite cave nauséabonde et humide, dont le seul éclairage provenait de la rue. Mornagest attendit quelques instants pour laisser à ses yeux le temps de s'adapter à l'obscurité ambiante. Il faisait froid, et on pouvait entendre un petit bruit d'eau qui gouttait régulièrement par terre.

Enfin, il se mit à chercher une porte ou une quelconque issue. Dans le fond, il découvrit une lourde porte, aux planches vermoulues. La clenche était résistante, mais elle céda, et la porte n'était pas verrouilée. Grave imprudence !

Aussi silencieusement que possible, Mornagest continua son périple dans les sous-sols de cette horrible baraque. Il perçut des voix, au-dessus de sa tête. Il trouva ensuite un escalier branlant, qu'il gravit avec la plus grande circonspection, celui-ci menaçant de s'effondrer sous son poids.

Et il débarqua au rez-de-chaussée, dans une pièce exiguë, non éclairée et peu meublée. Une seule porte, comme issue, c'était un peu juste. Mais il n'avait guère le choix. N'entendant plus aucune voix, il ne savait exactement où il se situait dans la maison. Il ouvrit délicatement la porte, et par l'espace formé, il observa ce qu'il se tramait dans la pièce voisine...

Une mince raie de lumière perça par la discrète ouverture de la porte que Mornagest venait d’entrouvrir. Dans la salle qu’il venait de dévoiler, deux hommes se tenaient debout, de dos par rapport à l’intrus. Ils paraissaient absorbés dans la contemplation d’un pan de mur, le silence qui régnait dans la pièce frôlait le lugubre. Soudain, l’un des deux prit la parole.

« Bon voilà, il est parti je crois. Retournons vaquer à nos occupations habituelles, de façon à ne pas attirer l’attention. »

Le deuxième personnage acquiesça silencieusement, il invita son compagnon à sortir de la pièce par une autre entrée que celle d’où Mornagest épiait. Le premier homme s’engagea directement, insouciant du danger. Car, le second sortit discrètement une longue dague acérée de sous son pourpoint. Il se jeta à une vitesse impressionnante sur l’autre garde et le saisit brutalement au cou, couvrant sa bouche pour l’empêcher de crier à l’aide. Puis, d’un geste méthodique, il lui trancha la gorge sans états d’âme.

Un maigre sourire, empli de sadisme, se forma sur les lèvres asséchées du meurtrier alors qu’il déposait soigneusement le cadavre ensanglanté sur le plancher. Il se retourna alors brutalement vers Mornagest, faisant presque sursauter ce dernier.

« C’est bon, vous pouvez sortir… »

Mornagest resta un instant ébahi par la scène qui venait de se dérouler devant lui. L'homme regardait à l'endroit exact où il se trouvait, pourtant, le pensait-il, masqué par les ombres...

Mornagest sortit prudemment de sa cachette, vérifia d'un coup d'oeil que la pièce était réellement vide d'autes occupants éventuels et se dirigea, sur ses gardes, vers l'individu.

Je ne suis pas sûr de bien comprendre la situation, lui dit-il. Vous venez d'assassiner l'un de vos compagnons ? Pourquoi ? Et, comment m'avez-vous repéré aussi facilement ? Vous me tourniez presque le dos... à moins que vous n'ayiez prévu mon intrusion ?

L'homme le regarda sans mot dire.

Pourquoi m'aideriez-vous ?, insista Mornagest.

Il était devenu extrèmement méfiant depuis sa mésaventure avec la vieille fripouille qui lui avait tendu une embuscade, et qui avait failli lui coûter la vie !

Allez-vous enfin vous décider à répondre, ou dois-je m'en aller ainsi sans obtenir d'explication satisfaisante ?

Devant son mutisme, Mornagest ne put s'empêcher de se demander si l'homme avait bien toute sa raison, et s'il n'avait pas agi de la sorte sous une pulsion de folie meurtière... ou pire encore, sous l'influence maléfique d'un esprit supérieur. Il repensait au visage cauchemardesque du vampire qui, pourtant, lui avait procuré l'objet de son salut.

