La Couronne de Cuivre

Rohan n’a jamais été une cité de premier plan surtout si on la compare aux métropoles de la région. Néanmoins, elle a rapidement cru au-delà de la simple communauté agricole pour atteindre un bon millier d'âmes. Sa position stratégique la place sur les voies commerciales des principales communautés humaines de l’ile et elle a su tirer parti de ce négoce. Deux fois l’an, la foire de Rohan est un rendez-vous incontournable et une zone d’échanges privilégiés pour les marchands des trois cités que sont Luménis à l’ouest, Eredhùn au nord et Edhoras à l’est.

Son succès a, comme de bien entendu, toujours attiré les maraudeurs et la cité est défendue par une palissade de bois construite sur des fondations de pierre et la garnison des dragons de Rohan, une unité de cavaliers d’élite sous la juridiction de l’armée Luménienne. Trois portes permettent de pénétrer dans la cité ou d'en sortir pour rejoindre l'une des trois routes bien entretenues qui desservent la cité. La principale, la porte Océane, donne sur la route de la capitale et est gardée en continu, permettant aux voyageurs de trouver refuge entre les murs une fois la nuit tombée. La porte du nord ou porte des Montagnes et la porte menant au défilé, la porte des Chevaux n'offrent pas ce service et sont barrées peu après le crépuscule sauf au moment de la foire évidemment.

Le brassage culturel et la proximité avec certaines communautés non humaines a donné à la ville l’aspect d’un mélange hétéroclite de construction robustes en pierre mêlée à quelques bâtiments à la délicatesse elfique et de chaumines pratiques et sans fioritures excessives à un ou deux étages. L’ensemble ne paie pas de mine tout comme sa population un peu rustique mais toujours accueillante pour les voyageurs pacifiques.

Parmi les bâtiments dignes d’intérêt pour ces derniers, la cité compte plusieurs auberges dont celle du Cheval coureur ainsi que quelques tavernes et un petit temple dédié à Lathandre. Une rue marchande propose en outre des produits artisanaux locaux en plus des denrées issues des fermes avoisinantes et des marchandises étrangères toujours appréciées en dehors des périodes de foire.

Quête : un désir de crépuscule

Au fur et à mesure de leur progression ce jour là, Kasumi nota le changement d’attitude des soldats qui manifestèrent de plus en plus d’entrain malgré le ciel toujours chargé et les bourrasques de vent qui avaient remplacé la bruine glacée de la veille.

Le groupe ne marqua qu’un court arrêt pour prendre un déjeuner sur le pouce. Tous avaient hâte d’arriver au plus vite et Astrée semblait plus ou moins remise du choc de la veille, encourageant les cavaliers à forcer l’allure. Ils allèrent même jusqu’à s’offrir un petit galop délié quand le terrain qui allait en s’aplanissant le permettait.

Lorsqu’ils furent en vue de la cité se dessinant en contrebas, les cavaliers de tête marquèrent une halte. Le chef du détachement expliqua à Kasumi et Astrée que la garnison était stationnée à même la ville mais assez éloignée de la place centrale où les rôdeurs trouveraient le temple de Lathandre dirigé par l’Aubemestre Solène. Il les invita à venir profiter de l’hospitalité de la garnison mais leur suggéra tout de même une auberge réputée s’ils préféraient goûter à un plus grand confort bien mérité après leur escapade. Il était d’ailleurs boxes.

Les soldats prirent congé des rôdeurs une fois la porte Océane, celle menant à Luménis, franchie. Les rôdeurs se retrouvèrent seuls à seuls pour la première fois depuis leur départ de Luménis et Kasumi prit les devant, souriant à sa compagne et s’émerveillant du brusque changement que constituait le retour à la civilisation. Cependant que le soir avançait, les rues étaient pue fréquentées et les montures des aventuriers n’eurent aucun mal à se frayer un chemin vers le temple de Luménis. Ce dernier était une simple construction de pierre au premier étage et de bois pour son étage supérieur à l’image des bâtiments inégalement imposant de la place sur laquelle ils se trouvaient. Le demi-elfe rompit le silence :

- Mon médaillon devrait nous assurer un bon accueil ici mais il me reste de l’or au cas où il faille payer des soins alors pas d’inquiétude. C'était mon idée après tout.

Les deux rôdeurs purent pénétrer sans encombres dans le temple, encore ouvert malgré l’heure tardive. De grands chandeliers éclairaient les travées d’une petite salle rectangulaire, qui s’ouvrait à l’est sur une vaste baie vitrée colorée de roses et d’orangés, obscure au crépuscule. Le sanctuaire était désert à l’exception d’une jeune fille en aube brune, qui remonta l’allée centrale en les apercevant et se porta à leur rencontre. Elle avait le teint mat et les yeux noirs des natifs de la Trouée.
« C’est pour quoi ? » demanda-t-elle en les scrutant des pieds à la tête.
« Accueillante, Mélora ! A-ccuei-llante ! » s’exclama une voix derrière elle, alors qu’une femme plus âgée, les cheveux gris bouclés dégringolant sur les épaules de son aube rouge vif, se redressait de derrière l’autel.
L’adolescente fit la grimace, puis revint aux visiteurs.
« J’espère que ce n’est pas encore pour nous vendre cette graisse de jument frelatée. Elle ne marche pas. On a testé, ça ne sert à rien d’insister. » grommela-t-elle.
La prêtresse de Lathandre s’était approchée, souriante.
« Bienvenue dans le temple du Seigneur de l’Aube. Veuillez pardonner Mélora, nous avons eu quelques visiteurs… peu scrupuleux, ces derniers temps… » annonça-t-elle, en posant des mains amicales sur les épaules de sa cadette.
Son regard très clair se posa sur Kasumi, puis sur Astrée.
« Je suis Solène, je loue Lathandre en ces lieux. Mais dites-moi plutôt ce qu’il s’est passé. » ajouta-t-elle. « Vous avez les traits tirés, ma chère. On vous a maudite. Est-ce la raison de votre visite ? »

Dans l'état dans lequel elle se trouvait, il n'était pas venu à l'esprit d'Astrée que les soins seraient payants, et probablement hors de portée de sa bourse. Ce n'est que lorsque Kasumi aborda le sujet qu'elle le réalisa. Gênée, elle voulut refuser l'offre du rôdeur, ou tout au moins promettre de le rembourser intégralement dès qu'elle le pourrait - elle trouverait bien moyen de vendre suffisamment de peaux... Mais déjà son compagnon l'entraînait à l'intérieur du temple, sans lui laisser le temps de protester.

