La Couronne de Cuivre

Après une longue route...

Alors reprit la longue route, plein nord. Ils traversaient de vastes plaines un peu sèches, où seules des pistes de terre marquaient une présence humaine. Ils croisaient des villages, de temps à autres, sans s'y arrêter. L'orée du Bosquet se distinguait très vaguement, loin à l'est, par temps clair. Le plus pénible était de supporter la terre qui s'accrochait à leurs bottes, la linéarité de l'horizon et l'allongement insupportables des heures. Ils ne furent pas attaqués, à peine dérangés, un soir, par un sanglier qui fuit devant le nombre. Et ne croisèrent en tout et pour tout que deux charrettes de marchand qui descendaient au sud.

Après six jours d'une marche monotone, ils parvinrent en vue d'un village.

"La divination du conseiller parlait, je crois, d'une auberge à trente lieues au sud d'Aghoralis. Si j'en crois les cartes, c'est Sarpou que nous avons dépassé hier, et ce village-ci doit être Dernek. Il y a de grandes chances que là soit l'auberge que nous recherchons."

Comme pour lui donner raison, à peine eurent-ils fait cent pas dans la rue principale de ce village qu'ils distinguèrent une enseigne portant choppe bien pleine. La rue était déserte, et il ne sortait de l'établissement aucun bruit de conversation. Guère surprenant, en un endroit aussi peu fréquenté, et alors qu'il était trop tôt de deux heures pour envisager un repas de midi.

Et maintenant, songea Corwin ? Allaient-ils commander une bière ? Prendre une chambre ? Camper là en attendant un signe divin, une rencontre, le moindre indice ? La divination n'avait pas donné la suite du mode d'emploi...

Quête : le Poing levé

Sans être épuisant, le voyage s’était révélé éprouvant pour Chandara. L’ambiance morose des Helmites, - elle y compris - et la méfiance avec les mercenaires Manostiens n’avait que peu permis les échanges de conversation autour du feu ou lors de leurs longues marches journalières. Lorsqu’ils arrivèrent enfin en vue du seul but qu’ils s’étaient fixé depuis la défection des pouvoirs conférés par leur dieu, la paladine éprouva un certain soulagement. Bientôt ils pourraient rentrer à Manost et faire la lumière sur cette affaire, solliciter un prêtre plus sage qui pourrait les aiguiller sur la voie de la rédemption…

Pour l’heure, la jeune femme avait des idées plus pratiques en tête. Couper à travers champ présentait des avantages mais leurs vêtements en avait fait les frais, et pas seulement.

- Nous ne savons pas pour combien de temps nous en aurons ici. M’est avis que cela ne coûterait pas grand-chose de louer une chambre et de voir si cet établissement est doté de bains.

C'était la première fois qu'elle proposait une initiative depuis Manost et malgré la futilité de sa proposition, elle arborait un ton déterminé, celui qu'on aurait attendu d'un paladin presque digne de ce nom en tous cas.

"C'est une bonne idée."

Oriane avait accueilli la proposition de la paladine avec un soulagement perceptible. La semaine qui venait de s'écouler avait été éprouvante. Les helmites s'étaient montré particulièrement moroses, et il fallait bien avouer qu'elle même n'avait pas vraiment eu le coeur à lancer quelque conversation que ce soit. Bien que cela ne la concerne que d'assez loin, elle s'était interrogée sur le silence soudain d'Helm. Il lui semblait qu'Elissa ne les aurait pas envoyé accomplir une mission qui aille à l'encontre du dogme helmite. Et les prêtres, et la paladine, ils n'avaient rien de renégats à première vue. C'était décidément étrange.

C'était la seule conclusion à laquelle elle avait pu arriver. Quelque chose se passait, c'était à peu près tout ce qu'elle pouvait dire. C'en était frustrant, mais que pouvait-elle faire de plus ? Tout ce qu'elle espérait, c'était qu'ils puissent trouver rapidement celui qu'ils étaient venus chercher, et qu'avec lui arrivent quelques réponses.

" Je suppose que c'est un début. Peut être pourrions nous en profiter pour interroger le propriétaire sur le passage d'individus pouvant correspondre au signalement d'Eroeh... Si ils en ont gardés le moindre souvenir. "

Mical ne s'attendait guère à ce que cette méthode produise des résultats - ce qui en soit ne signifiait pas grand chose : lui eut on annoncé que les précédents propriétaires étaient tous décédés d'un accident de luth et avaient étés remplacés au pied levé avec tout le personnel il y a quelques jours seulement qu'il se serait probablement contenté de hausser les épaules. Non, il ne se sentait guère d'humeur optimiste, ces derniers temps. Allez savoir pourquoi.

