La Couronne de Cuivre

Quittant lesalon des naturalisations, l’homme conduisit Taliesin vers la porte par laquelle il était entré, et les deux gardes s’engouffrèrent sur leurs pas, sans pour autant s’approcher de l’elfe ou esquisser le moindre geste vers lui. Ils remontèrent un couloir lumineux, percé de grandes fenêtres qui donnaient sur un jardin noyé de pluie, jalonné de portes à intervalles réguliers. Des tapisseries racontant des épisodes de l’histoire luménienne décoraient les murs, certaines en très mauvais état, même si des tentatives de les rafistoler étaient apparentes. Le fonctionnaire s’arrêta devant une porte qu’il déverrouilla, puis invita à Taliesin à pénétrer dans la salle à sa suite. Il y régnait une petite odeur de renfermé et la pièce était dépourvue de fenêtre, mais c’était loin d’être une cellule. Une table en occupait le centre, entourée de quatre vieilles chaises un peu poussiéreuses. Des étagères croulaient sous des documents probablement obsolètes, qu’on avait aussi empilés au petit bonheur la chance, à droite à gauche le long des murs.
« Je vais devoir vous demander d’attendre ici quelques temps. » commença l’homme, un peu embarrassé. « Nous avons… prévenu les autorités de votre requête et… elles ne tarderont certainement pas à envoyer quelqu’un. Puis-je vous apporter quoi que ce soit pour rendre votre attente plus supportable ? »

-Je vous remercie pour votre amabilité, messire, mais je n'ai besoin de rien pour l'instant, répondit Taliesin, toujours souriant. Je suis bien conscient que mon arrivée n'est pas de nature à vous tranquilliser, mais je vous prie de croire que je ferai mon possible pour vous causer un minimum de tracas.
Besoin de rien... En réalité, il regretta bien vite de ne pas avoir demandé de quoi étancher sa soif. Etait-ce la poussière qui régnait dans la pièce, ou bien un simple effet de l'angoisse ? Toujours est-il qu'il avait la gorge sèche seulement quelques minutes après le départ du fonctionnaire.
On l'avait laissé seul. La porte était fermée, mais il ne lui semblait pas qu'on l'eut verrouillée. Bon ou mauvais signe, il n'avait pas la force d'y réfléchir.
L'attente le minait. C'était la seule chose contre laquelle il n'avait pu se prémunir. Qu'on le questionne, qu'on l'accuse, qu'on le pousse dans ses derniers retranchements : soit, il s'y était préparé. Mais l'attente... On ne pouvait rien faire contre elle, sinon rester sa chaise à examiner la salle, cherchant le moindre détail susceptible de vous distraire un moment. Déjà, il pensait tout connaître par cœur, jusqu'à la plus petite toile d'araignée au coins d'une étagère.

Taliesin resta seul dans la salle pendant plus d’une heure, avant que des pas ne résonnent devant la porte et s’immobilisent. Il entendit le murmure d’une conversation, puis les visiteurs entrèrent, précédés de l’un des gardes. Lorsque celui-ci eut constaté que l’elfe était toujours assis, tranquille, à table, il s’effaça pour laisser passer deux personnes.
La première était une elfe d’âge mûr, le regard acéré et les cheveux couleur miel noués sur la nuque. Belle mais froide, elle dévisagea Taliesin sans aménité. Très fine, elle portait une robe de mage bleu sombre ornée de symboles argent. Parmi eux, le barde put reconnaître ceux de la déesse mulhorande Isis. Elle s’assit sur une chaise en face de lui, non sans décocher une grimace outrée à la poussière qui s’en décolla.
Le second était un humain de taille moyenne, aux cheveux noirs et aux yeux sombres. Vêtu de frusques sans ornement, il portait cependant un disque de quartz rose à l’épaule, retenant son manteau. Bien qu’il ne porte pas d’aube, Taliesin put en déduire qu’il appartenait au clergé de Lathandre. Il s’assit à son tour, l’expression neutre, peut-être un peu ennuyé, et croisa les bras, avant de s’appuyer sur le dossier et de poser un regard pénétrant sur le barde.
C’est cependant l’elfe qui prit la parole.
« Je suis Lathiriel Ditazhir, je suis l’une des trois conseillers qui dirigent aujourd’hui Luménis. Voici Albérich Megrall, mon collègue. »
Le clerc se contenta d’hocher la tête, sans rien dire.
« Nous savons qui vous êtes. Et nous savons ce que vos bonnes intentions ont apporté à Luménis. » commença-t-elle, sans la moindre intention de le ménager. « Cependant, votre apparition est pour le moins imprévue, et vous nous mettez dans une situation difficile. »
Elle croisa les bras, reprit son souffle, et darda son regard clair sur Taliesin. Le clerc n’avait pas bougé.
« Depuis votre emprisonnement par Morféa, quatre rumeurs circulent. La première est qu’il vous a tué. Ce n’est manifestement pas le cas. La seconde est que vous avez été libéré par la résistance, mais aucun des chefs survivants ne se souvient d’avoir mené cette opération à bien. La troisième est que vous êtes en fait Morféa. Or nous n’avons pas de corps. La dernière est que vous êtes le Monstre, la créature qui a semé la panique et la mort dans le quartier ouest, peu avant le massacre dont il fut le théâtre. »
Elle se redressa.
« Alors qu’en est-il ? »

