La Couronne de Cuivre

Ils avaient cheminé pendant des heures. La neige qui n'était que flocons inoffensifs tout à l'heure se mua soudain en vraie tempête. Impossible d'y voir à un mètre. Althéa avait fini par descendre de cheval et marchant devant lui et l'enfant afin de reconnaître le terrain, elle guidait l'animal par la bride. Elle n'osait pas se l'avouer mais elle commençait à avoir très froid. Elle non plus ne s'était pas assez couverte. Plusieurs fois, elle glissa dans la neige et s'enfonça dans les congères ce qui ne fit que la tremper encore plus. Elle était épuisée. Et elle s'était perdue.

Au moment où elle allait renoncer à avancer, elle entrevit une forme haute droit devant elle. Une maison sans doute.En s'approchant, il n'y eut plus de doute, il s'agissait bien d'une demeure. Mais quelle demeure. A bien y regarder, il y avait trois étages à cet édifice entièrement fait de bois. Le reste, à part qu'il s'agissait du refuge idéal pour tout voyageur égaré, il ne lui sembla en rien engageant.

Des visages grimaçants avaient été sculptés tout du long de la façade et ils semblaient vous suivre des yeux. L'allée était bordée de sculptures de buis qui étrangement n'étaient pas recouvertes par la neige. Timmo reconnut un ours et deux loups.

Althéa mena l'animal jusqu'à la porte de l'édifice. Il semblait désert. L'impression s'accrut lorsqu'elle frappa et que la porte s'entrouvrit. Désert et ouvert. Etrange. Elle se tourna vers Timmo.

"Bon, ce n'est pas l'idéal. Mais je crois qu'on va devoir dormir là jusqu'à ce que la tempête s'arrête. Ca va, tu n'as pas trop froid ?"

Elle se sentait étrangement inquiète, aux abois. Mais faisait tout son possible pour ne pas le montrer. Par dessus son épaule, le gamin constata que les animaux de buis s'étaient imperceptiblement rapprochés. A moins que ce ne fut une illusion d'optique. Les sculptures de buis, même les plus extravagantes ne se mouvaient pas, voyons !

La seule chose dont il pouvait être sûr, c'est qu'il n'aimait pas trop ici. Pour même dire, il n'aimait pas du tout. Il serait bien retourné dehors plutôt. Mais la neige était beaucoup moins amusante quand il fallait voyager des heures durant dedans, surtout avec le vent. Et il avait bien froid pour tout dire. Il grelotait même franchement. Mais il était un grand. Il n'allait pas dire qu'il avait froid.

« Non, ça ira, madame. »

Il se retourna pour regarder encore les buissons. Il était sûr de les avoir vu bouger. Il y avait du vent pourtant, mais là ce n'était pas pareil, il était prêt à le jurer. Mais la dame, comment s'appelait t'elle déjà? Athéna? Ou Althéa, plutôt, ne le croirait certainement pas. Aussi Timo préféra t'il se taire et s'empresser de rentrer dans la maison, aussi inquiétante qu'elle fut.

A l'intérieur, tout était baigné dans une semi pénombre. Et il faisait froid. Timmo et Althéa débouchèrent dans un hall immense dont une partie était entièrement plongée dans l'obscurité. En s'avançant quelque peu, ils distinguèrent une volée d'escalier emmenant aux étages.

"Ohé, il y a quelqu'un ?", appela Althéa à tout hasard.

Mais seul l'écho lui répondit. L'écho et un bruit imperceptible comme si on remuait là haut. Les yeux levés, essayant de percer l'obscurité, Althéa essayait de cacher son angoisse. Le gamin avait peur lui aussi, elle le sentait. Mais c'était du suicide de repartir d'ici.

"Bon, je te parie que ce ne sont que des souris. Et elles ont aussi peur que nous. Bon, je vais aller mettre le cheval à l'abri, prendre des couvertures, de quoi nous éclairer et à manger et je reviens. A moins que tu veuilles venir avec moi"

Sans tergiverser, le gamin lui emboîta le pas. En ouvrant la porte, ils entendirent le cheval piaffer. Il piétinait la neige en tout sens, comme s'il avait peur. Non loin de lui se tenaient les créatures de buis, encore plus près que la dernière fois. Cette fois, ni Althéa ni Timmo ne purent pas le voir.

