La Couronne de Cuivre

Sise dans le détroit qui sépare Dorrandin d’Hélonna, l’île de Mersant n’est qu’un morceau de roche volcanique affleurant à la surface de l’océan. Il s’y dresse un hameau composé d’une dizaine de bâtisses, comprenant une auberge « Le Milieu de Nulle Part » , une ferme, un comptoir commercial et deux hangars où les marchands peuvent entreposer leur fret et le revendre sans avoir à gagner les continents. Le reste de l’îlot est composé de pierres et couvert d’une végétation aride, sans le moindre intérêt pour personne.

Mersant est une zone neutre dans le sens où Mélandiens, Manostiens et Luméniens s’y croisent pour faire affaire. Cette neutralité n’est cependant possible que dans la mesure où chaque peuple met de l’eau dans son vin. Les provocations, le prosélytisme et autres prises de bec sont donc fermement découragés… Même si personne n’est là pour faire régner l’ordre.

Quête : Les Squelettes du Placard.
Chapitre 7 : Traversée (suite).

Venant des côtes hélonniennes, la Liberté se glissa dans le port de Mersant, secouée par la houle. L'un des quais était déjà occupé par la silhouette effilée d'une galère mélandienne en bois sombre qui dansait aux amarres, cognant de temps en temps contre la jetée avant de tirer sur ses cordes. Il se mit brusquement à pleuvoir. Dans le dortoir, le bruit de l'averse était assourdissant. Motivés par la perspective d'un toit et d'une bonne flambée, les marins de la Liberté l'asservirent au quai resté libre en un temps record, puis Constance, détrempée, fit son apparition à l'abri.
" Vous pouvez rester à bord mais la tempête est sur nous et ça va secouer sec. Je suggère à ceux qui veulent descendre de le faire maintenant : quand le vent sera levé, franchir la passerelle deviendra suicidaire. Sans compter la traversée d'un quai glissant sous la pluie. L'auberge est la maison rouge droit devant, la porte est ouverte. Ah... Ne vous inquiétez pas trop de la compagnie à l'intérieur. C'est aussi, évidemment, un bordel."
Puis, sur un sourire, elle remonta vers le pont.

Taliesin demeura quelques secondes bouche bée.
Puis, mentalement, il s'insulta de toutes les manières possibles et inimaginables.
Comment avait-il pu ne pas y penser ? Une auberge située sur ce genre d'îlot, fréquentée exclusivement par des marins, par des marchands... Une telle auberge était forcément une maison close, à un degré ou un autre !
Bien sûr, les tenanciers de semblables établissements pouvaient être des gens tout à fait respectables. Mais quand même...
Il secoua la tête. Ils n'avaient pas le choix, de toute manière. Une maison close était mille fois plus recommandable que Mélandis.
Il se tourna vers Valaellyn, se rapprocha d'elle.
-Je crois que, pour nous, il n'est pas question de demeurer à bord...

La prêtresse acquiesça puis, prenant Benoît par la main, s'avança dans le couloir sur les traces des autres passagers. Au dehors, la tempête prenait de l'ampleur, les nuages changeaient de forme à vue d'oeil et les flots grossissaient, secouant de plus en plus le navire. Ils débarquèrent pratiquement tous, seuls Gauthier et Greta demeurèrent à bord. Constance ouvrait la marche et dès qu'elle fut sur le quai, elle se mit à courir sans cérémonie, imitée par Fred et George. Les autres suivirent à des rythmes divers.
L'auberge du "Milieu de Nulle Part" se trouvait effectivement en bout de quai et lorsqu'ils y pénétrèrent, ils furent frappés par la température torride qui y régnait. Un grand feu ronronnait dans une cheminée de belle taille, éclairant une salle d'auberge typique, plutôt cossue, parsemée de tables rondes de tailles diverses. Un grand comptoir ornait le mur de gauche, derrière lequel se trouvait un homme très mince aux cheveux noirs, qui les regarda débarquer avec un sourire amical. Deux femmes étaient assises près du feu et elles poussèrent des cris effarouchés et s'enfuirent dans une pièce voisine.
" Bienvenue !" tonna une voix chaleureuse, quelques secondes plus tard, tandis qu'une rousse imposante faisait son apparition. " Bienvenue au Milieu de Nulle Part !"

