La Couronne de Cuivre

Arya et Taliesin trouvèrent la demeure des Megrall moins d'une demi heure après avoir quitté le Parc Verdoyant. Elles s'était révélée moins difficile à trouver que le barde ne l'avait craint, et il demeura un moment immobile dans la rue, au côté de la magicienne, à examiner la façade de la bâtisse. Elle n'apprenait pas grand chose sur ses habitants, sinon qu'ils étaient plutôt discrets et ne tombaient pas dans la surenchère de décoration luxueuse et tapageuse, contrairement à nombre de résidents des Beaux Quartiers.
-Alors, qui frappe à la porte ? s'enquit-il d'un ton léger en se tournant vers Arya.
Autant régler cette démarche au plus vite, songeait-il. D'autant qu'il doutait fort de son succès ou de son utilité réelle.

Des pas se firent rapidement entendre dans le couloir, claquant sur le dallage, puis la porte s’ouvrit sur une femme entre deux âges en livrée de domestique. Elle les regarda d’un air suspicieux, tout en s’essuyant les mains dans son tablier.
« C’est pour quoi ? » dit-elle.
Dans son dos s’étendait un corridor obscur, dont les murs étaient couverts d’armes rutilantes exposées. Au bout du couloir, un escalier s’élevait vers les étages, plus monumental qu’on n’aurait pu l’imaginer dans une telle demeure. La lumière était chiche, dispensée par des lampes à huile fixées aux murs, à intervalles réguliers.

Le peu que la magicienne put voir de l’intérieur de l'habitation des Megrall, tout en restant discret son regard ayant rapidement évalué les lieux, lui donnait plus envie de faire demi-tour que de pénétrer dans cette demeure qui lui apparaissait plus comme un coupe-gorge qu’une habitation cossue et accueillante des beaux quartiers. Il y faisait trop sombre,les armes étaient omniprésentes aussi loin que pu porter son regard, il était bien éloigné des intérieurs souriants auxquels étaient habituée la jeune femme. Mais, ils n’étaient pas là pour une visite de courtoisie et, ayant prit l'initiative de frapper à cette porte qui venait de s'ouvrir, elle s'encouragea à prendre la parole la première, un faible sourire poli aux lèvres destiné à la domestique. Sa voix était calme et assurée.<o></o>

Veuillez informer vos maîtres que nous sommes mandatés par le Lumenien Libéré et que nous sollicitons leur bienveillance pour qu'il nous accorde une entrevue.

La servante croisa les bras et jeta un œil dédaigneux vers Taliesin, par-dessus l'épaule d'Arya. Elle ne semblait pas prête à laisser rentrer n'importe qui chez elle.
« Le Luménien Libéré ? Hum… Mais quel maître désirez-vous voir ? Il y en a au moins trois à demeure et tous ne sont pas là. » s’exclama-t-elle. « Vous aviez pris rendez-vous ? »

Heureusement, qu'ils connaissaient le prénom du père d'Albérich, cela ne leur ouvrirait pas directement la porte, mais leur offrait pour l'instant de ne pas la recevoir sur le nez. Surtout, il fallait espérer qu'au moins l'un des deux parents seraient là, sinon il était certain qu'ils n'auraient plus qu'à rebrousser chemin au vu de l'air acariâtre de la domestique à l'allure bien semblable à celle d'une geôlière. Arya ne prit nullement ombrage et rien ne changea dans son comportement calme et assuré.

Nous souhaiterions rencontrer Sieur Siegfried Megrall ou sa Dame. Non, nous n'avons pas eu le temps de prendre rendez-vous, ce que nous regrettons vivement, mais nous espérons que malgré cela, nous aurons la possibilité de nous entretenir avec eux.

La domestique se mit à rire, un gloussement sonore qui sembla ne pas vouloir s’arrêter, puis se termina soudain en un ricanement peu amène.
« Toujours bien informés les journaleux, je vois. » fit-elle avec mépris. « Dame Megrall est morte y’a plus d’vingt ans ! Si vous voulez lui parler, va falloir vous rend’ au cimetière. »
Elle rit à nouveau.
« Qu’est-ce qu’vous croyez d’aut’ ? Qu’ils vendent des navets ? Qu’ce sont des magiciens, ou quoi ? » railla-t-elle.
Puis elle redevint brusquement sérieuse.
« Qu’est-ce qu’vous lui voulez, au maître ? Il va pas accepter d’vous r’cevoir comme ça, sans en savoir plus. Surtout si vous avez pas rendez-vous et qu'vous savez à peine à qui vous v'nez parler. »

