La Couronne de Cuivre

L’Ombre de Dame Nature

LES ENFANTS DE PONT L’ESPOIR

L’Ombre de Dame Nature

Les héros de l’histoire :

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Lundi 30 avril 2012…
5 h 50…
Quelque part en France…

Une aube brumeuse commençait à illuminer la petite ville de Pont-l’Espoir ainsi que la campagne qui s’étendait à perte de vue. Cernée par cet océan verdoyant, Pont-l’Espoir était loin de tout, ou presque…. Lors de la belle saison, quelques touristes y venaient, attirés par son calme et par les deux visages qu’elle offrait. Oui, deux visages. Pont-l’Espoir, traversée d’est en ouest par une profonde rivière, semblait être deux morceaux de ville collés entre eux par un unique pont. Sur la rive nord, la cité semblait relativement récente. Quelques immeubles et autres bâtiments de bétons témoignaient d’une modeste expansion urbaine. Sur la rive sud, Pont-l’Espoir conservait un peu de ce qu’elle avait été autre fois. Les édifices y étaient en pierre et les rues, dont certaines n’étaient toujours pas goudronnées, demeuraient plus étroites, plus tortueuses. Le contraste entre ces deux parties était saisissant mais, au grand regret de certains habitants, il s’amenuisait un peu depuis quelques années. Le modernisme finirait par tout grignoter….
La poste, la gendarmerie, la caserne des pompiers, le pitoyable cinéma, le cabinet du docteur Beaunom, la pharmacie, la minuscule gare, les trop rares entreprises, le collège, les magasins dont on se plaignait souvent, l’unique McDonald… tout ceci se trouvait dans la partie nord. « Le vieux Pont-l’Espoir » ne conservait que la mairie, une ancienne église, une bibliothèque animique et… l’école primaire.

En ce début de journée, la place du vieux Pont l’Espoir n’était, malgré l’heure matinale, plus si assoupie que ça. Dominée par la fontaine et sa statue de pierre grise, bordée par la mairie, l’école et l’église, ces deux dernières se faisant face, elle était le théâtre d’une scène qui sortait un peu de l’ordinaire. Un car était là, pour l’instant silencieux. autour de lui, un petit groupe s’assemblait lentement. Adultes et enfants s’y mêlaient. Que pouvait bien fabriquer cette petite troupe, deux bonnes heures avant le début des cours ? Un observateur quelque peu attentif pouvait aisément avoir une idée. Les bagages avaient remplacés les cartables. On se préparait à un voyage.

Ils en avaient de la chance ces CE2 ! Pendant une semaine entière, ils allaient rompre avec la routine scolaire et se rendre en classe verte. Non, ce n’était vraiment pas banal car l’école primaire était loin de rouler sur l’or. Il n’y avait qu’à observer sa façade défraichie pour s’en rendre compte. L’escapade en « plaine » nature allait donc se faire avec les moyens du bord. Une petite contribution financière avait été demandé aux familles et, depuis maintenant bien quinze jours, Louise Pougon, illustre et grincheuse maitresse des CE2, se battait avec ces maudites autorisations de sortie. Personnellement, cette histoire de classe verte, elle s’en serait bien passée. Ce n’était vraiment pas son idée. Mais voilà, c’était tombé sur elle, pas de chance. Et le pompon, c’est qu’elle devait accompagner sa classe. Enfin, ça, ce sont surtout ses élèves qui s’en seraient bien passé. Avec Miss Pougon dans les parages, il fallait perdre tout espoir de fantaisie. D’ailleurs la maitresse l’avait dit : il y aurait cours, même au milieu des arbres.

Le rendez-vous avait été fixé à six heures. Pour l’instant, Louise était tout à côté du car. Coiffée de son impeccable chignon gris, portant une petite laine pour affronter l’air vif, elle aurait presque ressemblé à une mamy. Mais, égale à elle-même, son visage demeurait peint d’une sévérité professorale. Elle discutait en compagnie de Roberta Mayor, la volumineuse conductrice du car, ainsi qu’avec quelques parents. Eparpillé dans les environs immédiats se trouvait déjà près d’une moitié de la classe des CE2. Ici et là, quelques groupes s’étaient formés. On pouvait notamment remarquer Amandine en train de s’adonner à son activité de prédilection : le colportage de rumeurs. Et un peu plus loin, Hugo, le quasi petit ami de la tyrannique redoublante, vérifiait s’il avait bien tout prit en compagnie de son père.

Le calme général poussait tout le monde à parler bas. L’atmosphère était, il fallait bien le reconnaitre, un peu particulière. C’était le moment des ultimes préparatifs et des derniers conseils.

« -Grmbl. GRMBL.
-Mais oui ma chérie, toi aussi tu vas me manquer.
-GRMBL. »
Les bras croisés, les jambes appuyées de toutes ses forces contre le siège devant elle, Leïa grognait et semblait résolue à rester à jamais assise à l'arrière de la voiture. Elle mâchonnait un chewing-gum avec force bruitages hargneux, et dans son regard se lisait une borne sans fin.
« -Veux pas y aller.
-Ça m-te fera des vacances, ma chérie. On en a déjà parlé : Hugo sera là, et heu... tous tes autres amis aussi.
-GRMBL. »
Mr. Pottier poussa un très long soupir : il n'était pas possible de raisonner avec Leïa. Quant à elle, la gamine continua à fixer l'asphalte droit devant eux d'un air buté, par le trou entre les sièges avant. La route avait l'air stupide. Les arbres avaient l'air stupides. Même les oiseaux avaient l'air complètement stupides. Elle ne voulait pas y aller. Il n'yaurait que des imbéciles là-bas, des gens qu'elle n'aimait pas, à part Hugo et Killian, et le pire c'était qu'elle était certaine de se retrouver à dormir sans eux, à pioncer avec les (tremblements de dégoût) FILLES ! Avec tout ce qu'il pouvait y avoir de pimbêches et pleurnichardes dans sa classe, avec les premières à lunettes et les obsédées de Barbie. Non, vraiment, à sa place, qui aurait bien pu avoir envie d'y aller ?
Sur le siège à côté d'elle, son sac traînait : il était gros et informe, et avait tellement servi que le confondre avec une bâche à patates aurait été excusable. Mais il était couvert de (faux) autocollants de voyage amusants, alors elle l'aimait bien. Elle y avait entassé ses vêtements (non pliés, bien sûr, et les baskets sales dans les t-shirts propres), une certaine quantité de comics, plusieurs lampes de poche (dont une ressemblant au manche d'un sabre-laser), du chewing-gum, un petit couteau-suisse « emprunté », et surtout, dans le fond, quelqu'un sans qui elle aurait eu du mal à voyager, même si c'était un peu ridicule, et que personne ne devait le voir. Mais elle n'allait PAS abandonner Mr. Groargl.
La voiture se gara. Mr.Pottier l'extirpa tant bien que mal de celle-ci, car il tentait d'être à la fois gentil et efficace, et que Leïa commençait à avoir du muscle pour son âge. Toujours est-il qu'elle se retrouva,son gros sac en bandoulière, devant le bus, son père s'excusant rapidement de devoir la laisser et repartant presque aussitôt. Leïa serra les poings. Elle jeta un coup d'œil à Mme Pougon, la Teigne, l'Horreur Absolue, la Sorcière de Grammaire, la Démone du Calcul,et décida en une fraction de seconde qu'il était inutile d'aller la saluer. Elle choisit donc de rejoindre et saluer Hugo.

