La Couronne de Cuivre

Chandara, venant d'ici :
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Chandara ne devait découvrir le campement des helmites qu'au terme d'une petite recherche assez longuette à travers prés. Plus d'une fois, on les avait renvoyés, elle et son cheval, au mauvais endroit, mais elle venait d'apercevoir entre deux tentes des tabards tormites séchant sur une ficelle tendue entre deux piquets, puis un duo de paladins ilmates à l'air fatigué, assis sur un talus, qui se guérissaient mutuellement les ampoules : elle ne devrait plus tarder à trouver sa destination.

A sa plus grande surprise, pourtant, elle en était loin. Un sergent qui passait lui aussi à cheval et semblait traquer les égarés comme elle l'interpela pour lui demander ce qu'elle cherchait, En entendant la réponse, il expliqua en reniflant :

« Vous avez fait fausse route, les helmites ne sont pas rattachés aux clercs, mais aux guerriers... rapport à leur nouvelle façon de combattre... On les a donc mis près de la garde et des troupes d'élite de la citadelle. Au nord-est du campement. Leur tour de passer à la tambouille ne devrait plus tarder ; vous feriez bien de vous dépêcher si vous ne voulez pas dormir le ventre vide. »

Elle avait tout de même partagé au temple le logis et le quotidien d'un certain nombre de prêtres et de quelques paladins qui avaient fait comme elle le choix de se mettre au service du nouveau grand-prêtre. Faute d'avoir réellement discuté avec eux, elle avait gardé en mémoire leurs visages et leurs voix... C'est ainsi qu'en reconnaissant un prêtre et une prêtresse qui discutaient ensemble, assis près d'un feu, elle devina qu'elle était enfin parvenue à destination. Le prêtre était un peu plus âgé que la prêtresse, et au temple ces deux-là passaient tant de temps à discuter à voix basse que la rumeur publiait déjà les bans à leur insu.

La prêtresse se leva en la voyant arriver. Ses tâches de son frémirent tandis qu'elle tortillait une de ses tresses brunes.

"Chandara ! Par ici !"

Chandara eut un bref moment de culpabilité, quand elle se rendit compte que pour sa part elle n'avait pas mémorisé le nom de son interlocutrice.

"Vous avez fait bonne route ? Je ne vous ai pas vue dans la colonne, la plupart d'entre nous pensaient que vous aviez renoncé à nous rejoindre... Vous avez l'air exténuée !"

Chandara était sincèrement soulagée de trouver enfin son campement et surtout d'y retrouver des visages connus. Elle sourit et prit le temps de saluer les deux prêtres avant de répondre à la question de la jeune femme dont le nom lui échappait, à sa plus grande honte. Elle prit néanmoins le parti de répondre d'un ton humoristique :

- Oh ! Je peux tout expliquer par mon manque pathologique de sens de l'orientation ! On m'avait expliqué très clairement qu'il fallait tourner à gauche en quittant Manost puis de poursuivre tout droit. J'ai du mal interprété une indication et j'ai donc voyagé toute la journée en compagnie d'un guerrier perdu tout comme moi. Puis je me suis à nouveau perdu et j'ai bien du laisser des empreintes de pieds dans tout le camp - plusieurs fois -. C'est une revanche bien mesquine sur les pisteurs qui auraient envie de me suivre à la trace et ça m'a probablement fait rater le repas mais ça valait la peine. Enfin, s'il reste au moins une place où s'allonger pour la nuit sinon je pourrais bien décider de dormir sur Kelpie.

La jeune femme était restée debout, tenant toujours sa jument par la bride, attendant une invitation ou au moins quelques indications sur la marche à suivre maintenant qu'elle était enfin rentrée dans le rang.

La prêtresse demeura quelques secondes interdite, le temps de réaliser que Kelpie devait être le nom de la monture. Puis elle secoua la tête avec une spontanéité enfantine.

