La Couronne de Cuivre

Les trois feuilles de route sont composées de la même manière. Dans la partie supérieure, une carte approximative des environs, marquée d'une croix à l'endroit où doit se trouver l'objet à chercher. Dans la partie inférieure de la carte, un dessin encore plus approximatif représente la forme de l'objet. Il y a fort à parier que la morveuse est l'auteur de ces chef d'œuvres futuristes.L'équipe des verts a une petite trotte à fournir à travers la campagne avant d'arriver à destination. Elle doit gagner une pommeraie et y identifier un arbre que la légende de la carte nomme "l'esplumoir." Le dessin ne lui attribue malheureusement pas beaucoup d'autres caractéristiques que celles que l'on attribue d'habitude à un arbre, ou pire, à un pommier: petit, penché, tordu, feuillu, avec un tronc. Au milieu de cet arbre, l'objet à rapporter : rond et blanc, les talents de la dessinatrice ne permettant pas de déterminer si ce rond est ovale ou si ce blanc est cassé de quelques traces de morve. Un œuf ?

Astrée eut un grand sourire en entendant les commentaires de leur guide au sujet de la feuille de route rose.
"Tu vois", souffla-t-elle à Victor, "finalement on a bien fait de prendre la verte. Tu as envie de te balader dans les marécages, toi?"

Elle se saisit de la feuille en question, observa attentivement le plan, et soupira.
"La bonne nouvelle ,c'est qu'on va pouvoir se faire une orgie de pommes. Mais oui, c'est bon les pommes, ajouta-t-elle à l'adresse de Victor. "bien sûr, ça ne vaut pas les bonbons et autres caramels, mais je t'assure que c'est meilleur pour tes dents. La mauvaise nouvelle, c'est qu'on a un bon bout de chemin à parcourir. On ferait bien de démarrer tout de suite. C'est par là", ajouta-t-elle en indiquant un vague sentier qui disparaissait dans la campagne.

Elle lut de nouveau le plan, se demandant ce que pouvait bien signifier "esplumoir" - sans doute une référence à des oiseaux, auquel cas l'objet pourrait être un œuf... Elle tendit la feuille au bûcheron, en évitant de croiser son regard. Elle avait repris ses esprits et se sentait un peu gênée de sa conduite de tout à l'heure... D'accord, il était beau, grand et fort, mais quand même... Elle préféra se tourner vers le jeune garçon.

"Tu crois que ça va aller, bonhomme?" demanda-t-elle, se souvenant soudain que l'enfant n'était pas au meilleur de sa forme. "Tu pourras marcher jusqu'au bout? Ou est-ce qu'il faudra qu'on te fabrique un brancard en route? A moins que l'un d'entre vous n'ait le pouvoir de nous transporter directement là-bas..."
Quelques instants auparavant, elle aurait parié que l'enfant-dieu pouvait, d'un seul mot, accomplir pareil miracle. Mais après la scène dont elle avait été témoin, elle commençait à douter de l'étendue de ses pouvoirs divins...

-Si on avait tiré la plage, j'aurais pu tenter un truc pour qu'on puisse marcher sur l'eau... fit Victor, machinalement. Puis il s'interrompit, écarquilla les yeux, comme s'il était surpris par ce qu'il venait de dire, et finit par bafouiller, confus : Heu, je voulais dire, moi, j's'ais pas faire des trucs comme téléportation où quoi. J'suis qu'un petit garçon. Mais Talie, peut-être...
Il se tourna vers l'elfe, qui paraissait perdu dans ses pensées.
-Talie ?Pas de réponse.
-Talie !!! lança le môme, plus fort cette fois. L'elfe sursauta.
-Hein ? Quoi ? Pardon ?
-La dame demande si l'un de nous à un moyen de nous téléporter au verger.
-La dame ? Le ver... Ah, oui... Heu... Non? Pas de téléportation, désolé.
Lorsqu'il avait pris la feuille de route, quelques instants plus tôt, sa main avait frôlé celle d'Astrée. Il s'était senti rougir, sa gorge s'était brusquement asséchée et, le coeur battant,
il s'était détourné, reportant son attention sur le paysage. Depuis, il était un peu sur la Lune, un peu rêveur, un peu ému... Sans trop savoir pourquoi...
-Bon, ben je marcherai ! reprit Victor, le ton décidé, l'air rassurant. M'a pas tapé fort, le grand-père. J'ai même pas eu mal !
Et de se mettre en route d'un pas décidé... quoiqu'un peu boitillant, au début.
-Allez, venez, faut qu'on se dépêche ! lança-t-il par dessus son épaule en constatant que les deux autres l'observaient plutôt que de le suivre.
Ainsi commença le périple de l'équipe des verts. Autour d'eux, la campagne automnale déployait tous ses fastes : les blés mûrs et dorés bruissaient doucement sous la caresse d'une brise tiède ; les insectes butinaient, joyeux, les fleurs tardives qui s'épanouissaient au milieu des talus herbeux ; dans le feuillage encore épais des arbres, les oiseaux rivalisaient de trilles cristallines. Et, au dessus de leurs têtes, un chaud soleil brillait au milieu d'un ciel d'azur dont il avait chassé jusqu'au dernier nuage.
Pour un peu, Taliesin se serait cru au paradis.
Mais peut-être était-ce à cause de cette émotion étrange et diffuse qu'il sentait battre en lui...

L'autruche. Astrée avait décidé d'appliquer la politique de l'autruche.

Depuis ce malheureux instant où elle avait laissé son regard refléter ses sentiments, petit moment d'égarement où le bûcheron lui était apparu comme l'homme le plus désirable au monde, elle s'arrangeait pour ne plus rien voir. Ne plus croiser son regard. Ne plus le voir. C'était le meilleur moyen de ne surtout jamais savoir si son compagnon de route avait été sensible à la magie de l'instant. De ne surtout pas savoir s'il la regardait, et encore moins si elle lui plaisait. Ça lui permettait en prime d'échapper au charme indécent de l'elfe, et donc de garder la pleine maitrise d'elle-même.
Elle avançait d'un pas décidé. Après tout, ils étaient sensés gagner une course d'orientation, et pas jouer à s'échanger des regards. Il fallait rester sérieux!

Elle ne vit donc pas le regard rêveur de l'elfe, ni son trouble, ni le sourire béat qui s'affichait sur son visage. Rien de tout ça. Elle se concentrait sur le chemin à suivre, sur Victor qui s'impatientait, sur la nature autour d'elle, magnifique, envoutante, illuminée par le soleil. Normal puisque le môme était sans doute l'incarnation de Lathandre, ou peut-être son fils caché. Il suffisait d'un sourire du gosse pour que tout soit illuminé. C'est donc à lui qu'elle devait cette sensation de bien-être qui l'envahissait. Uniquement à lui. Et à rien d'autre.

"On arrive" cria-t-elle à Victor. Ils accélérèrent le pas pour le rattraper. Et cheminèrent désormais côte à côte, le jeune garçon à quelques pas devant eux.

"Heu... Tu me rendras la carte dans quelques centaines de mètres? " demanda-t-elle d'une voix un peu étouffée à son compagnon. "Il va falloir bifurquer à un moment, je ne voudrais pas qu'on loupe l'endroit."
Elle ne leva pas le regard vers lui. Surtout pas. Trop risqué. Elle n'avait même pas réalisé qu'elle venait de le tutoyer. Et puis après tout, ils étaient sensés être coéquipiers, donc c'était normal!
Et ils continuèrent à avancer.