Face au manque total de renseignements dont ils faisaient preuve, Arya eut aussi envie d’éclater de rire, mais elle se retint, ne laissant quasi rien voir de son amusement, car si elle fut vraiment la journaliste dont elle se targuait être, elle aurait été profondément gênée de se voir ainsi apostrophée, mais le barde et elle ne l’était pas et elle continua comme si rien n’était sans oser regarder Taliesin car si comme elle, la situation l’amusait, ce qui lui semblait peu probable, mais sécurité obligeant, elle craignait qu’un fou-rire ne la prenne et qu’ils se voient renvoyés comme de vulgaire malfrats. Mais en refoulant ses sentiments profonds, un sourire un peu contrit se fit qui se mariait à merveille avec la situation actuelle.
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Vous nous voyez profondément désolés pour ce manquement. Que son âme repose en paix. Nous avons pour mission d’écrire un article sur un de leurs fils, Et hormis les données officielles qui se ressemblent toutes et si cela devait être révélé, nos sources actuelles sont bien éloignées de la réalité au vu de cette triste nouvelle que vous nous apportez. Vous comprendrez qu’il nous serait agréable d’avoir quelques souvenirs d’enfance ou d’adolescence, ainsi que, si cela convenait à Sieur Megrall bien évidemment, de pouvoir relater leur relation actuelle. Ecrire ce que tout un chacun connaît n’est pas intéressant, nous aimons apporter à nos articles ce petit rien qui en fait un chef d’œuvre, qui démontre que les journaleux ne savent pas tout, mais qu’ils sont capables de bien des prouesses pour apporter à tous une réalité teintée de tous les tons de l’arc-en-ciel.

Puis la magicienne se mit en retrait ne sachant si son congénère souhaitait ajouter quelques mots bien placés pour convaincre le sieur Megrall de leur confier quelques secrets.

La domestique les dévisagea, suspicieuse.
« J’espère que c’est pas à propos du cadet, parce que ça va pas le faire rire. Et à l’âge qu’il a, j’ai pas besoin que deux rigolos qui gagnent leur vie à écrire des âneries aillent lui donner une attaque… » grommela-t-elle. « Mais c’est pas moi qui décide. Bougez pas. »
Elle leur referma la porte au nez et s’éloigna d’un pas sonore dans son corridor carrelé. Dans la rue, la pluie se mit subitement à tomber, un petit crachin humide et glacé, presque de la neige, et les deux elfes profitèrent du refuge qu’offrait le porche. Il faisait de plus en plus froid et la vapeur de leurs respirations s’envolait en volutes dans l’air frais. La porte se rouvrit.
« Il veut bien vous voir. Mais je vous surveille. Je parie que c’est encore pour Albérich. S’il s’énerve trop, je vous fiche dehors. » fit la servante, avant de faire volte-face et de les laisser la suivre. « Et fermez cette porte quand vous êtes passés ! »
Elle les mena le long du couloir hérissé d’armes (des pièces exceptionnelles, toutes en excellent état), jusqu’à une porte en bois patiné, qu’elle ouvrit sans s’annoncer.
« Voilà les gratte-papiers, sire. »
« Merci, Armande, vous pouvez disposer. »
La domestique s’inclina, jeta un regard mauvais aux deux elfes, leur indiquant qu’elle serait embusquée non loin, puis sortit, les laissant seuls face au maître de maison, un vieillard à la longue barbe blanche, engoncé dans son fauteuil. Il avait dû être grand mais n’était plus qu’une silhouette voûtée, assise derrière un grand bureau. Il portait une tenue gris sombre, de bonne facture, qui trahissait une certaine prospérité, et darda des yeux clairs sur les elfes.
« Qu’est-ce que vous voulez ? » grogna-t-il.

[HPR : Taliesin, comme je ne savais pas si tu attendais que j'intervienne ou pas, je me lance.]