" Sinon, il se pourrait que nos adversaires soient arrivés avant nous. Leurs traces devraient alors être plus faciles à suivre, même si nous courrons le risque d'arriver dans ce cas trop tard. "

Depuis que le prêtre avait guéri définitivement son bras, le moral de Brus était revenu spontanément et n'était pas atteint par l'échec qui frappait les prêtres, puisque, n'y connaissant rien, il ne s'en préoccupait pas. Son moral ne se trouva pas non plus entamé par les jours de marches moroses qui suivirent la traversée du cours d'eau. Brus découvrait la nature. Cependant il la trouvait un peu morne et surtout fatigante à traverser, aussi saluait-il chaque nouveau village qu'ils traversaient d'un regain d'intérêt et d'énergie. L'humeur sombre de ses compagnons paraissait toutefois inébranlable.

Ils arrivèrent donc, tôt ce matin, dans un nouveau village, et manifestement, il était leur destination finale. Ici débuteraient donc leurs recherches, même s'il ne savait pas véritablement qui ils cherchaient.

- Eroeh, c'est l'type qu'on cherche? Y r'ssemble à quoi? et il habite ici c'est ça?

S'il y avait une personne qu'Althéa n'avait pas oublié, c'était bien Eroeh. Ce croyant à la vie sacrifiée, dont la vie n'avait longtemps été qu'une immobilité de pierre chez un vieil helmite. Elle savait que le vieil helmite en question se souvenait de lui aussi de l'épisode. La poursuite, l'affrontement, la naissance de Leodacya. Lothringen ... Où pouvait-il être en ce moment ? Cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu. S'il était à Manost, il pestait sûrement contre elle pour avoir laissé leur fille. D'un autre coté, ne serait-il pas parti s'il en avait eu l'occasion ?

Pour s'occuper l'esprit, elle tira son carnet de croquis de son sac. Elle travailla de mémoire, à main levée. En quelques minutes, elle avait en main un crayonné plutôt fidèle d'Eroeh. Elle le tendit à Brus.

"C'est approximativement à ça qu'il ressemble."

Brus avait observé avec intérêt la bretteuse pendant qu'elle dessinait le portrait de l'homme. Il reçut le croquis avec un froncement de sourcil tout en essayant de mémoriser rapidement le visage reproduit. Comme personne ne parlait il releva la tête, plia hâtivement le papier en deux pour le ranger et ajouta:

- Pour l'bain c'peut attendre, non? N'a tout l'jour d'vant nous, faut pas perd' le temps comme dit m'sieur Mical.

En fait, Brus n'était pas spécialement adepte des bains et donc ne partageait que peu le plaisir que devait suggérer cette pensée à la paladine. Et puis maintenant qu'ils étaient arrivés, qu'ils ne passeraient plus leurs journées entières à marcher à travers la campagne, qu'enfin il allait y avoir un peu d'action, le gamin ne souhaitait pas s'enfermer dans une auberge. Il lui tardait d'explorer ce bout rare de civilisation.

Corwin ne pouvait qu'approuver la jeune sagesse de Brus. Les bains pouvaient attendre. Il était du reste de ce genre de guerriers qui pensent que les bains peuvent toujours attendre un peu plus. Une fois qu'on a baigné longuement dans son propre fumet, on n'en est plus incommodé, après tout... Simple question d'habitude.

"Je préfèrerais ne pas musarder, moi non plus. Nous ne savons pas où en sont nos adversaires. Je trouve du reste qu'ils ont été bien discrets jusqu'ici, et ça ne me dit rien qui vaille. Riez si vous voulez : je le sens dans mes os, aussi sûr que la pluie."

Sur cette prophétie douteuse, ils pénétrèrent dans l'unique auberge de Dernek, pour l"heure déserte : ce lieu-dit n'avait pas grand chose de pittoresque, à l'exception d'un vieux chien assoupi devant l'âtre, qui, lui aussi, ne devait pas aimer les bains, pour le plus grand bonheur de ses tiques. Après quelques temps de barouf involontaire, une tenancière apparut derrière le comptoir. Elle paraissait un peu sur la défensive, tout en dévisageant cette brochette d'étrangers avec circonspection.