Taliesin sursauta, tenta de répondre, mais dut se racler la gorge avant de pouvoir en tirer le moindre son.
-La... La carte ? Oh, oui, bien sûr... Un instant...
Mais où diable l'avait-il rangée ? Perdu dans ses pensées, il ne lui avait accordé qu'un bref regard avant de l'oublier définitivement. Qu'en avait-il fait, depuis ? Elle n'était pas dans cette poche...
-Je vous... te... je... Elle doit être là...
Et non, pas là non plus. Il avait dû la laisser tomber sur le chemin. C'était la seule explication Peut-être lorsqu'il avait vu ce papillon multicolore folâtrer près de ces fleurs... Ou quand ce groupe d'oies sauvages avait traversé le ciel d'azur, accompagné par un jar blanc qu'il avait d'emblée eu envie d'appeler martin... Où alors durant l'instant fugace où il lui avait semblé apercevoir une troupe de petits êtres bleus minuscules faire une farandole autour d'un joli champignon... Bref : il ne se souvenait pas du moment, mais il avait dû perdre cette foutue carte. Et avec elle la course.
Le désespoir l'envahit, et c'était comme si le soleil avait brusquement disparu. Il avait tout gâché, une fois encore. Victor le détesterait, Astrée le mépriserait... Il ne lui restait plus qu'à s'enfuir loin, très loin, hors de vue des hommes et des dieux...
Mais d'abord, avouer son crime. Il le devait.
-Je crains que... commença-t-il, la mort dans l'âme, au bord des larmes.
Il s'interrompit; Baissa les yeux.
Elle était dans sa main !
Bons dieux, la carte était juste dans sa main !
Rien n'était perdu, rien de rien ! Il n'avait pas tout gâché ! Le monde était merveilleux !
-La voici, youpi ! fit-il en fourrant ledit document dans la main de la rôdeuse.
Puis, ne pouvant contenir davantage l'immense bonheur qui l'habitait, il esquissa quelques pas de danse sur le chemin.

Astrée n'avait rien remarqué. Aveugle.
- Merci, dit-elle d'un ton distrait.

Était-ce un aveuglement volontaire, ou était-il dû à la présence de l'enfant-dieu qui illuminait la route devant elle, nul n'aurait pu le dire. Toujours est-il qu'elle ne s'aperçut pas des états d'âme de l'elfe, et ne le vit pas se mettre à danser au milieu de chemin...
Ses yeux fixés sur Victor, comme ceux d'un marin sur un phare au milieu de la nuit, elle avançait au rythme de l'enfant, ralentissant quand il ralentissait, accélérant quand il accélérait...
Si quelqu'un s'était approché assez près pour l'entendre, il se serait aperçu qu'elle fredonnait à mi-voix un air venu d'on ne sait où.
- Enfant du Soleil, tu parcours la Terre le Ciel, cherche ton chemin, suis ta vie c'est ton destin...

Bref, toute personne, MJ ou non, observant la scène, voyant la rôdeuse chanter des paroles sans queue ni tête, et le bûcheron danser avec un sourire béat, aurait rapidement compris qu'il n'y avait plus qu'une seule personne douée de raison dans cette équipe : le petit Victor. Qui, heureusement pour lui, avançait fièrement en tête du cortège sans se rendre compte de l'état de folie avancé des deux adultes qui l'accompagnaient.

Astrée reprit quelques instants ses esprits en arrivant à l'embranchement, se rappelant ses devoirs de guide.
- C'est à gauche, lança-t-elle. Et ensuite toujours tout droit jusqu'au verger.
Le jeune garçon suivit ses indications sans se retourner. Et Astrée, calquant son pas sur celui de Victor, se replongea dans la contemplation béate de l'enfant-fils-du-soleil.

Le verger, donc. Difficile de le rater : un alignement à l'infini de petits pommiers rabougris, espacés à distance égale les uns des autres, porteurs de pommes pas tout à fait mûres à cette époque de l'année, du reste dissimulées par l'abondance des feuillages. Il n'allait pas être très facile de trouver leur arbre dans ce fouillis, surtout qu'il y avait toute chance qu'il oublie de répondre présent. Le dessin qui le représentait sur la carte indiquait une branche quasi horizontale, le reste était trop vague pour servir à quoi que ce soit, et le nom qui y était associé semblait l'indication la plus sûre. ça n'avait pas grand sens. Peut-être un grand condor allait-il venir les aider, les porter sur ses ailes d'or, etc ? Le soleil était un peu voilé, cela dit.

Victor lorgna d'un air perplexe l'immense verger. Machinalement, il avait glissé la main dans le col de sa chemise et en avait tiré un petit pendentif en or qu'il faisait à présent tourner entre ses doigts.
-C'est grand, fit-il simplement.
-Et il y a beaucoup d'arbres, constata Taliesin en s'arrêtant à côté de lui.
-Et ils ont beaucoup de branches.
-Et beaucoup de feuilles, aussi.
-Oui... Alors, comment on va faire pour retrouver l'œuf, si c'est bien un œuf ?
-On peut vérifier les arbres un à un. Avec un peu de chance, on trouvera vite le bon.
-Mais on risque de confondre, d'en oublier, de se perdre !
-Je peux les couper au fur et à mesure ! répondit le bûcheron en brandissant fièrement sa hache.
-Mais Talie ! Les elfes ils sont pas censés aimer les arbres ? protesta le môme, scandalisé.
-Heu.. Si. Oublie ce que j'ai dit. Par contre, je n'ai pas d'autre idée.
Dans un même mouvement, Victor et lui se tournèrent vers Astrée.
-Madame ? demanda le petit garçon, le regard plein d'espoir. Vous avez une idée, vous ? Vous êtes une rôdeuse, non ? Comme ma maman ? Alors... Alors peut-être que vous pouvez parler aux animaux, pour qu'ils nous aident ? Ou aux arbres ? Aux cailloux ?

Oooh. L'enfant du Soleil lui adressait une requête. Elle se devait d'y accéder, de mettre tous ses talents de rôdeuse à son service.
- Je vais essayer, lui promit-elle. Enfin... Les arbres et les cailloux, c'est pas trop mon domaine, tu sais. Manquent un peu de vie, de mouvement. Mais peut-être y a-t-il des oiseaux, des rats fruitiers, ou même des insectes qui pourraient nous aider. Ou peut-être un condor...

Elle ignorait pourquoi cette idée lui avait subitement traversé l'esprit. Un condor? Et pourquoi pas un oiseau d'or pendant qu'elle y était? Et pourquoi l'œuf ne serait-il pas en or aussi? Oui, c'était peut-être un œuf d'or. Fabriqué par une lointaine civilisation. La morveuse l'avait laissé blanc car elle n'avait pas la couleur appropriée, voilà tout. Peut-être qu'ils allaient trouver un piaf quelconque pondant des œufs d'or ? Même la nature semblait nimbée d'un rayon de soleil doré.