Bon, au moins, l'endroit était propre et chaleureux, les tenanciers amicaux. Quant aux deux femmes qui s'étaient enfuies à grand fracas... Peut-être étaient-elles des hôtesses usant de semblables manières pour émoustiller le chaland. A moins, simplement, qu'il ne s'agisse de clientes particulièrement inquiètes...
Ils ne tarderaient pas à le savoir, sans doute. Et, au fond, cela importait peu : seul comptait la bienveillance - et la respectabilité - des maîtres des lieux. Taliesin s'efforça donc, tout en paraissant poli et ouvert, de les observer avec attention.

La rouquine connaissait manifestement Constance, car les deux femmes s'étreignirent (après que le Capitaine se soit débarrassée de son manteau mouillé) et commencèrent à bavarder avec animation. Les Luméniens commencèrent à s'asseoir à droite à gauche, un peu embarrassés, comme s'ils mettaient les pieds pour la première fois dans une auberge. Fred et George s'installèrent ensemble, bientôt rejoints par Victor et Jehan. Benoît resta collé à Valaellyn. Guéric était déjà au comptoir et commandait sa première pinte de la soirée.

-Allons nous installer... proposa Taliesin.
Du geste, il montra une table qui, sans être dans le voisinage immédiat de celle de Victor et des autres, leur permettrait néanmoins de l'observer à loisir.
S'il avait été seul, s'il n'avait pas eu en tête tous ces tracas, l'elfe se serait déjà commandé une bière. Et aurait joyeusement continué toute la soirée. Mais il ne pouvait se le permettre.
En la circonstance, sérieux, sobriété et attention étaient de rigueur.

Ce fut finalement la grande rousse elle-même qui vint prendre leur commande. Elle alla un peu plus loin, en prenant place directement à leur table. Elle ébouriffa les cheveux de Benoît, puis sourit aux elfes.
" Bien le bonjour." annonça-t-elle. " J'en viens aux consommations dans un instant, mais ma p'tite Constance me dit que vous avez des choses à discuter avec moi. Je suis tout ouïe, mes mignons."
Deux filles venaient de réapparaître dans le fond de la salle, lorgnant les nouveaux arrivés avec une moue dubitative. Elles allèrent finalement encadrer Guéric au comptoir qui les accueillit avec une galanterie un peu théâtrale.

Taliesin lui sourit, tenta de se montrer aussi affable qu'elle l'était, malgré le profond malaise qu'il éprouvait.
C'était la meilleure solution, pourtant. Tout, mais pas Mélandis. Et le tout en question était plutôt sympathique non ?
-Merci, dit-il. Nous allons essayer de ne pas trop abuser de votre temps. Voilà... Nous aimerions vous confier ces trois garçons - il désigna Benoît, Jehan et Victor - tandis que nous poursuivrons notre voyage. Nous repasserions les prendre dès que possible.
S'il avait été informé de la proximité exacte entre leur capitaine et la tenancière, il serait allé jusqu'à évoquer leur destination, pour donner du poids à sa demande. Mais, pour l'heure, il préférait s'abstenir.

Elle redressa la tête et les jaugea, puis opina du chef.
" Des p'tits clandestins, je devine." fit-elle. " Mmm... Je peux les garder, oui. La belle saison s'annonce, il va y avoir du travail. Parce que je les ferai travailler, vous savez... Je ne suis pas exactement une oeuvre de bienfaisance. Mais ils seront bien traités, pas de soucis. Ce n'est pas la première fois que Constance m'abandonne des passagers problématiques, si ça peut vous rassurer."
Valaellyn la dévisageait avec une grimace un peu inquiète.
" Et ne faites pas cette mine, ma chère. Je ne les ferai pas travailler là où vous craignez que je les envoie. Pour vous mettre dans le secret, je n'emploie en fait aucune de ces femmes... et de ces hommes, d'ailleurs, si vous êtes intéressée. Ils ont fait le choix de s'installer ici et ils gèrent leurs affaires. Ils me paient leur chambre, évidemment, à un tarif préférentiel parce qu'ils me la louent pour de longues périodes, mais je n'y gagne pas un sou. Alors à moins qu'un de vos mômes veuille se faire de l'oseille vite et sans trop d'efforts, ils risquent rien."
L'expression scandalisée de la prêtresse la fit éclater de rire.

Taliesin, lui, était plutôt rassuré... et sensiblement plus à l'aise. Ce genre d'humour ne le choquait pas : il y était habitué. Et savait qu'aucune malice ne se cachait derrière. Ne serait-ce que parce que Constance faisait confiance à cette femme.
-Très bien, dit-il. Je pense que vous n'aurez pas à vous plaindre d'eux : ce sont de bons garçons, et ils vous rendront bien service. Il faudra juste que vous surveilliez celui-là - il montra discrètement Victor. Il m'a promis qu'il ne tenterait pas de vous fausser compagnie, mais il a une telle envie de nous suivre que... mieux vaut prévenir que guérir. Pour le reste, et bien... Constance vous donnera sans doute des instructions sur ce qu'il conviendra de faire au cas où ne nous reparaissions pas. Précaution de pure forme, sans doute, mais la mer est parfois imprévisible.

