La Couronne de Cuivre

La petite maison sur la colline parut trembler sur ses fondations. Puis elle explosa. Tandis que ses débris s'envolaient pour retomber un peu partout, un nuage d'un gris vert orangé s'éleva du cratère qu'avait laissé la défunte bâtisse et s'éleva dans le ciel à une hauteur inimaginable.

Comme de bien entendu, le tout fut accompagné d'une déflagration qui retentit à des lieues à la ronde. Mais personne, dans le petit village blotti au pied de la colline, n'y prêta aucune attention. Et pour cause : la maison de l'alchimiste sautait au moins trois fois par semaines. Les explosions faisaient donc partie du bruit de fond, au même titre que le beuglement des vaches, le bêlement des chevaux et les hurlements de madame Mengin qui rappelait à l'ordre sa nombreuse marmaille.

Personne ne daigna donc lever les yeux dans la direction d'où provenait le bruit. En plus, l'orage se préparait : tous les paysans avaient donc fort à faire pour rentrer leurs bêtes à l'étable.

Personne ne leva les yeux : personne ne vit donc le champignon de fumée se transformer en nuage, ni ledit nuage être poussé par le vent jusqu'au abords du village. Jusqu'au dessus du cimetière, précisément.

En même temps, si quelqu'un avait vu cela, s'en serait-il inquiété ? Non, assurément. Pourtant, il aurait dû.

Pendant un instant Nauris se demanda si le bruit d’un bâtiment qui s’effondrait était le fruit de son imagination mais lorsqu’il ouvrit les yeux il comprit rapidement que non. Lui qui roupillait tranquillement dos au mur du temple se retrouvait appuyé contre l’unique partie encore debout du mur.
Le jeune milicien était d’habitude de garde près du temple de Sunie mais la fatigue l’avait emporté pendant son service. Il se leva donc, un léger mal de crâne faisant son apparition. Et pour cause, une jolie bosse au front témoignait de la pierre qui s’était abattue sur son crâne dans la chute du toit. Il neigeait ! D’abord il eût un sourire niais puis il réalisa que la neige était étrange.

Il marcha dans le temple d’un pas mal assuré à la recherche d’autres personnes. Puis il reconnut le forgeron et lui fit un signe de la main.

"Bonjour à vous !"

Pour une surprise, c'était une drôle de surprise. On avait dit à George Sang de fermer les yeux. Au bout de trois, elle aurait une surprise. Elle avait donc obéi assez impatiente de voir la suite. On lui avait promis un strip teaseur pour son énième anniversaire. Un gars qui enlevait tout, en long, large et en travers à ce qu'on lui avait dit. En même temps, ce n'était pas étonnant venant d'un temple de Sunie. Pour une donation, un strip teaseur, elle espérait que ce n'était pas une blague. Elle avait rassemblé jusqu'à sa dernière pièce d'or. Elle avait dû faire des sacrifices et donner de sa personne et aussi de celle des vieilles dames qu'elle agressait tard le soir.

C'est pourquoi, quand, ouvrant les yeux après l'énorme "BOUM", elle regarda autour d'elle le temple dévasté avant de s'exclamer, fichtrement déçue pour le coup :

"Quoi, c'est tout ?"

Il était resté dans le temple, comme à son habitude. Il ne pouvait pas faire grand-chose de plus, à vrai dire... sinon demander où aller, de sa maison au temple, et du temple à sa maison. Le pauvre malheureux, il n'avait pas beaucoup de plomb dans la cervelle. Déjà qu'il avait du mal à se rendre compte qu'une jolie fille rôdait dans les environs depuis un moment déjà... enfin bref !

Il perçut cependant le vacarme. Surtout qu'il était en plein dedans. Assourdi, il comprenait encore moins que d'habitude ce qui lui arrivait.

"Qui a éteint la lumière ?"

En fait, les cendres masquaient quelque peu le soleil.

"Et qui c'est qui me frappe ? Lâche !"

Il commença à frapper un morceau de pierre qui venait de l'attaquer par derrière. L'immonde crapule reçut une volée de coups avant que Wisslar ne se rende compte qu'il s'agissait simplement d'une pierre...

"Mais ... euh ? Se passe quoi ici ?"