Arya ne savait si c’était le crachin glacé qui la faisait frissonner ou cette demeure dans laquelle elle ressentait les particules invisibles de méfiance, malveillance et animosité. Mais elle se raccrochait à ce rôle qui finalement l’amusait et elle s’avança vers le père d’Albérich avenante et souriante, sans pour autant paraître trop sur d’elle et, sans être affable, s’inclina avec respect lorsqu’elle fut près de lui. La magicienne savait qu’ils marchaient sur un terrain fragile qui risquait au moindre mot malheureux de s’effondrer et réduire à néant cette mince possibilité de découvrire une piste si les Megrall étaient liés à l’enlèvement du conseiller et craignant que son compagnon s’en aille trop vite au but prit la liberté d’entamer la conversation.
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Bonjour Sieur Megrall, nous vous sommes très reconnaissants de nous accordez un peu de votre temps. Nous ne voulons pas vous importuner, mais notre conscience nous pousse à offrir à nos lecteurs des articles de qualité où la véracité des faits est maître mot et nous ne doutons pas que vous êtes le seul à pouvoir nous aider. Arya offrit au vieil homme acariâtre un sourire de compassion. Nous ne doutons pas que cela pourrait être pour vous source de colère et de contrariétés et soyez assuré que cela nous afflige, mais la vérité doit être écrite pour que chacun puisse juger avec un libre arbitre. Puis, emprunt son visage du regret de devoir parler de ce fils qui ne correspondait pas aux attentes qu’un père pouvait avoir. Vous avez certainement compris que nous sommes venus pour découvrir qui est vraiment Albérich car ce que nous avons, ce ne sont que des écrits officiels, bien pensés.

Siegfried Megrall resta silencieux quelques secondes, jaugeant ses interlocuteurs, puis prit une profonde inspiration.
« Albérich est un petit imbécile prétentieux, chose que n’importe qui d’un peu subtil pourrait déduire rapidement en l’observant ne fût-ce qu’une demi-heure. » fit-il. « Je ne sais pas comment les Lathandrites ont intrigué pour placer un incapable de sa carrure à un poste aussi élevé, mais c’est en laissant ce culte moribond garder un rôle actif dans la vie luménienne que l’on fragilise la cité, je vous le dis ! On peut dire le mal que l’on veut de Morféa Nwalk, mais au moins, il savait tenir une ville ! Il aurait nettoyé ces taudis répugnants qui font la honte de Luménis ! Il nous aurait rendu un lustre, une réputation, on nous aurait craints sur Hélonna et ailleurs ! Même les prétentieux culs ferrés de Manost auraient appris à respecter Luménis ! »
Il toussa dans son poing.
« Mais non, on a choisi la stupide voie de la mollesse ! La voie de Lathandre l’imbécile heureux ! Qui promet n’importe quoi et n’y comprend rien ! Des bons à rien, tous autant qu’ils sont. Chanter des âneries sous le soleil levant. N’importe quoi ! Comme si ça allait nous apporter prospérité et sécurité ! Et Albérich est comme les autres ! Qu’un gosse aussi pathétique, aussi… faible, puisse devenir conseiller dans notre cité, c’est la preuve de la tare luménienne ! La preuve que nous sommes, à terme, condamnés à disparaître. »
Il secoua la tête et se mit à grommeler dans sa barbe, puis son regard reprit un éclat fiévreux.
« Nous traitons Luménis comme si elle était éternelle. Mais c’est une ville qui n’a même pas un siècle. Nous allons nous retrouver avec des cendres, je vous le dis. Mettez ça dans votre journal. »

Une sourde colère qu’elle maîtrisa parfaitement naquit à la débauche de haine qu’elle ressentait chez ce père dont le mépris pour Albérich l’enveloppait à le rendre hideux. Pourtant Arya ne quitta pas son rôle de journaliste. Elle avait hoché la tête aux dires de Siegfried comme si ce fut une approbation, un sentiment profond qu’elle avait et qui prenait forme par les mots du vieil homme. Elle prit tout son courage pour poser une main pleine de compassion sur le bras de ce père haineux comme si elle fut une enfant écoutant les conseils d’un aîné et suivant le chemin tout tracé qu’il lui imposait parce qu’il ne pouvait qu’être celui de la vérité. Dans son regard pouvait se lire un semblant de crainte à la perspective de voir Lumenis devenir ville morte et dans sa voix se ressentait qu’elle était prête à faire n’importe quoi pour que ce fait qui semblait inéluctable ne se produise pas.
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Je vous crois Sieur Megrall même si jamais je n’avais imaginer que nous étions si mal gouvernés et les citoyens doivent en être informés. Nous avions raison de penser que tout ne pouvait pas être que lumière et allégresse. Vos mots me font craindre que nous soyons déjà à la porte d’une telle catastrophe, avez-vous entendu des âmes sombres vouloir nous réduire à néant.