Clafoutis s'était éveillée de bonne humeur... La classe verte... la classe verte, la classe verte !!! Les fantômes de la nature, les anciens cultes de la verdure, elle allait enfin pouvoir les rencontrer, et bien avant les vacances scolaires ! Quelle merveille, quelle aventure !!!

Lorsque sa mère l'amena au car qui devait la conduire là bas accompagnée de tous ses camarades de classe, elle sauta hors de la twingo avec son grand sac à dos vert sur le dos, ressemblant à un énorme escargot. Sa mère l'embrassa tendrement, faisant les dernières recommandations d'usage. Elle n'oublia pas de lui rappeler de ne pas s'aventurer dans la forêt la nuit, fusse pour rencontrer l'un des Sages de Arbres dont sa fille lui avait parlé maintes et maintes fois...

Sa fille ne lui promis rien, espérant secrètement trouver des esprits encore plus intéressants que les Sages des Arbres.

"T'inquiète Maman, le fantôme de l'Enfant Noyé nous protège par tous les temps !!!!"

Mme Falinord s'éclipsa quelques minutes plus tard car la vitrine du magasin devait être réorganisée avant l'ouverture... laissant Clafoutis seule, comme elle en avait l'habitude. Cette dernière décida alors de s'intéresser à ses camarades qui patientaient au pied du bus. Elle avait hâte de montrer à Amandine les livres qu'elle avait réussi à glisser à l'intérieur de son sac !

La sévérité de madame Pougon avait plusieurs fois déjà été pointée du doigts par certains parents d’élèves, mais à présent que le départ de cette classe verte était imminent, tout le monde était bien contant de laisser l’expédition en des mains aussi rigides. Aucune chance qu’il y ait un laxisme au niveau de l’encadrement. La maitresse, elle, abordait l’événement avec un peu d’appréhension. Ici, à l’école, elle était sur son territoire, si on pouvait dire ainsi. Se retrouver en forêt, c’était pour elle perdre un peu le contrôle de l’environnement. Canaliser des élèves comme cette trop fameuse Leïa n’allait pas être de la tarte. Et tiens, justement, en parlant de la teigneuse cancre, voilà qu’elle débarquait. Louise sortit un papier plié en quatre de sa poche. Il s’agissait de la liste des élèves. En face de chaque nom se trouvait une coche si l’enfant en question avait rendu son autorisation de sortie signée. Et, devinez quoi ? Et bien il n’y avait pas de coche en face de "Leïa Pottier". Bon, ok, elle n’était pas la seule. Selon la règle bien connu du « je fais ça au dernier moment », pas moins de quatre autres élèves étaient dans le cas de la terreur de la cour de récrée. Madame Pougon soupira. Elle s’excusa auprès des parents qui étaient à ses côtés et elle partit en chasse des papiers manquants.

Un peu plus loin, Leïa rejoignait Hugo. Celui-ci refermait la fermeture éclaire de son sac et échangeait quelques derniers mots avec son père.

[Père d’Hugo] –Allez, fils, et fait bien attention à toi. Et essaye de nous appeler de temps en temps. Tu sais comment est ta mère.
[Hugo] –Oui, j’y penserais. A plus papa !

Le père d’Hugo embrassa son garçon, fit un signe à Leïa qu’il avait vu venir et s’en alla. Hugo se retourna vers son amie. Il était l’un des rares à ne pas reculer face à Miss Pottier.

[Hugo] -Tiens, salut Leïa. Tu en fais une tête. Qu’est-ce qui va pas ?
[Mme Pougon] –Bonjour mademoiselle Pottier.

La voix tant redoutée venait de derrière la fillette. La maitresse, armé de sa feuille de papier, était là, toisant le plus mauvais élément de sa classe. Secrètement, elle espérait qu’elle n’allait pas obtenir satisfaction. Pas d’autorisation, pas de classe verte. Et pas de Leïa, c’était plus de calme.

[Mme Pougon] –Avez-vous enfin votre autorisation de sortie signée ?

De son côté, Clafoutis arrivait au niveau d’Amandine qui, immédiatement, se tourna vers elle et l’aborda.

[Amandine] –Titi, tu savais que Simon était malade ? Il va rater la classe verte !

Simon, c’était un élève de CE2, le genre bon élève avec un petit côté sportif en plus. Clafoutis ne risquait pas d’être déçu par cette absence car Simon n’appréciait pas du tout ses histoires farfelues et il perdait rarement une occasion de le dire.

[Amandine] –Avoue que tu lui as lancé un mauvais sort !

Olivier venait d’arriver. Comme à son habitude, il resta dans son coin avec son sac. Il était seul, sans parant pour l’accompagner mais ce n’était pas étonnant car il habitait à côté, dans le vieux Pont l’Espoir. Roberta, la conductrice, s’isola pour aller fumer une cigarette et elle croisa Philippe Galop, le tout nouveau prof de sport. Il était du voyage. Louise, Roberta et Philipe étaient les trois accompagnateurs. Lentement mais surement, le nombre d’adultes diminuaient alors que celui des enfants augmentait. Sans surprise, le volume sonore en était affecté.

« Grmblouais. »
Marmonna Leïa d'un ton à peine audible, fronçant les sourcils d'un air boudeur. Elle se demandait si cela valait bien la peine de la donner, cette fichue feuille, mais son père était déjà parti, et la Pougon lui ferait indubitablement un cirque d'enfer si elle ne la présentait pas. A contrecœur, elle se mit à fouiller dans la pochette avant de son sac, en extirpant moults objets pas forcément des plus utiles en classe verte : billes, feutres à moitiés morts, une photo (très précieuse !) de Harrison Ford dans le rôle de Han Solo, avant d'enfin parvenir à retrouver le morceau de papier. Il était plié en huit, très chiffonné, et arborait des taches où se mêlaient élégamment confiture de groseille et lait chocolaté qui avaient un peu fait déteindre l'encre. Mais il était signé, c'était indubitable, du paraphe maladroit de Mr. Pottier.
« C'est bon, là ? »
Fit-elle d'un ton pas encore insolent, mais un peu agressif, avant de faire la moue. Puis elle tira Hugo par la manche et s'écarta un peu de Mme Pougon, désireuse de sortir de son champ d'attention le plus vite possible.
« Ça va, mec ? Jete jure, mon père, il me faisait un scène pas possible, il voulait pas me laisser partir... mais aha, il a fini par laisser tomber ! »
Elle ne savait pas très bien si elle avait réussi à adopter un ton suffisamment crédible.Mais bon, une vraie terreur de la cour de récréation n'avait peur de rien, même pas d'un voyage avec (tremblements de stupeur) MME POUGON ! Elle ne pouvait donc pas vraiment dire que la perspective la tracassait, et qu'elle aurait préféré rester avec son pôpa adoré.
«Tu sais si on est placés dans le bus ? 'tain, j'espère pas. T'imagines ? »

Clafoutis ne se tenait plus de joie. Un moqueur en moins, voilà des vacances, une vraie classe verte !