Gaveroche poussa un cri et laissa tomber la chasuble qu'il était en train de suspendre dans le placard de la sacristie. Regardant autour de lui avec angoisse, se demandant si le monstre qui, selon lui, hantait les parties souterraines du temple, n'était pas venu pour le dévorer. Mais rien de tel : seulement un peu de poussière retombant du plafond.
Se disant qu'il devait s'agir de la maison de l'alchimiste qui explosait une fois de plus, ou bien du père Pendy Culaire qui avait trop abusé du vin de messe et s'était effondré sur les pavés, il ramassa la chasuble et la rangea soigneusement. Cela faisait un mois qu'il était enfant de coeur au temple de Sunie, mais, déjà, on lui avait fait comprendre qu'il était indispensable d'apporter grand soin à sa tenue. Il ne fallait pas décevoir les fidèles, avait dit le père Pendy.
Sa besogne effectuée, Gaveroche gravit quatre à quatre les marches menant à la nef. Il avait hâte de rentrer chez lui : c'était l'heure où son grand père diffusait, via la lanterne magique, les peintures animés qui ravissaient toute la famille. Ce soir étaient prévues les aventures de Gole Dorak, le Golem justicier. Il ne les aurait ratées pour rien au monde.

Encore quelques instants et les cinq abru… euh, fiers aventuriers se retrouvèrent face à face, fort ennuyés de devoir partager ensemble cette méchante aventure. Les présentations n’ayant pas besoin d’être faites dans ce village où tout le monde appelait chaque vache par son prénom tout en pouvant débiter le pedigree officiel et officieux de tous ses concitoyens sur dix générations au moins, ils se trouvèrent bientôt très embêtés de ne pas avoir grand chose à se dire : la maison de l’alchimiste avait encore une fois explosé, et ça avait fait apparemment plus de dégâts que d’habitude. Bon, et maintenant ? Ils allaient se décider à retourner chacun chez soi pour y vérifier combien de poutres étaient encore debout et combien de vieilles tantes à terre quand une série de hurlements déchirants vint soudain troubler le silence qui venait de s’installer entre eux. Algar regarda en direction de la colline. Pourquoi des hurlements dans le cimetière ? Une colonie de pucelles entre 19 ans et 19 ans et demi qu’on ne savait pas bien travailler ?

Il allait se décider à aller vérifier chez lui si ses hypothèses tenaient la route quand une silhouette apparut devant lui, sur le parvis du temple, dans la pénombre des cendres qui n’en finissaient pas de tomber. Elle se déplaçait lentement, et elle venait vers lui…

Algar se recula, mais comme elle se rapprochait, il se mit à trembler et sauta au cou de l’enfant de choeur en hurlant :

AU SECOURS ! ! ! MAMAAAAAAAAANNNNNNN ! ! !

Et quand il put retrouver son souffle, sous les yeux médusés de ses compagnons d’infortune, il ajouta dans un halètement horrifié :

C’EST MAMMMMMMMMMANNNNNNNNNN ! ! !

L'attitude du forgeron avait laissé perplexe Nauris. On distinguait encore mal les traits de la silhouette mais visiblement l'homme paraissaît terrifié de voir sa mère.
Nauris prit une moue répprobatrice et s'adressa à Algar en ces termes :

"En voilà des manières d'accueillir sa..."

Puis il s'arrêta net, pris soudain d'une paleur si extrême que même la chasuble suprapropre de l'enfant de choeur aurait paru bien sombre à côté. Il venait de réaliser que ladite mère du forgeron était décédée des suites d'un accident de charrette où elle s'était brisée la nuque en tombant bien malencontreusement de son banc et se brisant la nuque.

Il se tourna lentement vers la femme dont la tête dodelinait comme une gemme pendante au bout d'une amulette. Elle avançait lentement en émettant quelques gémissements plaintifs.

Nauris sortit son épée et la brandit le bras tremblant.

"Arrière vile démone infecte et fangeuse ! Ou le trépas une deuxième fois tu connaîtras !"

George s'était tournée vers Nauris l'air furieux avant de réaliser que ce n'était pas à elle qu'il s'adressait. Elle porta donc ses yeux sur quelque chose de plus intéressant à regarder. C'est alors que ses yeux tombèrent sur le cadavre ambulant qui s'avançait vers eux. Des choses vilaines et horribles, elle en avait vu beaucoup mais ce qu'il y avait devant elle surpassait les possibles. La bonne femme devant elle était sortie sans se maquiller. Quel gâchis !