La jeune femme, réprimant un cri de surprise attrapa le cheval par la bride et ouvrant le second battant de la porte l'entraîna à l'intérieur. Elle ferma autant qu'elle le pouvait les doubles portes et jeta un coup d'oeil à Timmo.

"Bon, je t'accorde qu'un cheval dans un hall ça fait désordre mais je ne voudrais pas qu'il attrape froid"

Elle n'avait pas mentionné les animaux de buis ni leur inquiétante progression. L'espace d'un instant, elle crût entendre des coups de griffe sur les battants.

"Bon, dit elle plus précipitamment qu'elle ne l'aurait voulu en fouillant dans son sac, je vais nous trouver un bout de chandelle et on va aller voir en haut ce qui s'y passe"

Sitôt dit, sitôt fait. La lueur de la chandelle chassait les ombres, en créait d'autres. Pas très rassurant. Il aurait pu se cacher mille monstres dans l'obscurité du hall. Enfin, ils arrivèrent à l'escalier.

Là, en haut des marches, Timmo vit une petite fille qui lui souriait.

Timmo n'aimait pas beaucoup. Qu'est ce que pouvait faire une petite fille dans une maison comme celle ci, dans le noir? C'était bizarre, très bizarre, même!

« Tu es qui, toi? »

Mais sans avancer. Il avait beau être un homme, il n'empêchait: le gamin restait près d'Althéa, près de la bougie. Il aurait bien aimé qu'elle éclaire un peu plus. Ce qu'elle parut faire, chassant plus efficacement les ombres autour d'eux. La flamme n'était pas plus vive: mais étrangement plus brillante.

Ou le gamin était complètement timbré ou il avait besoin de lunettes. Voila qu'il parlait tout seul, les yeux levés vers le haut des escaliers. Elle avait beau y regarder et bien comme il faut en fronçant les sourcils, regarder sans vraiment regarder mais elle avait beau faire, elle ne voyait rien. Bon, il était possible qu'elle soit aussi timbrée et ait besoin de lunettes mais elle n'y croyait pas trop. Du moins, est-ce qu'on le savait quand on était timbré ?

Pour faire bonne mesure, elle apostropha à son tour l'apparition qu'elle ne voyait pas.

"Dis-donc toi. Tu pourrais avoir la politesse de te montrer. Espèce de petit voyou"

La petite fille prit un air offusqué et se retournant d'un bloc leva sa jupe, dévoilant une chose étrange sur laquelle était brodée : lundi. Elle se retourna hilare et repartit dans les étages.

Ben tiens! Est ce que lui, il montrait ses fesses comme ça? Le jour l'intrigua. Heureusement que papy lui avait un peu appris à lire. Et ce que indiquait depuis combien de temps elle n'avait pas changé ses sous vêtements? On était quel jour au fait, déjà? Samedi?
Beurk. Ca commençait à faire beaucoup.

Lui n'était pas toujours très propre, bien sûr. Mais ce n'était pas pareil: il était un grand. Il avait plein de choses importantes à faire, et il voyageait en plus. Tandis qu'elle, pffff, ce n'était rien qu'une fille.
Rien que pour ça, elle aurait mérité de se casser la figure dans les escaliers en repartant. Du moins, c'est la conclusion qu'il aurait pensé s'il était foncièrement méchant et s'il s'était senti parfaitement rassuré. Mais ce n'était le cas ni pour l'un, ni pour l'autre.


« Tu ne l'as pas vue, toi, la petite fille? » Il se retourna vers Althéa. Il s'était mis à la tutoyer. Mais ça lui paraissait encore plus bizarre. Elle était bien là à le regarder juste quelques instants plus tôt, ça il en était sûr!

Ainsi donc, c'était une petite fille. Enfin, il supposait avoir vu une petite fille. Peut être l'avait il vu mais dans sa tête. Peut-être le marmot était en fait un psychopathe victime d'hallucinations. Enfin ... là, c'était elle qui hallucinait. Il faut dire que l'auberge rendait propices ce genre de pensées.