Elle sourit à la jeune Mélora, sans prendre ombrage de son accueil un peu... inhabituel. Et acquiesça aux paroles de l'Aubemestre, surprise de sa perspicacité.
- Maudite? Je ne le savais pas, mais c'est sûrement ça. On m'a jeté un sort qui m'a affaiblie, il y a quelques jours. Ou plutôt deux sorts. Depuis je n'ai plus ni force ni santé. C'était un prêtre sharite, précisa-t-elle à tout hasard. Et c'est bien pour ça que je suis là, en effet. Je ne sais pas si vous pouvez faire quelque chose pour moi?

Quête : un désir de crépuscule

Le rôdeur ne s’offusqua pas le moins du monde de l’accueil quelque peu neutre de la jeune apprentie. Astrée et lui ne devaient pas présenter une mine des plus avenantes après des jours de voyage sous la neige et la pluie et dans la boue. Il était même soulagé de trouver deux prêtresses prêtes à le recevoir à cette heure tardive. Il laissa sa compagne prendre la parole d’autant que c’était la principale intéressée comme l’avait immédiatement noté l’œil expert de l’aubemestre. Pourtant, il crut bon d’intervenir afin d’éviter que sa compagne n’en révèle davantage sur la teneur de leur mission. Même si Astrée s’était révélée une jeune femme sensée, il était important de maintenir le secret sur la disparition du conseiller Luménien et peut être même jusqu’à l’existence de la secte dédiée à Shar qui avait commis tant de forfaits avant d’être détruite. Il profita de dégager son col, révélant ainsi son talisman Lathandrite, pour effleurer le bras de sa compagne mais ne préféra pas intervenir directement, laissant la rôdeuse mener la discussion. Il se contenta de saluer l’aubemestre en inclinant la tête. Il serait toujours temps d'intervenir si la clerc posait des questions.

L’Aubemestre sourit doucement à Kasumi, mais se concentra sur Astrée.
« Vous permettez ? » demanda-t-elle.
Puis elle leva une main déjà parcheminée par l’âge et toucha le visage de la jeune femme. Elle avait la peau sèche et tiède, elle appuya doucement sous les yeux de la rôdeuse, inclina la tête pour mieux la regarder dans les yeux, puis lui prit la main et poser deux doigts sur son poignet.
« En effet, deux malédictions… Il y a quelques jours, déjà. Vous ne pourriez pas vraiment en mourir, mais par le temps qu’il fait, ces désagréments deviennent vite funestes… Et se sentir diminué est une sensation des plus difficiles. »
Elle relâcha la rôdeuse.
« Je peux vous en délivrer. Je ne vous demanderai qu’une petite obole pour le temple, c’est la tradition, mais nous n’exigeons rien. Simplement… Nous ne pouvons pas vivre du vent, vous savez ce que c’est. Cependant… »
Sa mine se fit plus embarrassée.
« Rencontrer une personne qui a été maudite est très rare dans nos contrées tranquilles. En général, je bénis des cavaliers et soigne leurs fractures… Il me faudra la nuit pour me préparer. Je ne peux malheureusement pas vous héberger, sauf si vous désirez dormir dans les travées du temple. Mais l’auberge du Cheval Coureur pratique des prix très modiques et les chambres sont saines. Vous pouvez dire au tenancier que je vous envoie. »

Lorsque Kasumi lui effleura le bras, Astrée en devina aussitôt la raison et en ressentit un léger agacement. Elle savait bien que leur mission était secrète, elle n'avait nullement l'intention d'en dire plus que nécessaire!

Mais elle oublia vite ce détail en entendant les paroles de l'Aubemestre. Elle ne serait pas soignée ce soir... Elle cacha du mieux qu'elle put sa déception, se disant qu'après tout il n'y avait pas urgence.
Elle sourit à l'Aubemestre :
- C'est d'accord. Je n'en suis pas à une nuit près, nous reviendrons donc demain. Je pense que nous allons effectivement dormir à l'auberge que vous nous avez indiquée. Une nuit au chaud me sera bénéfique. Et je vous remercie sincèrement pour votre aide : je craignais un peu que mon état de faiblesse ne soit irréversible...

Ils n'avaient plus qu'à quitter le temple et à trouver l'auberge...

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi adressa un regard plein de compassion à sa compagne qui devrait passer une soirée et une nuit de plus en supportant son état de faiblesse. Au moins étaient-ils tous deux rassérénés de se voir confirmer que cet état ne perdurerait pas. Le rôdeur songea à ses réserves de simple faiblissantes et songea qu’il n’en aurait peut être pas assez pour soulager la rôdeuse de son mal ce soir. Celle-ci se dirigeait déjà vers la sortie, visiblement un peu déçue de la nécessité d’attendre le lendemain pour être libérée de son mal. Lui s’attarda devant l’aubemestre :

- Pouvez-vous mettre à notre disposition de quoi soulager les symptômes du mal de ma compagne pour cette nuit ? Je vous dédommagerai d’une juste rétribution, cela va de soi. Il est tout naturel que chacun participe à sa façon aux actions terrestres des serviteurs du seigneur de l’Aube. Et merci de votre conseil, nous assisterons à l'office du matin.