"Bienvenue à Dernek, messieurs-dames... Que puis-je pour vous ?"

Quête : le Poing levé

Chandara comprenait très bien que la mission passait avant tout, d'autant plus après les préoccupantes révélations récentes. Cependant, elle n'était pas prête à abandonner la partie. Ses vêtements la démangeaient tellement qu'elle était incapable de réfléchir sereinement et l'odeur de certains de ses compagnons, elle y compris, commençait à lui tourner la tête. Elle s'approcha de Corwin pour murmurer avec peu de discrétion :

- Etant donné notre odeur, aucun ennemi n'aurait à nous chercher longtemps pour retrouver notre trace. Si vous ne le faîtes pas par amour de la propreté, prenez au moins un bain par soucis de discrétion.

Mical jeta un regard en biais à la paladine avant de faire face à la gérante, attendant toujours une réponse à sa question.

" Nous donner des renseignements, peut être. "

Il fit un léger signe de tête à Althéa, dont il espérait que les talents artistiques soient suffisement développés pour que son portrait d'Eroeh se montre utile.

" Nous sommes à la recherche de quelqu'un... "

La femme avait froncé les sourcils en entendant ce préambule, ce qui semblait indiquer que chez elle, en général, les renseignements ne figuraient pas sur la carte des services. Mais elle laissa néanmoins Mical parler jusqu'au bout et jeta un vague coup d'œil au portrait esquissé par Althéa.

« Ah, ce... ce prêtre, comme vous. Il a dormi ici, une nuit, il y a des mois de cela. L'air fatigué, sombre, pas bavard. Une tête qu'on n'oublie pas. L'a pas dit d'où il venait, ni où il allait. Désolée de ne pouvoir vous aider davantage. Vous prendrez bien des consommations ? Oui, bien sûr. Installez-vous et attendez un instant, je reviens avec elles. »

Et elle disparut dans l'arrière salle sans leur laisser le temps d'en placer une. Alors qu'ils en étaient à se demander si elle s'était enfuie, elle revint peu de temps plus tard, avec un plateau de bières qu'elle mit à leur disposition, d'autorité. Sous l'une des chopes, Althéa trouva un petit papier plié en quatre. L'écriture était maladroite et l'orthographe approximative, comme celle d'un enfant.

«CETE NUI KE UN DE VOU AYE AU ECURIE MA FILLE VOU EKPLIKERA. SOIE PRUDANS, ON VOU SURVEY. »

Oriane jeta un coup d'oeil sur la note pendant qu'Althéa la lisait. Un petit sourire teinté d'ironie apparut sur son visage, pour disparaître presque aussitôt tandis qu'elle murmurait :

"On dirait que nous aurons peut-être le temps de prendre un bain après tout."

La perspective n'était définitivement pas pour lui déplaire, mais elle se garda d'en rajouter sur le sujet. L'idée n'avait pas eu l'air de faire l'unanimité, et ils allaient certainement trouver autre chose à faire. Comme...elle regarda la note du coin de l'oeil à nouveau...décider qui se rendrait à l'écurie ? Que l'un d'entre eux s'y rende seul lui semblait déjà une idée assez mauvaise. Elle préféra néanmoins attendre que tout le monde ait pris connaissance du message avant de faire part de ses réserves.

Althéa avait froncé les sourcils. Que quelqu'un se rende seul à l'écurie et que quelqu'un les surveillait ne l'enchantait pas du tout. Leur nuit n'allait pas être reposante, loin s'en fallait. Déjà, fallait-il qu'ils fassent confiance à l'émetteur du message ? ça pouvait tout aussi bien être un piège grossier.

D'un habile tour de main, elle posa tout doucement le billet devant Mical, Brus et Chandara, afin qu'ils puissent lire à leur tour. Puis, mine de rien, elle releva légèrement la tête comme plongée dans ses pensées et regarda un à un les clients de l'auberge. Peut-être verrait-elle la personne qui les observait.

(Mais ils étaient toujours les seuls clients de l'auberge dont la salle commune demeurait vide. Si quelqu'un les observait, ce devait être d'une manière un peu plus discrète qu'en jouant les piliers de bar. Et ce ne devait pas être si difficile que cela : après tout, ils n'avaient pas pris de précautions particulières lors de leur entrée dans le village... Les yeux ou oreilles indiscrets pouvaient être partout, dans les maisons voisines comme dans les chambres déjà louées. Tout bien réfléchi, leurs adversaires pouvaient même user de magie profane.)