"Pour une fois, je n'ai rien fait, intervint-elle gentiment. Mais beaucoup d'entre nous ont peut être pensé trop fort... Penser peut être dangereux !"

Elle éclata de rire et s'écarta rapidement du chemin de Mme Pougon qui, comme un militaire en partance pour le champs de bataille, sillonnait les rangs en quête des autorisations de sortie. Ce mouvement lui permis d'apercevoir du coin de l'oeil Olivier, seul, de l'autre côté du groupe d'élèves. Regrettant un peu de le laisser ainsi, elle lança alors à Amandine :

"Viens, on va voir Olivier, il est arrivé !"

Zut, elle y avait pensée. Madame Pougon prit la feuille dans un piteux état, eut une mine désapprobatrice justement à cause de ce piteux état, puis elle lâcha de son ton impérieux.

[Mme Pougon] –J’ose espérer que je n’aurais pas à me plaindre de vous pendant cette classe verte. Je vous aurais à l’œil.

Elle s’arma ensuite de son stylo, fit une coche sur sa liste et partit en quête des autres autorisations. Hugo et Leïa étaient déjà en train de discuter.

[Hugo] –Pour le car, j’en sais rien. J’ai rien entendu sur l’sujet mais tu sais comment est la Pougon. Elle en est capable. J’l’a vois bien te mettre tout devant, à côté d’elle. Ce serait moche.

Il se mit à sourire en pensant à la scène de façon quelque peu caricaturale. Leïa forcée de réviser ses tables de multiplication pendant tout le trajet… oui, quel merveilleux cauchemar ça ferait, surtout pour un observateur extérieur.

[Hugo] –En tout cas, il est grave ton père ! Pas vouloir te laisser partir, c’est drôle comme comportement. Moi, le mien, il était contant pour moi. En fait, c’est maman qu’est un peu inquiète. Mais bon, elle est inquiète pour tout en même temps.
[Killian] –Princesse !

Voilà Killian qui débarquait. Fendant la petite troupe d’élève, il alla tout droit vers sa copine. Il vacillait un peu sous le poids de son bagage mais rien d’excessif.

[Killian] –Dis, tu l’as amené ta lampe trop cool ? Tu sais, celle qui fait sabre laser !

Pendant ce temps, Clafoutis proposait à Amandine d’aller voir Olivier. Amandine ne refusa pas mais elle n’arrêta pas pour autant de bavarder avec les filles qui étaient déjà en sa compagnie si bien que ces dernières suivirent le mouvement. Ce fut donc cinq petites demoiselles qui arrivèrent sur le timide Olivier. Cela n’allait pas l’aider à décrocher plus de deux mots.

[Olivier] -Heu… salut.

Et voilà les deux mots. Mais il allait devoir en dire un peu plus car madame Pougon arrivait sur lui, sa liste en main. Il devait lui-aussi rendre son autorisation de sortie signée. Ce fut rapide, il l’avait déjà a la main. Et hop, une coche de plus. La maitresse en profita pour dire bonjour à Clafoutis. Celle-ci était une bonne élève à l’imagination très fertile, un peu trop peut-être, mais ce n’était pas pour déranger Louise. Des enfants motivés, avides d’apprendre, c’était devenu assez rare. La maitresse s’éloigna, sa chasse aux signatures pratiquement achevée. Philippe Galop s’approcha des enfants, se postant à proximité du car. Il était déjà 6 h 10 et presque tout le monde était arrivé. Bientôt, ce serait le départ.

En attendant, autour de Clafoutis, on continuait de discuter. Un sujet inévitable fut abordé : la destination. La classe verte se passerait dans la forêt de St Monet, à côté d’un lac, originalement nommé… le lac de St Monet. La fameuse forêt n’était pas très loin de Pont l’Espoir. Combien de temps durerait le voyage ? Une heure ? Plus ?

«'videmment, j'l'ai amenée, tu crois quoi ? Tsss.»

Joignant la parole au geste, Leïa entr'ouvrit son sac pour en extirper le gadget, curieusement bien mieux rangé que ne l'avait été la feuille d'autorisation. En tant que lampe, elle n'éclairait pas des masses, mais il fallait bien avouer, c'était tout de même la classe.

«On se met au fond du bus, hein ? 'fin si la Pougon ne se met pas à criser... encore.»
Elle jeta un coup d'œil par dessus son épaule pour vérifier que celle-ci était hors de portée d'oreille.
«Vieille peau.»

Elle jeta un regard en coin aux deux autres adultes : elle ignorait le nom de la conductrice, mais sa tête ne lui inspirait pas grand-chose : on ne pouvait jamais faire confiance aux adultes (pôpa mis à part) : ils passaient leur temps à crier des conneries et à empêcher de s'amuser. Pour ce qui était de Mr. Galop, le nouveau prof de sport, Leïa ne l'avait encore jamais eu en cours, mais il fallait bien avouer que s'il y avait une classe qu'elle aimait bien, à part l'art, c'était le sport. Mine de rien, martyriser les petits, ça musclait les bras, à force. Et puis elle voulait devenir cosmonaute, et il fallait bien se maintenir en forme pour ça (même si tout le monde lui disait toujours qu'avec ses notes, c'était pas gagné).

«Bon, allez, c'est quand qu'on y va, là ? On va pas passer notre temps à glander ici !»

La timidité d'Olivier ne s'était pas amélioré au cours du week end. Pas de problème, au moins, il savait qu'il n'était pas seul, c'était déjà ça.

Le lac de St Monet n'était pas très loin, mais Clafoutis aurait eu du mal à dire combien de temps il faudra pour s'y rendre en car. Oui, car en général, il fallait compter les pauses pipi et les réclamations diverses qui résonnaient dans ce genre de voyage. D'ailleurs, elle n'aimait pas ces transitions en car, c'était toujours du grand n'importe quoi : avec le bruit qui résonnait dans la cabine, elle avait les plus grandes difficultés à lire...
Elle espéra alors secrètement qu'il ne faudrait pas plus de deux heures pour atteindre le lac... sinon, elle aurait très vite envie de voir arriver une tribu d'ours géant venus pour dévorer certains membres de la classe...

Madame Pougon, sa chasse aux signatures achevée, jeta un coup d’œil à sa montre. Grand dieu, il était déjà temps de se presser. Elle rejoignit ses deux collègues et, peu après, Philippe Galop frappa deux fois dans ses mains pour attirer à lui l’attention des enfants.