"En fait non", avoua-t-elle d'une petite voix.

Sa main serra involontairement la main de Timmo dans la sienne et la trouva anormalement froide. En jetant un coup d'oeil à l'enfant, elle se rendit compte qu'il était de l'autre coté. Ses yeux se penchèrent lentement vers ce qu'elle tenait et elle poussa un hurlement. Un bras ! Ah non ! Une relique ! Non, ce n'était pas possible, elle avait reparu. Le temps de crier et de secouer la main, l'apparition avait disparu.

"Miracle"

Pour dissiper la tension, elle demanda à l'enfant.

"Et la petite fille, elle était comment ?"

Il a regardé Althéa d'un oeil bizarre. Il avait un petit peu peur d'un coup de l'avoir vu crier comme ça. Mais ça l'effrayait moins que le manoir dans lequel ils se trouvaient.

« Enfin, comme une fille quoi. Pas très grande. Avec un drôle de sourire. Elle était en haut de l'escalier. Je ne comprends pas pourquoi tu ne l'as pas vue, moi! »

Et ça ne le rassurait pas davantage, en fait.

« Et il y avait quelque chose à propos de lundi... Mais je sais pas quoi. » Sur un petit filet de voix. Il ne savait pas si c'était important. Il l'avait dit, mais il espérait qu'elle ne lui demande pas des précisions. Elle ne le croirait jamais en l'entendant!

Non, elle n'avait rien vu. Et pourtant, il lui semblait entendre des voix. Et les cheveux sur sa nuque se hérissaient de terreur. Cette fois, elle prit doucement la main de l'enfant et lui souffla.

"Bon, je ne sais pas trop ce qu'il y a en haut des escaliers mais je crois qu'on sera plus en sécurité qu'en bas dans le grand hall. On aura qu'à se mettre dans l'une des pièces et la fermer. J'ai de quoi faire du feu et un peu à manger. Quelque chose de chaud, ça te dirait ?"

Voyant l'enfant hocher la tête, elle ne put s'empêcher de sourire. Il n' y avait rien à dire, il y avait quelque chose d'attachant dans ce gamin. Heu ... non, elle n'avait rien pensé.

Sans rien ajouter, elle commença à monter les marches, entraînant le marmot à sa suite. Le couloir semblait délabré. Par endroits, il y avait des trous dans le plancher. Rien n'avait l'air vraiment solide.

"Bon, on va trouver une chambre pas trop mal entretenue. Enfin, s'il y en a une ..."

Ils progressèrent lentement dans le couloir. Une des portes donnait sur une grande chambre. Elle était nantie d'un matelas et d'édredons qui avaient l'air prêts à servir. Mais sur les murs s'étendaient des tâches et des traînées rouge sombre. Althéa entraîna l'enfant un peu plus loin.

"Ils ne doivent pas faire souvent le ménage", souffla-t-elle.

Ils s'arrêtèrent dans une chambre non loin de la première. Le matelas, leur inspira un peu moins confiance mais il bénéficiaient de nombreuses couvertures. Rien d'autre.

"Bon, je crois que nous allons nous arrêter là"

Elle s'arrêta pour prêter l'oreille. L'espace d'un instant, dans le silence résonnèrent des cris et des rires en provenance du hall.

« On avait pas laissé le cheval en bas, dis? Pourquoi on ne l'entend pas? »

Le gamin a frissonné. Il a regardé vers l'escalier. Il s'est agrippé à la jambe d'Althéa. Il n'aimait pas la maison. Et les chambres non plus. Elle avait l'air trop abandonnée et trop occupée en même temps pour inspirer confiance. Ca lui faisait peur même si il ne voulait pas trop le montrer. Il s'est gratté nerveusement une mèche blonde, jouant avec du bout du doigt comme pour se rassurer.

« Finalement, c'était peut être pas une si bonne idée de s'arrêter ici. Mais c'est pas d'ta faute, m'dame. » Il avait dit ça tout doucement, en chuchotant. Mais dehors, ils n'avaient que la neige et les drôles de buissons qui les attendaient.