Mais assez de divagations. Obéissant au vœu de l'enfant-soleil, Astrée fit le vide dans sa tête, puis se concentra sur ce qui l'entourait. Pas sur les arbres du vergers, ni sur les cailloux - rares -, mais sur les oiseaux. Après tout, la légende parlait d'"esplumoir". C'est donc auprès de la gent ailée du verger qu'il leur fallait trouver de l'aide.
Elle laissa son esprit vagabonder parmi les arbres du verger, à la recherche d'un oiseau ayant aperçu un œuf - ou quelque chose d'approchant, sur une branche horizontale d'un arbre.
Étant donné que beaucoup d'oiseaux font des nids dans lequel ils pondent des œufs, la recherche risquait de s'avérer difficile...
Si ça ne marchait pas - ce qui était probable- il serait temps de réfléchir au sens du mot esplumoir.

Taliesin, pour ne pas déranger la concentration d'Astrée, alla s'assoir à quelques pas, au pied d'un arbre. La pipe à la bouche, il s'efforçait de contempler le paysage, mais son regard, quoi qu'il fit pour l'en détourner, revenait sans cesse à la jeune femme. Et à chaque fois, il se retrouvait la gorge sèche, le cœur battant. Il fallait espérer qu'elle n'avait rien remarqué...
Quoi qu'il en soit, l'ele était si occupé à se contrôler qu'il ne prêtait plus guère d'attention à Victor. Lequel, lassé d'attendre sans rien faire, s'était lancé dans l'ascension d'un pommier. Une fois parvenu sur la plus haute branche - dangereusement fine - il avait bourré ses poches de pommes. Pour l'heure, il faisait sauter un fruit dans sa main droite, hésitant visiblement entre s'en régaler et s'en servir de projectile contre le bûcheron.

Les oiseaux volaient. Voletaient de branche en branche, d'arbre en arbre, même, précisons : de pommier en pommier. Becquetaient les pommes encore vertes, en dépit des filets, voleurs, nuisibles, tuez-les tous. Les filets les empêchaient cependant de s'installer à l'aise dans les branchages, et Astrée ne tarda pas à constater que leurs nids se trouvaient un peu plus à l'écart des cultivateurs, dans des arbres à proximité du verger.

Les oiseaux indiquèrent donc à la rôdeuse que non, il n'y avait pas de nids dans les pommiers, trop dangereux, vous pensez. En revanche, certains arbres se distinguaient des autres par les plantes parasites qui avaient réussi à s'installer dessus, et auraient volontiers mérité le surnom d'esplumoir, parce qu'on y perdait ses plumes. Ce pommier au coin, que le propriétaire n'élaguait plus, par exemple, et qui finissait sa carrière complètement rongé par le lierre. Cet autre si vieux qu'on le laissait se faire manger par le gui, même plus bon à donner des pommes à cidre. Avaient-ils des branches horizontales ? Oui, plus ou moins, les oiseaux ne sont pas géomètres...

Echoué. Elle avait échoué. Ou presque...
Pas d'œuf dans ces arbres. Tout juste quelques indications sur des arbres que les oiseaux auraient qualifié d'esplumoir... Mais lequel choisir?

Comment annoncer qu'elle ne savait pas où était l'œuf ? Comment supporter le regard de l’enfant-dieu lorsqu’elle avouerait son incompétence ? Oserait-elle seulement lever les yeux vers lui? Incapable de lutter contre le désespoir qui l’envahissait, Astrée s’assit sur le sol, la tête dans les mains. Jamais il ne lui pardonnerait…

Non, elle ne pouvait pas en rester là. Ce n'était pas un échec complet, après tout. Elle avait quelques semblants de début de piste. Oui. Elle commencerait par aller voir le pommier du coin, dévoré par le lierre. On ne sait jamais. Et ensuite elle chercherait la position de tous les autres arbres similaires. Les oiseaux l'aideraient peut-être encore.

Elle se redressa, décidée à agir.

Et Victor dans tout ça, me direz-vous ?
Et bien, pendant ce temps, au sommet de son pommier, Victor avait finalement choisi de déguster la pomme qu’il tenait dans ses mains. Pensif, il regardait Taliesin, qui vraiment ne semblait pas dans son assiette. Etait-il endormi ? Déprimé ?
Il prit une deuxième pomme, et fit la grimace : véreuse. Dans une tentative désespérée pour ramener son tuteur à la réalité, il la lança subitement, droit sur la tête du bûcheron.

Hélas… Astrée se redressait juste à ce moment, et sa tempe se trouva juste sur le passage de ladite pomme qui la frappa de plein fouet.
Sans un mot, sans avoir le temps de comprendre pourquoi l’enfant-dieu s’en prenait subitement à elle, alors qu’elle n’avait même pas encore avoué son demi-échec – l’avait-il deviné ? -, bref, sans la moindre réaction, elle s’écroula au sol. Inanimée.

Edit : HRP : tu m'en veux pas trop d'avoir fait agir Victor?

Un malheur. Un drame. Un tremblement de terre. Une fracture dans le multivers.
Taliesin sut que quelque chose d'affreux venait de se produire avant même de relever la tête. Et quand il vit, quand il comprit l'inéluctable, il crut que le monde allait s'effondrer.
Il ne s'effondra pas, pourtant. Tout au plus les feuilles des pommiers s'agitèrent-elles faiblement dans la chaude brise qui caressait la campagne. Mais ça n'avait aucune importance : le monde intérieur du barde avait été englouti dans un maelström de désespoir.
Il avait vu la pomme. Il avait vu Victor pétrifié dans son arbre. Il avait vu Astrée gisant au sol. Morte. Elle ne pouvait être que morte. Il en était persuadé.
Comment aurait-il pu en douter ? Il apportait le malheur aux gens qui l'approchaient. Il semait mort, chaos, destruction. Il était la huitième plaie de Toril, le Mal Incarné, l'Antéchrist, Damien la Malédiction. Peu importait que ce fut son presque-fils qui eut jeté le fruit mortel : s'il n'avait pas été là, le projectile du gamin aurait manqué sa cible. Serait tombé au sol, aurait pourri, et de ses pépins serait né le plus beau pommier du monde. Mais non : il avait été là, et son influence destructrice avait provoqué l'abomination. Le môme n'y était pour rien. Tout était de sa faute. De sa faute, encore, toujours. A jamais.
Un gémissement pitoyable fusa de ses lèvres serrées.
Qui serait la prochaine victime ? Victor ? Il devrait peut-être le tuer pour lui éviter un affreux trépas. Lui donner un coup de hache précis, définitif. Lui apporter la paix.
Mais non : ça serait un crime odieux. Si quelqu'un devait mourir, c'était bien lui. Il allait courir dans le verger, trouver l'arbre avec les branches les plus solides, et s'y pendre. Il n'avait pas de corde ? Peu importe ! Il en tisserait une avec ses cheveux. Et avec ses poils de barbe, au besoin ! Et à l'instant de son trépas, les Anges descendraient du ciel et entonneraient des cantiques pour fêter le trépas de la Calamité. La famine disparaîtrait. La mort, aussi. Tous les personnages d'alignement mauvais deviendraient gentil. Le trou dans la couche d'ozone se comblerait.
Oui, il agirait ainsi, et le monde deviendrait un paradis. Mais auparavant... Auparavant, il devait offrir une sépulture à Astrée. Un mausolée. Une pyramide. Un tombeau digne de ce qu'elle avait été. Une maigre compensation pour son propre crime.
Avec rage, il bondit sur ses pieds, saisit sa hache et, s'en servant comme d'une pelle, commença à ouvrir la terre. Une gigantesque fosse il creuserait. Puis, au dessus, il dresserait un menhir. Un dolmen. Un tumulus comme le monde n'en avait jamais connu. Un palais mortuaire pour la malheureuse rôdeuse qui avait croisé son chemin.
Quant à Victor, penaud, il avait fini par oser dégringoler de son arbre et s'était approché du corps d'Astrée. Lorsqu'il constata qu'elle respirait encore, il voulut prévenir Taliesin : mais celui-ci ne l'entendit pas.
Au bout de cent quatre-vingt-dix-sept appels sans résultats, le petit garçon haussa les épaules et s'assit près de la jeune femme, attendant qu'elle reprenne conscience. Il ne savait pas quelle mouche avait piqué son tuteur. Peut-être avait-il découvert où était l'œuf ? Peut-être avait-il vu un gros X sur le sol, indiquant l'emplacement d'un fabuleux trésor ? Senti une odeur de pétrole ? Pété un plomb ? Il n'en savait rien, rien du tout. Mais il préférait ne pas déranger le barde. Vu son état, il pouvait le confondre avec une motte de terre et...