[Philippe Galop] –Allez ! On se rassemble par là ! Vous allez déposer vos sacs dans la soute puis vous mettre en rang devant la porte avant du car.
[Mme Pougon] –Et on se dépêche, merci !

Philippe était un jeune homme de trente ans, vif et dynamique. Son côté prof de sport apparaissait par sa solide carrure. Souriant, il semblait être l’exact opposé de madame Pougon. Les CE2 n’avaient encore jamais eu cours avec lui car il était là depuis moins d’une semaine. Autant dire que c’était un complet inconnu à l’école primaire. Cependant, en l’espace de ces quelques jours, de bonnes rumeurs couraient déjà sur lui. Il profitait assurément de la mauvaise réputation de l’encien prof de sport dont l’exigence le faisait passer pour une sorte d’esclavagiste. Alors qu’il parlait, Roberta ouvrit la porte coulissante afin de donner accès à la soute du véhicule. Louise, elle, s’était postée à l’avant, prête à compter les élèves. Lorsque le rang se forma devant elle, elle ajouta :

[Mme Pougon] –Allez-y, montez, et dans le calme !

Liste toujours en main, elle vérifia que tout le monde était là, enfin tous sauf les absents bien sûr. La classe était amputé de trois éléments pour des raisons diverses si bien qu’elle était réduite à 23 enfants. Le positionnement dans le car était libre, sauf pour…

[Mme Pougon] –Miss Pottier, pas si vite ! Vous allez rester par là, vers l’avant. Et, Clafoutis vous tiendra compagnie. Il n’y a pas de mais ! Exécution !

Leïa à l’arrière avec ses amis, non, fallait pas rêver ! La maitresse voulait conserver un calme relatif pendant le trajet et pour cela, rien de mieux que d’isoler l’élément le plus perturbateur en le plaçant à l’avant, à côté d’un élève sage. Monsieur Galop parut un peu surpris de ce traitement particulier. Il ignorait encore la merveilleuse relation qu’entretenait Leïa avec sa maitresse. Mais, par diplomatie, il ne dit rien. Mademoiselle Mayor, elle, après avoir écrasé son mégot parterre, referma la soute et s’installa au volant.

Cette fois, on y était, le départ était pour maintenant. Le moteur du car se mit à rugir. Tous les élèves installés, les accompagnateurs aussi, on referma la porte du car et celui-ci s’ébranla. Les derniers parents présents sur la place saluèrent leurs enfants respectifs.

A l'annonce de Mme Pougon, Clafoutis se mit immédiatement à la détester plus qu'elle ne l'avait jamais ressenti auparavant. Elle aurait apprécié rester un peu tranquille, avec Olivier pourquoi pas, pour pouvoir lire ou écrire paisiblement, à côté de la fenêtre ou pas, sans se soucier du reste. Leïa était considérée par le reste de la classe comme une terreur. Redoublante, elle ne manquait jamais une occasion de cogner ou de se moquer des autres élèves. Et Clafoutis n'aimait pas cela du tout.
Elle avait, une fois ou deux, fait les frais de quelques moqueries de la part de Leïa, mais rien de plus que de la part de certains autres élèves.... Son côté maigrichonne et ses discours considérés comme étranges n'aidaient de toutes façons pas dans ce genre de relation. Clafoutis ne s'en souciait même plus : lorsqu'on est toujours la dernière à être choisie dans les équipes de sport, qu'on vous tire les cheveux de temps en temps juste pour vous énerver, qu'on vous demande d'expliquer une histoire simplement pour pouvoir s'en moquer... on ne s'inquiète plus de rien parce qu'on sait déjà que, socialement on est au 36ème dessous. Clafoutis ne se le formulait pas aussi clairement, mais le savait tout de même parfaitement...

Piteusement, elle regarda les autres enfants remplir le car comme ils le souhaitaient, dans les rires et la bonne humeur. Elle attendait de voir Leïa s'installer pour l'accompagner ensuite... Pour le meilleur, ou pour le pire, mais le second était le plus probable... Que l'Enfant Noyé la protège...

L'ordre tomba sur les épaules de Leïa comme un seau d'eau glacée. Bien sûr, elle s'était attendue à une manœuvre du genre de la part de la Pougon, mais la mettre à côté de Clafoutis, la fille bizarre au nom idiot, c'était presque trop. Clafoutis était timide et très peu remarquable, mais pour une raison sur laquelle Leïa n'était jamais parvenue à mettre le doigt, elle la mettait mal à l'aise. D'ailleurs, comme ce n'était pas le genre de choses que Leïa Pottier aimait s'avouer, elle canalisait son malaise en colère. Colère contre Mme Pougon pour le moment, mais elle ne tarderait probablement pas à se diriger contre Clafoutis si celle-ci tentait quoi que ce soit de stupide (comme engager la conversation). Ce fut donc nantie d'une expression passablement irritée que Leïa monta dans le bus, jetant son sac en travers du couloir puis le poussant à coups de pied sous le premier siège venu. Il était inutile de discuter, parce qu'elle savait pertinemment que si elle se mettait à ouvrir la bouche maintenant, elle ne serait pas capable de se retenir, et les choses dégénéreraient rapidement. Elle s'installa près de la fenêtre, les bras croisés et les macarons en pétard, et prit bien soin de coller son chewing-gum sur l'appuie-tête du siège devant elle, espérant que ce serait celui dans lequel Mme Pougon viendrait s'installer.

«GRMBL.» fit-elle en voyant arriver celle qui devait être sa voisine de voyage...

Le car manœuvra dans les rues étroites et tortueuses du vieux Pont l’Espoir. Mademoiselle Mayor avait l’habitude de l’endroit, cela se sentait à son coup de volant assuré. Tous autres conducteurs auraient abordé ces virages délicats avec une certaine prudence. Roberta était l’une de ceux qui assuraient les transports scolaires depuis déjà un bout de temps. Elle était connue pour son côté grincheuse. C’était un vrai ourse celle-là. Mais elle n’était pas méchante du moment qu’on ne laissait pas de cochonnerie dans son véhicule. Il y avait une chose, en particulier, dont elle avait horreur : c’était les chewing-gums errants, ceux qu’on retrouvait collés un peu partout. Alors, désormais, seule une petite minorité de récalcitrants, dont Leïa faisait forcément partie, osait encore s’adonner à ce genre d’activité.

Le chewing-gum justement laissé par la petite teigneuse fut découvert, non pas par madame Pougon, mais par Thibaut, un garçon qui avait déjà eut à faire à la terreur de la cour de récrée. Lorsqu’il sentit le contact gluant contre sa main, il eut une grimace de dégout. Il aurait pu se plaindre à la maitresse ou à Roberta. Dans les deux cas, le coupable aurait vite été désigné. Mais il n’en fit rien, ayant bien trop peur des éventuelles représailles. Il se contenta donc de prendre un mouchoir pour se nettoyer et pour mettre le chewing-gum à l’intérieur. Ce fut pas facile mais ça valait le coup à ses yeux.