« On va voir se qui se passe ou on essaye de rester cachés? » L'un comme l'autre lui faisait peur. Il ne pensait pas trouver une cachette assez bonne pour qu'on ne les trouve pas. Mais s'il était fatigué quelques heures plus tôt, il n'avait plus du tout envie de dormir. Ni de rire.

L'espace d'une seconde, elle avait ébouriffé les cheveux du gamin agrippé à sa jambe. Ils tremblaient tous les deux. Elle ramassa les couvertures qu'elle avait laissé tomber à terre, en couvrit les épaules du gamin et s'accroupit en face de lui.

"Écoute tit gars. Je crois que ce n'est pas prudent de redescendre maintenant. Les gens, ils ne sont peut être là que pour la soirée. Pour le cheval, je ne sais pas trop"

Elle faillit ajouter qu'ils seraient sans doute au courant que quelqu'un était entré dans leur domaine mais se tut juste à temps.

"Je pense que quoi qu'il se passe, il vaudrait mieux rester cachés pour le moment"

Joignant le geste à la parole, elle alla se glisser dans un coin, entre la cheminée et le mur. De là, on ne la voyait pas de l'entrée. D'un geste de la main, elle invita le gamin à faire de même.

Ils restèrent assis durant de longues minutes, écoutant chacune des voix et des bruits en contrebas. Les gens avaient l'air de s'amuser beaucoup. Plusieurs heures s'écoulèrent de cette façon. Jusqu'à ce qu'ils commencent à entendre les voix dans leur tête.

Celle qui appartenait Timmo appartenait à la petite fille qu'il avait vue dans les escaliers. Elle lui susurrait.

"Méfie-toi. Elle va te vendre comme esclave à Manost. Peut être même qu'elle te vendra avant. Fais attention.
- C'est un enfant démon, murmurait une autre voix dans la tête d'Althéa, il va te tuer à la première occasion. Tu ne trouves pas étrange qu'il voyage tout seul sans s'être fait attaquer une seule fois ?"

Althéa s'apperçut que oui, c'était étrange. Et que le gamin la regardait de travers. Elle lui rendit son regard, peu rassurée.

"Quoi ?"

Il avait reculé de deux pas, la regardant avec des yeux ronds, puis ensuite méfiants. Il serait sorti de la chambre s'il avait pu être sûr qu'il aurait été plus en sécurité au dehors. Mais il y avait toujours autant de bruit au rez de chaussée du manoir.
Mais au fond, pourquoi lui faisait il confiance, à cette voix? Ca n'avait pas de sens. Surtout qu'il était tout seul avoir vu à qui elle appartenait. Il ne l'entendait que dans sa tête. Et jusque là, Althéa n'était pas beaucoup plus rassurée que lui dans cette maison étrange. Ca, il en était persuadé!

Mais... il se méfiait quand même. On était jamais assez prudent. C'est pour ça qu'il demanda, un peu inquiet:


« Tu l'entends aussi, la voix dans ta tête? C'est pas vrai que tu veux me vendre comme un nesclave? »

Althéa l'avait regardé interloquée. En l'espace d'un instant, elle en avait entendu des belles. Des vertes et des pas mures.

"Quoi ? Te vendre comme esclave ? Mais ça va pas non ? Et oui, j'ai entendu des choses dans ma tête, sur toi. C'est vrai ce qu'elles racontent, que tu es un petit démon ? Que tu as mis ton chat dans la cheminée ? Que tu collectionnes les copies de reliques helmites ? Que tu aimerais que le grand Emissaire t'en signe une ? Et que tu mets des bigoudis ?"

Elle le regardait avec une stupéfaction mêlée d'horreur.

Il a encore reculé de deux pas. Zut! Elle avait découvert tous ses secrets! Il était fait comme un rat. Mais à bien y réfléchir... il ne connaissait pas ce Helm, ni ce grand émissaire, et les bigoudis ou les reliques, si par contre, mais qu'il n'avait pas encore l'âge d'avoir SI mauvais goût. Tiens, voilà qu'il pensait comme un adulte.... beurk. C'était moche et triste.
Et à vrai dire, il semblait bien qu'Althéa venait de lâcher complètement des élastiques. Il ne manquait plus qu'à ce qu'elle ne lui chante: « il était une petite galère. » et le tableau serait parfait. Voilà, ça c'était une explication logique! Il ne restait plus qu'à résoudre la situation délicate qui s'offrait à lui, c'est à dire comment faire face une une démente sans trop l'énerver; et faire la seule chose logique; prendre la tangente.