L’homme darda un regard glacial sur Mornagest.

« Vous êtiez aussi discret qu'une truie mettant bas !»

L’étrange individu eut un sinistre petit ricanement. Il s’approcha de la cloison en face de Mornagest et se mit à tâter le mur avec ses mains.

« Je sais qui vous êtes, vous êtes venu pour liquider Zhindan Mhorg. Donc ne vous en faites pas ! De toute façon si j’avais voulu vous tuer, vous seriez déjà mort… Et j'ai même tué mon collègue pour vous ! Faites-moi confiance...»

Un rictus diabolique se forma sur le visage du meurtrier lorsque son doigt rencontra une sorte de bouton dissimulé à même la paroi. Puis, tout en maintenant une pression sur le bouton, il poussa le lourd mur. Une partie de ce dernier coulissa dans un frottement lugubre. On pouvait désormais apercevoir un passage obscur qui semblait s’enfoncer dans les profondeurs de Melandis.

« Zhindan est parti par là, dépêchez-vous ! Avec un peu de chance vous allez pouvoir le rattraper ! »

L’homme fixa Mornagest, l’expression neutre.

A nouveau, la méfiance et le doute tenaillaient Mornagest. Se pouvait-il que cet homme assassine délibérement son compagnon pour lui venir en aide ? D'autres forces, d'autres inconnues devaient gérer ce petit théâtre de marionettes. Mais qui en tenait les ficelles ?

Il devait prendre une décision. Faire confiance à cet inconnu et pénétrer dans le boyau souterrain, à l'aveuglette, ou rester ici, sans savoir que faire par la suite.

Lentement, toujours l'arme au poing, Mornagest se dirigea vers la sombre embouchure, dont l'obscurité semblait vouloir le happer pour ne plus jamais l'en délivrer...

Tout en regardant l'homme, il passa sous le porche du boyau. Le couloir qui en partait était sombre, à peine éclairé par Dieu savait quelle lumière.

Mornagest dû baisser la tête pour entrer. L'homme lui était maintenant hors de vue. Il avança plus avant dans le couloir, se méfiant d'éventuels trappe ou obstacle, en tâtant le sol du pied.

Il progressait lentement. Or, l'autre lui avait dicté de se dépécher ! Que faire ? Prendre le risque de laisser s'échapper Zhindan Mhorg, ou lui courir après et peut-être tomber dans une embuscade ?

Encore un dilemme... Il se mit à marcher plus rapidement, stimulé par l'adrénaline et l'envie d'en finir avec ce satané crétin qu'il devait étripé pour le bon plaisir de ses dirigeants....

Le couloir semblait ne jamais vouloir finir. Mornagest avait l'impression d'entrer dans l'antichambre des Enfers. Vers quel sombre destin ces tribulations allaient-elles le mener ?

Alors que Mornagest marchait lentement dans la pénombre, tâchant de ne pas s’encoubler sur la kyrielle d’obstacles jonchant le sol dévasté, il lui sembla apercevoir la lueur d’une torche au loin. Cela ne présageait rien de bon, les personnes se promenant habituellement dans de tels boyaux ne devaient rien avoir de recommandable…

Mû par un drôle de sentiment, il se dirigea prudemment vers l’éclat, scrutant les ténèbres avec avidité. Quand soudainement, une silhouette à la forme humaine, dissimulée dans l’opacité de la paroi, se jeta sur lui. Mornagest réussit de justesse à éviter la dague effilée qui visait son cœur, et l’assaillant s’effondra lourdement sur le sol de pierre. Il se releva cependant d’un bond, et fixa Mornagest, qui avait reculé de quelques pas.