1490… 1491…. 1492.
1492 pelletées de terre. A raison d’une pelleté toutes les trois secondes – le désespoir ayant donné au bûcheron une énergie surnaturelle, bien au-delà de ses performances habituelles. Cela faisait… 4476 secondes. Soit 1h, 14 min et 36 secondes. C’est le temps qu’il fallut au barde-bûcheron pour achever son œuvre.
Enfin, la moitié de son œuvre, puisqu’il lui restait à construire un immense mausolée. Il avait fait le plus facile, en somme. Creusé un énorme trou. Gigantesque. Il avait sans doute surestimé la stature d’Astrée : le trou pouvait en effet largement contenir dix personnes…

Astrée était toujours inconsciente. Ou peut-être simplement endormie, rattrapant les quelques nuits sans sommeil de son voyage récent jusqu’à Luménis. Mais cela, le barde ne pouvait pas le savoir. En tout cas, elle respirait.
Et Victor, me direz-vous ? Et bien, épuisé par la longue marche et sa récente escalade du pommier, complètement désorienté par l’attitude de son tuteur, il avait finit par s’endormir dans les bras d'Astrée, sa tête reposant délicatement sur son épaule, ses cheveux blonds se mêlant aux cheveux bruns de la rôdeuse. Quel touchant tableau.

La première partie de son travail terminée, Taliesin se redressa et, avec la manche de sa chemise à carreaux, épongea la sueur qui lui baignait le front. Jetant un regard derrière lui, il constata que Victor était mort à son tour. L'information ne le surprit guère : elle confirma ses craintes, au contraire. Il fallait qu'il se hâte de terminer la sépulture qui recevrait désormais deux, et non plus un seul corps. Puis de se supprimer pour éviter de nouveaux malheurs au monde. S'il tardait trop, les arbres périraient sur pied, s'écrouleraient dans une herbe noircie par la pouriture, sous un soleil à tout jamais éteint... L'air se liquéfierait, toute vie disparaîtrait, les dimmensions s'entasseraient les unes sur les autres, s'écrasant entre elles, se réduisant à néant...
Oui, il devait se dépêcher.
Avec une énergie renouvelée, il se mit à fouiller l'immense tas de terre qui se dressait à côté de la fosse. Il y trouva moult pierres dont il se servit pour soigneusement paver le fond et les parois du trou. Du bel ouvrage, bien loin de ce qu'il se serait cru capable de réaliser ! Mais il n'avait pas le cœur à faire semblables constatations.
Lorsque ce fut fait, il se dirigea enfin vers les deux cadavres. Quand les oraisons seraient dites, quand ils reposeraient dans la chambre funéraire, il les recouvrirait d'un tumulus, étayé par les troncs élagués des arbres du verger. Alors, ils pourraient reposer en paix.
Et lui se pendrait.

La chambre funéraire était magnifique. Digne des plus grands tombeaux de l'histoire. Il ne restait qu'à y déposer les corps, puis à recouvrir le tout de terre. Et il en aurait fini.

Quelque chose clochait, cependant. Si, aveuglé par son désespoir, il était incapable de se rendre compte que la poitrine d'Astrée se soulevait régulièrement, en revanche, il ne pouvait guère ignorer le bruit effroyable que Victor faisait en dormant.

Car le petit garçon ronflait. Abominablement. Comme une douzaine de nains réunis. Un ronflement d'une ampleur à faire vibrer le sol sur toute l'étendue du verger. Jamais on n'aurait pu imaginer une telle chose de la part d'un si être si petit et si magnifique. Sans doute avait-il pris froid lors de son récent bain de bière et de lait.

Et non content de ronfler, le soi-disant mort se retourna, cherchant sans doute une position plus confortable. Il alla même jusqu'à marmonner des mots confus dans son sommeil. Quelque chose au sujet de corbeaux dans un parc verdoyant. Et de gardes rouges. Sa main agrippa celle de la rôdeuse. Et un observateur attentif aurait vu la main de la rôdeuse se refermer sur celle de l'enfant.

Bref, le bûcheron-barde ne pouvait ignorer plus longtemps ces indéniables indices de vie : Victor était beaucoup trop agité pour un mort.

Une possession.
Le cerveau de Taliesin n'avait fait qu'un tour, et la révélation lui était apparue, flamboyante, indéniable, comme gravée en lettres de feu sur l'écran noir de ses paupières un instant closes.
Quelqu'esprit malin craché du purgatoire, quelqu'âme en peine - celle, probablement, de l'une de ses anciennes victimes - avait pris possession du corps de son défunt presque-fils pour l'animer, Pour profaner sa bouche avec d'impies paroles à propos de mères en enfer. Pour faire décrire à sa tête six cent-soixante-six innommables tours sur elle-même. Pour faire léviter l'enfant jusqu'au plafond... Jusqu'au nuages, plutôt, vu la configuration des lieux.
Il ne pouvait en être ainsi. C'était une certitude. Taliesin ne pouvait laisser la dépouille de son si cher Victor devenir la demeure d'un démon dément. Non, jamais il ne se nommerait Légion.
L'elfe devait agir immédiatement. Et la seule solution était de procéder à un exorcisme.
Les gestes lui vinrent sans qu'il y réfléchisse. Il dessina une croix dans les airs puis commença une lancinante incantation dont les paroles, surgissant du néant, s'imposaient à lui sans qu'il eut à y réfléchir.
-In nomine patris, et filii, et spiritus sancti ! clama-t-il d'une voix forte qui se répercuta en tonitruants échos sur les troncs des pommiers. Agnus dei ! Pax vobiscum ! Ubi et orbi ! Ex nihilo ! Ad vitam aeternam ! Ad Patres ! Et caetera ! Rosa, rosa, rosam !
On pouvait presque entendre une mélodie au piano planer dans les airs. Et, au loin, résonner les cloches tubulaires.

L'incantation de Taliesin eut un effet immédiat : Victor se redressa sur son séant, le regard encore un peu flou, et se mit à hurler de terreur en voyant une espèce de barbu fanatique crier des paroles incompréhensibles accompagnées de grands gestes inquiétants.