Taliesin s'efforça de garder une mine impassible. La dernière piste évoquée par la conseillère lui montrait que les soupçons quant à son lien avec le monstre, sans être aussi avancés qu'il aurait pu le redouter, existaient pourtant bel et bien. Il allait falloir jouer serré.
Quelque chose en lui aurait aimé dire la vérité, endosser la responsabilité des crimes qu'il avait commis pour, qui sait, pouvoir enfin expier. Mais il ne pouvait faire ne telle chose : il refusait de perdre ce qu'il avait trouvé, refusait même de le mettre en péril.
Jouer serré, donc.
-La réalité est un mélange des deux premières hypothèses, madame. Si j'ai pu quitter le palais présidentiel où Nwalk m'avait fait transférer après des mois de réclusion au Grand Fort, c'est parce qu'il croyait m'avoir tué. Il aurait eu raison,d 'ailleurs mais, sans que je sache pourquoi, la personne qui m'a déposé dans un charnier a pris le temps de me faire boire ne potion de soins. Je n'ai pas pour autant retrouvé la liberté, mais c'est là qu'intervient votre deuxième théorie : j'ai bien été libéré par la Résistance. Du moins, par une personne qui a participé aux activités de celles-ci.

Ses deux interlocuteurs restèrent impassibles.
« Vous voulez dire qu’un homme non identifié a guetté votre mort pour vous relever ? Cela me semble une coïncidence bien énorme. » fit Lathiriel. « Mais admettons. Un de vos fidèles, puisque d’après ce que j’en sais, certains vous appelaient prophète, une chose dangereuse, vous devriez le savoir, a campé des jours et des nuits sous les fenêtres du tyran au cas où vous viendriez à passer pour mort… Vous êtes béni par Tymora, je suppose, mais c’est chose possible. Et ensuite ? »