« On se retrouve, et je vais te faire passer ton envie de fouiner dans les affaires des autres. » dit l’individu d’une voix détestable

Mornagest frémit, il avait en face de lui le vieillard qu’il avait croisé dans la ruelle putride. Le vieil homme poussa soudainement un terrible hurlement, sa peau paraissait se flétrir inexorablement, laissant place à un derme noir et lugubre. Les yeux du vieillard éclatèrent dans une immonde gerbe de sang, les tissus atrophiés se rétractèrent alors dans un bruissement macabre, laissant place à deux points rougeoyant de haine. Les os de la mâchoire se disloquèrent brutalement pour reformer une large bouche remplie de dents acérées. La silhouette elle-même se modifia dans d’infects craquements, formant un nouvel être trapu et vigoureux. L’opération produisait un infect bruit de chair brûlée et dégageait des effluves pestilentiels, qui venaient chatouiller les narines fébriles de Mornagest. Ce dernier sursauta, l’être en face de lui n’avait plus rien d’humain, c’était une de ces horreurs que l’on nomme Doppelganger. Un métamorphe cruel et sans pitié.

Un abominable sourire se forma sur les lèves de l’aberration. Jetant au loin sa dague, elle se rua sur Mornagest, faisant de larges moulinets avec ses lugubres griffes, aussi tranchantes que des épées.

Mornagest ne disposait que de peu d'espace pour éviter l'assaut de son redoutable adversaire. Il parvint néanmoins à parer l'attaque au dernier moment, mais la griffe de la créature lui laissa une belle égratignure le long du bras.

Il eut à peine le temps de se retourner que le doppleganger se jetait à nouveau sur lui. Cette fois encore, un miracle lui permit d'éviter le pire. La patte de l'horrible tueur cogna contre la paroi du tunnel avec un bruit sourd, tandis que Mornagest se baissait et marchait accroupi suffisament loin que pour empêcher un nouvel assaut de ce type.

Il se releva et fit face au monstre. La peur et la fureur lui envahissait l'esprit, mais il parvenait malgré cela à contrôler ses gestes avec assez de précision. Il pointa son épée vers le doppleganger et lui lâcha :

"Ainsi donc, on m'envoie des idiots dans ton genre pour m'empêcher d'accomplir ma mission ? Pff, même ta stupide ruse ne m'arrêtera pas. Je vais répandre ton ignoble sang putride dans l'obscurité de ce sale trou puant !"

Il s'avança d'un pas vers son adversaire et se mit sur la défensive. Son ton aggressif ne trahissait pas ses émotions, vives en ce moment critique. Il voulait surtout provoquer l'ennemi et lui faire par là même commettre une erreur fatale. Il attendit l'attaque de la créature. Celle-ci répliqua :

"Tes manoeuvres futiles pour m'énerver ne servent à rien, crétin simiesque ! Tu vas mourir, quoi qu'il en soit...."

Le doppleganger se lança une nouvelle fois, mais sa griffe gauche fut contrée par la lame de Mornagest. Contre toute attente, la patte de la créture résista au choc. Cela consterna Mornagest, qui commençait à désespérer de pouvoir vaincre la bête. Il recula et fit un large mouvement du bras pour attaquer par la gauche. Enfin, il toucha son ennemi au flanc droit. Une gerbe de sang noirâtre gicla sur la paroi du tunnel, et un cri inhumain se fit entendre.

La créature recula et se remit en position de combat. Mornagest, encouragé par son attaque fructueuse, poursuivit son oeuvre. Il s'avança rapidement sur le doppleganger et visa son torse. Le coup s'avéra fatal. La lame transperça la bête de part en part, faisant jaillir du sang bouillonnant et épais sur les vêtements de Mornagest. La créture resta empalée sur l'épée, et il dut extraire celle-ci en prenant appui du pied sur le cadavre inerte de son adversaire déchu.

Soufflant à perdre haleine, tous ses membres tremblant à cause de la peur, Mornagest s'accorda un moment de répit avant de se remettre en route. La puissance de cette créture ne laissait présager rien de bon quant à la cible de ses recherches....