« Bien sûr. » fit l’Aubemestre.
Elle se tourna vers sa novice.
« Mélora, va me chercher ma musette, tu veux ? »
L’adolescente détala vers le fond du temple sans demander son reste, tandis que Solène jetait un œil vers Astrée, qui attendait son compagnon à la sortie.
« La maladie de votre amie est aussi dans sa rage d’être diminuée. » dit la Lathandrite, tranquille. « Vous pouvez la soulager par les mots autant que par les plantes. »
Mélora venait de faire sa réapparition et l’Aubemestre sortit deux fioles de sa besace, qu’elle tendit à Kasumi.
« A prendre avec un repas consistant, sinon cela vous dérègle l’estomac. Et avec le sourire. »

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi adressa un sourire chaleureux et complice à la clerc de Lathandre en s’emparant délicatement des deux fioles et en les fourant dans une poche de son manteau. Il en sortit quelques pièces qu’il lui remit en échange. C’était le double de ce que cela lui aurait coûté à Luménis mais il ne voulait pas risquer de mésestimer le service. Il hésita un moment à ajouter une obole d’une dizaine de pièces en prévision des soins du lendemain mais se ravisa. Astrée rechignerait certainement à ce qu’il paie comme elle avait parue réticente à effectuer le détour vers la cité. Il jugeait plus prudent de lui en parler avant et la nuit portait parfois conseil.

- Merci pour votre accueil en cette heure tardive et pour vos sages conseils.

Il rejoignit ensuite la rôdeuse à la porte et la referma derrière eux. La nuit semblait avoir fraîchi après leur court séjour dans le sanctuaire mais, heureusement, l’auberge du Cheval coureur était toute proche avec ses promesses d’un bon repas et d’un bon lit douillet pour la nuit.

Astrée, toute à sa déception de devoir attendre le lendemain, ne s'aperçut pas immédiatement que Kasumi ne l'avait pas suivie. Perdue dans ses pensées, elle état déjà arrivée à la porte lorsqu'elle le comprit.
Se retournant, elle l'aperçut en grande discussion avec l'Aubemestre. Il fourra quelque chose dans une poche et tendit quelques pièces, puis la rejoignit à la porte.

Sitôt sortis sur le seuil, elle ne put contenir sa curiosité :
- Que faisais-tu? Tu as acheté quelque chose?
Elle se demanda un instant s'il n'avait pas payé d'avance les soins du lendemain. Qu'à cela ne tienne, elle le rembourserait séance tenante!

Quête : un désir de crépuscule

Le rôdeur prit soudain conscience qu’il ne l’avait même pas consultée et pourrait peut être s’offusquer qu’il ait dépensé de l’argent pour elle. Il prit donc les devants et s’efforça de garder un ton naturel en présentant les fioles :

- Oh, ce n’est vraiment pas grand-chose mais ça t’aidera à passer une bonne nuit…

Il remarqua ses sourcils se froncer et poursuivit sans marquer de pause, essayant de gagner de vitesse ses protestations :

- A quoi servirait-il d’avoir un ami si c’est ce n’est pour qu’il ne veille à votre bien être et pour veiller au sien en retour ? Je pourrai bénéficier de ta conversation un peu plus longtemps grâce à ce remède.

Kasumi lui fourra les fioles entre les mains avant de faire signe à Ombrage d’approcher et de lui saisir la bride. Moïse s’approcha docilement plus par curiosité et par la promesse d’un bon repas que par une réelle injonction du rôdeur.
Le demi-elfe se dirigea alors vers la place du village, une petite étendue pavée dominée en son centre par un chêne séculaire et bordée avec goût par de petits buissons et des bancs et même quelques statues représentant des cavaliers sans doute illustres dans le pays. Il savait d’après les indications du chef de l’escouade de cavaliers que l’auberge, imposant bâtiment de trois étages à la toiture de tuiles, se trouvait à l’opposé de cette place par rapport au temple.

Astrée aurait voulu protester, promettre de rembourser Kasumi. Mais il ne lui en laissa pas la possibilité, coupant court à toute récrimination en invoquant leur amitié comme prétexte.
Elle se sentait partagée entre agacement et amusement face à son attitude protectrice, et était à la fois gênée et reconnaissante de ce petit cadeau. Elle se dit cependant qu’un refus le vexerait, et finit par accepter de prendre la fiole, avec force remerciements. A charge de revanche…
Et finalement, au fond d’elle, elle dut bien reconnaître qu’elle appréciait son geste. Simplement… Elle avait tellement l’habitude de se débrouiller seule, sans compter sur personne.

En traversant la place, elle se dit que le rôdeur n’avait pas eu tort : à l’approche de la nuit, le froid se faisait plus vif, l’humidité transperçait ses vêtements, et elle se mit à nouveau à grelotter, signe sans doute d’un retour de la fièvre. Plus que tout, elle se sentait complètement exténuée, à bout de forces. Les dernières journées passées à chevaucher avaient été une véritable épreuve, même si elle avait dissimulé de son mieux la fatigue grandissante qui l’envahissait. Elle avait un peu l’impression de n’être plus que la moitié d’elle-même. Peut-être était-ce la perspective d’une nuit au chaud, le soulagement de faire une vraie pause, qui faisait par contraste ressortir son épuisement.
Courage, demain ce sera fini, enfin !