Taliesin secoua la tête, sincèrement perplexe. Il n'avait lui-même jamais pu élucider cette partie du mystère.
-Si vous me permettez de revenir un instant sur ce point.. Je suis désolé de ne pas pouvoir être plus précis, mais je n'ai moi-même aucune certitude quant à ce qui s'est passé. Tout ce que je sais, c'est qu'avant de sombrer, j'agonisais dans les caves du palais, le flanc labouré par la dague du tyran, les chairs brûlées par le sort que venait de lancé son assistant....Et que lorsque je repris conscience, j'étais en presque aussi piètre état, au milieu d'un amoncellement de cadavres Mais j'avais dans la bouche le goût d'une potion, et je n'étais pas mort comme je l'aurais dû au regard de mes blessures.
Il soupira.
-Ce sont là mes seules certitudes. Le reste n'est que suppositions. Mais je doute qu'il y ait eu quelqu'un pour m'attendre, pour guetter cet instant. Comment aurait-il pu savoir la manière dont tourneraient les choses ? Et m'aurait-il abandonné au milieu d'un charnier, plutôt que de m'amener en lieu sûr ? Non, le plus probable est que mon guérisseur soit la personne qu'on aviat chargée de transporter mon corps. Mais pourquoi un Morféen aurait-il voulu m'aider ? Je n'ai pas la réponse.
L'ancien barde ferma les yeux. Jusqu'ici, il n'avait dit que la stricte vérité. Mais à partir de maintenant, il allait en être autrement : la capture qu'il s'apprêtait à dépeindre, pour métaphoriquement exacte qu'elle soit, n'en constituait pas moins un mensonge.
-Ensuite... Un petit garçon était en train de me faire les poches. J'ai essayé de lui parler, mais il a pris peur et s'est enfui en criant. Je suis resté étendu là un long moment, à me demander pourquoi on ne m'avait pas laissé reposer en paix. Et puis, j'ai eu peur que les sbires de Nwalk me retrouvent. S'ils me remettaient la main dessus, tout allait recommencer.... J'ai donc essayé de ramper hors du charnier. Ce ne sont pas les Morféens qui me retrouvèrent, finalement, mais celui que vous appelez le Monstre. Il devait avoir vu qu'on me déposait ici, avoir déduit que j'étais une victime du tyran... Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'il m'a emporté jusqu'à l'endroit où il se terrait
Il frissonna. Ce n'était pas un jeu d'acteur : il revoyait la ruelle déserte, la cave obscure...
-J'ai mis des jours à me remettre. J'étais rongé par la fièvre, et sans doute ais-je déliré à voix haute... Lorsque je fus en état de discuter, il m'a interrogé. Qui j'étais, quel était mon rapport avec Nwalk, qui m'avait blessé, il voulait tout savoir. J'ai parlé : je ne voyais pas pourquoi me taire, et j'espérais qu'il me libérerai une fois satisfait. Il n'en a rien fait.
L'elfe grimaça, dévisagea un instant ses interlocuteurs.
-Et puis est arrivé le jour du massacre. Les incendies ont menacé le refuge de la créature, et il a fallu déménager. C'est là que la déesse de la chance m'a souri, je peux le croire sans mal. Au moment où nous sortions, nous avons vu passer une femme et un enfant. Ils étaient poursuivis par les Rouges. Le Monstre a pris le temps de les massacrer. Pas pour sauver les malheureux en fuite, juste par haine. Il n'était que ça : haine et violence contre Morféa et ses serviteurs. Pendant qu'il les terrassait, j'ai échangé un regard avec la jeune femme, et nous nous sommes reconnus. Nous avions été amis, autrefois, à Manost... Mais nous n'avons rien pu nous dire : le Monstre m'a emporté sans leur prêter la moindre attention.
Taliesin se passa une main sur le visage. Le souvenir de l'impasse sordide, de ce que les Rouges avaient fait à Galathée et à Victor, de ce qu'ils s'apprêtaient à leur faire subir... Le souvenir s'était imposé à lui avec une acuité douloureuse. Et il dut faire effort pour reprendre.
-Le Monstre demeura rarement dans sa nouvelle cachette. Il passait son temps au dehors, à combattre, j'imagine. Il m'avait fait dire tout ce qu'il voulait entendre, et je craignais qu'il ne m'abatte maintenant que je ne lui étais plus d'aucune utilité. Probablement l'aurait-il fait... Mais la jeune femme vint me délivrer. Je ne sais comment elle s'y prit, mais elle attira le monstre hors de sa tanière, et profita de son absence pour m'en tirer. Nous avons gagné le parc où nous nous sommes reposés quelues temps, avant d'enfin quitter Luménis. La Résistance était en train de prendre le dessus : Nwalk allait bientôt tomber. Cependant, ni moi ni elle ne voulions continuer à participer à toute cette violence. Nous voulions retrouver un peu de paix, nous reconstruire... Nous ne pensions d'ailleurs pas revenir à Luménis, mais les événements en ont décidé autrement. Et c'est pourqoi je me présente à vous aujourd'hui. Nous envisageons de demeurer en ville quelques temps, et il était nécessaire que ma siuation soit clarifiée.

Une fois de plus, les deux Luméniens restèrent un instant silencieux. Pourtant, cette fois, Taliesin avait vu leurs expressions s’altérer au fil de son discours. Dame Dithazir était restée concentrée, scrutatrice, et la moue sur son visage reflétait son incrédulité franche. Megrall avait gardé un visage de marbre tout au long du récit, jusqu’à l’instant où il avait mentionnés, sans les nommer, Galathée et Victor. Un léger pli apparut sur son front, une lueur brève dans son regard, et ses épaules se crispèrent. Il n’en demeura pas moins immobile.
Lathiriel grimaça et leva les mains.
« Soit. Vous avez traversé le désert et l’océan pour venir jusqu’ici avec vos réfugiés. Nwalk était avec vous. N’avez-vous jamais eu de raisons de deviner sa nature ? N’avez-vous jamais senti qu’il était potentiellement dangereux ? »
Le changement de sujet était brutal, c’était le moins qu’on puisse dire.