Siegfried Megrall dégagea son bras de sous la poigne d’Arya et lui jeta un regard sévère. Apparemment, le geste était un peu trop familier pour plaire au patriarche de la famille.
« Des âmes noires ? Elles doivent pulluler, petite dame. Pulluler. Et nous ne pourrons rien leur opposer ! Rien ! A moins que nous n’ayons la force d’éliminer le maillon faible de notre organisation sociale. La religion lathandrite ne sert à rien. Lathandre ne s’est jamais soucié de Luménis, il l’a laissée aux mains de mégalomanes, de fornicateurs, de morts-vivants, même, lui qui est soi-disant à la pointe du combat contre ces forces obscures ! Non, l’espoir pour Luménis, c’est de bouter ce dieu pathétique hors de nos murs, avec tous ses servants ridicules et oisifs, qui s’engraissent sur les contributions de fidèles crédules… Il y a des gens autrement plus capables au fort, qui comprennent l’importance de la défense, le rôle de l’armée, qui pourraient constituer de véritables remparts entre la ville et l’adversité… Mais non, on a choisi de confier des responsabilités cruciales à un gamin stupide. Je le connais ! Je le connais mieux que quiconque ! Je sais qu’il n’a rien dans le ventre ! Un gosse pleurnichard, juste bon à aller geindre dans les jupes de sa mère ! Et c’est ça qui doit garantir notre sécurité ? Je vous le dis, il commettra ses premières erreurs avant un an. C’est fatal. »

Arya ne fut pas offusquée du geste de Siegfried Megrall, elle savait prendre un risque, mais la brusquerie du geste la mis dans la réalité et les dires qui suivirent firent monter en elle la sourde colère qui y était née, maintenant que sa dernière phrase prononcée lui eut confirmer qu’il ne savait rien du complot en cours, de plus en plus de peine à réfréner. Elle serra les dents, mais ne put empêcher ses lèvres de bouger, de débuter une incantation pour anéantir avec ses propres armes qu’il exposait comme des trophées cet être immonde qui lui faisait face.<o>

</o> Une vision vint interrompre cet acte qui était contraire à sa personnalité, contraire à son éducation. Elle n’était alors encore qu’une jeune enfant au caractère bien trempé et, même si la raison de la colère qui l’habitait ne ressortait pas, elle sentait chez cette enfant qu’elle fut une rage aussi violente que celle qu’elle portait au vieil homme. Un visage familier naquit, elle le connaissait, elle le respectait, une voix retentit raisonnant douce et impérieuse dans son esprit.

Non Arya, tu ne peux rien changer ainsi ...

Ce fut tout, mais suffisant pour lui rendre la raison et la ramener à meilleures pensées. Elle sourit à Taliesin pour l'engager à prendre enfin la parole. De ces fugaces instants, les deux hommes ne purent pas percevoir les sentiments qui l'avaient habités, tant tous les changements dans son apparence furent infimes, ils ne pouvaient que penser qu'elle fut blessée que son geste de compassion fut ainsi rejeté et ainsi expliquer la raison de son silence.<o>
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Taliesin comprit qu'Arya était en colère. Pas besoin de signes pour cela : de toute façon, la magicienne n'en offrait guère, tant elle parvenait à se maîtriser. Mais il se doutait que les paroles du vieil homme ne lui plaisaient pas. Pas du tout.
Pour sa part, elles le laissaient de marbre. Tout juste entraient-elles en résonance avec certaines des hypothèses échafaudées lors de leur réunion, le matin même, dans la petite maison qui leur servait de repère. Le complot pouvait viser avant tout le culte de Lathandre... Des gens pouvaient bénéficier de sa chute. Comme ces personnes du Fort que Megrall avait brièvement évoqué... Mais tout ça n'était pour l'heure que discours haineux sans fondements, rancœur personnelle mais sans doute partagé par un cartain nombre de Luméniens. De vagues pistes supplémentaires parmi la myriade de celles qui s'offraient à eux. Rien de solide. Pas même cette dernière phrase sur les erreurs à venir d'Albérich : Taliesin soupçonnait Megrall d'être plus malin qu'il n'en avait l'air. C'était exactement le genre de chose qu'un coupable pourrait sciemment dire, histoire de s'innocenter mine de rien.
-Merci pour votre franchise, messire. Par les temps qui courrent, rares sont ceux à oser aller ouvertement à l'encontre de l'opinion officielle, autorisée. Pourtant, des mécontents, il y en a, mais peu ont les tripes nécessaires pour l'afficher. Nous l'avons expérimenté : concernant votre fils, ce ne sont que louanges dithyrambiques. Pourtant, je le connais, Albérich. J'ai eu l'occasion de le croiser à plusieurs reprises. Et il n'était pas si brillant qu'on le clame ! Je comprends donc fort bien votre opinion, et je ne suis pas sans la partager... Comptez sur moi pour m'en faire l'écho dans notre article. Nous avons encore, mais qui sait pour combien de temps, la liberté d'afficher nos opinions... Sur Albérich, sur le culte de Lathandre, sur Luménis. Le souci est que critiquer s'avère simple : proposer d'autres solutions plus ardu... Si le culte venait à sombrer, par la faute de son chef incapable, qui pourrait suppléer à ses fonctions ?