Enfin, il se remit en marche vers la lointaine torche ornant le mur du sombre boyau...

Mornagest avançait avec circonspection dans le sombre boyau tortueux, qui semblait s’enfoncer progressivement dans les entrailles de Melandis. Des exhalaisons putrides suintaient à même le roc des parois, acculant le voyageur suffoqué de leurs miasmes. Peu à peu, le passage semblait se décrépir, de larges fissures lézardaient les murs, une pléthore de gravats s’agglutinaient sur le sol, qui devenait peu à peu terreux. De sinistre insectes déambulaient par endroits, formant d’inquiétants essaims serpentant sur la pierre glaciale, la forme de leurs mandibules chitineuses laissaient fortement présager sur leur activité principale…

Au paroxysme de cette désolation, Mornagest déboucha dans une salle carrée de taille moyenne. Elle semblait en bien meilleur état et les murs étaient presque vierges d’éraflures. Une imposante statue pierreuse trônait au centre de la paroi en face de Mornagest, une telle aura de tyrannie émanait d’elle que la pierre avait pris une macabre teinte noirâtre. Elle représentait un immense guerrier brandissant un sinistre morgenstern. Mais le pire était incontestablement l’autre main, vêtue d’un gantelet aussi obscur que les ténèbres. La main était refermée dans une poigne d’acier, et des éclairs verts jaillissaient des interstices du derme rocailleux, projetant des éclats blafards aux alentours. Le visage était heureusement dissimulé par un casque. Mais de légères lueurs d’une haine flamboyante paraissaient filtrer par la mince ouverture laissée aux yeux. La simple présence de ce colosse sans vie suffisait à instaurer une ambiance machiavélique dans l’atmosphère déjà lugubre, mais le plus étrange est que s’était imprégné également d’une sensation de loyauté diabolique…

Sur le piédestal de l’inquiétante statue, on pouvait lire, gravé en lettres rougeoyantes :

Prosterne-toi face à Lui avec dévotion.
Et nomme-le de Sa divine appellation.

Intrigué, Mornagest contemplait l'inquiétante statue. Il ne saait que faire. Quelle divinité était là représentée ? Il se remit à maugréer sur son sort, il commençait à en avoir assez, de cette traque aux méchants inconnus...

Puis il relut plusieurs fois l'inscription, jusqu'à ce qu'elle lui soit gravée en mémoire. Se prosterner, puis prononcer son nom... Lequel ? A nouveau une belle énigme en perspective !

Il réfléchit, récitant mentalement le nom de toutes les divinités qu'il connaissait, et qui pourraient correspondre à cette terrifiante représentation. Mornagest eut un frisson en regardant de plus près le terrible regard qui transperçait les interstices du casque.

Il tenta le tout pour le tout. Il s'abaissa, se sentant affreusement ridicule à l'idée que si quelqu'un le voyait, il passerait pour un fou. Puis il prononça le nom : Talos.

Il espérait avoir vu juste. Nul ne savait ce qu'il risquait en cas d'erreur. Peutêtre un horrible piège viendrait s'emparer de sa vie ? Respirant bruyamment, le coeur battant la chamade, il attendit que quelque chose se passa, quoi que cela soit...

[Quête de Fossoyeur]

Soudain, une violente déflagration retentit dans la pièce, menaçant de faire s’effondrer le tortueux boyau. Alors, des éclairs d’énergie rougeoyante se mirent à crépiter sur l’abjecte représentation divine, et une voix caverneuse résonna dans l’atmosphère fébrile.