La nuit s’annonçait lorsqu’ils pénétrèrent dans l’auberge de Cheval Coureur. La salle était animée. Un bon feu flambait dans l’âtre et de nombreux clients se pressaient dans la salle, désireux sans doute de se réchauffer tant auprès des flammes qu’autour d’un bon verre et d’un repas copieux. Les odeurs émanant de la cuisine étaient appétissantes, et Astrée réalisa que son estomac criait famine. Elle n’avait guère mangé ces derniers jours.
Astrée mit quelques instant à repérer l’aubergiste, qui voltigeait de table en table à une vitesse impressionnante pour quelqu’un de sa corpulence. Comme il passait près d’elle, elle l’interpela, prenant Kasumi de vitesse :
- Excusez-moi, auriez-vous de la place pour deux voyageurs de passage ? Deux chambres, si c’est possible, précisa-t-elle en réalisant que l’aubergiste pouvait les prendre pour un couple. Et nous avons aussi deux chevaux…

L’aubergiste leur sourit, goguenard.
« Avec le concours de débourrage des poulains d’deux ans ? Vous plaisantez ? » fit-il.
Voyant qu’aucune lueur de reconnaissance n’apparaissait sur le visage de ses interlocuteurs, il embraya :
« Me reste qu’une p’tite chambre, malheureusement. Et vous avez d’la chance que l’gars qui m’l’avait réservée a dû filer c’matin. Mais le lit est bon. Pas très large, ceci dit. »
Il rit de bon cœur.
« Mais en se serrant, f’ra plus chaud, c’pas du luxe ! Si ça vous intéresse, allez d’mander la clef à Kaya, au comptoir. C’t’une pièce d’or la nuit, repas compris, mais c’est payable d’avance. »
Puis, sans attendre, il repartit servir ses convives assoiffés qui réclamaient davantage de bière pour humecter leur gosier.

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi fut abasourdi par les insinuations de l’aubergiste. Il ne s’était pas attendu à ce que l’auberge fut remplie. Croisant le regard consterné d’Astrée, il se sentit rougir furieusement. Il chercha frénétiquement une solution pour détourner ses pensées de la perspective de partager une chambre avec la rôdeuse. Ils pouvaient toujours aller tenter leur chance ailleurs mais c’était le seul établissement qu’il connaissait et qui lui avait été recommandé. Dormir dans les combles du temple était une autre solution mais elle n’était pas idéale pour la rôdeuse qui avait besoin de repos. S’il proposait cela, elle refuserait très certainement de profiter de la chambre à l’auberge. Il ne restait plus qu’une solution qu’il exposa à Astrée :

- C’est vraiment dommage. Je ne pense pas que dire que l’aubemestre nous a recommandé l’établissement nous aidera à trouver un meilleur arrangement. Cela ne me dérange pas de dormir dans l’écurie et cela ne devrait pas poser de problème à l’aubergiste si nous lui prenons la chambre en plus. Je préfère que tu dormes au chaud par ce temps.

Astrée rougit légèrement en entendant les paroles de l’aubergiste. Devoir partager le lit ? Et un lit étroit, en plus ! Non, ils allaient sûrement trouver un arrangement.

Son embarras fit place à l’amusement lorsqu’elle s’aperçut que Kasumi semblait encore plus gêné qu’elle par la situation. Le pauvre se proposait même de dormir à l’écurie. C'était galant de sa part, mais elle ne pouvait l'accepter.
Elle lui sourit, et répondit d'un ton peut-être un peu trop catégorique :
- Non,c'est gentil à toi, mais je ne peux pas te laisser dormir à l’écurie pendant que je profite d’une vraie chambre. Ecoute, on va commencer par aller voir cette chambre. J’ai toujours un hamac dans mon sac, je vais essayer de l’installer dans un coin. J’ai l’habitude d’y dormir. Je te laisserai le lit. Viens, on va chercher la clé.

Et elle commença à se diriger vers le comptoir où officiait une jeune femme, probablement la dénommée Kaya.

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi adressa un sourire reconnaissant à la rôdeuse qui avait su prendre les devants pour trouver une solution acceptable. Evidemment, il trouverait un prétexte pour lui laisser le lit. Cela devrait attendre qu’ils aient vu la chambre comme le suggérais la jeune femme et il l’accompagna vers le comptoir où il elle récupéra la clé après avoir salué la tenancière, une femme de forte carrure et au teint hâlé et au parler franc et expressif local. Elle leur indiqua le chemin à suivre, étant trop débordé pour leur montrer leur chambre. Sans leur demander expressément, elle fit comprendre aux voyageurs qu’elle entendait qu’ils paient d’avance. Charge à eux de récupérer la pièce d’or si la chambre ne leur convenait pas.

Celle-ci se situait dans les combles mal éclairées de la bâtisse, probablement réservés aux domestiques ou voyageurs indigents. Quand Astrée ouvrit la porte, le rôdeur regarda par-dessus son épaule et ne put contenir un éclat de rire :

- Eh bien, c’est un peu en dessous de mon standing habituel sauf si on le compare à nos dernières nuits. Au moins, n’y a-t-il pas assez de place pour les vermines et les racines dans le dos.

En fait de chambre, la petite pièce sans fenêtre n’était meublé que d’un lit étroit même pour une seule personne. La place au sol n’était guère plus importante et le toit mansardé interdisait d’y attacher un hamac. L’un d’eux devrait étendre une couverture au sol pour y dormir et malgré cela, ils ne jouiraient d’aucune intimité. C’était toujours mieux que la paille des écuries et la perspective de prendre un repas chaud retenait le rôdeur de faire demi-tour.

Astrée fit la grimace en découvrant la chambre. Elle était vraiment minuscule. Un coup d'oeil lui fit comprendre que le seul moyen de suspendre un hamac était de le pendre au-dessus du lit. Et le plafond était bas. Elle se dit que Kasumi n'apprécierait sans doute pas qu'elle dorme suspendue ainsi au-dessus de lui. Il restait donc une seule solution...

Elle soupira.
- Je n'aurai pas la place pour mon hamac, si je le pends au-dessus du lit il sera trop bas. Il va donc falloir que l'un de nous dorme par terre... On tire au sort? ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. Elle se doutait que la galanterie de son compagnon lui interdisait de laisser dormir une jeune femme au sol, mais elle ne pouvait quand même pas lui demander ouvertement de lui laisser le lit : après tout, elle aussi était habituée à dormir à la dure...