"Oh, pas de souci pour le couchage, on vous fera une place dans les tentes, elles sont prévues pour quatre mais plutôt spacieuses, vous pouvez venir dans la mienne si vous voulez, on n'est que deux. Rassurez-vous, on sera entre filles. Ma binôme est partie dîner. Moi, j'en reviens. En vous dépêchant, vous les rattraperez, et quand bien même vous arriveriez trop tard, on vous servira à manger quand même, va, ce n'est de l'intérêt de personne que les troupes tombent d'inanition avant le combat.

C'est par là !"

Et elle indiqua bravement du bras un azimuth qui rappela à Chandara de mauvais et récents souvenirs d'errance à travers champs, les sabots enfoncés dans la terre meuble.

"Suivez la direction et si vous ne tombez pas sur des helmites, vous tomberez au moins d'ici dix minutes sur une grange éclairée, c'est là qu'ils servent les repas. On peut même s'asseoir... Ils sont obligés de faire des tours de passage pour qu'on ne s'écrase pas trop. Oh, et laissez-nous Kelpie, je vais la mettre à l'attache avec les autres, elle a le droit de se nourrir elle aussi."

Chandara se sentait lasse effectivement mais elle jugea l'instant propice pour se rapprocher davantage de ses compagnons d'arme et aussi en apprendre plus sur ce qui les attendait dans les jours voire les semaines à venir. Elle s'installa donc près d'un feu en choisissant d'interroger la prêtresse dont le nom persistait à lui échapper :

- Je m'en veux d'avoir fait route à part jusque là. Du coup, j'ai certainement manqué des instructions ou des consignes importantes. Est-ce que Eroeh vous a parlé ? Ou les officiers peut être ? J'ai hâte de monter au combat mais comment faire si je ne sais pas ce qu'on attend de moi ?

La prêtresse lui sourit tout en se frottant les mains sur les cuisses pour se réchauffer un peu.

« Le grand-prêtre Eroeh nous a réunis un peu avant votre arrivée, vous deviez être en train de chercher le camp... Il nous a appris que nous étions a priori en route pour Aghoralis, autant dire pour longtemps ! Pour autant qu'elle ne change pas d'avis, l'armée mélandienne semble avoir l'intention d'en faire le siège... Il nous a aussi dit que le Conseil avait obtenu l'appui des luméniens qui doivent nous envoyer des renforts en débarquant à Graëlon. Par conséquent, il va falloir monter vers Aghoralis à marche forcée, tout en espérant que les renforts n'arriveront pas trop tard. La cité est bien fortifiée et bien armée, mais elle ne tiendra peut-être pas très longtemps face à si gros parti. Et la population est nombreuse à s'y être réfugiée en fuyant les campagnes. Voilà.... » conclut-elle en hochant la tête, consciente d'avoir brossé le tableau à gros traits.

« Il nous a aussi annoncé que nous aurions des entraînements tous les soirs pour apprendre à pallier notre déficit en magie divine », précisa un camarade, un paladin entre deux âges au bouc soigné. « Ça me rassure un peu, je dois dire... Les quelques heures de formation que j'ai eues au Cœur Radieux avant de partir ne m'ont guère semblé suffisantes. »

« C'est rassurant tout simplement de voir que le grand-prêtre est finalement venu avec nous. Il n'a rien voulu entendre de ses conseillers... Il dit que notre devoir est de défendre Manost, et que notre devoir n'est pas mort avec Helm. » Il y eut quelques hochements de tête approbateurs.

Les informations dispensées par la prêtresse recoupait les rumeurs qu'elle avait pu glaner auprès d'Hughes Montfort et elle hocha la tête avec reconnaissance pour son résumé clair de situation. Elle fut également rassurée de voir que la cohésion du groupe et l'entraînement ne serait pas négligés. Déstabilisée par les capacités qui lui avaient été retirées, la paladine sentait en effet que des exercices communs lui seraient également très profitables. Elle répondit donc avec enthousiasme à la remarque de son collègue paladin :

- Cela nous fait une longue route et nous aurons donc maints occasions d'améliorer nos techniques. Est-ce que l'entraînement de ce soir a déjà eu lieu ? Je serais ravie de vous montrer quelques techniques que j'ai apprises en cours de route et de bénéficier de votre expérience pour apprendre.