« Hé, attention, derrière toi, un vendeur de blousons de cuir à trois têtes! »

Voilà. Ca devrait marcher à tous les coups ça. Surtout l'histoire des trois têtes. Un grand classique, vraiment. Sisisi!

Et pendant ce temps, il s'était rapproché discrètement de la porte, possédé avec cet esprit d'adulte qui lui facilitait bien la tâche. Le croyait il.

Sans vraiment réfléchir à ce qu'elle faisait, Althéa s'était lancé à la poursuite du marmouset fugueur. Il fallait vraiment être timbré pour prendre ainsi la poudre d'escampette. Ou complètement neurasthénique et suicidaire.

Elle faillit rentrer dans le gamin, arrêté en plein milieu du couloir. Il fixait un panneau qui n'était pas là quelques minutes auparavant. Il disait à peu près ceci.

AEIOUY
XADI
BD
Avez-vous le Shinning ?

"Honnêtement, je ne comprends pas", murmura Althéa.

Le gosse s'était approché du panneau. Plutôt il avait reçu une « petite » poussette délicate de la part d'Althéa qui le poursuivait et il avait bien failli* avoir l'inscription en relief sur son front. L'inconvénient d'être une crevette en dépit de son intelligence supérieure temporaire se trouvait dans ce genre d'incidents. Ce qui l'avait sauvé, c'est qu'elle avait pilé net à la vue de l'obstacle.

Mais là, il était bien obligé d'admettre comme Althéa. Il n'avait aucune idée de ce que cela pouvait bien signifier. Et même si l'apparition d'écriteaux là où il n'y avait rien avait n'était qu'un moindre mal par rapport à ce que le manoir semblait receler, cela ne le rassurait pas.

Et il regarda la jeune femme, inquiet, comme l'enfant qu'il était. Tel le Timmo qu'il était redevenu. Il ne savait pas trop quoi faire.
____________

*n'en déplaise** à la définition à la définition de « failli » au précédent message
** n'en déplaise au MJ. Comment ça, c'est très mal de déplaire au MJ?

Althéa ne comprenait pas du tout le message, mais il ne disait rien qui vaille. La maison était étrange, trop étrange. Sûrement hantée. Quelque chose avait dû se passer là, quelque temps auparavant. Quelque chose qui s'était imprégné dans les murs car les vieilles maisons aimaient les histoires. Elles les recelaient dans les murs en attendant que des voyageurs ne viennent s'en faire l'écho.

Mais ils allaient devoir passer la nuit ici. S'ils ne mourraient pas de peur, ils repartiraient affronter la tempête. Si ...

Essayant de chasser la peur qui s'insinuait en elle, elle secoua la tête.

"Je pense que c'est une mauvaise plaisanterie. On ne l'a pas vu tout à l'heure voila tout. *Tu mens comme une arracheuse de dents, et il le sait très bien* On ferait mieux de rentrer dans une chambre et de dormir. Demain sera un autre jour. *Si nous sommes toujours là pour le voir*. Essaye de dormir, s'il y a quoi que ce soit, je te protégerai. *si l'on ne me tue pas avant*"

Il l'avait écouté en hochant la tête, doucement. Il ne la croyait pas; même si elle était gentille avec lui. Elle lui mentait, ça il en était sûr. Mais même si ce n'était pas bien, il ne lui en voulait pas. Il s'était remis à trembler, et il avait cherché sa main pour l'attraper. Et il l'avait serrée. Pour se rassurer un peu.

S'il y avait bien quelqu'un qu'il suivrait dans cette maison, c'était bien Althéa. Et non cette étrange fille ou les voix qu'ils entendaient.

"Oui, on va retourner dans la chambre."