Sans attendre la réponse, elle ajouta :
- On devrait d'abord aller récupérer nos affaires, installer nos montures... Et je ne serais pas contre un brin de toilette...

Quête : un désir de crépuscule

Le rôdeur adressa un sourire entendu à sa compagne et fut malgré tout soulagé qu’elle prenne bien l’idée de dormir dans un espace aussi réduit. Lui-même se sentait déjà étouffer ainsi entouré de quatre murs si rapprochés.

- Je veux bien jouer ça au hasard mais je n’aime pas tricher. Ce ne sera pas trop difficile de rendre le sol plus confortable que la neige et la pierre des derniers jours et je préfère que tu profites d’une bonne nuit réparatrice. Allons voir ce qui nous sera utile d’emporter, la majeure partie de nos bagages devra rester avec les chevaux.

Le rôdeur précéda Astrée dans les escaliers et se dirigea vers la porte pour y trouver les chevaux où ils les avaient laissés. La rôdeuse fouilla dans ses fontes pour en sortir les vêtements qui lui seraient nécessaires pour la nuit et les vêtements de rechange. Kasumi l’enjoignit à rentrer au chaud et à profiter de ses ablutions pendant qu’il monterait leurs autres effets personnels et s’assurerait du bienêtre des deux chevaux. Ainsi, il pourrait profiter de la salle d’eau à son retour avec un peu de chance.

Astrée était reconnaissante à Kasumi pour la galanterie dont il faisait preuve. En temps ordinaire, elle aurait sans doute refusé de le laisser s'occuper seul des chevaux, ou de le laisser dormir par terre. Mais là... Elle n'était vraiment pas en état de discuter ses choix. Elle ne rêvait que d'une chose : se laver, manger, dormir. Elle obéit donc de bon cœur, et se dirigea vers la salle d'eau de l'hôtel.
Celle-ci était fermée de l'intérieur, signe qu'elle était occupée, mais Astrée n'eut guère de temps à attendre : un homme en sortit bientôt, ne sembla pas la remarquer davantage que si elle eut été transparente, et se dirigea vers l'étage.

A son tour, elle pénétra dans la pièce et barra la porte. L'atmosphère était chaude et humide. Astrée se déshabilla rapidement et entrepris une toilette approfondie, apte à faire disparaitre toutes la poussière accumulée durant ces longues journées de voyages. Elle se sentait tellement sale... Elle laissa vagabonder son esprit, profitant de la quiétude de l'instant... et réalisa soudain qu'elle frottait avec vigueur, pour la troisième fois en quelques minutes, les endroits où elle avait été éclaboussée de sang. Elle grimaça. Pourrait-elle un jour oublier? Non, certainement jamais...

C'est une rôdeuse méconnaissable qui sortit bientôt de la salle d'eau : non seulement elle avait revêtu les vêtements les plus propres qu'elle possédait, mais en outre elle avait pris le temps de coiffer ses cheveux, en quelques tresses remontées en chignon. Croisant par hasard son reflet dans le miroir, elle marqua un temps d'arrêt : il y avait plus d'un an qu'elle ne s'était pas coiffée ainsi. Depuis le décès de son mari, elle n'avait plus jamais accordé aucune importance à sa tenue ou à sa coiffure. Elle sourit à l'image que lui renvoyait le miroir. Aujourd'hui était un jour un peu particulier : ils avaient réussi leur mission, ils allaient manger un bon repas autour d'une vraie table, dormir au chaud et à l'abri, et demain elle serait guérie...

Comme elle sortait de la salle d'eau, elle croisa Kasumi qui s'y dirigeait. Elle lui sourit, et lui dit qu'elle l'attendrait dans la salle commune. Elle se hata de monter ses vêtements dans sa chambre - elle les avait lavés et espérait pouvoir les faire sécher pendant la nuit. Puis elle redescendit dans la salle commune.
Elle trouva une table dans un coin tranquille, contre le mur, et s'y installa. Les serveurs étaient trop débordés pour prêter attention à elle, et elle était décidée à attendre son compagnon pour passer commande. Elle vit bien, du coin de l'œil, un homme assis deux tables plus loin qui lorgnait vers elle, mais n'y prêta guère attention. Jusqu'au moment où il s'approcha et tenta d'engager la conversation. Elle éluda de son mieux, mais l'homme avait bu et ne l'entendait pas de cette oreille. Il finit par s'assoir à sa table, malgré ses tentatives polies pour couper court. Ne sachant comment s'en débarrasser, elle finit par recourir à la seule ruse qui lui vint à l'esprit :
- Ecoutez, mon mari va arriver d'un instant à l'autre, et vous êtes sur sa chaise....

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi trouva deux boxes miraculeusement vides tant les écuries de l’auberge semblaient elles aussi pleines à craquer. L’aubergiste n’avait pas menti sur l’effet de la manifestation équestre sur la fréquentation de son établissement. Toujours était-il que les écuries étaient fort bien entretenues et que les boxes ne manquaient pas de paille de même que les mangeoires de grain. Rassuré sur la qualité de ce service, le rôdeur reprit espoir que le repas soit à la hauteur de ses attentes tout au contraire de la petite chambre qui leur était dévolue.
Il emporta ses affaires de rechange ainsi que le sac contenant ses effets personnels et certaines herbes qui pouvaient se révéler utile si Astrée se sentait mal pendant la nuit. Il prit soin de monter le sac que la jeune femme n’avait pas pu emporter et laissa les affaires les plus lourdes dans la stalle d’Ombrage. Le mauvais caractère de l’animal serait un atout pour une fois. Il dissuaderait les hypothétiques curieux de fouiller dans leurs affaires.