« Les infidèles seront châtiés ! »

Puis, un tourbillon surnaturel de traits magiques s’anima juste en face de la statue. Un sinistre ballet d'arabesques scintillait dans la tourmente. Et, à la grande horreur de Mornagest, une créature abominable apparut au centre du tumultueux portail. Le monstre avait une peau aux teintes ardentes, bardée d’inquiétantes épines noirâtres. Ses quatre bras maniaient chacun une arme similaire à celle de la statue. Sa bouche difforme exhibait d’affreuses rangées de dents, visiblement aussi acérées que des couteaux. L’unique œil de l’aberration darda un regard fulminant de haine sur Mornagest.

La créature abyssale se rua sur son adversaire en hurlant d’épouvantables invectives dans une langue innommable.

[Quête de Fossoyeur]

Mornagest fut, l'espace d'un instant, paralysé par la terreur inspirée par cet abominable monstre surgi d'on ne savait où. Il parvint à respirer à fond et, l'épée au poing, s'apprêta à affronter la terrible créature. Le combat semblait perdu d'avance, mais la détermination de Mornagest parvint à lui donner un regain d'énergie, celle du désespoir, sans doute.

La chose hideuse s'avançait vers lui, puant et éructant des borborigmes répugnant et cauchemardesques. Elle lança un de ses bras gauches en direction de Mornagest, qui para adroitement le coup avec son épée. L'adrénaline était à son taux maximal dans le corps du combattant, lui permettant de réaliser des prouesses presqu'inhumaines en matière de rapidité et de force au combat. Il contrattaqua immédiatement et tenta de toucher la base du membre responsable de la précédente offensive. La créature, plus agile que sa massive apparence pouvait le laisser penser, esquiva le coup avec une aisance déconcertante.

Cependant, Mornagest ne perdait pas espoir. Il continua d'attaquer, en essayant cette fois de viser l'oeil du monstre, probablement l'un de ses points les plus sensibles. Mais à nouveau, son adversaire fut plus rapide, et le gratifia par la même occasion d'une estafilade au bras droit.

Craignant une infection, Mornagest recula de deux pas afin de s'autoriser un retour au calme. Il serra les dents, les jointures de ses doigts étaient blanches tant il serrait son épée. Il attendit son opposant, qui ne tarda pas à le réattaquer. Cette fois, la créature se servit de ses deux bras droits. Mornagest eut à peine le temps de se baisser pour empêcher la chose de le saucissonner sur place. Il se releva en trébuchant sur le sol, reculant encore une fois. Ce manège ne durerait pas longtemps...

Mornagest risqua alors le tout pour le tout. N'ayant rien à perdre, il se lança sur le côté gauche, feinta, se jeta au sol et envoya la pointe de sa lame vers l'oeil unique de la créature. Celle-ci ne put réagir suffisament vite que pour éviter le coup, mais parvint à limiter les dégâts. Une gerbe de liquide brunâtre et épais gicla aux alentours de la blessure, sur Mornagest, notamment. Hurlant un son digne des damnés du monde entier, la chose recula vivement. Mornagest se releva, fonça sur elle et acheva son oeuvre en démembrant la créature de ses bras droits.

Mais elle ne s'avouait pas vaincue pour si peu... Feignant de tomber, le monstre roula sur un demi-tour et fendit l'air de ses deux bras valides, pour atteindre Mornagest au flanc droit. Gravement touché, il continua néanmoins à frapper la chose, lui assénant le coup de grâce en pleine gorge (ou à ce qui faisait office de gorge pour cette créature infernale). Un gargouillis étouffé, à glacer le sang, émana de la gueule du monstre, qui s'affala par terre.

Transpirant à grosses gouttes, saignant abondamment, Mornagest s'éloigna quelque peu de l'infâme cadavre, qui commençait déjà à pourrir de l'intérieur. En l'espace de quelques minutes, la chair du monstre s'était totalement consumée, laissant à l'endroit de sa mort une flaque d'une couleur indéfinissable, puant la mort et la pourriture.

Mornagest prit enfin le temps de soigner ses plaies, graves mais pas mortelles. Au fur et à mesure de l'avancée de sa mission, cependant, sa santé physique, autant que sa volonté d'y parvenir, s'étiolait de manière exponentielle. Nul doute qu'un autre combat de cette violence mettrait un terme définitif à son existence, ainsi qu'à sa quête...