Et voilà que le bonhomme à coté d'elle avait sorti son épée. Enfin, un peu d'ambiance. Cela n'avait rien à voir avec les strip teasers mais c'était tout de même pas mal le shoot mémé. A elle de montrer ce qu'elle savait faire. Retroussant ses manches, elle effectua une série de mouvements en prononçant des mots inintelligibles.

"Machine à laver, Punto, rouleau à pâtisserie, Titanic, saucisse au nougat"

Une flammèche jaillit de sa main et alla enflammer la chasuble de l'enfant de choeur.

"Houps"

Pourquoi le mioche se faisait agresser ? Tout ce que Wisslar voyait, c'était la bonne femme assez bien faite d'ailleurs qui s'en prenait au pauvre enfant de choeur si mignon au demeurant...

Courageusement, le bêta se posta devant la jeune femme et lui porta un formidable pain au visage, en grognant :

"Pas touche ! Il peut encore servir !"

George s'affala au sol. De l'autre côté, un autre grognement se faisait entendre :

"Cerveeeaaaauuu !"

Wisslar se retourna.

"Qu'essqu'on a dit ?

Gaveroche ne vit rien de cette dernière scène : tout ce qu'il comprenait, c'était qu'il était en train de brûler. Une seconde plus tôt, une vieille femme en tenue négligée était apparue sur le seuil du temple, et il n'avait pu détacher son regard éberlué du corps en décomposition que ne dissimulaient plus guère les lambeaux noirâtres d'un suaire. Et voilà que l'instant d'après, il brûlait ! Sans doute était-ce une intervention divine pour le punir de sa curiosité ! Il aurait du détourner les yeux, il en était certain à présent !
Poussant un hurlement de terreur, il se mit à courir en tous sens, enflammant sur son passage les tentures qui pendaient encore des murs du temple. Il se donnait des coups frénétiques sur tout le corps pour éteindre l'incendie naissant. La raclée que lui ficherait le père Pendiculaire si sa chasuble était abîmée serait pire que la punition divine, à n'en pas douter ! Mais d'ailleurs, que faisait-il avec cette chasuble sur le dos ? Il était persuadé de s'être changé dans la sacristie !

Ça devait être le vin de messe. Pourtant, il n'en avait bu qu'une goutte...

Et l'enfant de coeur terrorisé continua à courir de ci de là, inconsient à ce qui se passait autour de lui, et commençant mine de rien à déclencher un incendie qui était en passe de gagner tout le temple.

Algar n’en revenait pas de sa terreur , et ce n’étaient pas les réactions aberrantes des autres hurluberlus qui allaient le rassurer. Il n’y avait guère que le milicien pour faire ce qu’on attendait de lui. Raison pour laquelle, lâchant cet enfant de chœur en feu qui ne lui était décidément d’aucune utilité, le forgeron se réfugia derrière Nauris et son épée branlante.

« Vas-y, attaque ! Attaque ! Je suis sûre qu’elle veut se venger de moi ! Parce que j’ai laissé mourir son chat, que je me suis pas lavé les mains, qu’j’ai engrossé la vache ou je sais pas quoid ‘autre ! c’tait une terreur, ma mère… Ses cris f’saient même tourner le lait d’nos chèvres… Et en plus maintenant elle pue ! »

Pour ne pas être tout à fait démuni au cas où son dernier rempart viendrait à faire lui aussi défaut, Algar saisit une pierre et la jeta sur le zombi.

« Tiens ! voilà ton cœur ! ! »

L'inventaire des actions qui auraient pu causer l'ire vengeresse de la mère d'Algar fit frissonner Nauris. Surtout lorsque la vision d'Algar engrossant une vache s'imposa à lui, pensée qu'il s'efforça d'effacer immédiatement de son esprit.
Nauris tentait de reprendre un peu d'ardeur. Lui qui était souvent la victime des railleries de ses camarades qui le surnommait le cheik, à cause de l'air important qu'il se donnait et de ses origines nomades du désert de Dorrandin. Le cheik Nauris qu'ils l'appelaient... Il voulait leur prouver qu'il était autant capable qu'eux.