Quête : le Poing levé

Chandara boudait. Pourtant, ses préoccupations hygiéniques furent remplacées par la curiosité à la lecture du mot mal orthographié. Prise d'une soudaine et dangereuse initiative, elle surprit ses camarades en prenant la parole à son tour :

- C'est moi qui devrait y aller. Si c'est un piège, il est de mon devoir de repérer le mal et le combattre.

Mical haussa un sourcil à ces paroles, avant de choisir ses mots avec précaution.

" Je doute qu'il s'agisse d'un piège. Il aurait été incroyablement stupide de la part de nos ennemis de nous avertir de leur possible présence. Non, peut être que quelqu'un plus familier d'Eroeh serait... préférable? Il y aurait plus de chances d'obtenir des détails. "

Intérieurement, le prêtre pestait contre ce nouveau délai les forçant à patienter encore une nuit. L'inactivité ne lui seyait guère, depuis ces derniers jours. Mais il lui faudrait pour le moment prendre son mal en patience, jusqu'à ce qu'ils obtiennent des réponses.

" Dame Althéa, qu'en pensez vous? "

Brus regardait son verre de bière avec circonspection. Il buvait rarement de l'alcool et la dernière bière dont il se souvenait l'avait laissé ivre et couché dans un tas d'ordure; cette fois-ci, on était en mission. Et puis il était un peu tôt. Mais si Brus semblait accorder tant d'importance à son verre c'est qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait bien être écrit sur le petit bout de papier qu'Althéa avait fait glissé sur la table avec beaucoup de professionnalisme. Alors il essayait de suivre la conversation tant bien que mal, se donnant une contenance pour ne pas laisser transparaître son incompréhension. Il se sentait en trop dans ce groupe d'aventuriers expérimentés et l'épisode des gnolls lui paraissait suffisant pour ne pas paraître encore plus comme un boulet aux yeux du reste du groupe. Finalement Brus but quelques gorgées de bière, il serait toujours temps de poser des questions à Althéa plus tard, si la situation ne s'éclaircissait pas avec la conversation.

Corwin avait suivi la conversation sans intervenir ; que ce soit Althéa ou Chandara qui se présente au rendez-vous ne lui semblait pas l'essentiel, bien qu'il ait jugé les arguments de Mical plutôt convaincants. Non, ce qui l'inquiétait, c'était de savoir qu'ils étaient repérés. Que, quelque part, et pas loin, on s'intéressait à leurs faits et gestes, et qu'on finirait sans aucun doute par les attaquer au moment où ils s'y attendraient le moins. Pourquoi n'était-ce pas déjà fait, d'ailleurs ?

Sortant de ses ruminations moroses, il reporta son attention sur Althéa, attendant comme les autres sa réponse.

Althéa avait rougi légèrement. Elle n'avait ni vraiment d'opinion sur la question, ni vraiment envie de savoir s'il s'agissait d'un piège ou pas. Mais l'opinion de Macros n'était pas farfelue, loin de là. Si et seulement si il s'agissait d'Eroeh ou de l'un de ses proches, il serait préférable qu'il parle en terrain connu. Donc ...

"Oui, c'est une bonne idée, finit-elle par dire, et après tout, rien ne nous empêche de regarder discrètement qui sera au rendez-vous. S'il s'agit d'un piège .. Hé bien .. J'imagine que vous ne serez pas très loin."

D'un certain coté, elle disait vrai. Elle leur faisait confiance, malgré leurs incapacités helmites du moment.

Quête : le Poing levé

Chandara était à la fois vexée que les autres ne lui fassent pas assez confiance pour lui confier cette mission et, elle devait l'avouer à sa courte honte, un peu soulagée de ne pas avoir à affronter seule un piège éventuel. Elle n'était pas sûre de savoir comment mener la rencontre et obtenir les renseignements si importants pour leur mission. Avant tout et malgré sa proposition, elle avait eu peur de décevoir ses compagnons.

- Nous veillerons à ce que rien ne vous arrive.

"Hé bien, je suppose que nous ne serons pas loin. Mais mieux vaudrait ne pas attirer l'attention... dans le cas où ce ne serait pas un piège, voyez."