Sa voix de petit garçon débrouillard, joyeux et déterminé n'était plus qu'un petit filet presque inaudible. Il avait bien envie de pleurer un peu par moments, mais il ne le voulait pas. Il voulait être courageux. Comme quand il avait décidé de partir quand ses parents étaient morts. Ils voulait qu'ils soient fiers de lui si jamais il pouvaient le voir, d'où ils étaient maintenant.

Elle avait serré doucement la main du petit garçon dans la sienne et de l'autre main avait caressé sa joue.

"Je sais que ça fait peur. Moi aussi, j'ai peur. Mais on va se protéger tous les deux. Tant qu'on reste tous les deux, il ne nous arrivera rien"

Comme pour faire mentir ses paroles, une vague de brume envahit tout à coup le couloir. Ni Timmo ni Althéa n'eurent le temps de réagir. Et soudain, ils furent séparés. Des mains invisibles agrippèrent la jeune femme aux épaules et la tirèrent en arrière. Elle tenta de se débattre, de hurler. Mais elle reçut un coup derrière la tête et perdit connaissance.

Le gamin lui aussi fut soulevé. Il sentit qu'on lui faisait descendre un étage, donc qu'il était au rez de chaussée. Encore un escalier. Il se trouvait donc dans la cave.

Puis la nappe de brume le laissa, et il se trouva face à un plafond voûté et des casiers remplis de bouteilles le long des murs.

Althéa était sortie péniblement des limbes de l'inconscience. Sa tête l'élançait considérablement. Pourquoi tout le monde prenait un malin plaisir à lui frapper sur la tête en ce moment ? Elle se tourna péniblement sur le coté et tenta de se redresser. Une fois n'est pas coutume, elle avait devant les yeux un monde instable et trouble qui avait une mauvaise tendance à tourner inopinément. Elle se redressa lentement et regarda autour d'elle. Visiblement, elle se trouvait dans une chambre. Et elle était seule. On avait donc emmené le gamin. Mais qui ? Et où ? Trois étages à ratisser, portes par portes. Autant commencer tout de suite. Elle se mit donc en route ...

***

Les pas dans l'obscurité coûtèrent beaucoup à l'enfant. Il trébucha sans fois sur des objets qu'il ne put identifier. De loin en loin, il lui sembla entendre des voix, mais jamais il ne reconnut celle d'Althéa. En revanche, celle de la petite fille se faisait insistante.

"Timmo, viens. Viens jouer avec nous. Nous sommes tous en bas"

Althéa, quant à elle, dans le couloir n'en revenait pas. Car le couloir, devant elle se tenait sur ses quatre pattes se tenait un menaçant, un horrible ... chiwawa. Et contre toute attente, elle était plus ou moins effrayée. Du moins, elle avait l'air effrayée. Parce que sinon, si elles voyaient qu'elles ne vous faisaient pas peur, ces vilaines bêtes hargneuses se faisaient vite pousser des dents de cinq mètres histoire de voir si vous changez d'avis. Exactement comme les enfants. Alors oui, elle rasait le mur devant le nabot de chien qui ne se sentait plus d'aise, rouler les mécaniques sur ses petits os ridiculement friables et fragile. Alors, tout doucement, elle l'avait contourné en ponctuant chaque pas d'une petite phrase.

"Ah, j'ai peur""Ah, c'est horrible""Ah, je n'ai jamais eu aussi peur""Je n'ai jamais vu un tel monstre"

Elle gagna les escaliers de l'étage et descendit sur la pointe des pieds.

**

A la cave, donc, le petit Timmo entamait donc un périple qui allait le mener jusqu'au bout de l'épouvante et de l'angoisse. (Note de l'auteur : le narrateur est prié de ne pas trop forcer sur les emphases, ça fait désordre). Donc, le petit Timmo poursuivit son périple dans la cave. (Là, ça va déjà mieux).

Quand tout à coup, derrière lui, une voix jaillit.