"Ah non, l'entraînement a eu lieu avant le dîner, c'est tout de même moins dangereux en plein jour, répliqua le paladin en souriant. Ceci dit vous aurez l'occasion dès demain de nous montrer ce que vous savez faire, et nous ne demandons qu'à apprendre. Mais si vous possédez vos propres techniques, c'est que vous avez dû avoir un parcours un peu atypique ? Où les avez-vous acquises ? A Manost, nous avons tous plus ou moins eu les mêmes maîtres d'arme..."

C'est l'ensemble de l'assistance qui reporta alors son regard vers elle, espérant des récits de voyage ou de missions lointaines...

La paladine sentit le rouge lui monter aux joues de se retrouver ainsi au centre de l'attention. Elle avait soudain l'impression que s'étendre sur ses quelques voyages serait faire preuve d'une prétention bien mal justifiée. Après tout, l'essentiel des paladins et des prêtres qui s'étaient arrêté pour l'écouter étaient bien plus âgée qu'elle même. Toutefois, elle sentait qu'elle ne pouvait pas se dérober. A dire vrai, elle n'en avait pas envie : elle avait bien l'intention d'essayer d'appliquer les conseils prodigués par Hughes et cela commençait par ne pas craindre de prendre la parole en public et ne pas chercher à se dérober à ses devoirs, bien qu'elle se sentit peu légitime pour le faire. Elle répondit donc sans ambages, sans fioritures ni effet d'emphase :

- J'ai fait mes classes auprès d'un maître d'armes de Cojum. Mais j'ai pu constater que rien ne remplace l'expérience glanée sur le terrain, au service de l'ordre et de la justice. J'ai conscience d'avoir encore beaucoup de progrès à faire en ce domaine mais j'ai pu avoir affaire à des prêtres mélandiens lors de ma mission contre le temple de Talos. J'ai aussi appris quelques techniques en protégeant une famille à Dernek, un petit village au sud d'Aghoralis et en participant à la mission pour retrouver le grand prêtre. Mais tout cela ne ressemblait pas à la bataille rangée qui nous attend alors j'espère apprendre à vos côtés à me préparer à ce genre de situations.

Son auditoire semblait un peu perdu. La mission contre le temple de Talos ? Certains avaient bien entendu parler de la destruction du Temple de Talos à Melandis, mais on avait soupçonné un règlement de comptes entre cultes rivaux plutôt qu'une expédition punitive issue du Coeur Radieux... L'équipée destinée à retrouver Eroeh était plus récente et mieux connue, mais elle inspirait un peu de crainte respectueuse. Les murmures fusaient de toutes parts.

"Une mission contre le Temple de Talos ?" répéta la prêtresse toujours désespérément anonyme de tantôt.
"ça serait donc parti de Manost ?" remarqua le paladin interloqué.
"Vous avez connu le grand-prêtre avant son intronisation ?" dit un troisième.

Comme les questions se recouvraient les unes les autres, elles finirent par se tarir toutes en même temps. Le paladin vint au secours de Chandara.

"Alors vous êtes une habituée des missions à risque en petit groupe... Oui, cela risque d'être assez différent cette fois-ci. Encore ne sait-on sur quel terrain nous devrons combattre. La guerre de siège est assez différente du face à face en rase campagne. Certains d'entre nous étaient à Lumenis lors de la guerre civile, et moi j'ai participé aux combats de Paymill lors de l'invasion démoniaque. Un souvenir maudit ! J'espère que nous n'aurons pas à exploiter notre connaissance des combats de rue, car cela se solde invariablement par une destruction presque totale de la cité, et c'est ce que je ne souhaite ni à Aghoralis, ni à aucune autre..."