Pendant ce temps, le car traversait le si fameux pont de la ville, gagnant ainsi la partie bien plus moderne. Un urbanisme plus anonyme s’offrit aux regards des passagers alors que, des brumes matinales, émergeait le soleil. La lumière se fit tout de suite plus vive. C’était une belle journée qui s’annonçait. Dans le car, la bonne humeur dominait. Malgré les avertissements de madame Pougon, les élèves de CE2 avaient majoritairement l’impression de partir en vacance. Ici et là, on commençait à entendre parler de St Monet, que ce soit la forêt ou le lac. Même si personne ne connaissait vraiment l’endroit, ce serait forcément mieux qu’une classe austère à l’école primaire.

Philipe Galop, après avoir discuté un petit moment avec Louise Pougon, se leva et, tout en se tonnant à la barre adjacent aux quelques marches menant à la porte du véhicule, il fit face aux enfants et se présenta.

[Philippe Galop] –Bon, et bien bonjour à tous. Vous avez peut-être déjà entendu parlé de moi. Je suis Philippe Galop, votre nouveau professeur d’éducation sportive. On n’a pas encore eut l’occasion de nous voir à l’école mais on va avoir toute une semaine pour faire connaissance. On arrivera à destination, d’ici une heure et demi environs. On va faire une petite pause à mi-chemin. Essayez d’en profiter pour ne pas nous obliger à nous arrêter plus. Mais bon, en cas de problème, venez nous le dire quand même ! Si certain d’entre vous craignent la route, on a ce qui faut pour arranger ça. Suffit de demander !

Philippe s’assit. Il avait la pèche et risquait fort de dynamiser l’encadrement.

Clafoutis laissa Leïa monter devant elle et attendit quelques instants. Elle hésita encore, mais le regard de Mme Pougon finit par la décider à monter dans le car...
Elle se glissa silencieusement dans l'escalier avant de s'installer côté couloir, le plus loin possible de Leïa qui affichait un air renfrogné comme jamais. Craignant pour sa sécurité, Clafoutis bredouilla un bref

"... salut..."

avant de sortir précipitamment son dernier Spooksville de sa veste et se plonger dans sa lecture.

Clafoutis (mais quel nom débile ! Quel nom débile !) n'avait pas l'air de vouloir engager la conversation, et c'était tant mieux. Leïa profita de la terreur qu'elle instaurait visiblement chez la gamine pour s'étendre un peu plus, coudes compris. Lorsqu'elle vit Clafoutis sortir un roman, elle roula des yeux, mais ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil par dessus son épaule. Elle était curieuse, après tout. Sa curiosité fut cependant rapidement rassasiée : Leïa ne comprenait absolument pas comment quelqu'un pouvait aimer lire ce genre de... trucs. Malgré tout, elle s'y reprit à deux fois pour essayer de comprendre quelque chose à l'intrigue. Elle avait dû s'y prendre de manière un peu trop ostentatoire, parce que Clafoutis leva les yeux. Leïa grogna (c'était tout ce dont elle semblait encore capable au niveau des communications) et sortit de son sac un comic. De l'action ! De la science-fiction, des vaisseaux spaciaux ! Voilà ce qu'il lui fallait. Pas des histoires de trucs bizarres. D'ailleurs, elle ne manqua pas de communiquer sa désapprobation, brisant ainsi le silence qui s'était établi depuis le début du voyage :

«C'est nul, ton truc, y s'passe rien.»

Elle renifla bruyamment son désaccord.

Dans le car, le bourdonnement joyeux des voix entourait Leïa et Clafoutis même si, il était vrai, que plus on allait vers l’arrière du véhicule, plus il y avait de l’animation. L’aura professorale de madame Pougon, située tout à l’avant, était assurément à mettre en cause. Parmi les voix perçait celle d’Amandine. Toujours à l’affut des ragots, elle était à présent en quête de tout ce qu’il était possible d’apprendre sur St Monet. Hélas, elle était trop loin de notre duo de fillettes pour que celles-ci puissent l’entendre distinctement. Hugo et Killian devaient être à l’arrière alors qu’Olivier s’était prudemment choisit une place non loin des adultes.

Le car, à présent, quittait Pont l’Espoir. Au décore citadin succédait la verdoyante campagne. Des pluies récentes avaient tonifié la nature, offrant ainsi un paysage des plus appréciables. Peu à peu, les brumes matinales se dispersait, dévoilant un ciel d’un bleu limpide. Oui, indiscutablement, la journée était prometteuse.

Clafoutis jeta un oeil à Leïa par dessus son roman. Ainsi, la redoublante avait vu ce qu'elle lisait ?
La fillette renifla à son tour, se redressa légèrement et répondit doucement :

"Avant de dire que c'est nul, faudrait peut être en avoir lu, non ?"

Elle remis quelques mèches brunes qui s'étaient échappées de sa queue de cheval derrière son oreille avant de regarder ce que Leïa avait entre les mains.

"Tu sais, le livre précédent avait lieu dans un vaisseau spatial... C'est pas si loin de tes propres histoires, je crois ?"

Clafoutis entendait les rires des autres à l'arrière et ne savait plus si elle aurait aimé être parmi eux. De toutes façons, ils n'auraient probablement même pas daigné lui parler, donc quitte à être dans un endroit désagréable... Peut être n'allait-on pas tant tarder à arriver ?

«Si fallait tout lire, j'ai pas l'temps, moi ! C'est chiant, tu sais ? Trop de mots !»

Avec énergie, elle colla son comic sous le nez de Clafoutis. Il s'agissait d'un Star Wars Legacy fort abîmé, visiblement à force de lecture passionnée. Leïa ne lisait pas de romans : même (surtout !) les lectures obligatoires de l'école étaient délaissées, mais elle adorait la bande-dessinée, surtout américaine. Pas que Star Wars : les super-héros aussi avaient une certaine classe, malgré leurs costumes stupides. Surtout Batman. Oooh, Batman. Presque au niveau de Han Solo question classe, mais quand même pas autant, fallait pas exagérer, non mais !
Furtivement, elle se demanda si elle venait vraiment d'engager une conversation sur la lecture avec une des gamines les plus bizarres de la classe. Apparemment, oui. La pensée la surprit elle-même. Elle reprit un chewing-gum et s'appuya lourdement sur l'accoudoir entre elles deux, le regard fixé sur Clafoutis. Ses macarons menaçaient dangereusement de se dérouler, et de nombreuses mèches châtains en dépassaient et traînaient sur ses épaules. C'était vrai que Leïa avait, en fait, les cheveux longs, très longs, mais qu'ils étaient si souvent attachés qu'elle-même avait du mal à s'en souvenir.