"Mais alors Timmo, tu ne me reconnais pas ? Je suis ton père"

Mince. La voix avait une drôle de respiration. Comme s'il avait un très gros rhume ou encore s'il parlait dans une chaussette sale (vous savez, la version qui reste en forme toute seule tellement il y a de peaux mortes dedans - baptisée aussi "je fais le vide autour de moi à deux cents mêtres, mais je ne sais pas si c'est à cause de l'odeur ou de l'aspect"). Mais il ne croyait pas que c'était papa qui était derrière lui. Papa était bien mort, il était allé sur sa tombe avec grand père.

Le gamin a hurlé: "Nooooooooon" , avant de se précipiter vers l'escalier du rez de chaussée, sans se retourner, quelques larmes au coin des yeux. Les souvenirs étaient encore trop frais. Il la détestait cette maison, il la détestait tellement. Il la brûlerait s'ils survivaient à cette nuit. Il se le promit.
Mais avant, il retrouverait Althéa.

Althéa avait continué d'avancer, comptant les pas, l'oreille aux aguets. Et soudain, elle s'était figée. Là, à l'autre bout du couloir, quelqu'un chantait. Et plus elle avançait, plus il lui semblait reconnaître la voix. Basse et ferme, juste et ne faiblissant jamais, la voix de Thom, son père.

Peu à peu, elle vit se dessiner les contours de sa silhouette spectrale. Quand elle arriva à sa hauteur, il se matérialisa tout à fait. La mort ne semblait avoir eu aucune surprise. Il leva la tête en la voyant approcher. Ses yeux étaient entièrement noirs.

"Althéa, je suis venu pour toi. J'erre ici contre ma volonté. La maison me retient prisonnier. Je souffre Althéa d'horreurs contre nature, il n'y a que toi qui peut me libérer.
- Je ferais ce que tu veux, s'entendit elle répondre, mais comment ?
- Tu dois tuer l'enfant, il est une menace pour eux"

Le silence tomba sur ses paroles. Elle resta muette d'effroi un long moment. Sacrifier Timmo ? Pour sauver Thom, apporter le repos à son âme égarée, elle aurait été capable de tout. Même de l'accompagner dans la mort. Mais là ... Non, elle ne pouvait sacrifier un innocent gamin. C'était inconcevable. Et Thom n'aurait jamais voulu ça.

"Non ... tu ne peux pas, ce n'est pas toi. Tu es mort. Tu n'es que mon imagination, que l'image de culpabilité. Et je veux que tu partes"

Les contours de Thom s'estompèrent quelque peu.

"Oui, je suis ta culpabilité, ta honte. Et tu me trouveras partout sur ta route. Dans les moments de doute et de fragilité. Et je finirai par t'emporter Althéa. De toute façon, ta mort est proche, crois-moi"

***

De son coté, Timmo se mit à entendre des pas derrière lui. Dans le noir, quelque chose venait de se mettre à sa poursuite ...

Le gamin s'est mis à courir sans se retourner. Si c'était la chose qui avait essayé de lui faire croire que son père était toujours vivant, elle ne l'attraperait pas.
Il a ouvert la porte d'entrée de la cave, et a débouché dans le hall d'entrée, non sans envoyé la porte de toute ses forces au visage de son poursuivant qui n'avait fait que se rapprocher de lui alors qu'il gravissait les marches de ses petites jambes.

Il ne s'est pas arrêté pour autant, et s'est précipité vers l'accès du premier étage. Il n'était pas sur qu'une porte suffise à arrêter son poursuivant; mais il était pas sur qu'il arriverait forcément sans encombre jusqu'à l'endroit où ils avaient été séparés.

Mais il tentait sa chance avec toute sa détermination.

"Timmo ?"

La voix de derrière lui. Une voix de femme. Une voix enjoleuse, caressante. Une voix qui semblait hors contexte dans cette maison de fantomes. Et pourtant. La voix éveillait à Timmo de doux souvenirs. Car la voix était celle de sa maman.

Et le petit garçon entendait derrière lui un pas traînant, presque imperceptible. De quelqu'un qui marche en ayant peur d'être surpris. Ou qui avance doucement, en se cachant.