Il lui fallu quelques instants pour reconnaître l'auteur de cette étrange farce. Et sa panique ne fit que s'accroître lorsqu'il comprit que le dément en question n'était autre que son père d'adoption. Totalement affolé, il se tourna vers la seule personne pouvant le sauver de cet étrange personnage qui se rapprochait davantage à ses yeux du Monstre ayant terrorisé Luménis que d'un barde bienveillant. Il se mit à secouer Astrée de toute ses forces, lui criant sans discontinuer dans les oreilles "réveilletoiréveilletoiréveilletoi".

Et le miracle se produisit.

Astrée ouvrit sur le monde qui l'entourait un regard d'abord vague. Puis perplexe. Puis de plus en plus anxieux...
Où était-elle? Qui était ce barbu qui semblait entamer une danse rituelle? Qui était cet enfant?

Elle promena ses yeux alentours. Un verger. Immense. Que diable venait-elle faire ici ? Elle ne s'en souvenait plus.
Elle se redressa et une douleur insupportable lui arracha un gémissement. Elle prit sa tête entre ses mains et serra les dents. La douleur était insoutenable. Mais le pire était ce vide dans sa tête...

- Qui êtes vous ?... demanda-t-elle d'un ton presque suppliant en se tournant vers Taliesin. Et où sommes-nous? Je... Je ne me souviens plus...

Et qui suis-je?... Il y avait un tel vide dans sa tête...

Ah ! Cela marchait ! Le démon qui avait pris possession du cadavre de Victor était terrifié ! Bientôt, il serait expulsé, devrait battre en retraite jusqu'aux fosses infernales d'où il était sorti ! Il fallait persévérer !
Mais voici que la dépouille de la jeune femme s'animait à son tour ! Par tous les dieux, se pouvait-il qu'une armée de démons veuille l'attaquer ? Bientôt, les arbres, les plantes, les animaux, les nuages se tourneraient-ils tous vers lui pour le tourmenter ?
Pourtant, lorsqu'Astrée parla, son timbre, ses mots n'avaient rien de ceux d'une créature infernale. L'elfe en demeura pantois.
Se pouvait-il qu'il se fut lourdement trompé ? Que la rôdeuse ait simplement été assommée par la pomme, et que Victor se soit endormi à côté d'elle ? Se pouvait-il que le monde ne soit pas si affreux qu'il l'avait cru ? Que lui-même ne soit pas une si odieuse malédiction ?
-Oh, loué soit le seigneur ! exulta-t-il tout à coup.
Il se mit à sauter, à tourbillonner sur lui même, à faire des saltos avant et arrière pour laisser libre cours à la joie sans limites qui le débordait. Pleurant, riant, il entama une gigue solitaire autour de l'enfant et de la jeune femme.
-Vivants ! Ils sont vivants ! chantonnait-il.
Puis, croisant le regard incrédule et effrayé de ses deux compagnons, il s'immobilisa soudain, rougit violemment, et se racla la gorge.
-Je... je suis le père Damien Karras... fit-il.
Il grimaça.
-Heu, non, n'importe quoi, pardon. Je suis Taliesin. Lui, c'est Victor. Et vous, vous êtes Astrée, une rôdeuse venue participer aux Olympiades de Manost. Vous y êtes, d'ailleurs. Enfin, pas loin. Vous faites équipe avec moi et mon garçon pour une course d'orientation, et avant que le petit ne vous assomme avec une pomme, vous tentiez d'entrer en contact avec les animaux pour qu'ils nous aident à repérer un arbre nommé l'Esplumoir, et un oeuf ou un objet apparenté qu'il était censé contenir.
Désireux de dissiper le trouble de la jeune femme - qui pouvait être autant dû à une amnésie qu'au choc de son attitude pour le moins étrange, il entreprit de justifier les travaux titanesques qui marquaient le paysage, derrière lui.
-Mais donc, vous avez pris une pomme sur la tête, et vous vous êtes évanouie... Comme vous aviez l'air fatiguée, j'ai décidé... De vous laisser dormir. Victor a dormi, aussi. Alors, pour m'occuper, j'ai décidé de creuser... heu... une piscine. Voilà. Une piscine. Le gosse adore se baigner, et puis il fait chaud, et j'avais besoin de m'occuper... Enfin voilà.

Astrée avait écarquillé des yeux devant la soudaine danse de l'elfe. Un peu effrayée.
Drôle de type, avait-elle songé. Un elfe bûcheron, c'est quand même rare... Pas étonnant qu'il ait l'air un peu... enfin, vous voyez ce que je veux dire...

Sa perplexité ne fit que s'accroître lorsque le bûcheron répondit à ses questions.
Taliesin. Victor. Astrée. Ces noms ne lui disaient rien...
Manost, oui, elle connaissait, elle y était déjà allée et se rappelait parfaitement la ville. Mais elle, participer à des olympiades? Le ciel lui serait tombé sur la tête qu'elle n'aurait pas pris un air plus effaré. Que diable irait-elle donc faire dans cette galère?
Ensuite, elle eut un peu de mal à suivre l'explication... Jusqu'au moment où Taliesin prononça le nom d'esplumoir. Ce nom lui disait quelque chose... Tandis que Taliesin poursuivait ses explications d'un ton de plus en plus embarrassé, et que Victor se précipitait pour voir de ses yeux la splendide piscine promise, elle se raccrocha à ce mot.

- Un esplumoir, je sais ce que c'est, s'exclama-t-elle quant il eut fini. C'est un arbre que les oiseaux évitent parce qu'ils ont peur d'y perdre des plumes. Il y en a un là-bas, indiqua-t-elle en désignant le pommier du coin. Et aussi un autre, là-bas, en montrant du doigt le vieux pommier mangé par le gui.
L'explication lui était venue naturellement. Comme si on lui avait demandé ce qu'était une pomme, ou la définition du mot anticonstitutionnellement, ou encore les axiomes de base de la géométrie euclidienne, ou la loi fondamentale de la thermodynamique...

- Vous dites que... j'ai tenté d'entrer en contact avec des animaux? Moi? Mais c'est impossible... Je ne sais pas faire ça... D'ailleurs... Je ne sais pas ce que vous entendez par rôdeuse. Quelqu'un qui rôde? Ça n'a pas de sens... Je n'y comprends rien, soupira-t-elle. Et vous dites que je m'appelle Astrée? Ça ne me dit rien non plus...

Elle tenta de se redresser, mais une douleur lui vrilla les tympans, lui rappelant l'attentat dont elle venait d'être victime. Une pomme. Elle avait reçu une pomme.
Elle serra les dents pour résister à la douleur. Tout tournait. Le verger, les pommiers, les esplumoirs, Taliesin, Victor, la piscine, le sol, le ciel. Tout ce qui l'entourait semblait soudain animé de mouvement et dansait une ronde folle autour d'elle.
Si ses connaissances encyclopédiques s'étaient étendues à la médecine, elle aurait su que son état était dû à la présence temporaire d'un cristal de sel de sodium dans je-ne-sais quel canal de son oreille interne. Mais cela, elle ne le savait pas, bien sûr. Tout ce qu'elle voyait, c'était le monde qui tournait, tournait, tournait...A tel point que, prise de tournis, elle dut s'agripper au bras ferme du bûcheron.