[Quête de Fossoyeur]

L’inquiétant mutisme de ce tortueux labyrinthe de boyaux était à nouveau le seul compagnon de Mornagest dans ce moment difficile. Aide inexistante face à l’énigme de la pièce désormais putride, embaumée par les relents cadavériques de l’aberration aux myriades de bras. Il était clair que l’aventurier n’avait plus le droit à l’erreur, sinon son châtiment serait des plus déplaisants.

Nul ne sait qu’elle monstruosité innommable pourrait venir l’emporter dans les tréfonds abyssaux, vers une éternité de tourments où le malheureux supplicié en viendrait à implorer la Mort de bien vouloir le prendre. Mais il est des endroits où même la Faucheuse ne s’aventure guère, des lieux peuplés par des âmes hurlant leur souffrance dans une pérennité aussi terrible qu’interminable. Le moindre de ces cris suffirait à transpercer d’une angoisse diabolique le plus sanguinaire meurtrier.

Chassant ces pensées morbides de son esprit encore embrumé par les affres de la douleur, Mornagest se morigéna en silence de ne pas avoir assez prêté attention à la religion durant sa courte existence sur Toril…

La seule chose différenciant les individus peuplant le monde est le temps qui leur est imparti avant que ne vienne l'heure de payer les conséquences de leurs actes.

Mornagest se replaça devant la statue, lisant et relisant des dizaines de fois l'inscription lourde de menaces. Il se préparait à mourir, car seule une chance inouïe lui permettrait désormais de trouver le nom approprié pour passer outre de cette énigme.

Il réfléchit encore, et encore, jusqu'à ce que ses idées s'embrouillent. Puis, lentement, il prit une profonde inspiration, et, timidement, presque, il prononça un autre nom :

"Kelemvor..."

Le souffle coupé, il attendait la mort de pied ferme, tremblant malgré sa détermination. Quitte à mourir, autant essayer d'honorer celui qui veillerait sur lui pour l'éternité.

[Quête de Fossoyeur]

Mornagest sentit soudainement une sorte de souffle glacial s’élever dans la salle, sortant mystérieusement du néant. Cela ne présageait rien de bon, car peu à peu le maigre souffle se mua en de violentes bourrasques menaçant de l’écraser contre les parois granitiques aux aspérités aussi acérées que des rasoirs. Le bruit aigu de ce vent maudit sifflant contre les murs inégaux ressemblait de plus en plus à d’horribles hurlements de haine et de désespoir. Le guerrier se jeta sur le sol dans une vaine tentative de ne pas céder face aux forces venteuses, mais le pire n’était pas encore arrivé…

Brusquement, des traits d’un rouge aussi sombre que du sang démoniaque se mirent à apparaître sur le sol, formant au fur et à mesure un étrange sigle cabalistique encerclant Mornagest. Une étrange tâche circulaire, aussi sombre que la mort incarnée, s’était développée au milieu du symbole. La peur s’insinua jusqu’aux tréfonds de son âme fébrile, qu’allait-il donc lui arriver ? Soudainement, il se sentit très faible, alors qu’une force inexorable l’aspirait vers le centre de l’emblème infernal… Durant toute cette abominable scène, il sentait les yeux de la statue rivés sur lui, flamboyant d’une joie morbide. Tant bien que mal il tenta encore et encore de s’accrocher aux interstices des dalles, mais il n’y avait rien à faire. Ses blessures récentes le harcelaient cruellement. Il lâcha brutalement prise sous l’effet d’une bourrasque aussi violente qu’une gifle cinglante. C’était la fin. Tout devint noir et il perdit connaissance alors qu’il disparaissait dans la sinistre mare opaque…

