La Couronne de Cuivre

HRP : depuis ici.

Quel funeste défaut d’avoir le sommeil si facile en un lieu où il ne fallait surtout pas dormir. Christophe sombra sans même s’en rendre compte. Et quand il rouvrit les yeux, le décor avait changé du tout au tout. En lieu et place de la chambre, une vaste salle en marbre noir. Au milieu de cette salle, un cercueil ouvert. Le garçon y reposait, tel un défunt. Il portait ses habits de la journée mais était privé de ses autres affaires. Il faisait froid et sombre. Le vent se lamentait en parcourant d’invisibles couloirs. Sur les murs de la pièce crépitaient des torches aux flammes d’azur. Elles jetaient des lueurs spectrales autour d’elles. Il y avait aussi quatre portes, disposées chacune sur un mur différent. Le garçon était seul... pour l’instant.

Les hurlements et les pleurs du pauvre Christophe s’unirent au vent mélancolique. Il en résulta un chant ô combien adapté au décor si funeste. L’écho se l’appropria et le joua, le rejoua encore et encore même après que le garçon se soit calmé. Ce ne fut que quand le vent sembla reprendre le dessus que Cricri réalisa qu’il portait en lui nombre d’autres voix, d’autres détresses.

La porte, sur ses vieux gonds, sembla gémir quand elle pivota. Derrière, il y avait un couloir, tout aussi sombre. Les torches bleues s’y répartissaient à distance régulière jusqu’à aboutir à une autre porte, identique à la première. Au milieu du couloir, il y avait un fantôme, petite silhouette éthéré. Il s’agissait d’une fillette tenant dans ses bras un ourson en peluche. Elle murmurait à ce dernier, n’ayant pour l’instant pas remarqué Christophe.

La fillette finit par remarquer Christophe. Elle tourna vers lui un visage triste mais doux. On avait vu fantôme plus affreux, c’était peu de le dire. La défunte était fort jolie dans sa petite robe. Même son regard n’était pas inexpressif. Elle sembla tout d’abord surprise, voir effrayée. Elle recula d’un pas mais, finalement, s’adressa au garçon d’une voix bienveillante.
« Alors, c’est toi le suivant ? Tu as l’air gentil, c’est pas juste... »

Exactement le genre de paroles qui allaient le réconforter, tiens. Il sentit les larmes lui piquer les yeux, mais parvint à éviter la crise complète.

"Comment tu t'appelles ? Tu fais quoi, ici ?"

Les questions semblaient naïves, mais il ne savait pas vraiment comment entamer la conversation autrement. En fait, il redoutait des réponses trop effrayantes et préférait les banalités...

« Sophie. Je... je bavardais avec Tony. »
Tony, c’était la peluche. La fillette eut un petit geste qui le fit comprendre. Elle reprit peu après.
« Tu ne dois pas rester ici. La Mort va te chercher. Tu dois vite trouver la sortie pour te réveiller. »

Encore une bonne nouvelle. Il avait l'impression de collectionner les malheurs...

"Il a l'air chouette, Tony. Mais, euh... tu sais où se trouve la sortie ? Je resterais bien, mais la Mort, ça me fait un peu peur..."

Il était littéralement estomaqué, en réalité, mais il n'était pas utile de le préciser : son être tout entier le hurlait au monde...

« La sortie, c’est par-là. »
Sophie se tourna et désigna de la main la porte au fond du couloir.
« Après, c’est à gauche, puis à droite et encore à droite. Et après, tout droit, à gauche... ou à droite ? ... »
Elle s’interrompit et refit face à Christophe.
« En fait, c’est compliqué. C’est un labyrinthe et il est grand. J’aimerais bien te guider mais les autres fantômes me font peur. Ils sont méchants. »
Sophie sembla désolée de ne pas pouvoir aider. L’espace de quelques secondes, elle regarda le garçon puis, peut-être touchée par son expression terrorisée, elle reprit, un brin d’enthousiasme dans la voix.
« Tony, lui il sait, lui il peut te guider ! »
Elle s’approcha de Cricri et lui tendit, non sans une certaine hésitation, son nounours fantomatique.
« Mais... mais... tu me le rendras après, n’est-ce pas ? »