Elle ferma les yeux. La ronde folle s'arrêta. Mais pas la douleur. Elle se laissa tomber lourdement sur le sol.
- Ecoutez, je... Je crois que je ferais mieux de rester un moment ici... je vous laisse aller voir ces esplumoirs. Vous y trouverez sûrement ce que vous cherchez. Moi, je... Je ne sais plus... Je ne sais plus...
Elle prit la tête entre ses mains et resta là, prostrée, les yeux fermés pour ne plus voir le monde tourner. Attendant désespérément que sa mémoire défaillante revienne. Elle n'allait quand même pas rester ainsi? Amnésique?

Taliesin grimaça. Astrée n'avait vraiment pas l'air dans son assiette... Doucement, il tira une gourde de son paquetage, et la lui mit dans la main.
-Buvez, cela vous fera du bien... dit-il d'un ton aussi convaincu que s'il venait de lui offrir un remède miracle contre les pertes de mémoire.
Mais il savait que ce tord-boyaux ne suffirait pas. Alors, il leva les mains et incanta rapidement.

Taliesin --> Soins légers --> Astrée

Puis il s'élança en direction du verger, persuadé que retrouver l'objet qu'ils étaient venus chercher aiderait la jeune femme à retrouver ses esprits. Idée saugrenue, bien évidemment. Mais l'elfe n'était plus à cela près.
Toutefois, alors qu'il gagnait les premiers arbres, Victor l'apostropha d'un ton morose.
-Sympa, ta piscine... Mais y a pas d'eau dedans ! Elle sert à rien, sans eau ! C 'est débile ton truc, non ?
Sans se démonter, et alors que le môme dépité reboutonnait déjà sa chemise, le barde fit demi-tour et sauta au fond de la cavité soigneusement pavée. Il se pencha, retira une petite pierre, et le miracle eut lieu : un liquide doré, odorant, se mit à couler dans la piscine. Du cidre. Du cidre, mes aïeux ! Car, le croirez-vous ? Tout ce qu'on vous raconte sur les lentes transformations des breuvages alcoolisés n'est que pure fable dont se parent les viticulteurs pour prétendre à un savoir ancestral. En fait, il suffit de creuser un trou près d'un arbre fruitier, et les capiteuses boissons jailliront du sol telles des sources d'eau claire ! Vin, liqueurs, et jusqu'au délicieux sirop d'érable : tout se récoltait de la même façon. En creusant un petit trou.
-Attends qu'elle soit pleine avant de te baigner ! lança-t-il au petit garçon ébahi tandis qu'il reprenait pied sur le bord de l'excavation.
Puis il reprit sa course en direction des arbres dénommés esplumoirs, espérant bien y découvrir l'objet caché, objectif ultime de leur quête épique.

Astrée eut un soupir de soulagement : le sort de soin de Taliesin avait grandement atténué la douleur qu'elle ressentait. Malheureusement, il ne pouvait pas lui rendre la mémoire... Enfin, chaque chose en son temps.
Elle observa l'elfe s'éloigner. Avec la pensée soudaine que c'était bien la première fois qu'elle voyait un bûcheron lancer un sort de soin. Après tout, il n'était peut-être pas bûcheron...

A son tour, elle s'approcha de la piscine. Un bon bain lui rafraichirait sûrement les idées.
Elle observa le liquide ambré qui s'écoulait au fond. Le niveau montait rapidement, et Victor avait déjà commencé à se déshabiller, prêt à plonger.
Ele hésita... Jeta un coup d'oeil à Taliesin qui s'éloignait. Il ne pouvait pas la voir... Mais quand même... Elle n'allait quand même pas se déshabiller devant Victor? On allait la coffrer pour atteinte à la pudeur! Oui, mais si elle se baignait tout habillée, elle serait imprégnée d'une odeur de cidre jusqu'à sa prochaine lessive... Cruel dilemme.
L'odeur enivrante de l'alcool lui tournait déjà la tête. Elle adorait le cidre. Elle aurait vendu son âme pour un verre de cidre...

Victor plongea, et se mit à barboter sous l'eau... enfin sous le cidre. Elle n'hésita plus. Profitant de ce qu'il lui tournait le dos, elle se déshabilla et plongea à son tour. Pas complètement nue, bien sûr : elle avait gardé sa tunique, et elle savait qu'elle en avait une de rechange dans ses affaires.
Sans plus s'occuper de Victor, elle se mit à faire quelques longueurs, traversant la piscine en long, en large et en travers, sur la surface et sous la surface. Victor crut bon de se rappeler à son bon souvenir en tentant de la couler, lui faisant boire la tasse. Hmmm. Un bon cru, ce cidre... Elle croisa le regard de Victor, un regard vide d'alcoolique...

Mais il est complètement saoul ma parole!
Son instinct maternel reprit soudain le dessus, et elle se fit un devoir de ramener l'enfant en terrain moins dangereux. Victor, bien sûr, ne l'entendait pas de cette oreille, prétextant qu'Astrée n'était pas sa mère et n'avait par conséquent aucune autorité sur lui, et qu'il avait la permission de son presque-père.
Rageant contre l'inconscience des gosses et l'irresponsabilité des pères, Astrée dut recourir à la force. Le combat qui s'ensuivit aurait sans douté été digne de figurer dans les annales si la force des deux combattants ne s'était émoussée au fur et à mesure que s'élevait leur taux d'alcoolémie...

Mais Victor n'avait que huit ans, et le cidre qu'il avait ingurgité lui fit abandonner le combat le premier : il coula soudain à pic, et la rôdeuse dût plonger pour aller le secourir. Buvant ainsi quelques gorgées supplémentaires. Elle traîna le garçonnet sur la terre ferme, vérifia qu'il était conscient mais hors d'état de nuire, et s'assit près de lui. La tête lui tournait à nouveau. Mais plus pour la même raison.

-Dis... demanda Victor d'une voix pâteuse. Tu crois qu'il va trouver l'oeuf, mon père?
Astrée tourna la tête vers le verger. Là-bas, au loin, Taliesin avait atteint le premier esplumoir, et levait la tête vers le feuillage.
- Oui, il va sûrement le trouver. C'est lui le plus fort.
Et pis lui, il n'a rien bu, donc il y voit clair...

Astrée ferma les yeux. Il fallait qu'elle trouve sa tunique de rechange, qu'elle se rhabille... Tout à l'heure. Oui, tout à l'heure. Pour l'instant - hips - elle allait plutôt... dormir... Non, pas dormir. Elle tenta de se secouer. Rouvrit les yeux.
La silhouette de Taliesin était étrangement floue. D'ailleurs il y en avait deux, un au pied de chaque esplumoir. Il allait trouver l'oeuf et le ramener. Elle en était certaine.

Comme le veut l'une des lois naturelles les plus injustes du multivers, tandis que certains se baignent, chahutent, s'enivrent et paressent au soleil, d'autres sont contraints de s'échiner, de s'épuiser, de s'étioler, de perdre leur jeunesse et leur joie de vivre dans d'inimaginables travaux herculéens.
Bon, d'accord, en l'occurrence, il s'agissait juste de courir entre les pommiers, d'identifier ceux collant à la définition d'esplumoir telle qu'Astrée l'avait révélée, et d'examiner leur branches et leur feuillage en espérant y découvrir l'espèce d'œuf dessiné par Fifi sur leur feuille de route. Pas exactement herculéen, comme programme. Mais tout de même ! Peut-être que Taliesin aurait préféré barboter avec son presque-fils et noyer la rôdeuse - pour de rire !.
Enfin, toujours est-il que notre elfe avait atteint le premier arbre. S'il n'y trouvait rien de particulier, il cavalerait jusqu'au suivant. Et jusqu'au suivant encore. Jusqu'à découvrir l'objet qui contribuerait à la victoire de leur groupe. Et à sa gloire aux yeux de son garçon. Et qui sait, peut-être à ceux d'Astrée...
A quelque distance d'ici, Victor, pas aussi hors d'état de nuire que l'avait cru Astrée, entamait le plus discrètement possible une lente reptation vers la piscine merveilleuse, espérant la gagner avant que la jeune femme ne reprenne ses esprits. Mais elle avait tellement bu...