Mornagest ouvrit faiblement les yeux, retenant avec peine une grimace de souffrance. Son corps, couvert d’ecchymoses lui infligeait une douleur térébrante, s’insinuant jusqu’au plus profond de son être pour y exhaler un mal sournois et pervers. Mais au moins il était encore en vie, à moins que la salle aussi vide que grisâtre, ne contenant pour unique mobilier qu’une maigre torche répandant une lueur blafard, ne soit en fait une forme d’enfer…

Se relevant avec peine, il observa avec plus de précision l’endroit. C’était une pièce carrée relativement petite, avec pour seule note disharmonique, en ignorant la torche, parmi la sinistre pérennité cendrée des parois une porte tout à fait banale, à première vue en bois, encastrée dans l’un des murs, elle était fermée. Un silence terrible, despote cruel et moqueur régnait dans ses lieux diaboliquement austères. Son instinct conseilla à Mornagest de ne pas traîner ici…

[Quête de Fossoyeur]

Alors qu'il s'attendait à rencontrer une opiniâtre résistance en la personne de cette maudite porte, Mornagest s'aperçu rapidement qu'elle n'était pas verrouillée. Peu à peu, ses sens lui revenaient. Il respira, à pleins poumons, un air vicié par sa trop longue présence dans cette pièce si exiguë...

Il posa la main sur la poignée et la tourna lentement. La torche de la pièce éclairait suffisament le passage s'ouvrant devant Mornagest que pour qu'il s'effraie de ce qu'il pouvait contenir. Un quelconque piège diabolique ? Des hordes de démons affamés de chair mortelle ? Mornagest déglutit péniblement, sa gorge étant sèche comme le coeur d'un vampire.

Il décrocha la torche du mur, non sans peine, car son manche était profondément serti dans le mur. Puis il se mit en marche. L'atmosphère du couloir était moite, et il se mit à transpirer abondamment. De peur et de chaleur. Sa propre sueur le gênait, en dégoulinant sur ses yeux, irritant par la même occasion l'intérieur de ses paupières avec une insistance agaçante.

Cela, combiné à l'obscurantisme de l'endroit où il se trouvait, le faisait avancer lentement. Chacun de ses pas semblait être le dernier, tant il s'attendait à déclencher un cataclysme pire encore que celui qui l'avait amené en ces lieux. Mais il était en vie ! Et sa détermination gagnait peu à peu du terrain sur son désespoir.

Tout en se repassant mentalement ses erreurs, et en tentant de décomposer ce qui lui était arrivé, Mornagest avançait dans le boyau, assez large, somme toute, que pour ne pas paraître trop oppressant.

Le couloir semblait sans fin. Phénomène probablement dû à sa vitesse de déplacement très faible. Au fur et à mesure de sa progression, il se retrouva une certaine vigueur de corps et d'esprit. Ses muscles dérouillés lui faisaient encore de temps en temps faire un faux-pas, sans conséquence néanmoins.

Enfin, le couloir déboucha sur une autre pièce, bien plus grande que celle qu'il quittait, longtemps auparavant. Il avait perdu la notion du temps, et ne s'était pas rendu compte qu'il lui avait fallu une heure complète pour franchir la lieue qui séparait les deux salles... mais peu lui importait.

Le passage était libre devant lui, et il entra doucement dans la pièce...

[Quête de Fossoyeur]

Mornagest ouvrit avec circonspection la porte marquant la fin du couloir, ce qui lui dévoila un lieu envahit par une noirceur terrible. Il ne voyait pas à un mètre devant lui, sa torche ne parvenant pas à repousser les ténèbres surnaturelles qui noyaient l’endroit. Soudainement, la porte derrière-lui se referma dans un claquement sinistre, et alors l’obscurité disparut peu à peu, comme un morbide brouillard se dissipant face à l’assaut d’un vent d'outre-tombe.