Le demi-elfe se hâta ensuite de regagner la chaleur de l’auberge et de grimper à l’étage et arriva à temps pour croiser Astrée qui sortait de la salle d’eau. Il nota en passant qu’elle avait changé quelque chose dans son apparence et ne put que s’en réjouir. Il lui semblait que la rôdeuse resplendissait malgré sa fatigue et sa malédiction. Il ne trouva pas les mots pour tourner un compliment et se sentit mortifié d’avoir laissé passer cette occasion. Il se mit néanmoins en devoir de procéder à des ablutions complètes et à tenter de se rattraper pendant le repas.

Mais lorsqu’il fit son apparition dans la salle commune, il s’aperçut qu’Astrée avait de la compagnie. Il se demanda fugitivement si la rôdeuse s’était installée ainsi par choix et fut saisi d’une pointe de jalousie avant de chasser cette idée ridicule et de constater que le voisin de table de la rôdeuse s’était installé sans invitation.

- Allons, très habile mais ça ne prend pas. Un mari ne laisserait jamais sa femme seule surtout quand elle est si mignonne.

Le compliment dans sa bouche était grossier voire même insultant tant le ton de l’ivrogne était à la limite de la concupiscence. Kasumi n’entendit que la réplique de l’homme et même s’il ne comprenait pas exactement de ce dont il avait été question, il ne prit pas la peine de laisser le bénéfice du doute à l’intrus. Il s’approcha rapidement de la table et regarda son rival droit dans les yeux avec un air des moins amènes et une posture raide :

- Il reste de la place ailleurs, monsieur. Je pense que vous y serez plus à l’aise que sur mes genoux.

Si la réplique prêtait à sourire, elle était prononcé avec une telle froideur et un sérieux tel l’importun fit les yeux ronds et préféra admettre que sa bonne fortune l’avait abandonné. Le rôdeur se hâta de prendre sa place avant qu’il ne fasse mine de changer d’avis. Il n’avait nulle envie de se battre mais n’hésiterai pas à le faire si l’indésirable ne tournait pas casaque au plus vite. Avec un sourire, il s’adressa à la rôdeuse, décidé à rattraper sa bévue :

- Un simple bain aura suffi à faire tomber le masque. j'ai bine fait de me hâter. Tu es charmante.

Il se maudit immédiatement après que les mots aient franchi ses lèvres pour son manque d’inspiration et sa maladresse.

Astrée fut grandement soulagée de voir arriver le rôdeur, et encore davantage quand l'intrus déguerpit sans demander son reste.
Reconnaissante, elle sourit à Kasumi, à la fois amusée et touchée par son compliment maladroit qui lui faisait malgré elle monter le rouge aux joues. Elle dissimula sa gêne en lançant d'un ton taquin :
- Dois-je en déduire que tu ne supportais plus ma saleté repoussante? Et que c'est pour m'obliger à prendre un bain que tu nous a amenés ici?

Elle lui fit un clin d'œil pour atténuer la portée de ses paroles, et ajouta, plus sérieusement :
- Il était temps que tu arrives, cet individu ne voulais plus me lâcher. Merci...
...Pour tout, ajouta-t-elle intérieurement. Comment pourrait-elle un jour le remercier pour tout ce qu'il faisait pour elle? De toute la gentillesse, la patience, la prévenance dont il faisait preuve à son égard? Elle lui était tellement redevable...
Elle se sentit rougir à nouveau, confuse, et détourna rapidement le regard, paraissant soudain décidée à trouver d'urgence un serveur plus disponible que les autres.

Quête : un désir de crépuscule

Au lieu de se sentir gêné par la saillie pleine d’humour de la rôdeuse, Kasumi lui adressa un sourire de connivence. Sans vraiment savoir pourquoi, il aurait eu envie de lui rétorquer que le résultat valait le détour mais il s’en abstint, ne sachant comment la rôdeuse réagirait et surtout comment il souhaitait qu’elle réagisse. Heureusement, sa compagne reprit la parole, lui évitant ainsi de se rendre ridicule. Kasumi lui adressa un sourire désarmant :

- Peut être regretteras-tu rapidement d’avoir perdu au change.

Avisant un serveur passant non loin, il lui fit signe et celui-ci vint prendre leur commande, interrompant un instant leur conversation. L’établissement proposait du rôti en plat du jour mais prenait des commandes spéciales moyennant supplément. Le jeune homme, manifestant un air de famille prononcé avec l’aubergiste qui les avait accueilli devait être son fils ou un neveu de celui-ci. Après l’acquiescement des convives pour le plat bon marché, il annonça qu’il reviendrait s’il avait besoin d’autre chose ou s’il désirait prendre un dessert. Il ne lui fallut que quelques minutes pour apporter la commande. Les parts étaient plutôt généreuses et recouverts d’une sauce brune. Une demi-miche de pain blanc accompagnait le tout. L’odeur comme l’aspect du repas étaient des plus engageants.

Le demi-elfe se sentait bien et trouva le courage de rompre le silence qui s’était instauré bien que ne sachant pas trop par où commencer sans prendre le risque commettre un impair :

- J’ai pu constater combien tu es douée pour certaines disciplines qui ne me sont guère familières, cela te dérangerait-il de me parler de ton mentor dans l’art de communiquer avec les animaux ?

Non, elle ne regretterait certainement pas d’avoir perdu au change… Mais elle garda cette pensée pour elle.

Le premier geste d’Astrée lorsque le serveur apporta leurs assiettes fut de sortir l’une des potions de soin que Kasumi avait acheté au temple. Elle la contempla d’un air résigné : certainement moins agréable au goût que le repas qu’on leur servait… Mais elle se força néanmoins à l’avaler, dès qu’elle eut avalé quelques bouchées du rôti, en retenant une grimace.
Elle n’osait pas entamer la conversation, intimidée. Pas par le rôdeur, avec qui elle avait partagé tant de choses, mais plus par la situation : c’était la première fois qu’ils se trouvaient seuls tous les deux, et la première fois depuis une éternité qu’elle dînait ainsi en tête à tête avec un homme. Sensation étrange.