Toujours est-il que l'immonde mort-vivant s'approchait et serait bientôt à portée de sa lame ébréchée.

"Garde municipale, madame ! Veuillez vous mettre à genoux et garder les mains sur la... euh... la tête. Ou je serai dans la contrainte de vous faire du mal !"

La panique lui donnait des contractions et il ne put retenir une flatulence dont l'horreur de l'effluve rivalisait avec celle qui émanait de la femme.

Laquelle flatulence fut malencontreusement enflammée par l'enfant de choeur passant à coté. Un véritable son et lumière offert à la masse grouillante convergeant vers le temple.

George, quant à elle se releva. Cette espèce de brute épaisse lui avait à moitié déboîté la mâchoire. Zombie engrossé par une vache ou je ne sais quoi, il allait payer. De nouveau, ses menottes se mirent à bouger dans tous les sens pendant qu'elle incantait à nouveau.

Quelques secondes plus tard, dans un sinistre craquement de tissus arraché, sa robe se détacha et alla frapper le JCVD en plein visage.

"Houps"

Nue comme un ver, elle alla se cacher derrière un pylône.

D'abord très fâché par le coup de tissu qu'il venait de prendre violemment dans le visage, Wisslar ouvrit les yeux et eut le temps de voir l'arrière-train voluptueusement dessiné de la créature responsable du choc se trémousser en direction d'un poteau à moitié détruit par l'explosion de tout à l'heure.

Négligeant le monstre qui poussait de hauts cris simplement parce qu'il subissait quelques brûlures au troisième degré, l'autre pervers qui prétendait avoir engrossé sa vache de mère, et l'abruti à l'épée qui semblait plus capable de débiter un saucisson en tranches qu'un cadavre se relevant, Wisslar se mit à poursuivre George, les bras tendus vers l'avant :

"Nichoooons !"

Gaveroche venait de terminer son cinquième tour de temple – et de battre son record personnel en 9 secondes et 18 centièmes – lorsqu'il réalisa que sa course effrénée et ses gestes désordonnés n'amélioraient en rien sa situation. La chasuble était à présent un buisson ardent de flammes qui voletait autour de lui : s'il continuait à vouloir la sauver, il risquait la brûlure au 17ème degré.


Prenant une soudaine inspiration, il piqua un sprint, slaloma entre la dénommée George Sang – qui semblait être devenue allergique aux fibres textiles, ce qui avait l'avantage de révéler son avantageuse anatomie – et son poursuivant - Wisslar, le neuneu de service, selon le père Pendy – et plongea dans le bénitier le plus proche.


Il manqua se rompre le cou – le bénitier était peu profond – mais parvint au moins à atteindre son objectif : éteindre le feu qui consumait la chasuble. Qui avait consumé la chasuble, en fait : il ne restait de la robe de cérémonie que quelques brins de tissu épars qui s'effilochèrent au contacte de l'eau bénite. Mais Gaveroche n'en avait cure : il n'était plus entouré de flammes, c'était la seule chose qui comptait.


Trouvant une position confortable dans le bénitier, il se mit à chanter à tue-tête la chanson que braillait sans cesse son grand père sous la douche :


Ah, ce qu'on est bien quand on est dans son bain ! On fait des cabrioles, on joue au sous-marin...

La situation n’était plus critique : elle était tout bonnement désespérée. En effet, une jeune femme parfaitement nue venait de passer presque à portée d’Algar et il n’a pas été le premier à lui sauter dessus. Il avait fallu que ce soit le crétin du village qui s’y colle, et évidemment, ce dernier s’y était si mal pris que sa proie courait dans tous les sens, nibards au vent. S’il n’avait pas été préoccupé par la résurrection maternelle, Algar aurait de suite sauté l’honneur familial en s’occupant du charmant petit gamin fort peu vêtu qui le draguait lascivement depuis son bain improvisé.