" La mer, oui, c'est ça." fit-elle d'un air entendu. " Bon, mais vous ne repartez de toute façon pas avant quelques jours, avec la tempête qu'on va se prendre sur le tarin, vous allez profiter de mon hospitalité ! Il n'est pas encore midi, vous n'avez pas forcément envie de vous pochetronner comme certains..."
Elle lança un regard vers le comptoir où Guéric éclusait déjà sa seconde bière.
" Quel genre de chambres désirez-vous ? Etes-vous ensemble ?"

Taliesin sourit.
-Nous sommes juste amis. Mais...
Il jeta un regard à l'elfe.
-Nous ferons selon vos possibilités, quitte à nous serrer un peu. Pour les petits, je ne sais pas comment vous imaginez procéder pour la suite, mais s'ils pouvaient rester réunis...

" Nous avons de la place. Au coeur de l'été, il y a sept ou huit bateaux en même temps dans le port. De plus gros tonnages que votre petite coquille de noix..."
Elle se retourna vers le fond de la salle où Constance discutait avec un jeune homme nouvellement arrivé.
" Ça va, elle n'a rien entendu."
Elle sourit.
" Une chambre pour chacun. Il faudra me dire si vous voulez de la visite. Mais vous ne devez pas le dire devant votre chaste compagnon de voyage, bien sûr."
Elle se remit à rire.
" Bon, et alors ? Vous allez manger ? Boire ? Dormir ?"

Taliesin haussa les épaules.
-Manger, pour ma part. Et boire, mais une pinte seulement.
Ce n'était pas un tout petit peu de bière qui allait le griser. Et puis, il aurait tout le temps d'observer les lieux et leurs habitants. Aussi désagréable que soit l'annonce du prolongement forcé de leur halte, celui-ci aurait au moins ceci de bon : il connaîtrait tout de Mersant avant de s'en repartir.
-Quant à la visite, je peux déjà décliner, conclut-il.

" Vous n'êtes pas drôle, vous auriez pu attendre de les voir avant de décliner." fit la rousse en se relevant.
Elle ébouriffa à nouveau les cheveux de Benoît.
" Et pour vous, ma jolie ?"
" A manger. Quelque chose de léger, pour changer."
" J'imagine. Un petit verre de vin ?"
" Blanc, merci."
La rousse la gratifia d'un clin d'oeil, puis s'éloigna.

Taliesin soupira. Se laissa aller contre le dossier de sa chaise.
-Bon, ils auraient pu être plus mal lotis... murmura-t-il. Beaucoup plus mal lotis.
Il sourit à la jeune elfe.
-Naturellement, je dois avouer que je ne m'étais pas attendu à cela, mais... Je ne m'étais pas attendu non plus a avoir des passagers clandestins. Et compte tenu de la situation... et de la destination qui est la nôtre... Je crois que ça se goupille plutôt pas mal.

" Oui." fit l'elfe en regardant autour d'elle.
Un sourire finit par bourgeonner sur ses lèvres.
" J'avais une image moins reluisante d'une taverne de marins... Celle-ci me fait plutôt l'impression d'une auberge campagnarde... On ne croirait pas que..."
Mais elle fut interrompue par le roulement du tonnerre et la pluie vint marteler les fenêtres.
" Que l'océan gronde à seulement quelques mètres." ajouta-t-elle.
Il y eut un murmure dans le fond de la salle et trois hommes firent leur apparition. Deux étaient humains, le troisième elfe. Les deux premiers étaient vêtus d'armures de cuir noircies, frappées d'un espadon bondissant, le dernier portait de la toile aux mêmes armoiries. Ils s'installèrent à une table près d'une fenêtre. Les Mélandiens venaient de faire leur entrée.

Le barde n'accorda aux nouveaux venus qu'un bref regard. Ne pas créer de tensions, ne pas leur chercher des noises, cela passait tout d'abord, à son avis, par leur témoigner le moins d'intérêt possible, sinon les ignorer complètement. Vu les griefs que tous les membres de l'expédition avaient à l'encontre des Mélandiens, c'était sans doute l'attitude la plus recommandée.
Il préféra d'ailleurs se tourner vers ses compagnons de voyage, et particulièrement vers la table de Victor et des jumeaux. Il faisait ainsi d'une pierre deux coups, s'assurait à la fois que les enfants et les jumeaux ne fassent rien d'irréfléchi. Il avait bon espoir, toutefois, qu'ils se montrent raisonnables.