Sur les branches et les feuillages des deux arbres indiqués par Astrée, Taliesin remarqua plusieurs candidats à la blancheur douteuse du dessin qui leur avait été remis. Des boules de gui, pour commencer. Quelques plumes déchiquetées. Au pied du pommier du coin, une assiette plate ébréchée, à moitié enfouie près du tronc. En revanche, ni nid, ni œuf. Il en vint fatalement à se demander s'il avait fait chou blanc, ou si ce qu'il cherchait correspondait à l'un des trésors pré-cités.

Taliesin se gratta le crâne, perplexe. Une idée, venue de nulle part, lui traversa alors l'esprit : peut-être la solution au problème était-elle de trouver un chou blanc ? Saint Théophilien l'Arboriculteur n'avait-il pas dit, dans son Epitre aux Manostiens :

"Et Byenheureusxt le Byenheureusxt descouvryst le Chousx Blansc, grall de spyristualsyté incandescsente à son intention descendu des Edens Elyséens. Lesquel luy assurerayt la vyctoyre dans cestte Course d'Oryenstation Céleste, yncarnastyon paroxysmysque de touste course d'oryenstation ultsérieurrhe.*"

Oui, le barde eut cette idée là. Et elle lui parut juste. Mais, à la réflexion, la référence lui sembla quand même par trop hasardeuse, et il chercha mieux.
Alors, la seconde idée qui lui vint à l'esprit fut que la plume était la clef de l'énigme. L'arbre s'appelait bien l'esplumoir, donc, il se pouvait fort qu'il y ait un lien, une métaphore. Après tout, cette course d'orientation était peut-être plus que ce qu'il n'y paraissait. Un parcours initiatique, un chemin que l'on faisait avant tout à l'intérieur de soi-même, un voyage métaphysique plutôt qu'une ballade purement physique.
Mais ç'aurait été trop simple, non ? Trop limpide, évident. Le barde tenta d'examiner les autres possibilités. Or, il y avait une assiette ébréchée au pied d'un arbre. Que faisait-elle là ? Du gui, d'accord, pourquoi pas, ça paraissait naturel. Mais une assiette ? Les usines des faïences Relique&Cuisine n'étaient tout de mêe pas si proches... A moins bien sûr qu'il y ait eu un accident. Se pouvait'il qu'il y ait tout un trésor d'assiettes enterré sous le verger ? D'ailleurs, les racines du pommier - celle qui se croisent là... Non, là, juste sous mon doigt -, ne figuraient-elles pas une sorte de X approximatif ?
De plus en plus perdu, Taliesin décida de prendre plume, assiette et gui. Il en discuterait avec Astré, elle y verrait sans doute plus clair.
Cette belle certitude fondit lorsqu'il trouva, presque comateuse, l'intéressée gisant dans l'herbe verte près du bassin sépulcral. Ah, zut, il avait compté sans le cidre. Elle s'était baignée, évidemment. Il aurait dû s'en douté. Mais cette piscine aux étranges vertus avait avant tout été un piège destiné à Victor : ivre-mort, le môme ne ferait plus de bêtises, ne jetterai plus de pommes piégées. Et il seraient donc tout à fait sûr de remporter la course. Cela avait bien marché... Mais fait deux victimes. Tant pis : il devait attendre pour avoir ses réponses à l'énigme, mais il pouvait poursuivre ses si fondamentales recherches.
Fouillant les recoins les plus poussiéreux de sa mémoire à la recherche de citations issues de quelque fantastique grimoire, Taliesin s'élança au milieu des arbres, cherchant d'autres arbres pouvant mériter l'épithète d'esplumoir.

*Sanctus Théophilius Arboriculum. Epitre aux Manostiens. Chap XXIX, paragraphe 13, strophe 45b. Dorrandin's & Helonna's Rider Digestion essential books, 1299, Manost.

Loin des grandes théories philosophiques de son coéquipier, à mille lieux d'imaginer les questionnements induits par leur étrange quête, Astrée avait un objectif beaucoup plus terre à terre : venir à bout de sa gueule de bois.
Un vent frais s'était levé, et le contact glacial de sa tunique mouillée sur sa peau l'avait ranimée. Elle avait mal à la tête, mal aux cheveux, mal partout en fait, et ne savait plus trop où elle était ni ce qu'elle faisait là.
Elle vit Taliesin s'éloigner, repartant en direction du verger, et quelques morceaux du puzzle se mirent en place. Il lui avait expliqué qu'ils étaient à une course d'orientation aux Olympiades de Manost - elle se demandait toujours comment et pourquoi elle était arrivée là. Et aussi qu'elle était une rôdeuse - ah oui, ça c'était vrai, elle s'en souvenait maintenant. Le reste de son histoire, qui elle était et d'où elle venait, tout ça restait un grand mystère. Mais les souvenirs semblaient revenir par bribes, et puis chaque chose en son temps : d'abord retrouver un semblant de sobriété.
Elle fouilla dans ses affaires, trouva les herbes médicinales qu'elle cherchait, et les mâcha sans même se donner la peine de préparer une infusion. Heureusement, elle savait que l'effet était rapide...

C'est à ce moment-là qu'elle entendit un grand PLOUF...
Victor. Elle l'avait complètement oublié... Elle s'approcha du bord de la piscine, et ne put que constater les dégâts: il coulait à pic. Le fabricant de cette piscine avait visiblement omis d'y installer les indispensables dispositifs de sécurité sensés éviter ce genre d'incident, et maintenant ils pourraient toujours courir pour faire jouer l'assurance...
Bref. N'écoutant que son instinct maternel, instinct universellement répandu parmi toutes les personnes de sexe féminin de la création, elle plongea, et ramena derechef le noyé sur la terre ferme. En essayant d'avaler le moins possible du délicieux et si tentant breuvage.

Le gosse était inanimé. Son cœur battait, il respirait apparemment normalement. Il commença même à ronfler. Astrée hésita... Il était plus prudent de le laisser dormir. Et de l'éloigner de la zone dangereuse.
Elle prit donc le garçonnet dans ses bras et commença à se diriger vers son compagnon, qui, elle l'espérait, aurait trouvé ce qu'il cherchait. Arrivée à mi-chemin, elle réalisa soudain que sa tenue n'était guère convenable pour une demoiselle. Elle posa son fardeau, courut rapidement vers son sac au bord de la piscine, et se changea sans trop se soucier de se cacher : Taliesin semblait occupé et le gosse dormait.