D’ailleurs, il y avait un autre problème. Maintenant qu’il n’y avait plus les flammes de chasuble pour les repousser, les mort-vivants se rapprochaient dangereusement, et le cercle allait s’étrécissant. A leur tête, la sinistre silhouette de sa défunte mère ignorait tout à fait les menaces municipales.
Il fallait que quelqu’un se montre enfin à la hauteur de la situation. Algar alla ramasser le cadavre de… de… Daliah ? Dalida ? Debrida ? Euh, bref, le cadavre de la femme qui était si généreusement morte pour lui donner l’occasion de vivre un peu plus, et le jeta au milieu de la foule des créatures, en criant :

« Tenez ! c’est encore là que vous trouverez le plus de cerveau, de toute façon ! »

Les morts-vivants se jetèrent sur le cadavre comme une armée de Manostiens sur une bouteille de vin. La mère d'Algar, en bonne position, fut la première à atteindre le crâne de la jeune femme. Le zombi prit la tête qu'il frappa sur le sol avec une force démesurée dans le but d'ouvrir l'accès au cerveau. Mais c'était sans compter sur le cadavre de l'ancien croque-mort, qui déjà friant de cadavres de son vivant, voulait la plus belle part du corps.

Il envoya donc promener la mère Michèle d'une formidable mandale dans la figure. Nauris lui semblait complètement désorienté :

"Compagnons d'infortune ! Il me semble là que nos ennemis refusent d'obtempérer à l'injonction qui leur a été faite. Peut-être est-il temps de cesser d'être pleutre et de profiter du chaos pour porter le premier coup !"

Et comme pour illustrer ses propos, il donna un coup au zombie le plus proche :

"Succombe, créature de l'enfer ! Suppôt du malin ! Par mon humble lame tu retourneras d'où tu viens !"

La tête du zombie roula sur le sol jusqu'aux pieds du forgeron.

Elle aurait pu faire carrière comme danseuse étoile mais elle se contenta de faire un remake de casse-noisette. Se retournant pour faire face à son agresseur, elle lui décocha un bon coup dans les parties. Pour parachever le coup, elle lui assena un coup dans le menton au moment où il se penchait.

"Girl Power !!!"

Puis, dardant soudain les zombis d'un oeil noir, elle se mit à crier :

"Vous ne passerez pas, flamme doudoune !"

Il chut au sol en grognant. Certes, le traitement était intense, mais à ce point... c'était un rien douloureux. Il lui semblait qu'elles avaient migré jusqu'à la moitié de son ventre...

Il se relevait à peine quand il fut atteint par un trio de zombies assoifés de sang, et surtout, affamés de cerveaux...

"Cerveeeaauuu !" beuglèrent-ils. Ils entouraient le débile, puis, d'un air dépité, dirent :

"Pas cerveau... ouin !"

Ils se tournèrent alors vers la femme dont les formes avantageuses laissaient à supposer qu'elle cachait deux cerveaux sous sa poitrine...

Prenant enfin conscience qu'il se passait quelque chose de bizarre autour de lui – plus bizarre en tout cas qu'une chasuble en feu ou un bain dans un bénitier – Gaveroche jeta un regard aux alentours. Il remarqua deux types de regards braqués sur lui : ceux des étranges silhouettes en état avancé de décoposition qui marmonnaient "cerveau" à qui voulaient les entendre, et celui du forgeron. Ci les intentions des premiers étaient évidentes, celles du second l'étaient moins, et l'enfant de coeur décida qu'il était grand temps de battre en retraite vers des lieux plus sûrs.

Prenant appui sur le rebord du bénitier, il tenta d'effectuer un double saut périlleux arrière, comme il l'avait vu dans les Aventures de Tombe Raideur, diffusées par son grand-père lors des séances de lanterne magique. Malheureusement, il manqua son coup et s'étala de tout son long sur les dalles du temple. Cependant, grâce à l'élan, il parvint à glisser entre les pieds boueux des cadavres ambulants et à atteindre le sommet de l'escalier menant à la sacristie souterraine.

En rampant, il commença à descendre les degrés de pierre. En bas l'attendrait sans doute le monstre des sous-terrains. Mais il s'en fichait. Si ça se trouvait, il était aussi amateur de lanterne magique. Et même si ce n'était pas le cas, il serait toujours moins bizarre que le forgeron.