"Timmo ? Te souviens-tu comment tu m'as tuée ? Je suis venue là pour te manger Timmo. Je commencerai par ton coeur, puis par tes autres entrailles. Et crois-moi, tu resteras vivant presque jusqu'au bout"

Non, ça, ce n'était pas maman de Timmo. Sauf si ladite maman avait beaaaaaaucoup changé. Mais vraiment considérablement. Par exemple si elle avait pris quelques dizaines de kilos, énormément de poils en plus. Non, pas une naine* . Une ogresse. Quoiqu'à y penser, elle lui avait souvent dit qu'il était à croquer, qu'il était craquant, qu'il était son petit sucre d'orge. Mais c'était métaphorique. Théoriquement. Enfin, c'était ce que le petit Timmo préférait croire, même s'il était pas sûr du sens que ce drôle de mot pouvait bien avoir.

Même si les larmes étaient proches à l'évocation de cette voix, le gosse ne s'est pas démonté, ne s'est pas retourné, et a recommencer à courir derechef** , bien déterminé à mettre le plus de distance possible entre cette parodie et lui même.

[INDENT]* nda: ce n'est pas parce que les naines ont une odeur corporelle forte, sont caractérielles et susceptibles, sont peu gâtées par la nature et autant portées sur la boisson que leurs maris que cela en fait nécessairement des ogres. Sisi. Etonnant, mais vrai. Vous aurez d'ailleurs l'occasion de le tester avec le programme: « hébergez une naine dans votre domaine » pour trois cents pièces d'or par jour, que vous remettrez généreusement à l'auteur. Il vous en remerciera. N'oubliez pas: vos dons coulent en lui.
[/INDENT][INDENT]** vous remarquerez, chers lecteurs attentifs, que ce charmant bambin court beaucoup depuis le départ de cette aventure. Mais je vous y verrais, vous, à sa place. Comment ça, ce n'est pas une excuse? Vous ne voulez pas comprendre? Je vous hais tous!

[/INDENT]

Et il courait vite le sale gosse. Aussi déterminé qu'un hamster dans une roue. Tellement vite qu'il lui sembla courir à reculons. Oui, c'est bien cela, il marchait à reculons. Lisant ce qu'avait écrit l'auteur, il stoppa net.

"Hé, ho, ça va pas la tête ?"

L'auteur penaud baissa la tête et se remit à taper sur son clavier.

"Non mais. Déjà que je n'ai pas de salaire, ni d'augmentation. Tu m'avais promis un voyage à Honolulu. Et toujours rien, niet, que dalle. Alors arrête de me faire dire n'importe quoi."

L'auteur se fit tout petit derrière sa souris et repris le fil de son récit.

Timmo donc se mit à courir très vite. Il se retrouva dans un immense couloir. Il dépassa très vite, une horloge, un piano à queue, une grand-mère.

"Hé, salut mamie"

Et buta de plein fouet contre Althéa qui arrivait péniblement jusqu'à lui.

Après avoir salué ladite grand mère -ce n'est pas parce qu'on fuit qu'on oublie les règles de politesses, même quand on doit apporter un petit pot de beurre à une vieille dame, il faut toujours être poli et respectueux avec le troisième âge, au risque de paraître stupide ou naïf. Même quand il s'agit de se faire boulotter par une bestiole peu recommandable après.
Bon, là, il ne s'agissait pas de finir sur la liste pour le quatre heure d'une bretteuse à la démarche arthritique, et d'ailleurs, comme il ne s'agissait pas encore d'une personne ayant atteint un âge vénérable, le charmant bambin n'eut pas le réflexe de freiner assez vite. Et arriva ce qu'il devait arriver. Un arrêt brutal, la tête dans le ventre de la jeune femme, et leur chute commune fort peu artistique dans un concert de jurons.

Le gamin était sonné. Et Althéa avait assez mal visiblement. Bouh, qu'elle était grossière. Il a voulu se boucher les oreilles, mais il apprenait plein de mots nouveaux. Petit con. Non, ça il connaissait. Apprends à tenir ta file, chauffard. Ça, c'était nouveau. Et plein d'autres termes chouettes, en fin de compte.
Mais il était content de la revoir, vraiment. Plus que tout. Il s'est approché d'elle, et lui a laissé un bisou baveux sur le front. Il souriait.