Elle reprit son fardeau, s'approcha du viril bûcheron... Et fut prise d'un doute soudain.
Victor ne ronflait plus.
Atterrée, paniquée, Astrée baissa les yeux vers lui... Était-il mort?
Elle l'avait laissé se noyer alors qu'on l'avait confié à sa garde... Si jamais il était... Elle était responsable... Jamais Taliesin ne lui pardonnerait une telle négligence, une telle incompétence. Il allait peut-être la tuer pour venger le meurtre de son bien-aimé Victor... Ou alors porter plainte, et on allait la mettre en prison pour le restant de ses jours? Plus jamais elle ne verrait le ciel bleu, plus jamais elle ne respirerait l'air pur des montagnes, plus jamais elle ne plongerait dans l'eau fraiche des torrents.

Elle s'agenouilla, posa le corps inanimé à terre, et leva un regard implorant vers le bûcheron, redoutant la colère et l'horreur qu'elle y lirait.
-Je... Je suis désolée. Je...
Elle fondit en larmes.
Chacun sait que c'est l'arme ultime des femmes...

Taliesin observa la rôdeuse tandis qu'elle approchait, et constata avec déception qu'elle avait enfilé une tenue plus décente. Zut, il aurait dû penser à planquer ses vêtements ! Quel imbécile !
Par contre, bien sûr, elle n'avait pas pensé à Victor.
-Vous auriez pu le rhabiller ! grommela-t-il. Vous avez envie que le fermier à qui appartient le potager nous assassine ? Qu'il porte plainte à cause du spectacle que nous infligeons à ses arbres et qui les empêchera à tout jamais de donner des fruits ?
Il regretta cependant sa boutade en constatant que la jeune femme fondait en larmes. Mais ce n'était pas à cause de lui : Victor, ruisselant de cidre, paraissait inanimé. Pire, il semblait ne plus respirer. Pris d'une peur soudaine, il se pencha sur le corps de son presque-fils, prit son pouls... Et lui fila une paire de claques viriles pour le ranimer.
-Mmmmmh... marmonna le gamin.
-Voyez, il est juste ivre, il n'y a rien à craindre, dit-il en serrant l'épaule de la jeune femme. C'était prévu : on va pouvoir fouiller le verger de fond en comble sans qu'il nous embête... Et si on ne trouve rien... On pourrait...
Il leva les yeux, croisa le regard d'Astrée. Puis retira sa main et baissa la tête, rougissant.
-On pourrait retourner se baigner, le temps qu'il se réveille... Puis nous laisser sécher au soleil...

Le soulagement qui l'avait envahie lorsque Victor avait fait entendre un vague marmonnement était immense.
A tel point qu'elle en oublia le reproche concernant la tenue du gosse. Et puis, après tout, elle n'aurait pas osé fouiller dans les affaires du bûcheron.

Séchant ses larmes, elle écouta à peine la proposition de son compagnon et répondit aussitôt d'un ton enthousiaste :
- Oui, c'est une super idée!
La vie était belle, Victor était vivant, elle ne l'avait pas tué, elle n'irait pas en prison, le bûcheron ne la tuerait pas, il ne lui reprochait pas son irresponsabilité et son défaut de surveillance... La vie était magnifique, le soleil brillait, ils allaient gagner la course d'orientation. La vie était merveilleuse, elle avait envie de chanter, de danser, de se baigner pendant des heures et de se faire sécher au soleil, oui, c'était une idée formidable d'avoir creusé une piscine....

Euphorique, le regard brillant, il ne lui vint bien sûr pas à l'esprit que mieux valait éviter de se baigner avec un inconnu dans une piscine alcoolisée, que l'ivresse qui les envahirait là-dedans pouvait s'avérer dangereuse, que peut-être le bûcheron, sous une apparence amicale, cachait un esprit pervers capable d'abuser de la situation, qu'elle était probablement tombée dans un piège savamment orchestré par un PJ connaissant son goût pour le cidre.

Non, rien de tout cela. Victor était vivant. Taliesin ne lui en voulait pas. Il faisait beau, les oiseaux chantaient. La vie était fantastique, et elle répondit oui d'un ton joyeux, sans réfléchir.

Elle prit dans son sac une couverture pour couvrir le jeune garçon dont les ronflements avaient repris. Et se tourna vers l'elfe, bien décidée à se montrer plus utile qu'elle ne l'avait été jusqu'à présent.
- Qu'est-ce qu'il faut faire maintenant? On en est où? Vous avez trouvé quelque chose?

Taliesin, tout fier, fit glisser son sac de son épaule et exhiba ses découvertes.
-Il y avait pas mal de plumes déchiquetées... Et vu le nom d'"esplumoir" donné à l'arbre dans notre feuille de route, ça pourrait être ce que nous cherchons ! J'ai trouvé des boules de gui, aussi, mais ça me paraît moins probant... Ah, et puis une vieille assiette ! Je me demande bien ce qu'elle fichait là, peut-être s'est-elle trop éloignée du troupeau et n'a-t-elle pu ensuite retrouver seule le chemin de l'assietterie. Mais ça serait aussi une bonne candidate... Enfin, on peut également continuer les recherches, examiner tous les arbres correspondant vaguement à la description... C'est comme vous volez.
Il lui adressa un sourire lumineux. Il était tout prêt à prendre la jeune femme par la main et à l'entraîner dans une joyeuse course au milieu des arbres. Il avait presque envie de chanter, aussi. Il ne résisterait pas longtemps à cette impulsion...

Astrée contempla d'un air perplexe les trésors amassés par son coéquipier. Pas vraiment ce à quoi elle s'attendait, non. Mais le dessin était tellement vague...
Elle se creusa la tête pour trouver un sens à tout ça, en vain. Il faut dire que son pauvre cerveau se remettait tout juste d'une orgie de cidre et n'était donc plus très compétitif...
- Une plume... Pourquoi pas, vu que l'esplumoir ôte les plumes. Le gui aussi, ça peut se concevoir : c'est à cause de lui que les oiseaux perdent leurs plumes, donc c'est lui qui les esplume... Et l'assiette... Elle n'a rien à faire là, évidemment, donc a peut-être été déposée exprès pour nous. Non, franchement, j'en sais rien. C'est peut-être ailleurs. Et le verger est immense...
Elle sentait le découragement la gagner devant l'ampleur de la tâche.

Elle leva la tête vers Taliesin, croisa le regard lumineux de son compagnon d'aventure, et y puisa un nouvel élan d'optimisme. Le bûcheron lui souriait, Victor était vivant et dormait pour le plus grand bien de tous, la vie était belle. Ils allaient gagner cette course et fêter ça autour d'une piscine de cidre.
- Bon, et bien allons-y! Je vais essayer de mettre les oiseaux à contribution pour repérer de nouveaux esplumoirs. Il faut chercher des arbres envahis par de la végétation parasite, il ne doit pas y en avoir tant que ça! On va chercher encore un peu. Et puis, si on ne trouve rien d'autre, on ramènera notre... heu... fabuleux trésor.

Elle attrapa une pomme qui pendait de l'arbre le plus proche, la croqua... Un peu acide en cette saison. Elle en attrapa une autre qu'elle offrit à Taliesin avec un sourire engageant, tel le fruit de l'arbre de la connaissance d'un paradis perdu...

Puis son attention se concentra sur les oiseaux alentours, corbeaux, corneilles, pies chapardeuses et autres merles.
Peut-être pourraient-ils lui signaler d'autres arbres esplumoirs. Le verger était bien entretenu, il ne devait pas y en avoir tant que ça. Et maintenant, elle savait mieux quoi chercher.

La Couronne de Cuivre

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