Taliesin tressaillit : la question était directe et touchait horriblement juste. Nwalk l'avait trompé, certes, mais l'ancien barde s'était surtout voilé la face. S'il pouvait nier être le Monstre, il ne pouvait pas faire l'impasse sur cette erreur. Cette erreur qui avait tout déclenché.
Ses doigts se crispèrent un instant sur la table, puis se détendirent.
-Si, je l'ai senti, et je ne chercherai pas à nier ma responsabilité en la matière. Nwalk était sombre, imprévisible, violent. Je me suis toujours méfié de lui. Mais je pensais... Qu'il n'était peut-être pas aussi mauvais qu'il le paraissait. Qu'il était guidé par des motivations plus justes qu'on aurait pu le croire... Après tout, il s'était joint à notre rébellion alors que nos victoires étaient déjà derrière nous et que les Mélandiens reprenaient lentement le dessus. Je me disais que s'il avait été purement opportuniste, il serait resté de leur côté, ou nous aurait trahi avant la fin... Mais non, il a continué à se battre dans nos rangs, et il se battait bien. Beaucoup d'anciens esclaves l'admiraient pour ses prouesses, l'aimaient pour son courage, et il a rapidement gagné en influence. Jamais, pourtant, il ne s'est dressé contre moi. Il a provoqué la plupart des incidents qui ont émaillé notre périple à travers le désert, je le sais maintenant. Mais à l'époque... Il préparait ses manigances avec prudence, en secret, faisait agir les autres à sa place... Et il ne manquait jamais de me manifester publiquement son soutien, afin de détourner les soupçons.
Il déglutit péniblement. Sa gorge était plus sèche que jamais.
-Une fois à Luménis... J'aurais dû faire plus attention. Je lui ai laissé trop de latitude. Je passais beaucoup de temps auprès des vieillards et des enfants hébergés dans l'entrepôt du port... Beaucoup de temps à négocier avec le conseiller Dedalus, aussi. Quand je rentrais au camp du quartier est, je sentais la tension latente, l'hostilité croissante à mon égard. Mais j'ai pensé que c'était l'intégration sans cesse repoussée qui provoquait la colère des miens, qu'une fois les choses réglées, tout rentrerait dan sl'ordre. Je n'ai pas attribué cela aux complots de Nwalk, et plutôt que d'attaquer le mal à la racine, j'ai essayé d'apaiser les esprits.
Il soupira.
-Quand il s'est dévoilé, quand j'ai compris ce qui allait advenir, il était trop tard pour agir. Je n'avais plus assez influence, les réfugiés me prenaient pour un traître, et rares étaient ceux à me demeurer loyaux. Et il avait le petit peuple avec lui. Nous avons réussi à couvrir la retraite du Conseiller Dedalus, mais c'est bien tout ce que nous avons pu faire. Si j'avais été moins laxiste, moins aveugle, moins bêtement optimiste, peut-être aurais-je pu empêcher tout cela.
Taliesin grimaça : il ne s'était pas présenté sous un jour très favorable. Mais l'honnêteté lui semblait un risque à prendre. S'il s'était trouvé trop d'excuse, peut-être la méfiance que les Conseillers éprouvaient à son encontre en aurait-elle été renforcée. Peut-être plus, en totu cas, que par ses aveux. Ou peut-être pas...

« Des excuses. » grommela l’elfe avec mépris. « Vous avez mené un monstre en nos murs, je veux bien admettre que vous ne vous êtes pas rendu compte de ce qu’il manigançait. La sagesse n’est pas chose facile et vous êtes encore jeune. Mais étiez-vous moins dangereux, à prêcher dans les rangs des plus pauvres ? Quelle assurance avons-nous que vous n’allez pas vous remettre à dispenser votre bonne parole ? Quelle est votre compréhension de la complexité du monde, de la gestion d’une ville ? Qu’allez-vous aller raconter aux habitants de nos taudis, à vos anciens compagnons de misère ? Nous ne pouvons pas prendre le risque d’abriter un agitateur potentiel, alors que la cité se remet à peine de ces… déboires. »
Une fois encore, Dame Dithazir avait pris le parti de changer de sujet, comme pour perdre son interlocuteur.

Mais Taliesin ne se laissa pas surprendre et répondit du tac au tac.
-Comment pouvez-vous penser que je puisse avoir de telles intentions ? A Mélandis, alors que j'étais juste venu délivrer des membres de mon peuple réduits en esclavage, je me suis retrouvé le meneur d'une révolution que je n'ai pas voulue, que je n'ai pas cherchée, et qui n'a débouché que sur du sang et des larmes. A Lumenis, alors que j'étais juste venu trouver un havre de paix pour les miens, voici que l'un de ceux qui me suivaient provoque un coup d'état et des massacres sans nom... Comment pourrais-je vouloir dispenser la bonne parole dont vous parlez ? Imaginer dire aux gens ce qu'ils doivent faire, penser, alors que la moindre de mes actions s'est invariablement conclue par un désastre ?
Il se massa les tempes.
Je veux simplement vivre en paix, dans mon coin, loin de toutes ces turpitudes... Je veux vivre avec ma famille, voilà tout. Et si vous pensez que ma présence est susceptible de nuire à Lumenis, alors, je partira; Je ne veux plus être la cause d'aucun tourment, d'aucun trouble. Je suis jeune, dites-vous : Mais j'ai cruellement appris ce qu'il en coutait de vouloir changer les choses, et l'on ne m'y reprendra plus. Je ne veux pas voir mourir les rares proches qu'il me reste.