La paladine ne savait à qui répondre en premier ni même si on ne lui prêterait pas des attitudes prétentieuses si elle s’étendait sur ses missions passées de la sorte. Elle fut donc heureuse de l’intervention de son condisciple. Ses propres expériences semblaient bien plus conséquentes que ses quelques quêtes dans lesquelles elle jugeait s’être à peine illustrée. Chandara choisit donc de lui répondre en profitant de sa diversion pour éluder les questions de son auditoire :

- Ce n’était pas une mission officielle : elle était fondée sur le secret avant tout. Et oui, j’ai rencontré le grand prêtre mais on ne peut pas vraiment dire qu’il me connaisse. J’espère aussi que nous arriverons avant que les mélandiens n’aient pu ouvrir une brèche dans les murs d’Aghoralis. En plus de la cité, c’est surtout la population qui y a trouvé refuge qui en pâtirait. Mais nous aviserons une fois sur place : inutile de s’en inquiéter auparavant sinon pour nous motiver à avancer plus vite. Vous qui avez côtoyé les luméniens, sont-ils de taille à nous aider dans cette lutte d’après vous ? J’ai entendu dire que la cité avait été en partie ravagée pendant son occupation, elle aussi.

Le paladin grimaça, et dut surmonter quelques réticences avant de se décider à parler. Mais bon, il n'y avait pas de luméniens dans les parages, après tout... ( )

« Avant même ces destructions, Lumenis était tout sauf une grande puissance militaire. Le seul fait que la capitale ait pu être plongée dans le chaos par le simple soulèvement d'un groupe de réfugiés désorganisés le prouve assez. Une partie de la ville a été rasée lors des combats, en effet. Et pour ce que j'en sais, ils sont encore en phase de reconstruction... »

Il haussa les épaules, tout en songeant à l’aspect plus politique des choses.

« J'imagine en outre qu'ils n'auront pas voulu envoyer trop de troupes dans un conflit qui ne les concerne qu'indirectement, à moins que le Conseil n'ait réussi à les convaincre de notre vulnérabilité, ce qui n'est pas sans risques. Mais si limitée que soit leur aide, je crois qu'elle peut être décisive aujourd'hui. A condition qu'elle arrive à temps, évidemment. »

« L'effet immédiat sur le moral des troupes est indéniable, en tout cas. Trop de gens nous ont lâchés ces derniers temps... » intervint le compagnon de la prêtresse, dont Chandara eut soudain la certitude que le prénom commençait par un P. On entendit quelques soupirs. Entre leur dieu qui les abandonnait à leur sort, les démissions multiples et le Grand Emissaire introuvable... personne n'avait besoin de demander de quoi il parlait.

Chandara salua poliment mais sans effusion particulière ceux qui entendait restait encore un peu près du feu et suivi de près la prêtresse qui la guida à nouveau jusqu’à sa tente. Déjà débarrassée de son armure et de ses armes, la paladine vérifia l’emplacement de ces dernières, non pas par crainte qu’on les ait déplacé que pour pouvoir les saisir rapidement en cas de besoin. Il s’agissait là d’un vieux réflexe qu’elle mettait toujours en application quand elle prenait la route. Avant de faire mine de s’installer quelque part, la jeune femme se tourna, gênée, vers la prêtresse :

- Dis-moi, je suis absolument confuse mais j’ai beau me creuser ma cervelle de moineau depuis tout à l’heure mais je n’arrive pas à me souvenir de ton prénom…

La jeune femme trouvait pour une fois que la pénombre avait quelques avantages pour masquer le rouge qui lui était monté aux joues.

La prêtresse ne s'en formalisa pas. Chandara crut même l'entendre étouffer un petit rire de souris.

"Oh, comme je voudrais avoir cette chance. Je m'appelle Pandora ! Oui c'est ignoble. Mes parents ne m'ont pas fait de cadeau. Tant que j'y pense, notre voisine de lit s'appelle Lise. Elle n'était pas près du feu tout à l'heure, je suppose qu'elle se promenait un peu avec ses amis. J'espère qu'elle ne fera pas trop de bruit en venant s'allonger. Humf ! C'est bien gênant, cette obscurité. Je vais me mettre près de cette porte, ça ne me dérange pas d'avoir un peu plus froid si ça me procure un peu d'air frais en même temps... Et puis, je sors souvent durant la nuit, pour la commission."