Le car était à présent sur une départementale bien peu fréquentée. La route, plutôt droite, fandait cette belle campagne. On en était à un peu plus de vingt minutes de voyage maintenant. Il fallait donc encore s’attendre à une grosse heure de trajet. Devant,, les adultes discutaient entre eux. Derrière, on s’amusait toujours autant. Et au milieu, par contre, le volume avait tendance à décendre. Plus d’un enfant profitait du transport pour terminer leur nuit. C’est qu’il avait fallut se lever tôt quand même.

HRP : je vous laisse terminer votre discussion. Quand vous n’avez plus rien à ajouter, faite-moi signe par MP.

Clafoutis regarda les pages cornées et abîmées du comics de Starwars. Elle tendit la main pour arrêter le mouvement des feuilles et regarder le titre. Elle écarquilla les yeux devant les belles images et les couleurs. Même si elle avait une préférence pour les livres, les comics avaient l'air assez intéressant !

"Ca a l'air sympa, s'étonna Clafoutis en rejetant encore quelques mèches derrières ses oreilles. Il existe aussi tout un tas de livres de Starwars, tu sais ! Tu connais la saga des Jeunes Chevaliers Jedi ? J'ai pas tout lu, mais j'ai bien aimé les trois premiers..."

Sa voix s'éteignit au fil de son intervention. La peur commençait à la gagner. Elle discutait avec la redoublante. Le risque de ramasser un coup était proche, très proche, trop proche. Et le trajet serait peut être encore long.

"Bah 'videmment que j'les ai lus !"
Les divers romans dérivés de Star Wars étaient, en fait, les seules lectures non dessinées qu'elle pouvait supporter, aussi mauvais fussent-ils parfois. Il y avait quelque chose avec cet univers ! Et, si elle sautait très volontiers les lectures obligatoires de l'école, elle n'aurait pu supporter de manquer un chapitre de ces romans. C'était quelque chose d'assez étrange aux yeux de son père, qui avait tenté de l'ouvrir à d'autres oeuvres de science-fiction, ou au moins de space opera, mais las, Leïa ne supportait guère les bouquins que si un jedi ou deux étaient présents dans l'intrigue.
Cela dit, les talents en matière de conversation de la fillette étaient loin d'être optimaux, et elle était de moins en moins sûre de vouloir être prise en flagrant délit de causerie de première de la classe autour de bouquins. Elle jeta un dernier coup d'oeil curieux au roman de Clafoutis, mine de rien, puis se renfrogna, se tourna pour lui montrer son dos avec une mauvaise humeur évidente, et se replongea dans son comic. Au cours du voyage, elle en sortit plusieurs tour à tour, autant space opera que superhéros, jusqu'à ce que les cahots combinés à la lecture ne la rendent malade. Elle passa donc le reste du trajet à contempler le paysage, qui était vert, et particulièrement chiant à ses yeux. Elle espérait qu'il y aurait au moins des ruines là où ils allaient ; Leïa aimait bien les ruines, les entrepôt abandonnés et autres bâtiments condamnés, qui faisaient avec un peu d'imagination de parfaits ponts de vaisseaux abandonnée, où la brave et impassible cosmonaute solitaire devait survivre (en général, jusqu'à l'arrivée d'un alien baveur -hm, une autorité adulte quelconque).

Clafoutis s'étonna un peu de la réponse de Leïa, mais fut heureuse de la voir tourner le dos. Elle avait eu peur, et même très peur de ramasser une gifle. Avec ce genre de personne, on était jamais sûr de rien...
Cependant, sa conversation avec la redoublante l'avait troublée, et alors qu'elle se replongeait dans la lecture de son roman, elle s'étonna encore de s'être aperçut qu'elle n'était pas si bête ou brutale comme elle pouvait en avoir l'air au premier abord...

La fillette s'attacha donc à sa lecture et aux aventures de ses héros préférés pendant le reste du voyage, qu'elle ne vit pas passer, oubliant hurlements et exclamations provenant de l'arrière du car...

Comme prévu, à mi trajet, le car s’arrêta au bord de la route pour une petite pause pipi. L’affaire ne s’éternisa pas et moins de dix minutes plus tard, le voyage reprenait. Toute les brumes matinales s’étaient dissipées et, à travers les vitres du véhicule, les enfants commençaient à sentir la chaleur du soleil. Le car scolaire était réputé pour vite se muer en four. Tout ceux qui le prenaient régulièrement avaient forcément en mémoire ses chaudes après-midi d’été où, à l’heure de la fin des cours, ils devaient passer par cette étuve sur roues pour rentrer chez eux. L’air y était alors étouffant et tout était bouillant à l’intérieur. C’était vraiment éprouvant. Heureusement, en ce matin du premier mai, on en était très loin. Les doux rayons de l’astre du jour étaient appréciés et aux volumes toujours faiblissant des voix, on pouvait deviner que les élèves étaient de plus en plus nombreux à somnoler.

Le car quitta la nationale et s’engagea sur des routes plus petites et plus sinueuses. Le paysage, toujours aussi verdoyant, s’emplissait d’arbres. On entrait dans la forêt de St Monet. On pouvait vite se rendre compte qu’elle était grande et profonde. De chaque côté de la route, muée en chemin, se dressait maintenant de vraies murailles végétales. Les frondaisons s’unissaient en un plafond feuillu. Le soleil devait batailler pour s’y frayer un chemin. Et dans le car, une certaine pénombre s’était répandue. Le trajet se poursuivit ainsi. Les passagers étaient un peu secoués au gré du chemin irrégulier. La lecture devenait difficile. Près d’une demi-heure après avoir passé l’orée de la forêt, on put apercevoir sur la gauche une vieille maison. Un chien se mit à aboyer après le car qui continua sa route encore pendant cinq minutes. Voilà les CE2 arrivés à destination.

[Philippe Galop] –Allez ! Debout là-dedans ! On n’est arrivé !

Le prof de sport, avec tout son dynamisme, réveilla ceux qui terminaient leur nuit. Il était temps de descendre du véhicule. Voilà bientôt la classe hors du car, en train de découvrir ce lieu qui allait les accueillir pendant cette semaine de classe verte. Il s’agissait d’une clairière assez large, véritable puits de lumière cerné par les arbres serrés. A une extrémité de cette clairière apparaissait le fameux lac de St Monet. Ce dernier n’était pas grand, loin de là. Il avait presque des airs d’étang. Ses eaux calmes, relativement peu profondes, étaient troubles, vaseuses. S’y baigner n’était pas vraiment la première idée qui venait à l’esprit en le regardant. Mais il n’était pas laid pour autant, bien au contraire. Il se dégageait de lui un certain charme. Excepté là où s’ouvrait la clairière, les arbres bordaient le lac de près. L’air était assez humide à cause des eaux à proximité et la chaleur du soleil radieux était la bienvenue.

Clafoutis n'avait pas beaucoup apprécié la dernière partie du voyage. Si elle trouvait le décor intéressant, les cahots du car avaient profondément troublés sa lecture. Il ne lui restait pourtant que deux chapitres à lire...