Elle fut reconnaissante à Kasumi de rompre le silence. Sa question l’obligea à replonger dans des souvenirs anciens, qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’évoquer depuis bien longtemps.
- Mon mentor s’appelait Jo. Il était passionné par tout ce qui touchait à la nature, les animaux, et m’a appris toute jeune à l’aimer et à la respecter. Il m’emmenait souvent avec lui dans les bois, me montrait les traces, m’apprenait à observer les animaux, à deviner leur humeur, leur état de santé. Il disait toujours qu’il était important de respecter toute forme de vie, que chacune avait sa place et son importance dans l’équilibre des choses. Plus tard, quand je suis devenue vraiment son apprentie, il m’a appris tout ce qui est utile pour survivre seul en pleine nature, à chasser, à me défendre, et à fabriquer mes propres armes pour cela, avec les matériaux qu’on y trouve. Et toujours, savoir observer, écouter, ressentir ce qui s’y passe. Jo était quelqu’un de bien…

Son sourire rêveur trahissait le bonheur de ces moments de son enfance, puis de son adolescence. Elle n’entra pas dans les détails, ne dit pas qu’elle avait fait tout cela contre la volonté de son père, préférant s’en tenir aux souvenirs agréables… Elle avala quelques bouchées de plus, but un peu de vin, puis reprit :
- Il trouvait lui aussi que j’étais douée pour communiquer avec les animaux, mais ce n’est pas réellement un don en fait, en tout cas pas seulement. C’est en partie à cause de ce médaillon.
Elle tira de sous sa tunique une fine chaine à laquelle était accroché un médaillon argenté, et montra à Kasumi le dessin gravé sur l’une des faces :
- L’ours pour la terre, la loutre pour l'eau des rivières, l’aigle pour le ciel. C’est ce que m’a expliqué Jo quand je lui ai montré. C’est ma mère qui m’a donné ce médaillon, peu avant de mourir. Il vient de ma grand-mère. Je pense qu’elle était druide. Je n’en suis pas certaine, j’étais trop jeune quand ma mère est décédée pour avoir eu l’occasion de la questionner. Je crois savoir qu’elle vivait dans les territoires sous influence manostienne, et puisque ce sont des animaux de montagne je me suis toujours imaginée qu’elle vivait dans la cordillère du faucon. Mais je me trompe peut-être… L’autre face du médaillon est vide, mais à 15 ans j’avais apprivoisé un aigle et son profil était apparu sur cette face. Il a disparu à la mort de l’oiseau. Peut-être un jour apparaitra-t-il un autre animal…

Elle sourit à Kasumi.
- Excuse-moi, je parle trop… A ton tour maintenant ! J'ai vu que tu avais toi aussi un médaillon, celui que tu as montré au temple... A-t-il une histoire lui aussi?

Quête : un désir de crépuscule

La nourriture était aussi savoureuse qu’elle en avait l’air mais le rôdeur y touchait à peine tant il était attentif au récit de la rôdeuse. Son médaillon était un objet extraordinaire et Kasumi se sentait privilégié qu’Astrée partage son histoire. Pour la première fois, la rôdeuse semblait aborder sans gêne un sujet personnel devant lui. Il but une gorgée de vin avant de répondre à sa question, il s’y était attendu :

- Ce devait être un homme bien en effet, et il serait fier de toi tout comme ta mère et ta grand-mère. C’est un très bel objet et j’espère que tu trouveras à nouveau l’animal qui se liera à toi. Mon médaillon n’a pas vraiment d’histoire sinon la façon dont je l’ai acquis. C’est une sorte de distinction pour service rendu, un souvenir qui m’a été remis à Luménis tout comme aux résistants qui ont survécu à la libération.

Le rôdeur s’interrompit, ne souhaitant manifestement pas monopoliser le temps de parole ou se mettre trop en avant. Il reprit une bouchée du savoureux rôti, manifestement désireux d’en entendre davantage sur sa compagne sans oser le demander.

Astrée se sentait un peu gênée d'avoir tant parlé. D'ordinaire, elle n'était pas si bavarde... Sans doute un effet de l'alcool, ou une espèce d'euphorie due peut-être à la potion qu'elle avait ingurgitée, ou au fait de dormir pour une fois à l'abri, au chaud...

Elle réalisa en entendant la réponse de Kasumi qu'elle ignorait presque tout des évènements qui avaient agité Luménis. Tout comme elle ne connaissait pas grand-chose à la vie de son compagnon. Cette soirée était l'occasion d'y remédier... Elle était tentée de le bombarder de questions, mais ne voulait pas le mettre mal à l'aise.
- Tu as donc fait partie des résistants de Luménis? Je ne sais pas grand-chose de ce qui s'est passé à cette période, juste quelques rumeurs. Tu as aidé à renverser le tyran... Et, si je me souviens bien ce que tu m'as dit à Dargyll, tu t'es retrouvé entre la vie et la mort... Décidément, tu aimes bien jouer les héros, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. Est-ce ton métier, ou as-tu simplement un don pour te mettre dans des situations impossibles?

Elle sourit à Kasumi, et ajouta, pensive :
- En fait, je me rends compte que je ne connais pas grand-chose de toi. Raconte-moi un peu ce que tu fais de tes journées, à part venir en aide à des conseillers kidnappés...