Il se gratta machinalement le cou, où la sueur séchée lui donnait des démangeaisons. Finalement, le délai n'était pas si malvenu... Il apaiserait peut-être le regard sévère de la paladine, en tout cas.

"Je suppose que nous allons avoir du temps à tirer, du coup... Après le bain, je voudrais... essayer de visiter un peu le village. Libre à vous de vous tourner les pouces."

Peut-être les autres estimeraient-ils que c'était une prise de risque gratuite, mais il se voyait mal demeurer à l'auberge, inactif, jusqu'au soir. Surtout si on les espionnait.

- J'vous suis m'sieur Balder! Brus venait de redresser la tête au dessus du verre qu'il avait déjà à moitié vidé. Il regarda les autres un bref instant puis, plus conciliant, ajouta: 'fin si vous v'lez bien, hein. Vous m'dites quand on y va, j'vais faire trempette vu qu'c'est forcé...

Brus comprenait peu à peu de quoi retournait le message écrit sur le bout de papier. La situation semblait enfin évoluer et comme l'avait dit le vieux prêtre, l'adolescent ne comptait pas non plus se "tourner les pouces". Enfin, le village, bien qu'il n'ait rien à voir en superficie et en population avec Manost ou Athkatla, méritait aux yeux du voleur une petite inspection. Il se leva donc et emporta son verre pour aller voir la tenancière. Il lui signifia qu'il fallait qu'il prenne un bain et il s'empressa de suivre ses instructions.

Il est vrai qu'un bain arrangerait bien des choses. La marche avait imbibé ses chausses de sueur au point qu'elle pensait qu'elle allait devoir les tordre pour les faire sécher. Elle avait hâte de mettre des habits propres et retrouver un peu de sérénité. Althéa avait décidé qu'elle resterait dans l'auberge afin d'observer les allers et venues dans la journée, et surtout se préparer à leur escapade nocturne.

Elle jeta un coup d'oeil du coté de la serveuse qui leur avait remis le billet, afin de lui faire comprendre qu'ils avaient compris le message. Un bon bain donc et ensuite ... Elle attendrait.

Tout le monde semblait d'accord pour que ce soit Althéa qui se rende au rendez-vous et Oriane n'avait vu aucune objection à formuler. L'argument du prêtre avait été pertinent. Elle se serait elle-même bien proposée, mais il lui semblait qu'elle n'était sans doute pas la plus concernée par cette affaire. Elle se contenterait donc d'apporter son aide, si cela s'avérait nécessaire.

La jeune femme jeta un coup d'oeil vers la fenêtre. Il faisait encore jour, ils allaient devoir prendre leur mal en patience. Elle s'appuya sur le dossier de sa chaise, résolue à profiter de ce premier vrai moment de repos. Tandis que Brus quittait la table, elle attrapa son verre et en but une gorgée. La bière n'était pas de la meilleure qualité qui soit, mais elle avait un petit côté réconfortant qui n'était pas désagréable.

"Pour ma part, je pense rester ici. J'ai fait suffisamment de...tourisme pour l'instant. C'est sans doute une fort jolie région et un village charmant, mais un peu de repos n'a jamais fait de mal à personne."

Peut-être changerait-elle d'avis après un bon bain. Mais elle se contenterait plus vraisemblablement d'attendre à l'auberge que la nuit tombe, en compagnie de ceux qui n'iraient pas visiter le village.

Quête : le Poing levé

Chandara était ravie que cette halte forcée soit au moins l'occasion de se décrasser et de ne plus sentir ses vêtements moisir sur son dos. Certes rester immobile faisait augmenter le risque d'être repérés et d'une attaque mais la paladine était au moins soulagée de constater qu'ils n'avaient pas fait fausse route. Après la défection de ses sensations mystiques, elle n'avait plus vraiment était sûre de rien, en premier des choix qu'ils avaient fait depuis leur départ Manost. Elle gouta elle aussi à la bière, plus par mimétisme que par réelle envie et fit la moue :

- Cela ne vaut pas le vin de chez moi mais au moins ça désaltère. Vous pensez qu'il est prudent de rester tout l'après-midi à l'auberge ? Enfin, non, pas que se montrer dans la rue soit vraiment plus discret...

Corwin haussa les épaules.

« De toute évidence, nous sommes déjà repérés... »

Son regard s'attarda sur la propriétaire de l'auberge, qui s'affairait derrière son comptoir. Si elle surprit le regard entendu d'Althéa, elle mit beaucoup de soin à ne pas y répondre.