""AH AHHH ! ! "

C’était le cri d'anthologie du forgeron triomphant, qui croyait avoir enfin son rôle dans cette histoire ; il était temps. Non, il n’était pas là pour trembler comme un malheureux devant un fantôme maternel terriblement odorant, et il ne se voyait pas non plus dans le rôle du héros débile prêt à se faire massacrer tout seul au milieu d’une horde de mort-vivants, rôle qui en revanche allait comme un gant à ce taré de Nauris. Non, lui il était là pour s’en tirer vivant et pour prendre son pied, et d’ailleurs, c’était bien pour ça qu’il était venu au temple, à l’origine. Et voilà que le petit crapaud de bénitier venait de lui fournir la double solution : une issue de secours, et une proie à poursuivre.

Algar se lança à corps perdu dans les souterrains à la poursuite du jeune garçon ; il avait une envie bien en tête, et ce dernier allait la sentir passer avant longtemps.

"MONTJOIE SAINT-DENIS !!!"

Nauris, pris d'une soudaine inspiration dont il fut incapable de déterminer l'origine, se jeta vers les autres zombies. Son élan épique lui faisait perdre toute lucidité, incapable de se rendre compte que le chaos était peut-être encore plus important dans le temple même qu'à l'extérieur.

Il fit un coup horizontal à 180°, technique qu'il avait pu observer chez certains gardes de Manost, découpant le zombie suivant en son milieu. Mais un mort vivant un peu plus vif que les autres lui donna une torgnole qui l'envoya valdinguer au sol, loin de son épée. Lorsqu'il se releva, il vit la jeune femme nue devant lui, vision qui ne pouvait laisser personne insensible.

"Par tous les dieux du panthéon, je bénis la rossée que je viens de prendre pour m'avoir permi d'admirer si belle créature."

S'approchant de celle qu'il avait en visuel :

"Gente demoiselle, puisque nous sommes condamnés à trépasser par la bouche de ces monstres, que diriez-vous de profiter de ces derniers instants de notre existence pour se complaire dans une ultime glorification à l'acte de reproduction ?"

Cela prenait une tournure pour le moins inespérée. A défaut d'être un stip teaseur, c'était le garde champêtre enfin ... si elle avait bien compris. Pour tout dire, elle n'était pas très brune. S'il n'y avait pas eu les zombis, elle se serait laissé aller à la débauche avec pertes et fracas. En attendant, restait quelques zombies à pourfendre. Mais avant tout, elle avait une révélation à faire.

"En fait, je ne vous l'ai pas dit, mais je suis ... Marry Poppins"

Quelques minutes plus tard, elle redevenait la nurse débonnaire connue de tous les enfants, parapluie en prime.

"Et maintenant, ça va saigner"

Puis, ouvrant son pépin, elle se rua sans ménagement sur les pauvres monstres dont l'un d'eux dégringola même en montant un escalier. Etonnant non ?

L'enfant de choeur avait presque atteint le pied de l'escalier lorsqu'un vacarme retentissant résonna derrière lui. Quelque chose le percuta violemment et l'envoya valser à travers la sacristie. Il termina sa course dans le placard à chasubles, lesquelles s'effondrèrent sur lui en un tas de tissus informe mais agréablement coloré.

Lorsque les chandelles eurent terminé de tournoyer autour de sa tête, Gaveroche se redressa et se tourna en direction de l'escalier. Le forgeron se rapprochait de lui en rampant... et en bavant abondamment. Il était suivi, à quelques distances, par un vieillard verdâtre en suaire morcelé qui bavait d'une manière tout aussi abondante que le forgeron mais qui marmonnait un truc ressemblant de très loin à "cerveau".

Le jeune garçon recula jusqu'au fond du placard : le forgeron tendit le bras et lui agrippa la cheville droite.

"Viens donc, on va discuter théologie !" s'exclama-t-il.

A cet instant, un sifflement se fit entendre, couvrant progressivement le tumulte de la bataille qui faisait rage au dessus. Un bruit terrible s'ensuivit, semblable à l'explosion de la maison de l'alchimiste, à la seule différence qu'il faisait trembler jusqu'aux fondations du temple.

Un mur de flammes dévala l'escalier, consuma le zombi et le forgeron. Dans une seconde, il allait atteindre Gaveroche. Celui-ci se dit que Sunie n'avait pas apprécié le spectacle, sans doute à cause de lui. Après tout, il avait laissé brûler sa chasuble.

Puis il ne songea plus : le mur de feu l'avait atteint.