Lorsque le professeur de sport beugla sans qu'elle comprenne un mot de ses paroles, elle sauta sur ses pieds pour descendre rapidement du car. Si la fillette n'avait pas saisi les mots, elle avait au moins compris que la fin du voyage était enfin arrivée et qu'elle allait pouvoir enfin étirer ses membres endoloris par l'immobilité forcée.

L'air vicié du car laissa alors place à un air pur qui sentait bon le bois et le frais. Une forêt, une chouette clairière, et... le laaaaaaaac !!!!

Clafoutis attrappa Amandine qui descendait à son tour du car :

"Regarde, un lac !!! Tu crois que le peuple de l'eau a une ville là dedans ?!"

Ah, pas trop tôt ! Elle avait des fourmis plein les jambes, et vraiment marre du car sans ses amis, marre des cahots, et marre d'être assise. Comme si elle avait été montée sur ressors, Leïa sauta donc de son siège à peine le bus arrêté, et ne se fit pas prier pour déserter le véhicule, bousculant au passages quelques élèves avec son gros sac informe. Une fois dehors, elle prit une grande inspiration, et, même si elle était toujours hostile à la pleine cambrousse (trop de vert, pas assez d'internet), elle fut franchement heureuse de n'être plus confinée dans une boîte de conserve pleine de cahots, à côté de la gamine bizarre de la classe -même si Clafoutis s'était révélée étonnamment intéressante lorsqu'elle avait annoncé connaître les romans Star Wars. Bah, peu importait ! Leïa s'empressa de rejoindre ses deux meilleurs amis, Hugo et Killian, et d'énoncer avec rage tout ce qu'elle ferait bien à Mme Pougon pour se venger d'avoir été la seule placée d'office pendant le trajet.

"C'est injuste, j'vous dis ! Que moi... Vieille peau, va ! Faudra pas s'étonner de retrouver des limaces dans ton sac..."

[Amandine] –Le peuple de l’eau, j’crois pas. Mais l’enfant noyé, peut-être…

Amandine avait cherché un effet de mystère dans sa réplique amusée, sachant fort bien que la curiosité de Clafoutis ne pouvait qu’être piquée au vif, surtout quand elle allait un peu plus lui en dire. Elle ne poursuivit cependant pas tout de suite, par pur malice. Du côté de Leïa, Hugo tentait de modérer les désires de vengeance de sa teigneuse d’amour !

[Hugo] –Ouais, c’est vrai, c’est vraiment pas cool ! Elle t’en veux j’crois d’avoir redoublé ! Mais fait gaffe si tu fais un truc du genre. Pougon va forcément te tomber dessus !
[Killian] –Des limaces dans le sac ! C’serait géant !

Hugo fit la mou. Son collègue ne lui facilitait pas la vie, c’était peu de le dire. Pendant ce temps, tous les CE2 avaient déserté le car. Le trio d’accompagnateurs s’était rassemblé, un peu à l’écart. Roberta, de nouveau en train de fumer, ne participait pas vraiment à la discussion. Monsieur Galop et Madame Pougon finissait de se mettre d’accord sur les petits détails ayant échappé à tout le blabla du trajet. Peu de temps plus tard, le prof de sport faisait fasse à la classe bruyante et ramena le silence en tapant dans ses mains.

[Philippe Galop] –Bon, laissez vos sac ! On va aller se dégourdir les jambes en faisant une ballade. Ce sera l’occasion de découvrir ce bel endroit ! Allez, mettez tout ça là et rassemblez-vous là-bas !

Là, c’était à côté du car. Là-bas, c’était sur les dernières traces du chemin qui venait mourir dans la clairière. Madame Pougon, dans un réflexe scolaire, recompta les enfants. Ce n’était pas le moment d’en perdre un. Amandine, à voix basse puisque un relatif silence régnait maintenant, reprit avec Clafoutis.

[Amandine] -J’ai entendus des histoires sur ce lac, le genre que tu aimes. Y’a des gens qui se sont noyés ici d’après certains. Enfin, certains, c’est surtout Timothée qui raconte ça en fait. Il est déjà venu ici avec ces parents d’après ce que j’ai compris.

Timothée, c’était un petit à lunettes assez sociables. Il avait dans la classe une certaine notoriété à cause de ses idées de jeu originales, parfois loufoques. Il fallait dire que ses parents étaient des adeptes des jeux de rôles comme le si célèbre Donjon et Dragon. Cela devait aider. Par rapport à Clafoutis, il ne faisait pas parti de ceux qui se moquaient d’elle généralement même s’il lui arrivait d’être emporté par l’effet de groupe. En ce moment, il était au milieux de ses amis. Olivier, lui, ne pouvant s’isoler, s’était rapproché de Clafoutis et Amandine. Du côté de Leïa, Hugo tentait le changement de sujet.

[Hugo] –On est vraiment au milieu de nulle part. Qu’est-ce quon va fabriquer, ici, pendant une semaine ?
[Killian] –Moi j’ai vu une maison pas loin ! Y’avait un clébard devant !
[Hugo] –Et alors ?
[Killian] –Ben rien !

Comme prévu, Clafoutis fut évidemment piquée au vif par la remarque d'Amandine. Que savait-on de cette endroit ? Il existait des histoires à propos du lac ?? Des histoires d'enfants ??? D'enfants noyés ???? Quel genre d'histoires ?????
Elle se tourna vers Timothée, plus à l'arrière, pendant qu'ils se rassemblaient à la lisière de la forêt. Timothée, un garçon plutôt sympa, et assez passionnant. Elle aimait bien sa compagnie, en tous cas, plus que celle des autres élèves en majorité puisqu'il ne se moquait pas d'elle. Ah si seulement Mme Pougon les avaient assis à côté dans le car, ça aurait peut être plus intéressant et plus fructueux que de se tenir à carreau à côté de Leïa...
Avec un sourire envers Olivier qui avait le plus grand mal à se tenir dans la foule d'élèves, la fillette s'éclipsa.

Elle se dirigea discrètement vers lui, se glissant entre les élèves surexcités. Maintenant qu'on était descendu du car, beaucoup d'entre eux semblaient n'avoir qu'une envie : se défouler.

Clafoutis tapa doucement sur l'épaule de Timothée, trop curieuse pour attendre de lui poser des questions.

"Salut !" s'exclama-t-elle avec enthousiasme.

Elle attendit quelques instants et reprit, un peu plus bas :

"Dis moi, il paraît que tu es déjà venu ici... tu connais les histoires du lac, toi ?"

Timothée se tourna vers Clafoutis mais ce ne fut pas lui qui répondit. Non, ce fut Gregory qui s’en chargea.

[Gregory] –Tiens, qu’est-ce que j’disais ! On aurait dû parier quelque chose ! La bizarre rapplique !