La magicienne haussa les sourcils, son expression ne recelant pas la moindre once d’empathie.
« C’est ce que vous dites aujourd’hui. Comment pouvons-nous prédire ce que vous direz dans un siècle ? Quand ce sang et ces échecs auront séché dans votre mémoire pour n’être plus que de vagues souvenirs diffus, que vos envies d’inspirer reviendront percer la surface de vos bonnes résolutions ? » s’exclama-t-elle.
Elle se leva, fit le tour de sa chaise et s’appuya au dossier.
« Vous saviez pour Morféa. Vous partagez la responsabilité de ce qu’il a commis. Dans votre désir de sauver le monde, vous avez fermé les yeux sur la noirceur obligatoire du cœur de vos semblables. »
Puis, sans rien ajouter, elle sortit, laissant Taliesin seul face au second conseiller, lequel n’avait encore rien dit.

Taliesin se garda bien de prendre la parole. Il était ébranlé. Pour avoir été directe, Lathiriel n'en avait pas moins dit la pure et simple vérité : il était en partie responsable du coup d'état, des massacres... Tant ceux de Luménis que de Mélandis. Il était responsable de bien d'autres choses encore, mais elle ne pouvait pas le savoir, ou le soupçonnait sans pouvoir le prouver.
Elle se trompait sur un point, cependant. Dans un siècle, il ne serait plus à Luménis. Plus nulle part, peut-être. Celle qui lui avait réappris à vivre ne serait plus là. Il refusait d'y penser tout en ayant la chose sans cesse à l'esprit. Sa chance n'était que passagère. Un jour, il serait à nouveau seul.
Et ce jour là...
Il soupira, secoua la tête et observa le clerc, espérant qu'il l'interroge enfin. S'il fallait encore attendre... Et bien, il attendrait, mais les lambeaux de sérénité auxquels il se raccrochait encore ne seraient bientôt plus qu'un lointain souvenir.

Mais le clerc n’ouvrit pas la bouche. Il dévisageait toujours Taliesin sans rien dire, ne reflétant ni joie, ni haine. Dame Dithazir refit son entrée quelques minutes plus tard, portant un plateau sur lequel se trouvaient une carafe d’eau et trois coupes. Elle les remplit rageusement, en poussa une en direction de Taliesin, une autre vers son collègue, puis elle vida la troisième, avant de reposer des yeux brûlants sur le barde.
« Vous avez côtoyé le monstre. Nous ne l’avons pas attrapé. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ? »

Il marchait sur des œufs. Il fallait être aussi proche que possible de la vérité tout en évitant les faux pas.
-Pas grand chose. Je ne sais ni qui il était, ni ce qu'il était. Un non-mort, probablement. Ce qui est sûr, c'est qu'il haïssait Nwalk. La haine était la seule chose qui semblait l'animer. La haine et la vengeance. Il ma pressé de questions le concernant : son comportement, ses paroles... De questions me concernant, aussi, mais seulement sur mes liens avec le tyran. Je crois qu'il voulait se servir de tous les moyens possible pour l'effrayer, pour le provoquer, pour le pousser à la confrontation.

Pour la première fois, l’elfe se tourna vers le clerc et ils échangèrent un regard. L’humain haussa les épaules et hocha la tête, tandis que la magicienne se renfrognait.
« Je vais déjeuner. » lâcha-t-elle.
La petite séance semblait l’avoir épuisée et repoussant sa robe, elle se leva et sortit. A nouveau, le clerc demeura immobile, puis il fronça une seconde les sourcils.
« J’ai le pouvoir de lire en vous ce qui est vérité ou mensonge. » déclara-t-il finalement. « C’est une chose dont je n’aime pas me servir, mais lorsque la sécurité de mes concitoyens est en jeu, je dois parfois faire une entorse à mes principes. »
Il soupira.
« Je sens beaucoup de réticence en vous, beaucoup de fatigue, et beaucoup de regrets. Je peux le comprendre, ce que vous avez tenté… était louable. Mais vous vous êtes laissé dépasser par ce que vous avez inspiré chez autrui. Je vous ai vu à Luménis, lorsque vous avez ramené vos réfugiés en haillons. Vous étiez déjà épuisé. »
Un sourire traversa un instant son visage, puis disparut.
« Vous avez eu le courage que beaucoup n’ont pas. Et vous avez sûrement appris de vos échecs. Nous apprenons tous de nos échecs. »
Il se leva.
« Je vais vous faire porter à manger. Réfléchissez à ce que vous voulez encore nous dire. Nous reviendrons ensuite. »
Il lui jeta un dernier regard.
« Je n’ai pas envie de vous sonder, Taliesin. Je ne le ferai que s’il me reste un doute. Je compte sur vous pour qu’il ne m’en reste pas. »