Mais la table voisine était lancée dans une conversation animée ponctuée d'éclats de rire, et Taliesin put glaner la thématique générale qui les occupait : l'orphelinat du seigneur Artwin à Luménis. Fred était lancé dans une imitation assez imagée d'un des protagonistes de ce lieu où ils avaient résidé autrefois et même Victor s'était départi de sa mine sinistre pour s'esclaffer de bon coeur.
Aucun des passagers de la Liberté ne semblait prêter attention aux nouveaux arrivés, à l'exception de Constance, qui croisa le regard de Taliesin : comme lui, elle surveillait ses ouailles.
Katja refit son apparition et leur déposa le plat du jour : une volaille non identifiée accompagnée de légumes orangés non identifiés et d'une purée de ce qui devait être des pommes de terre. Elle tendit une bière à Taliesin, un verre de vin blanc à Valaellyn et un bol de lait chaud à Benoît qui la remercia d'un sourire reconnaissant. Ensuite, elle s'esquiva pour servir ses autres clients.

Sans relâcher sa vigilance - on ne savait jamais -, Taliesin s'attaqua à sa bière, qu'il trouva plutôt bonne, et à son plat qui, sans atteindre des sommets dans l'art culinaire, n'avait rien à envier à ce qu'on servait dans nombre d'auberges.
Il se prit également à observer Benoit. D'entre les gamins, c'était le seul à regretter manifestement leur escapade. Nul doute qu'il aurait préféré se retrouver chez lui, auprès des siens. Et, malheureusement, la chose ne pourrait advenir avant longtemps. Très longtemps.
Si la perspective d'être abandonnés à Mersant mettait Victor en colère, lui devait être terrifié. Depuis le départ, il recherchait la compagnie de Valaellyn, allant jusqu'à ne plus la quitter, à ne plus jamais la quitter. La séparation serait rude, douloureuse, et le barde ne pouvait qu'espérer qu'il s'y ferait. Avec un peu de chance, Victor et Jehan se montreraient attentionnés. De même que Kotja.
Dans le pire des cas, il en toucherait un mot à la tenancière, lui demanderait de faire plus attention à ce gosse qu'aux autres.

Plusieurs des voyageurs montèrent se reposer dans leurs chambres une fois leur repas terminé. Une dizaine de nouveaux venus avaient fait leur apparition dans la salle de l'auberge. Tous n'étaient pas des courtisans cependant : plusieurs étaient arrivés de l'extérieur et travaillaient probablement dans les hangars ou la ferme voisins. L'un d'entre eux s'était attablé avec les Mélandiens et discutait avec animation avec le plus âgé des deux humains. Les jeunes de la table voisine avaient sorti un jeu de cartes et George était en train d'expliquer des règles complexes à Jehan et Victor. Benoît n'avait pas l'air d'avoir la moindre intention de les rejoindre. Valaellyn semblait soucieuse mais elle se contenta de sourire au barde lorsqu'il croisa son regard.
" Il va nous falloir attendre, à présent..." murmura-t-elle.
Au dehors, la tempête soufflait de plus belle et on avait l'impression qu'elle secouait l'auberge. Ce n'était qu'une impression, cependant.

-Oui, fit Taliesin en lui rendant son sourire. Je me seras bien passé de ce contretemps, mais... Je me dis que ce n'est pas plus mal, au final. Nous aurons largement l'opportunité de nous assurer que les enfants seront bien, ici, auprès de nos hôtes. Nous pourrons même voir comment cela se passe quand il y a des... visiteurs venant de certaines cités. De quoi nous rassurer, je pense. Pour l'instant, en tout cas, nous avons tout lieu de l'être.

" Je vais aller mettre Benoît au lit... Ensuite... Ensuite, je ne sais pas. J'ai l'impression que nous devrions en profiter pour échanger davantage d'informations avec nos compagnons de voyage... Pour l'heure, il me semble que nous ne savons pas où chercher ceux qui ont disparu... Ne devrions-nous pas être en train d'élaborer un semblant de stratégie ? Mais peut-être l'endroit est-il mal choisi..."
Elle jeta un regard vers les Mélandiens.
" Je ne sais pas."
Elle posa ensuite une main consolatrice sur l'épaule de Benoît et ils se levèrent ensemble. Ils mirent le cap sur le comptoir où Rutger leur confia une clef, après quoi, ils retraversèrent la pièce et gagnèrent l'escalier.