Des rires fusèrent parmi le groupe d’enfants, le genre de rires moqueurs dont Clafoutis était hélas habituée. Gregory, grand pour son âge et très sportif, était de loin celui qui raillait le plus Falinord. Il formait, avec Simon, un insupportable duo qui pouvait faire preuve d’une grande méchanceté. Heureusement pour notre passionnée d’histoires d’horreur, Simon avait raté la classe verte et Grégory devrait donc se passer de son fidèle compère. Seulement, il pouvait encore compter sur quatre ou cinq amis. Et toute cette charmante compagnie entourait généralement Timothée. Ce dernier, petit, avec des lunettes, était physiquement presque l’opposé de Gregory. Même au niveau du caractère, c’était tout le contraire. Et pourtant, Timothée faisait bel et bien partie des amis de Gregory. Bref, voilà qui n’allait pas faciliter la vie de Clafoutis. Si elle voulait parler à Timothée, elle devrait attendre qu’il soit seul. Il ne fallait pas non plus espérer que le garçon vienne à elle. Il avait sans doute un peu peur que sa popularité en prenne un coup. D’ailleurs, sa popularité, parlons-en. Elle était fragile. Si « la bizarre », c’était Clafoutis, « le bizarre », c’était lui. Il en faudrait peu pour qu’il se retrouve isolé. Il avait donc terriblement besoin du soutien de Gregory.

Ha, les relations, même en CE2, c’était déjà terriblement compliqué. Toujours était-il que madame Pougon s’efforçait de contenir sa classe. Le calme, un instant respecté, faisait maintenant place à la surexcitation. Le prof de sport ne fut pas de trop pour organiser la balade. Il tapa dans ses mains. C’était visiblement une habitude chez lui. Et sous ses instructions sympathiques mais fermes, le groupe se mit en marche. Roberta resta en arrière, à côté du car et des sacs. Elle commençait à sortir et préparer certaines choses. Bientôt viendrait le mythique moment du montage des tentes.

La balade commença donc. Ce qu’on put remarquer en premier lieu, c’était le contraste entre la forêt et la clairière. La seconde, exposée à la chaude lumière du soleil, était un endroit clair et accueillant alors qu’entre les arbres il faisait tout de suite beaucoup plus sombre et aussi plus frais. St Monet avait de quoi intimider. Mais n’exagérons rien quand même. S’y promener était agréable. La classe suivit en sense inverse le chemin prit par le car. Ce n’était qu’une piste terreuse et caillouteuse cernée par la végétation. Elle était relativement droite cependant. Monsieur Galop ouvrait la marche alors que madame Pougon vérifiait que tous suivait. Par un curieux hazard, elle n’était jamais très loin de Leïa et de ses amis.

Après quelques minutes de marches, des aboiements se firent entendre. Un gros chien de chasse noir émergea de l’un des rares virage du chemin. C’était une bête assez imposante et dont l’aspect féroce pouvait mettre mal à l’aise n’importe qui. L’animal était toutefois accueillant. Secouant sa queue, il alla à la rencontre des nouveaux venus. La classe fit halte et une voix rappela le chien, une grosse voix rocailleuse.

[???] –Crapule, au pied !

Le chien, bien dressé, revint vers son maitre qui apparaissait à son tour. C’était un sexagénaire à la grosse moustache grisonnante. Il était vêtu comme un chasseur. Il ne lui manquait que le fusil. A ses côtés se trouvait une femme sensiblement du même âge. Tous deux s’approchèrent, le dénommé Crapule courant autour d’eux, surexcité.

[Le Chasseur] –Alors voilà donc la jeunesse de Pont l’Espoir !

L’homme était souriant. Il serra la main à Philippe Galop et à madame Pougon tout en échangeant encore quelques mots. On le voyait fort bien, cette rencontre n’était pas le fruit du hasard. Et si ce n’était pas assez évident, le prof de sport fit face aux enfants et dissipa les derniers doutes qui pouvaient subsister.

[Philippe Galop] –Je vous présente monsieur et madame Pulvier. Ils ont bien voulu nous aider à organiser cette classe verte. Vous pouvez les remercier car sans eux, ça n’aurait pas été possible.

L’organisation relevait d’un remarquable bricolage. Le collège de Pont l’Espoir faisait avec les moyens du bord, c'est-à-dire pas grand-chose. Si peux d’accompagnateurs pour une semaine en forêt, ce n’était pas envisageable. On avait donc fait appel à l’aide des Pulvier. Avec eux en renfort, le nombre des adultes passait à cinq. De plus, et ce n’était pas négligeable, en cas de problème, la classe pouvait compter sur une maison à proximité. Ho, bien sûr, tout ceci n’avait sans doute pas grand-chose de réglementaire. Sur les cinq adultes, seuls deux étaient habilités à s’occuper d’enfants mais peu importait. S’il fallait respecter la loi, jamais une classe de Pont l’Espoir n’aurait un jour pu sortir de la ville.

Clafoutis, dépitée, retourna auprès d'Amandine et Olivier, sans un regard en arrière. Des moqueries, toujours des moqueries... Si seulement ils savaient...

L'arrivée du chien plut beaucoup à la fillette qui n'eut que pour envie d'aller caresser la grande bestiole. Son nom la fit également sourire : voilà un animal bien sympathique !

Monsieur et Madame Pulvier avaient également l'air sympathique, bien que Clafoutis soupçonna l'existence d'êtres miniatures dans la barbe du premier.

Malgré l'arrivée inopinée du chien, Clafoutis partagea sa déroute avec ses amis. Elle leur chuchota :

"Je n'ai rien pu tirer de Timothée, il a des amis un peu... un peu trop cons..."

L'arrivée des Pulvier plongea une fois de plus Leïa dans un profond malaise. Comme si la Pougon ne suffisait pas, ils auraient des péquenauds en plus ! Bon, ils avaient un chien... mais Leïa, sans les détester, n'avait jamais compris l'enthousiasme qu'on pouvait avoir pour les bestioles. C'était encore un truc de fille, ça, gagatiser devant le moindre truc à fourrure. Les ewoks avaient gâché le troisième Star Wars ! Elle n'allait pas leur pardonner aussi facilement, non mais !
Le soleil devait taper un peu fort sur son crâne, songea t-elle ensuite, pour qu'elle en soit venue à pareilles réflexions. Les ewoks de St Monet. Mais bien sûr...
Pour se distraire, Leïa donnait des coups de pied dans les cailloux. Ce qui n'était guère efficace, et elle était plutôt tentée de les jeter à la tête de Mme Pougon, mais la vieille harpie n'avait de cesse de lui jeter des petits coups d'oeil soupçonneux.
Elle sentait que ce serait une semaine gâchée dans l'ennui et les réprimandes. Elle espérait AU MOINS pouvoir être dans la même tente que ses deux amis, mais connaissant Mme Pougon, c'était peine perdue. Même calme, elle se faisait punir ! Alors à quoi bon être calme, hein ?! Se montant le bouchon toute seule, elle cogna plus durement dans un caillou et l'envoya voler loin devant elle, en plein dans la cheville de Clafoutis. Oups.

La Couronne de Cuivre

LÂ’Ombre de Dame Nature

L’Ombre de Dame Nature