« Pour les bains, nous avons deux salles d'eau à l'étage, précisa-t-elle. Les hommes à gauche, les femmes à droite... Il faut néanmoins un peu de temps pour faire chauffer l'eau ; il ne faudra donc pas y passer à plus de deux à la fois. Je vous prépare tout cela. Et les chambres aussi. Vous aurez celles du second étage.»

La femme donnait l'impression d'être nerveuse et d'avoir peur de quelque chose. Mais de quoi ? Corwin regrettait ses sorts. Ils lui auraient fourni si facilement la réponse.

Comme ils comptaient ressortir, Corwin et Brus prirent le premier tour des bains. Il s'agissait de deux baquets d'eau chaude que la jeune fille de la maison vint leur remplir avant de se retirer promptement. Après avoir tout aussi promptement retiré son équipement, le vieux prêtre s'engloutit dans le sien avec un plaisir non dissimulé. Il était perclus de courbatures que l'eau chaude faisait bien provisoirement disparaître.

Mical regarda son aîné monter à l'étage en compagnie de Brus, avant de reporter son attention sur la bière que la gérante avait déposée d'autorité sur leur tablée. Il ne buvait que peu, en temps normal, mais les circonstances étaient... particulières. Il avala précautionneusement une gorgée, bien incapable de porter un quelqconque jugement sur la qualité de la boisson. Mais le goût vaguement amer du breuvage n'était pas désagréable. Il porta un oeil distrait sur ceux qui étaient toujours assis autour de la table.

" Plus qu'à attendre, je suppose. "

Il ponctua la phrase d'une nouvelle gorgée. Il lui semblait que la liqueur l'aidait à s'éclaircir les idées. C'était mieux que rien, sans doute...

Brus déposa sa dague et ses quelques effets personnels puis se laissa glisser à son tour dans le baquet. Le contact de l'eau chaude lui parut être la sensation la plus agréable qu'il eût éprouvé de sa vie. Il s'immergea tout à fait, seule sa tête dépassait de l'eau qui prenait progressivement une couleur brunâtre.

- Quand j'pense qu'on a failli manquer ça! Tout en parlant, Brus se distrayait en créant du revers de la main de petites vaguelettes. C'vraiment pas mal hein? ... Une sorte de gargouillis apprit au prêtre que le gamin s'amusait à souffler sous la surface de l'eau. Mais dites, dans l'patelin 'va faire quoi? Z'avez une idée ou 'v'lez juste j'ter un coup d'oeil? Nouveaux gargouillis. Ç' n'a pas l'air bien grand... Pis, faudra pas êt' en r'tard pour l'rendez-vous!

Corwin contemplait avec un sourire béat les grumeaux de boue et les moutons de poussière et de cheveux qui remontaient à la surface de son bain. Il n'avait pas eu vraiment conscience de la longueur de leur voyage, jusqu'à maintenant. Prenant en main un gros pain de savon, il entreprit de répondre à Brus tout en frottant.

"En fait, je me disais qu'ils ne devaient pas être très loin. Soit ils sont là, dans le village, soit ils sont passés il n'y a pas longtemps. J'aimerais glaner une ou deux informations auprès des habitants - combien ils sont, où, peut-être... J'ai la désagréable impression qu'on va finir par nous tomber dessus, et j'aimerais bien en savoir plus avant. Et puis, bon... l'après-midi va être long, même s'il est doux de ne rien faire après une si longue route."

Brus imita les gestes du prêtre saisissant lui-même un autre pain de savon. Pendant ce temps il hochait prudemment la tête aux propos du vieil homme.

- Z'êtes futé m'sieur Balder! Z'avez pensé à tout.

Brus se contorsionna pour passer le savon sur la plante noirâtre de ses pieds. Au bout de quelques minutes il ajouta:

- Savez, moi j'toujours senti qu'j'étais en route, 'lors ici ou là... Faut profiter, c'tout.

Lorsqu'il eut fini de se laver, il prit une serviette et s'essuya plus qu'il ne se sécha. Puis une fois qu'il eut récupéré ses effets, il franchit la porte après avoir informé Corwin Balder qu'il l'attendait devant la porte de l'auberge parce qu'il allait profiter du soleil pour sécher tout à fait. Brus descendit les escaliers, lâcha un "au suivant" à ses compagnons, puis il se trouva dehors.

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