La Couronne de Cuivre

[Quête] La mort dans l'âme

Le commerce de Gilles Enitalp est bien plus petit et plus discret que celui de feu son ami Jérôme Eudes. Coincé au rez-de-chaussée d'une des plus vieilles batisses de la place, l'endroit a conservé des temps anciens un parfum d'authenticité et une touche de distinction absente de Tout ce qui brille...

La devanture peinte en rouge est particulièrement sobre, et un simple panneau vient compléter l'enseigne en bois en annonçant :

Bijouterie & Orfèvrerie depuis 1292 CV

L'intérieur est au contraire rendu exigu par les nombreux présentoirs qui offrent à la vue des visiteurs des parures, des bracelets, ou des pendants d'oreilles au style traditionnel voire démodé mais emplis d'un charme suranné.

Au fond, derrière le comptoir, se tient Gilles Enitalp, un homme d'âge mûr aux tempes et aux favoris grisonnants.

Quête : la mort dans l'âme

Bellatrix se précipita en courant dans la boutique et sans reprendre son souffle, s'adressa à l'homme derrière le comptoir.

"Bonjour, bonjour. Que vous êtes joli, que vous êtes beau. Si votre verbiage s'accorde à votre fromage, vous êtes le phénix de ces parages. N'ayez pas peur ... Je voudrais juste vous acheter quelque chose de discret et de beau pour mon fiancé : une cage dorée. Il aimera je pense. Et aussi, de ces drôles de petits machins ouvragés qui font plaisir même quand on est seul, les solitaires bien sûr. C'est pour son anniversaire"

Petit regard langoureux vers Vel Cheran et elle reprit :

"J'avais voulu faire appel à Monsieur Eudes mais j'ai trouvé porte close. On peut dire que vous avez de la chance"

[Quête] La mort dans l'âme

L'homme regarda Bellatrix perplexe, un sourcil levé. Sa boutique n'avait pas connu pareil cataclysme depuis au moins 20 ans... Mais bon, qu'est ce que vous voulez ? On ne peut pas interdire l'entrée aux gens sous le simple prétexte qu'ils manquent de la plus élémentaire distinction, et pourtant ce n'était pas l'envie qui lui en manquait ! Il détailla les deux jeunes gens d'un oeil inquisiteur.

La femme, la demi folle, était plutôt bien habillée, sans aucun doute la dernière descendante de l'une de ces familles nobles dégénérées et consanguines. Quant à l'autre, c'était probablement l'un de ces bourgeois qui cherchaient à faire croire ou à se laisser croire qu'ils vivaient une vie de bohème. Il aurait mieux fait de porter ses guenilles avec goût plutôt qu'avec cet aplomb qui caractérise si aisément les jeunes et les nouveaux riches, deux catégories qui s'ajoutaient à la noblesse pour supporter l'essentiel du mépris du bijoutier.

Il leur répondit néanmoins avec politesse car sa famille, qui tenait l'orfèvrerie depuis de nombreuses générations avait érigé en devise la retenue et le service du client.

" Je vous en prie Mademoiselle, vous trouverez des solitaires sur ce présentoir à droite, ainsi que dans la vitrine du comptoir. J'espère que je vous donnerai la satisfaction que vous attendiez de mon estimé collègue et ami. Il est d'ailleurs étrange qu'il soit fermé aujourd'hui. Peut-être était-ce l'affaire de quelques minutes, il a pu s'absenter. Il est toujours ouvert ce jour. "

Et il contourna son comptoir pour venir conseiller la jeune femme.

Vel’Cheran avait pris un air détaché et un rien hautain, le genre de comportement qu’adoptent les riches voulant faire croire qu’ils s’y connaissaient parfaitement en pierres précieuses et qu’ils ne se feraient pas embobiner, alors qu’en réalité ils finissaient invariablement par acheter du quartz au prix d’un diamant de 25 carats. Se tapotant la joue, le jeune homme se rapprocha de Bellatrix et lui murmura avec la discrétion d’un enfant de dix ans, prenant un accent aristocratique totalement improvisé :

Il est tout de même bien étrange que la boutique de Monsieur Eudes soit fermée aujourd’hui, n’est-ce pas, ma chère ? Nous avions pourtant été conseillés par d’illustres amis haut placés qu’il s’agissait de la meilleure bijouterie de la cité. Si même les commerçants réputés se permettent des jours de repos, notre monde court réellement à sa perte, ne croyez-vous pas ?

Il fit ensuite mine de regarder les bijoux exposés sur les présentoirs, en feignant de croire que sa discrétion exceptionnelle n’avait pas permis au commerçant d’entendre ses propos.

Bellatrix sautillant tout autour de la boutique avec grâce avait ajouté :

"Oui, déjà que l'on tolère le repas mais alors, le repos ... Ce qu'il faut, c'est travailler, trimer, souquer, devenir les esclaves de son travail. Pour pouvoir acheter plein de choses ... Enfin, ce qu'on peut vu qu'on sera de plus en plus pauvres et qu'on en aura pas le temps ... Quelle ironie ... "

Se pliant soudain en deux, elle s'esclaffa de sa plaisanterie :

"Pour revenir à notre canasson, j'ai entendu dire que des hommes en armes venaient chez lui. Il avait peut être peur ... Pas de moi encore parce que je n'étais pas là. Mais peur de quelque chose ... C'est plus trop sûr la bijouterie, vous devriez vous mettre au point de croix. Vous avez pas peur vous ?"