Taliesin acquiesça sans rien dire.
Il vida deux coupes d'eau successives et, lorsqu'on lui apporta à manger, il grignota sans guère d'appétit. Il fallait préserver les apparences, faire semblant d'être tranquille, mais il ne se sentait pas la force de jouer la comédie au point de ripailler joyeusement.
Si le clerc le sondait, il était perdu. Il n'était plus le monstre : mais il l'avait été. La magie du conseiller serait-elle sensible à la différence, révélant qu'il disait la vérité pour le présent et ignorant le passé ? C'était rien moins que sûr.
Il devait donc dissiper tous les doutes... Pas simple. D'autant que ni Albérich ni Lathiriel n'avaient clairement exprimé ceux-ci.
L'elfe se massa le front. Il ne savait vraiment pas s'il sortirait de ce mauvais pas. Du moins, comment il en sortirait.

Les deux conseillers revinrent environ une heure plus tard et se rassirent face à l’elfe. Dame Dithazir se carra dans son siège, tandis que Megrall posait les coudes sur la table et le dévisageait.
« Je vais puiser dans l’essence de Lathandre pour vous frôler un instant. Je vous demande de vous détendre et de ne pas résister. Je ne vous ferai aucun mal et je ne violerai en rien votre intimité. » annonça-t-il sans préambule.

L'ancien barde fit un effort surhumain pour ne rien laisser paraître de son appréhension. Il ne pouvait se dérober. Ce serait un aveu de culpabilité, sa ruine, sa perte. Bien sûr, sa perte, le sort que le conseiller s'apprêtait à lui lancer la provoquerait sans doute. Mais il se devait de tenir bon, de faire face tant qu'il restait une once d'espoir.
Il songea à Galathée, à Victor. Songea à ce qu'il risquait de perdre et tenta de puiser un peu de calme dans le bonheur qu'il avait éprouvé à leurs côtés.
Sans grand succès.
-Faites-donc... dit-il d'une voix qu'il espérait sereine.

Megrall acquiesça, concentré, puis joignit les mains et murmura à mi-voix pendant quelques secondes. Une lueur diffuse se mit à ondoyer autour de lui, orange et rosée, comme une aura ténue, puis il ouvrit les doigts et tendit les paumes vers l’elfe. Ce dernier vit distinctement une langue de lumière venir dans sa direction, s’enrouler autour de lui, et il sentit les cheveux se hérisser sur sa nuque. Pourtant, le rayonnement était plutôt chaleureux, et il s’éteignit un instant plus tard.
Le clerc croisa son regard et sourit.
« Merci. » dit-il simplement, et il se rassit dans le fond de son siège.
Dame Dithazir grimaça une seconde, puis se pencha en avant.
« Vous avez introduit Morféa en nos murs. » dit-elle. « Et vos déplacements depuis sa prise de pouvoir et sa chute sont voilés de mystère. Mais vous avez fait preuve de discernement en venant nous trouver rapidement. »
Elle croisa les bras et le dévisagea froidement.
« Nous allons vous faire une proposition. » ajouta-t-elle, en lançant un regard sombre à son homologue. « Maître Megrall va vous expliquer les modalités précises de celle-ci. Si vous l’acceptez, vous pourrez partir. Si vous refusez, nous devrons organiser un procès. Appelons ça un règlement à l’amiable. »
Le clerc lui jeta un coup d’œil puis sourit.
« Nous ne pensons pas que vous représentiez encore un danger. » annonça-t-il.
« Pas pour l’instant. » intervint la magicienne.
« Pas pour l’instant. Cependant, vous avez une part de responsabilité dans ce qui s’est produit, et en cela, nous devons exiger une rétribution de votre part. Les Luméniens se saignent depuis des mois pour essayer de rattraper ce qu’ils ont perdu. Il serait injuste que la source, même involontaire, de leurs maux puisse arpenter la ville sans avoir à participer aux efforts de reconstruction. La forme que prendra cette rétribution, sa durée, le moment de sa réalisation, sont des choses que nous devons encore définir. »
« Vous ne pourrez pas quitter Luménis sans nous en avertir. » ajouta Lathiriel.
Albérich lui jeta un regard courroucé, et elle se tut.
« Vous devrez nous avertir des moments où vous désirez quitter la ville, ainsi que des raisons qui vous poussent à le faire. La levée de cette obligation sera réévaluée chaque mois par le Conseil. Vous devrez coopérer pleinement à l’enquête en cours sur les agissements du Monstre. »
Lathiriel acquiesça.
« Et vous devrez me rencontrer une fois par veille, au Temple de Lathandre. »
L’elfe plissa les yeux.
« Alors ? » fit-elle, lui laissant à peine le temps de réfléchir à ce qui venait d’être dit.