Les paroles de Taliesin firent sourire le vieux marchand.
« Ne craignez pas pour votre liberté de parole ! Lathandre est bien trop mou pour s’offusquer de vos insultes ! Il sait qu’il y a du bon en vous, que vous changerez d’avis, que vous trouverez la lumière… Pourquoi vous ferait-il taire ? »
Il s’esclaffa avec mépris.
« Quelles fonctions le culte a-t-il, en vérité ? Luménis n’a pas besoin de s’appuyer sur une religion, nous ne sommes pas en théocratie, par les Enfers ! Si les clercs veulent louer leur dieu, c’est leur problème, les citoyens n’ont pas à faire les frais de leur foutue spiritualité ! Surtout d’une spiritualité aussi mièvre et naïve. Comme je vous l’ai dit, il y a cent hommes plus capables d’assumer un poste de conseiller que n’importe lequel de ces couards en robe, dans l’enceinte du Fort ! Nos ennemis n’ont rien à faire des bons sentiments lathandrites à la noix ; ce culte en l’essence, même, est ce qui nous ronge. Il nous faut un militaire rompu aux affaires d’état, comme le général Maelwedd, par exemple. Quelqu’un qui comprend les enjeux, et qui sait, parfois, qu’il faut faire fi des principes. Quelqu’un qui peut nous protéger. Pas des guignols qui font des feux d’artifice en chantant des hymnes béats. »

Arya sourit intérieurement, le barde avait l’art de manier la haine et la rancœur qu’elle était loin de posséder et elle ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Peut-être parce qu’il était lui même porteur de ses sentiments, probablement parce qu’il était bien meilleur comédien qu’elle et sans aucun doute du fait qu’il entrevoyait avec mon d’optimisme et plus de clairvoyance une situation pouvant apporter bien pire qu’elle ne pouvait l’imaginer. Mais naviguer dans des eaux aussi noires que celles dans lesquelles il semblait totalement à l’aise la rebutait et ne pouvant plus intervenir, car donner son opinion sur Albérich et sur son père était quasi impossible et s’était bien la seule chose qu’elle aurait pu faire. Elle porta extérieurement un regard intéressé de celle qui laisse aux hommes l’apanage d’une discussion dont ils étaient les seuls à maîtriser la réelle portée alors qu’elle se réfugiait dans ce souvenir qui réchauffait son âme.<o></o>

Elle rechercha dans son esprit cette vision fugace, ce visage familier de son passé et ce qu’elle y trouva la bouleversa, l’emplit de joie. Revint à sa mémoire cette jeune elfe contrariée qu’on put ainsi contrevenir à ce qu’elle pensait bon de faire dont le regard était sombre de colère face cet homme au regard tendre et autoritaire qui l’empêchait d’agir à sa guise.
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</o> Elle avait choisi, fait un choix enfantin, mais qui lui fit comprendre qui était celui qui venait de réapparaître dans sa mémoire, elle s’était blottie contre lui faisant mine de se soumettre, elle y avait puisé ce dont elle avait besoin, l’amour de son père …<o></o>