Et commença la difficile opération à l'aveugle : retirer son équipement, se changer, déposer ses affaires sans boucher le passage pour la troisième venue ni non plus risquer de les perdre dans les plis de la tente, mémoriser la place des objets utiles, et enfin, se glisser dans sa grosse couverture matelassée et tenter de trouver une position qui n'inscrirait pas en creux dans sa chair le relief dissimulé sous la toile trop mince du tapis de sol...

Chandara était soulagé que sa colocataire ne se soit pas formalisée de son ignorance. La paladine qui avait pris soin de se débarrasser de son équipement tant qu’il faisait jour rencontra moins de difficultés pour enfiler ses vêtements de nuit. Elle profita de la manœuvre pour reprendre le dialogue avec la prêtresse :

- Moi je trouve que ton prénom est très joli : je ne l’oublierai plus ! En tous cas je vais essayer. Je n’ai qu’à me dire qu’il finit comme le mien mais ce n’est pas tout à fait exclu que je l’oublie lui aussi. J’espère aussi que Lise rentrer vite mais je lui envie de pouvoir passer une bonne soirée avec des amis proches. Je l’envierai moins au lever matinal demain matin mais pour l’heure je comprends qu’elle ait besoin de décompresser. C’est une bonne façon de ne pas trop penser à tout ce qui nous attend.

La voix de Pandora semblait embarrassée quand elle se décida à répondre, peut-être encouragée par l'obscurité qui favorisait les confidences.

«J'avoue n'avoir qu'une idée très vague de ce qui nous attend... Contrairement à beaucoup d'entre nous, je n'ai aucune expérience des combats. Cela ne fait pas très longtemps que je suis sortie du noviciat au temple. En temps ordinaire, je me serais consolée en me disant que je suis au moins capable de lancer des sorts de soutien ou de soins pour aider les autres, mais là ! Je ne vais pas retarder les mélandiens bien longtemps. Enfin... Tant que je peux rester auprès de Thieran, je me sens apaisée. Oui, on deviendrait vite fous, si on restait seuls...»

Thieran était très vraisemblablement le nom du prêtre que Chandara voyait en permanence dans le voisinage immédiat de la prêtresse.

En provenance d'ici.

"Dans les vents,
dans le vents de brumes,
où l'on peine à voir la silhouette des siens
j'aime tellement,
j'aime tellement m'y perdre
qu'un jour je les perdrai
Sans n'y pouvoir rien

Et les vents de brumes
Nous rappellent chaque fois
Que la solitude nous tient
Et nous tiendra
On a de l'écume
Dans les plis des mains
On est orphelin
Dans les vents de brume ..." (*)

La chanson résonnait dans sa tête alors qu'elle se dirigeait vers le campement helmite à la suite d'un officier à l'air aussi fatigué qu'elle. A l'époque, elle avait cru que les paroles ne la concerneraient pas, que quoi qu'il arrivait, elle serait toujours entourée des autres. Sa naïveté l'étonna. Elle repensa à la barde dont la voix magnifique distillait mots et notes. Elle l'avait aimée deux années durant. Mais le destin des troubadours était fait de routes interminables et le sien la reliait à Manost. A l'époque, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle portait des chaînes. Elle aurait dû partir.

A ses pieds s'étendaient de nouveau les étoiles. Plus que quelques minutes mes pieds, plus que quelques minutes. Après, nous pourrons dormir. Une prière pour chaque pas. Insuffisante sans doute car tout d'un coup, ils cessèrent de la porter. Elle vacilla, tenta de prendre appui sur son genou malmené qui ne la porta pas. Ses mains amortirent à peine la chute. Ce n'était pas vraiment à cause du sommeil, plutôt un évanouissement.

"Quand les chandelles s'éteignent, c'est qu'il faut dormir.", disait-elle à Yorven quand il était petit. Une bonne idée, très bonne idée même. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ?

*Les paroles sont d'Amélie les Crayons, dans l'album Jusqu'à la mer, chanson les Vents de Brume.