[Quête] La mort dans l'âme

Gilles Enitalp était un homme de l'ancien temps, avare de parole mais prodigue en retenue. Il ne réagit pas aux paroles proprement injurieuses de Vel Cheran (il était évident pour quiconque s'y connaissait quelque peu qu'il était le meilleur joailler de Manost) ni aux divagations des tourtereaux sur un sujet dont ils ne devaient pas posséder la moindre notion : le travail.

Cependant, son visage se fit plus dur et il répondit d'une voix neutre :

" Ce n'est pas à moi de commenter la vie ou les affaires de M. Eudes. Monsieur, quel type de diamant recherchez-vous ? Vous avez en vue une monture particulière ou une matière de prédilection pour celle-ci ? "

Quête : la mort dans l'âme

"Ah là là, vous m'en direz tant : Mr Eudes à la mer, Mr Eudes fait des courses, Monsieur Eudes au temple, Mr Eudes a retrouvé son lapin. Mais c'est trépidant la vie de Mr Eudes. Quoi que, maintenant qu'il est tout raide et tout froid, ça doit être nettement moins passionnant. Ha oui, il est mort, je ne vous l'avais pas dit ?"

Petit sourire ravi en direction du boutiquier.

"Vous n'auriez pas une petite idée sur l'identité de son tueur ? Un renseignement qui peut valoir de l'or si vous voulez mon avis"

[Quête] La mort dans l'âme

L'homme la regarda d'un air tranquille sans trssaillir à ces paroles. Puis il dit d'une voix hachée :

" Mademoiselle, Monsieur, je vous prie de sortir. Je ferme. "

Il fit tinter une petite cloche et immédiatement un immense demi orque surgit de derrière une teinture. Il raccompagna poliment mais fermement les deux jeunes gens à la porte qui se referma derrière eux.

Quête : la mort dans l'âme

Une fois la porte refermée, Bellatrix se précipita vers la vitre la plus proche et se mit à tirer la langue en faisant de grands signes. L'orque ne réagissant pas, elle croisa les bras avec une moue boudeuse.

"Vilain, vilain, vilain. Ce n'est même pas comme si on lui avait annoncé une catastrophe non ?"

Elle se donna le temps de sauter sur une marelle imaginaire avant de reprendre.

"Nous n'avons plus qu'à aller rendre visite à l'autre. Peut être ne pas lui présenter la vérité toute nue. Au moins que cela lui plaise. Enfin ... on verra bien"

Il épousseta sa manche d'un geste rapide avant de soupirer.

La dernière fois que j'ai vu un commerçant réagir comme ça, c'était après que j'avais tenté de lui dérober un jambon de plusieurs livres. Sans succès, tu t'en doutes. Lui aussi avait un demi-orc à sa botte. A croire que ces créatures sans cervelle ne savent que jouer les garde-chiourmes. Il était d'ailleurs tellement crétin que j'ai eu le temps de lui subtiliser sa bourse avant qu'il ne me jette dehors. Pas grand-chose dedans, juste quelques pièces et des crottes de nez, mais bon, à l'époque c'était mieux que rien.

Vel'Cheran huma l'air de la rue, comme un prédateur en chasse, bien qu'il n'ait, dans le domaine de la nasalerie, pas plus de talent qu'un ours en couture. Il jeta un regard de regret vers la bijouterie.

Je ne pensais pas qu'il réagirait comme cela. Dommage, je n'ai pas eu le temps de lui dérober quoique ce soit. Le gros diamant qu'il avait exposé en plein milieu de la vitrine m'attirait pourtant, ça aurait représenté un défi intéressant. A charge de revanche.

D'un air pensif, il ajouta, en se tournant vers Bellatrix :

Il sait quelque chose à propos du meurtre, et il n'en est apparemment pas très fier. Allons voir l'ami de feu M.Eudes, comme tu le proposes, mais ensuite, je suggère de revenir discrètement chez ce cher Enitalp, à la nuit tombée. Nous pourrons toujours lui dire que nous nous sommes trompés de chambre, et profiter de l'occasion pour lui démontrer le pouvoir qu'offre l'application d'une lame sur la gorge d'une personne.

"Ou je pourrais lui jouer un petit air ... De lutrin. J'adore le lutrin. Et j'aime dire lutrin. Lutrin, lutrin, lutrin. Oh, un mot magnifique, je m'envole. Lutrin, lutrin, lutrin, lutrin. Viens avec moi Vel, nous allons au pays imaginaire"

Elle empoigna la main de Vel et leva la sienne en l'air. Elle resta avec lui, les yeux fermés. Puis, les rouvrant, elle posa sur son compagnon un regard émerveillé.

Je ne savais pas que tu volais si bien. Oui, nous pouvons aller chez l'ami de notre très cher ami. Mais après, comme tu le dis, retourner vers ce cher monsieur Enitalp. Mais avant de lui faire peur, pourquoi ne pas le suivre un peu pour voir de quoi il retourne ? Et ensuite, plof, claque, plouf, floutch, lutrin ! Il aura peur !"

Et elle partit en courant vers la boutique de l'autre commerçant.

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[Commerce] D'or et d'Argent

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