-J'accepte, fit-il simplement. Je me soumettrai à toutes les décisions que pourra prendre le conseil et payerai ma dette à Luménis de la manière qu'il jugera adéquate.
Le compromis proposé était bien loin d'être idéal. Il s'apparentait dangereusement à un simple sursis : rien n'était réglé, l'enquête aurait de grand risques de le confondre, et les discussions avec le clerc pouvaient également mener à sa chute, si Megrall décidait de le sonder. Ce n'était pas une solution idéale, loin s'en fallait. Mais cela valait toujours mieux qu'un procès, et se montrer docile et accommodant malgré les conditions sévères qu'on lui imposait ne pouvait que lui servir.
Et puis... Si tout allait bien, S'il payait réellement sa dette à Luménis, peut-être les remords qu'il éprouvait en seraient-ils apaisés.

Sur ces paroles, Dame Dithazir se leva.
« Dans ce cas, j’en ai fini ici. » fit-elle. « Il est à toi. »
Elle se redressa et fixa Taliesin droit dans les yeux. Elle semblait lui signifier sa désapprobation et sa méfiance à son égard, mais elle n’ajouta rien et sortit.
Le clerc haussa les sourcils et sourit une seconde, puis reposa son regard sombre sur l’elfe.
« Lathandre nous enseigne qu’il y a toujours de l’espoir, toujours une seconde chance pour ceux qui se sont fourvoyés. » commença-t-il. « Je ne peux pas vous mentir et vous dire que je vous fais parfaitement confiance. Je sens que vous en savez plus que ce que vous voulez bien en dire. Ce qui brûle en vous lorsque vous parlez du Monstre… Ce n’est pas seulement du dégoût pour ce qu’il vous a fait. »
Il croisa les bras, soupira.
« Mais je crois que chaque jour nous permet de redéfinir ce que nous sommes. Vu ce que vous avez traversé, les erreurs que vous avez commises, le désespoir dans lequel vous avez dû, je n’en doute pas, sombrer, ce qui vous est offert aujourd’hui est un signe que j’aurais tort d’ignorer. Si les dieux ont décidé de vous octroyer autant en dépit du passé, c’est qu’ils estiment que vous y avez droit. Et la justice, ou la rancœur des hommes, n’a pas à interférer avec les voies d’en haut. Cela me suffit pour l’instant. »
Il s’interrompit.
« Entrevoyez-vous une manière de vous rendre utile en ville ? » demanda-t-il ensuite.

Taliesin le dévisagea, se demandant s'il savait, soupçonnait ou essayait simplement de le faire réagir. Le mieux était de ne rien dire, rien faire à ce sujet. Il fallait juste demeurer prudent, méfiant : le clerc pouvait le démasquer s'il s'en donnait les moyens, cela au moins était acquis.
-Je n'en ai pas la moindre idée, avoua-t-il au bout d'un moment. Je ne savais déjà pas comment j'allais gagner ma vie, désormais... Peut-être en reprenant mon aicne métier de barde, mais je doute que jouer de la harpe soit de nature a aider votre cité. Peut-être pourrais-je faire part des connaissances que j'ai accumulées au cours de mes voyages... Ou simplement apprendre à lire et à écrire aux enfants dont les parents n'ont pas les moyens de se payer un percepteur... Enfin, de toute manière, je ferai ce que vous me demanderez de faire.

« J’y réfléchirai. Il y a mille choses à faire en ville. » dit-il, songeur. « Mais je ne suis pas certain de pouvoir vous confier des enfants. La nouvelle de votre retour va se propager en ville, vous devez vous en douter. Vous êtes un inconnu pour bien des Luméniens, mais d’autres se souviennent de vous, de votre nom, de votre rôle. Je ne peux pas anticiper comment ils réagiront, mais si vous devenez un problème de sécurité publique, nous devrons vous demander de partir. »
Il croisa les bras, hésitant.
« Nous nous verrons tous les derniers jours de veille, à l’aube. C’est un moment propice au renouveau. Vous ne pourrez pas vous y dérober sans bonne raison. Cela vous laisse trois jours avant notre premier rendez-vous. Nous verrons de quoi il est fait. »

Trois jours... Un instant, il envisagea la possibilité de fuir. Mais c'était impossible. Il ne pouvait pas imposer à Galathée et à Victor une vie d'errance, de clandestinité. Il devait faire face, quoi qu'il lui en coûte Tout aurait été plu simple, plus heureux, s'ils n'évaient jamais remis les pieds dans cette maudite cité. Mais ils l'avaient fait, il n'y avait plus moyen de se défausser.
-J'y serai, lâcha-t-il pour tout commentaire.