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi ne s’était pas attendu à ce qu’Astrée manifeste un tel intérêt pour ses occupations mais elle semblait sincère aussi chercha-t-il comment répondre au mieux, se laissant peu à peu bercé par le rythme de la conversation et la confiance qui s’instaurait entre eux. Il gagna quelques secondes de réflexion par une plaisanterie de son cru :

- Eh bien, je suis très déçu que tu ne le saches pas déjà. On m’avait pourtant promis la célébrité quand j’ai commencé ma formation de héros… Voyons, comment j’occupe mes journées. Eh bien, je n’ai pas vraiment de fonction officielle ou de responsabilité envers quelqu’un depuis bien des années. Cela présente au moins l’avantage de pouvoir se laisser porter par ses inspirations ou les évènements. J’ai beaucoup voyagé avant d’arriver sur le continent en fait. Principalement en tant que garde de caravane, parfois en tant que traqueur. Je ne faisais pas ça pour l’argent, juste pour voir du pays.

Le rôdeur marqua une pause imperceptible comme s’il hésitait sur la suite.

- Un barde te raconterait bien mieux que moi ce qui est arrivé à Luménis. D’ailleurs, ils ne s’en privent pas et bientôt leurs histoires seront l’histoire officielle, acceptée de tous. Mais en fait, cette guerre était comme toutes les autres, des citoyens massacrant leurs propres voisins, des hommes aveuglés par de faux espoirs capables de commettre des atrocités au-delà de toute rédemption. Je suis arrivé, avec un contingent Manostien alors qu’une résistance s’organisait. La suite n’est qu’une longue suite d’escarmouches qui m’a laissé pour mort. Beaucoup trop n’ont pas eu la chance de se relever. Je crois que c’est ce qui m’a poussé à aider Albérich. Il a incarné le nouvel espoir, je ne voulais pas qu’il meure avec lui. Mais assez parlé de moi, j’ai besoin de l’avis d’une experte : ne suis-je pas désespérant à toujours chercher les situations difficiles ?

Astrée était heureuse que son compagnon accepte de satisfaire sa curiosité. Il s'était souvent montré discret concernant sa vie, presque taciturne, et le fait qu'il se confie ainsi à elle était une marque de confiance qu'elle appréciait à sa juste valeur.
Elle écouta, songeuse, les mots de Kasumi concernant la guerre civile Luménienne. Oui, toute guerre est atroce, et elle imaginait sans peine les traces que celle-ci pouvait avoir laissé dans l'esprit des survivants.

La gravité du sujet s'estompa cependant avec les dernières paroles du rôdeur. Elle sourit à son allusion à leurs aventures récentes, et répondit d'un ton léger.
- Moi, une experte des situations impossibles? Pourquoi donc? Parce que je me suis jointe à votre expédition sans réfléchir à ce qui m'attendait, ou parce que c'est moi que les Sharites ont choisie pour tenir compagnie à Albérich?

Il y a quelques jours encore, elle aurait sans doute été incapable de prendre ce sujet à la légère, mais le temps commençait à faire son œuvre, et elle était soulagée de constater qu'elle pouvait plaisanter de leurs mésaventures.
- Tu sais, je n'ai pas vraiment l'habitude de ce genre de situation. Et même pas du tout. Contrairement à toi on dirait... Mais j'imagine que si tu te trouves toujours dans des aventures dangereuses, c'est parce que tu aimes ça, au fond, non? Ou alors c'est que tu es poursuivi par la malchance! ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. Moi, personnellement, je me passerais très bien de ce genre de choses... Je ferais peut-être bien de me méfier d'ailleurs : si tu attires les ennuis comme le miel attire les mouches, qui sait ce qui va nous arriver le long du chemin du retour?
Son air rieur indiquait qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie. Elle ajouta d'un ton joyeux :
- Mais je me fais du souci pour rien : avec toi pour me protéger, je ne risque rien!
Ce qui était après tout la stricte vérité.

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Kasumi faillit avaler une bouchée de travers tant le compliment le prit au dépourvu. Il chercha en vain une réplique comique pour essayer de le tourner en dérision, une position plus rassurante. Finalement, il préféra jouer le parti de la franchise et suivant les bons conseils de Solène :

- Tu n’as rien à craindre en effet. Tu es tout à fait en mesure d’assurer ta propre protection et sans doute la mienne. Il faudrait plus que deux malédictions pour t’empêcher de traverser les contrées inhospitalières au cœur de l’hiver. Demain tu auras recouvré toute ta force et c’est moi qui te demanderai de me protéger en cas de grabuge. La vie isolée ne doit pas être tendre de ce point de vue. Même quand le vallon d’à côté regorge soudain de morts-vivants et de fanatiques. Je suis sérieux, je trouve que ton engagement parmi nous était très courageux.

Le visage d’Astrée prit soudain une couleur évoquant davantage le rouge pivoine que son teint mat habituel.
Elle n’avait pas l’habitude d’être ainsi complimentée. Elle chercha une répartie, n'en trouva pas, finit son verre pour se donner une contenance. Elle prit conscience que la tête lui tournait légèrement. Elle n'avait pas l'habitude de l'alcool, il était temps d'arrêter.
- Courageux, sans doute, mais guère utile, fit-elle simplement. Je me suis fait capturer avant même le début des combats et c'est toi et Taliesin qui avez fait tout le boulot. Je n'ai servi à rien, vous auriez réussi votre mission aussi bien sans moi. Ma présence aurait même pu faire tout échouer, s'ils s'étaient servi de moi comme otage...
Les souvenirs affluaient, et la frustration d'avoir été ainsi impuissante transparaissait dans sa voix.

Brusquement, elle saisit l'une des mains de Kasumi dans les siennes et planta son regard droit dans ses yeux.
- Tu ne peux pas imaginer à quel point j'ai été heureuse de te voir apparaitre à la porte, au sommet de la tour. J'ai eu tellement peur...
Peur de le perdre, lui aussi. Simple sensation à la limite de sa conscience, qu'elle ne chercha pas à analyser.
Rougissant soudain de son geste, elle lâcha la main qu'elle tenait et ses yeux plongèrent vers son assiette presque vide, semblant subitement trouver un grand intérêt à la contemplation du morceau de viande qui s'y trouvait.

La Couronne de Cuivre

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