Chandara se rendait pleinement compte que la perte terrible qu’elle avait subie n’était que peu de chose en comparaison de ce que les prêtres de Helm avaient à déplorer. En tant que paladine, elle avait développé des compétences martiales qu’elle avait conservées malgré la rupture brutale de son lien avec son dieu. Ce lien était plus intime aux prêtres et la perte de leurs sorts les handicapait bien davantage. La jeune femme répondit d’un ton sincère qui se voulait apaisant :

- La perte que vous vivez ne vous rend que plus digne et honorable d’être ici pour défendre Manost et ses habitants. Moi, je peux toujours compter sur mes armes mais vous comme Thieran et les autres prêtres êtes bien utiles que vous l’imaginez. Votre simple présence est un exemple de détermination. Un exemple qui doit inspirer tous les soldats et tous les paladins.

Alors qu’elle s’interrompait, un bruit de chute se fit entendre juste à l’extérieur de la tente. Immédiatement, Chandara se redressa en craignant que des ennemis infiltrés aient attaqué une des sentinelles. En quelques secondes la jeune femme avait saisi son épée et s’était extraite de la tente avec suffisamment d’habileté pour ne pas piétiner Pandora malgré le noir d’encre. Dehors, elle lança un appel avant de fouiller les environs du regard :

- Qui va là !?

Presqu’aussitôt elle vit une forme allongée dans la boue, face contre terre. Et personne autour. Elle se précipita vers la silhouette en se demandant s’il s’agissait d’un fêtard ayant abusé de boisson.

Elle ouvrit les yeux au moment où deux paires de bottes s'arrêtaient à coté d'elle. Son esprit opéra un raisonnement à peu près logique. Si elle voyait des bottes, c'est qu'elle était à terre. Si elle était à terre, c'était qu'elle était tombée. Si elle était tombée ... Elle se redressa péniblement et parvint à s'asseoir en tailleurs. Elle scruta un petit moment la pénombre à la recherche de l'officier qui visiblement avait décidé que par terre était aussi bien qu'une tente et l'avait laissée là. Un petit service qu'elle lui revaudrait. Du moins, si elle se souvenait de son visage ce dont elle doutait. Elle tenta de se redresser mais sa tête lui tournait. Visiblement, elle n'avait pas fait que s'endormir.

Elle réfléchit à la meilleure façon d'aborder la situation. Si elle disait qu'elle était paladine de Tyr dès le premier soir et que son interlocutrice était sensible à cela, elle risquait d'être bonne pour une nuit à la belle étoile. Il n'était peut-être pas encore non plus temps de donner son identité pour les mêmes raisons. Ce n'était pas un mensonge, simplement une omission.

"Une paladine du Coeur Radieux à la recherche d'une place dans une tente pour dormir. Je suis tombée, je pense."

*Une paladine couverte de boue. J'ai vraiment de la chance.*

Chandara prit conscience que la silhouette appartenait à une femme, qui plus est à une collègue en même temps qu’elle se rendit compte que cette dernière peinait à se relever. Elle s’en voulut immédiatement de n’avoir pas d’emblée cherché à s’enquérir de son état et lui porter assistance. La solitude et le vide en elle l’incitait-elle à adopter cette attitude méfiante ? Toujours est-il que la jeune femme s’approcha et se pencha pour aider sa consœur à se relever :

- Est-ce que tout va bien, madame ? Je peux vous emmener jusqu’à ma tente où ma collègue saura peut-être où vous pourrez trouver une place… Je ne sais pas si nous aurons de la place mais on peut toujours se serrer. Venez, appuyez-vous sur mon bras, c’est juste là.

"Merci, vous êtes bien aimable."

Elle ne reconnaissait pas la voix de sa sauveuse. Plutôt quelqu'un de jeune. Elle essaya de peser le moins possible. Au vu de ses poignets, son passage par le désert l'avait quelque peu fait maigrir. Une chance pour le moment.

"Vous êtes sûre que cela ne vous dérange pas ? Je me suis quelque peu ... égarée."

Chercher une tente à la brune ne lui paraissait pas une riche idée. C'était tomber sur des fils de tente, risquer de se faire mal sur les piquets, déranger des dormeurs qui le verraient sans doute d'un très mauvais œil.