La salle se dévoilant peu à peu aux yeux acérés du guerrier était semblable en tout point à la précédente, si ce n’est que quatre portes -une dans chaque paroi- en partaient. Il remarqua également qu’une inscription était gravée au centre de la pièce, à même le sol pierreux.

En cas de doute, suivre la course de l’astre lumineux s’avère être le meilleur choix.

Mornagest leva un sourcil interrogateur, sa relation avec les énigmes avait déjà pris un mauvais chemin, mais là il se sentait perdre patience. Toutes ces pérégrinations l’avaient épuisé.

Il s’approcha alors des portes et constata qu’une image avait été reproduite sur chacune. Celle à sa gauche portait l’emblème de Talos, qu’il reconnaissait aisément à force de l’apercevoir à Melandis. Celle en face de lui arborait une main noire refermée qui exhalait des rayons verdâtres, cela lui rappela fortement la maudite statue l’ayant amené ici. Quant à la dernière porte, on pouvait apercevoir sur son bois flétri une sorte de soleil noir au centre duquel trônait un crâne blanchâtre.

Mais le pire dans tout ceci était le malaise omniprésent qui tenaillait le combattant, il se sentait observé, comme si des milliers de créatures abominables le scrutaient en permanence. Une douleur lui nouait l'estomac et il se surprit plusieurs fois à haleter violemment tout en jetant de fréquents coup d'oeil inquiets aux alentours. Il comprit alors, cet endroit exhalait la peur, l'angoisse suintait des cloisons elles-même. Une terrible sensation d'emprisonnement le martelait de sa poigne sépulcrale, mais il devait résister, sinon il ne tarderait guère à sombre définitivement dans les affres de la folie...

La peur lui tenaillait l'estomac. L'endroit était oppressant, lourd d'un air moisi et humide. Ses poumons le faisaient souffrir à chaque inspiration. Il sentait son coeur s'emballer, la sueur lui trempait le front à grosses gouttes, tombant sur le sol avec un bruit mat.

Il devait se décider rapidement, avant de sombrer dans l'inconscience. Sa raison lui dictait de suivre la porte de droite, puisqu'aucune des deux autres ne correspondaient à la description de la maxime sur le sol.

Mais... il y avait un mais. Pourquoi cette représentation de Baine ( ) réapparaissait en ces lieux ? Se devait-il de suivre ce chemin ?

A nouveau, ses tripes furent serrées dans un étau. Vite, une décision. Cyric, Talos, ou Baine ?

Il opta pour Cyric. Sans trop savoir pourquoi, d'ailleurs. Une nouvelle crampe d'estomac. Cette fois, la mort serait belle et bien au rendez-vous. Il ne serait plus envoyé dans un autre sombre et quelconque endroit tel celui-ci.

Il poussa lentement la porte, qui grinçait sur ses battants...

Il se produisit exactement le même phénomène que lors de l’ouverture de la porte précédente, une obscurité opprimante disparaissant soudainement dès la fermeture du passage.

Mornagest eut juste le temps de constater la similitude de la pièce par rapport aux deux dernières, car un sinistre meuglement retentit juste à côté de lui…

Il se retourna vivement en empoignant tant bien que mal son arme de sa main fébrile. Ce qu’il vit fit surgir en lui une horreur terrible. Une immense créature, maniant une hache colossale, se dirigeait vers lui d’un pas menaçant. Le monstre possédait un corps humanoïde mais c’était une tête de taureau qui le scrutait haineusement. Un minotaure, monstre connu pour parcourir les labyrinthes et autres dédales obscurs. Des éclats de rage scintillaient dans les yeux du sinistre bovin, sa respiration bruyante marquait une cadence infernale dans l’atmosphère silencieuse et ses cornes majestueuses se dressaient dans un air de défi. L’affrontement s’annonçait des plus difficiles.

Le guerrier soupira, une lassitude glaciale l’envahissait peu à peu, il ne rêvait plus que d’un bon lit douillet…

La Couronne de Cuivre

[Quête] Traque sombre et incertaine