Megrall se leva et invita Taliesin à l’imiter.
« Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à vous laisser partir. » dit le clerc en ouvrant la porte. « Je vous souhaite un bon retour auprès de ceux que vous aimez. »
Puis il le salua d’un léger signe de tête, et s’esquiva dans le couloir.

Taliesin ne s'attarda pas dans la pièce : il avait hâte de rentrer, même si la perspective du retour était entachée d'inquiétude. Rien n'était réglé, rien du tout : s'il n'était pas en prison, il était en liberté surveillée, soumis à des obligations pour le moins contraignantes. On le soupçonnait, une enquête était en cours, et il pouvait à tout instant être interpelé. Il savait qu'il n'aurait pu s'attendre à mieux, qu'il s'en tirait pour l'heure à bon compte, mais la menace latente le minait déjà, alors que l'entretien était à peine achevé.
Dans le couloir, un garde l'attendait. Il l'escorta jusqu'à une sortie lattérale du bâtiment. Dehors, il plevait à torrents. Un dernier regard en arrière, un soupir à demi contenu, et il filait sous l'averse en direction de la petite maison du quartier ouest.

L’elfe ne put aller bien loin. Il aperçut en effet bientôt deux silhouettes bien reconnaissables, qui attendaient sous une cape déployée, assis sur le bord de la fontaine qui faisait face au Salon des Naturalisations (et qui venaient de là).
Lorsqu’il le vit, Victor se mit à courir en criant sous la pluie, tandis que Galathée les observait avec un doux sourire. L’enfant se rua sur Taliesin et l’étreignit.
« L’histoire de la peste ! L’histoire de la peste ! » scanda-t-il avec excitation.
La jeune femme détourna un instant le regard comme des pas résonnaient derrière elle. A quelques mètres, deux hommes s’étaient arrêtés, regardant dans leur direction. Le premier était un garde, la main posée sur son arme, le second était le conseiller qui avait interrogé Victor quelques jours plus tôt, lors de son adoption. Galathée vit son regard s’appesantir sur Taliesin et l’enfant, puis virer vers elle, et un instant, ils se dévisagèrent. Il semblait pensif, sérieux, mais il esquissa un léger sourire, peut-être contraint, avant d’incliner la tête en guise de salut, et de s’éloigner.
Elle se détourna pour regarder à nouveau l’elfe et l’enfant et soupira d’aise.

Pris au dépourvu, Taliesin demeura un instant immobile avant de serrer le petit garçon contre lui. Le poids qu'il avait sur le cœur paraissait un peu moins lourd, tout à coup, et l'émotion qui le gagnait était à la fois douce et chaleureuse, quoi que teintée d'un soupçon d'amertume. Il aurait aimé que tout soit fini... Mais ce n'était pas le cas. Il devait se contenter de l'instant présent, oublier un peu l'avenir...
-Tu l'auras, promis, fit-il d'une voix ténue en passant une main dans la tignasse trempée de Victor. Mais on devrait rentrer d'abord, tu ne crois pas ?
Ils rejoignirent Galathée à grands pas. L'averse empirait encore, si c'était possible. Derrière la rôdeuse, l'elfe vit le conseiller Megrall qui s'éloignait, et il grimaça.
-Content de te voir ! murmura l'elfe en prenant la main de la jeune femme. Mais vous n'auriez pas dû risquer une pneumonie pour moi... Que diriez-vous d'une bonne flambée pour nous sécher ?

La jeune femme posa une paume humide sur la joue de l’elfe, puis attira son visage vers le sien, et l’embrassa doucement.
« Une bonne flambée et une peau d’ours. » lui répondit-elle au creux de l’oreille, tandis que Victor se dévissait le cou pour écouter.
« J’ai tout entendu ! » s’exclama-t-il, les bras croisés.
« Vraiment ? » s’enquit Galathée, comme ils se mettaient en marche, serrés les uns contre les autres sous la cape déployée.
« Mais je ne dirai rien. »
« Alors si mon secret est bien gardé… »
« Mais tu devrais avoir honte ! »
« Honte ? »
« Oui, honte. »
« Victor, je crois que tu n’as rien entendu. »
Il lui tira la langue, et échappant à la protection du manteau détrempée, les précéda en courant comme un dératé jusqu’à leur demeure.

La Couronne de Cuivre

[Salle] La salle des audiences

[Salle] La salle des audiences

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : Salon des naturalisations

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire

Re : [Lieu] La salle d'interrogatoire