Le vieux Megrall n’avait évidemment rien noté du trouble d’Arya, trop ravi d’avoir trouvé un interlocuteur consentant à lecturer.
« Vous êtes naïf, voilà tout. Les ennemis, il y en a toujours. Dans notre monde, le Mal n’a pas besoin de grands plans pour agir. Il est avide d’opportunités. Il ouvre l’œil et frappe. Savez-vous combien de dieux maléfiques hantent les Enfers ? Combien de sectes leur sont dévouées ? Mais vous faites peut-être partie de ceux qui pensent qu’Hélonna n’est peuplée que d’oursons farceurs et de petits chevaux parfumés ? »
Il rit à nouveau.
« Le cœur des hommes, voilà tout. Et des elfes, et des nains. Il ne faut rien de plus. On relâche sa vigilance et c’est trop tard. »
Il secoua la tête.
« Quant à Albérich, vous le connaissez mal. Sa mère l’a pourri, l’a rendu faible, geignard, bon à rien. Un gosse qui n’aurait pas dû vivre aussi longtemps. Il ne tiendra pas le coup. Si Luménis ne tombe pas à cause de ses manquements, il craquera, simplement. Il n’a pas les épaules, pas la carrure, pas la volonté. C’est un pleutre, une petite nature. Un jour, il se réveillera dans son soleil de sucre candi et il réalisera qu’il n’est simplement pas capable d’assumer ce qu’on lui a demandé. Et comme c’est un couard sans ambition, il se retirera sans se battre. C’est une question de temps. Mais je garde l’espoir que les autorités en prennent conscience avant lui et exigent sa démission. Dame Ditazhir, Sire Longuehune, sont des êtres d’expérience, intelligents, et sans sentimentalité mal placée. J’ai confiance en eux. Ils redresseront la barre. »

Le regard de Taliesin ravit la Magicienne, il y avait longtemps qu’elle pensait que cette visite fut inutile pour leur enquête et qu'elle n'écoutait plus vraiment l'échange des deux hommes n’attendant plus que le moment de quitter cette sordide demeure. Toutefois, elle ne regrettait nullement d’être venue. La rencontre avec le patriarche aigri et teigneux lui avait offert le plus beau des cadeaux et le regard qu’elle porta sur lui était empreint de pitié plutôt que de haine, de remerciements que de jugement. Elle n’avait plus besoin de lui dire ce qu’elle pensait de lui, d’Albérich, de ce monde dans lequel il voulait vivre. Elle lui accordait ses convictions, il serait temps lorsque leur mission serait terminée de lui démontrer que la lumière de Lumenis était plus luminescente que jamais et qu’elle n’était pas prête de s’éteindre.

<!--[if !supportEmptyParas]-->Nous vous remercions Sieur Megrall de nous avoir consacré un peu de votre précieux temps, nous n’oublierons pas vos mots, soyez-en certain.
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Elle se tourna vers le Barde espérant que le temps de ses paroles n’ait pas laissé naître une nouvelle question et que celles qu’il prononcerait serait le point final de cette entrevue.

Les espoirs d'Arya furent comblés : loin d'enchaîner sur une nouvelle série de questions, Taliesin s'inclina profondément.
-Je me joins à ma collègue pour vous remercier, messire. Cet entretien fut professionnellement des plus utiles. Et d'un point de vue personnel, il fut extrêmement enrichissant. Puissent vos affaires prospérer et s'épanouir !

Le vieux Megrall se contenta de glousser, et soudain, comme une ombre, la servante refit son apparition, indiquant la sortie aux deux visiteurs d’un geste sans équivoque. Elle referma la porte sur le patriarche hilare et les conduisit jusqu’à la sortie.
« J’espère que vous ne me l’avez pas trop crevé. » grommela-t-elle, avant de claquer l’huis sur leurs talons, les abandonnant dans la rue froide, où il pleuvait toujours.

Taliesin rabattit le capuchon de son manteau et s'éloigna de la maison. Mieux valait ne pas demeurer sous les fenêtres des Megrall pour discuter.
-Alors, c'était amusant, n'est-ce pas ? glissa-t-il à Arya, l'air taquin, lorsqu'ils eurent fait quelques dizaines de mètres. Amusant, mais pas très utile, comme je l'avais dit d'emblée... Enfin soit, nous aurons au moins le mérite d'avoir fait la démarche... Voulez-vous que nous continuions à interroger le reste de la famille, ou bien avez-vous eu votre dose de Megrall pour la journée ?

Il faisait froid et humide, mais cela valait mieux que cet air empreint d'animosité qui régnait à l'intérieur. Tout comme son congénère, Arya s'emmitoufla dans sa cape et à sa boutade, elle répondit radieuse et d'un ton enjoué qui sonnait des plus vrais.