L'elfe ne s'inquiétait pas vraiment du peu d'informations échangées pour l'instant entre les membres de l'expédition : le voyage serait encore long, et nul doute que Constance organiserait des réunions avant leur arrivée à Mélandis. A moins qu'elle ne réserve celles-ci pour après leur installation dans la base qu'y possédait l'organisation. Dans tous les cas, le capitaine avait l'habitude de gérer les choses, il lui faisait entière confiance.
Une chose était également certaine : il se voyait mal parler de Galathée en présence de Mélandiens. Ni d'aborder le moindre sujet d'importance. Mieux valait le faire quand il n'y aurait nulle oreilles indiscrètes à portée.

Valaellyn revint peu après et reprit sa place. Elle demeura silencieuse, faisant tourner le vin dans son verre, pensive, puis finit par frissonner.
" C'est difficile pour moi." dit-elle finalement, esquissant un pauvre sourire. " En même temps, j'imagine que c'est un bon entraînement. Il y en aura plein partout à Mélandis. Plein pour lesquels nous ne pourrons rien faire."
Elle poussa un léger soupir.
" C'est quand même difficile."

Spontané, Taliesin lui posa une main sur le bras.
-Je comprends... fit-il doucement. Ça l'est pour moi aussi, tu sais. Malgré... mon expérience.
Il soupira.
-La première fois que je suis allé à Mélandis, j'avais une mission précise, tout comme aujourd'hui. Et pourtant, j'ai tellement été frappé par ce qui s'y passait que je n'ai pu m'empêcher d'intervenir. J'ai essayé de le faire discrètement, mais... j'ai été dépassé par les événements. La suite, tu la connais.
Il s'arracha un sourire douloureux.
-Cette fois, quoi que nous ressentions, il faudra rester concentrés sur ce qui nous amène. Uniquement sur cela. Nous n'avons pas le choix : une poignée d'individus ne peuvent changer le destin d'un empire tout entier. Je l'ai appris à mes dépens.
Il chercha le regard de la jeune femme.
-Valaellyn... Tu peux encore changer d'avis. Décider de rester ici, avec les enfants. Ce ne serait pas faire preuve de lâcheté, et je ne le prendrais certainement pas pour une trahison. Car... Je sais à quel point c'est dur. A quel point ça le sera.

" Non. J'irai jusqu'au bout avec toi." fit-elle. " Je dois juste... m'endurcir. Je ne veux pas fermer les yeux sur le monde... Cela ne le change pas. Je veux au contraire savoir. Et peut-être pourrais-je agir, un jour, à mon échelle. Ce que nous partons faire... C'est déjà un peu ça. Même si c'est injuste pour ceux qui n'ont personne... et ceux qui n'ont jamais connu autre chose."
Elle but une gorgée de vin, lentement.
" Il faut que je m'y fasse, c'est tout. Ça prendra un peu de temps."

Il hocha la tête.
-Sans doute... dit-il, encourageant. Et dans tous les cas, tu sais... que tu peux compter sur moi, si tu as besoin de parler, d'extérioriser. Il faudra que nous nous serrions les coudes, que nous soyons soudés face à l'adversité. C'est la seule solution pour parvenir à nos fins, même si ce ne sera pas toujours évident, vu la diversité de notre groupe, vu notre rencontre récente... Mais nous avons au moins la chance, nous deux, de nous connaître depuis longtemps. Cela sera précieux.

" Oui." souffla-t-elle.
Elle termina son verre.
" Je pense que je vais monter me reposer, moi aussi. Je n'aime pas... traîner ici... Je ne voudrais pas être témoin de..."
Mais comme elle prononçait ces mots, un éclat de voix provint de la table des Mélandiens. L'elfe s'était levé et marchait vers la porte. Katja discutait avec animation avec l'un des humains, puis elle se redressa et haussa les épaules. Elle prit l'elfe en chasse, l'arrêta avant qu'il ne sorte. L'humain la regardait sans aménité mais elle n'y prêta pas la moindre attention et jeta un manteau sur les épaules de l'elfe. Ce dernier garda les yeux baissés et ouvrit la porte, invitant un torrent d'eau glacée et de vent furieux à l'intérieur, avant de s'arc-bouter contre la tempête pour gagner l'extérieur. L'incident n'avait échappé à personne mais les conversations recommencèrent à bourdonner aussitôt que l'huis fut à nouveau clos.

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