Et bien moi, je suis vraiment ravie d'être venue rendre visite à ce vieil imbécile. Alors, inutile, j'affirme le contraire, il y a toujours quelque chose de bon à tirer de ces instants que l'on voudrait ne pas avoir à confronter, même parfois de merveilleux ... Elle ne put s'empêcher de rire sachant que Taliesin de pouvait qu'ignorer la raison de ses paroles. Puis, il y eut dans sa voix l'admiration qu'elle avait ressentie à la prestation du barde. Mais je reconnais que tu as été parfait dans ton rôle, tu maitrise la fourberie avec art et manière et si je ne te faisais confiance, je me dirais que tu es un ami de ce vieux bougre et je te transformerais en crapaud sur le champ et tu l'aurais bien mérité. Elle soupira, mais parla d'un ton enjoué. Maintenant pour les fils après le père ... si tu penses que je puisse t'être d'une autre utilité que de faire les yeux doux à l'un d'entre eux pour lui faire cracher ce qu'il sait ? Tu as dû comprendre que je suis polie, que je peux flatter avec le sourire, mais jouer le jeu de ces mécréants c'est loin d'être dans mes capacités. Alors c'est comme tu le sens, je n'ai rien contre le fait de t'accompagner, mais ....

Taliesin haussa les épaules.
-Pour ce qui est d'avoir joué ce rôle, je n'ai pas de mérite. Cela fait partie de mes attributions et, comme je te l'ai dit, j'ai malheureusement eu l'occasion d'y recourir en bien d'autres lieux qu'une scène. Quant aux fils Megrall... Honnêtement, je ne pense pas que leur parler soit d'une quelconque utilité. J'envisageais juste d'aller vérifier l'emplacement de leur entrepôt, histoire de voir si c'est près ou non du lieu de l'enlèvement, puis rentrer tranquillement chez moi. Franchement, je doute qu'ils nous révèlent quoi que ce soit. S'ils sont coupables, ils se méfieront. S'ils sont innocents, ils ne sauront rien qui puisse nous servir. Ils ne sont pas assez proches de leur frère. Alors, pour moi, on peut en rester là...

Arya ne put s’empêcher de rire, qu’il eut utilisé ce stratagème moult fois, n’enlevait rien au mérite qu’il avait d’avoir parfaitement jouer son rôle cette fois-ci. Elle lui donna une tape amicale sur l'épaule.<o></o>

Allez ! Des compliments on en reçoit pas tous les jours, alors prend un air fier et hautain et dit. Eh oui, ce n’est pas donné à tout le monde d’être le meilleur ! Elle reprit son sérieux, bien qu’elle ne se départit pas de son sourire se voyant libérée de cette promenade qui ne l'attirait pas. Si c’est juste pour vérifier, nous n’avons pas besoin d’être deux et comme les quais …. <o>

</o> Elle soupira d’aise à l’idée de pouvoir se dégourdir les jambes, profiter de ces quelques heures où l’animation serait encore présente dans Lumenis. Elle se retrouverait probablement seule dans leur repaire vu que le prêtre et le rôdeur risquaient de passer une bonne partie de la nuit dans le quartier de taudis, Taliesin à la Taverne ou chez lui, donc nul besoin de se presser. <o></o>

J’irai faire un tour en ville pour palper l’ambiance cela m’occupera un moment puisque Belenn et Kasumi ne seront pas rentrés tôt, voire tout comme toi, pas du tout, j’aurai au moins l’impression de ne pas rester les bras croisés à attendre que les événements arrivent et puis … qui peut savoir ce qui va croiser notre chemin. Fais attention tout de même …<o>

</o> Elle remis en place sa capuche qu’un coup de vent avait repoussé vers l’arrière de sa tête, elle fit un signe à Taliesin avant de prendre la direction du où elle avait l’intention de profiter, malgré le crachin et le froid, des bienfaits que lui apportait la nature. Mais, elle regrettait déjà ses derniers mots, pourtant elle avait tellement l’impression que son congénère cherchait à tout prix de l’action, qu’elle craignait que si il découvrait quelque chose où il serait préférable d’être au moins deux, il n’hésiterait pas à se lancer seul dans l’aventure. Tout en avançant, elle se rassura en se disant que sous ses airs bougons et téméraires, le barde était intelligent et n'agirait jamais à la légère.<o></o>
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