Il avait la nette impression de n'avoir aucune chance de s'en sortir. Il avait déjà oublié les indications à suivre, et de toute façon, la fille n'était pas certaine de la suite. Mais son doudou savait ? Pourquoi pas, après tout ! Il parlait aussi à son ours. Mais il ne voulait pas séparer Sophie de Tony...

"Et si on y allait tous les trois ? J'ai pas envie de te prendre ton doudou, c'est le tien..."

Tout le monde voulait lui donner le sien ! Mais il savait ce que ça faisait d'être séparé de sa peluche préférée... et la fillette paraissait si triste, il ne voulait vraiment pas lui rajouter du chagrin.

« Je veux bien... mais y’a les autres fantômes. Je... »
Sophie se tut. L’atmosphère, déjà si oppressante, le devenait plus encore et ce de secondes en secondes. Un froid surnaturel était en train de se répandre. Quand la fillette reprit, ce fut en chuchotant.
« C’est elle, c’est la Mort. Vite ! »
Elle voulu attraper la main de Christophe mais, bien sûr, elle passa au travers. Tant pis, c’est l’intention qui compte. Elle se mit à courir, sans le moindre bruit et traversa la porte d’en face.

Tétanisé, il resta un instant sans bouger, n'osant même pas regarder autour de lui. Puis, mues par la peur, ses jambes se mirent en mouvement, mécaniquement, sans qu'il y soit pour grand-chose. Il courut dans la même direction que Sophie, espérant vraiment ne pas la perdre. Si les autres fantômes lui faisaient peur, à elle... il n'osait pas imaginer de quoi ils étaient capables. Et la Mort paraissait l'effrayer tout autant. Quel affreux cauchemar !

Après avoir poussé la porte, Christophe retrouva Sophie. Elle le conduisit à travers les couloirs de marbre noir. L’architecture labyrinthique devint vite évidente. Aucun moyen de se repérer et des voie partout. Après quelques virage, le duo rencontra un de ces autres fantômes. C’était aussi un enfant, mais il était défiguré, portant à jamais les stigmates de son atroce décès. Il se mit à hurler.
« Y’a un vivant ! Sophie aide un vivant ! Vilaine tricheuse !
- N’ai pas peur, il ne peut rien te faire, dit la fillette à l’intention de Cricri.
Elle, toutefois, fut agrippé par le spectre. Elle ne se laissa pas faire. Il voulu l’étrangler mais elle lui tira les cheveux si fort qu’il lâcha prise. Elle lui envoya ensuite un bon coup de poing sur le nez, ce qui l’étourdit. Puis, elle reprit la course.
« Ils sont presque tous comme ça. Je ne les comprends pas... »

"Pourquoi ils sont méchants avec toi ? Et pourquoi toi, tu es gentille ?", souffla-t-il tout en courant. "Et j'peux pas t'aider à les taper ? A deux, ce s'rait plus facile !" La fillette lui redonnait du courage, curieusement, malgré la situation catastrophique. Peut-être son sang-froid et sa ténacité jouaient-ils dans ce sens...

En tous les cas, il était persuadé qu'il ne devait en aucun cas se laisser séparer d'elle : il n'y survivrait pas plus de quelques instants, avec la Mort et les fantômes qui rôdaient de partout. Il espérait que la sortie n'était pas trop loin, tout de même... il ne courait pas très vite, et si les fantômes se rassemblaient pour attaquer Sophie, que ferait-il ?

« Je suis une amie de la Dame Blanche. Comme elle, j’essaie d’aider ceux qui sont piégé dans les limbes. Alors, ça ne leur plait pas à eux. Eux, je crois qu’ils sont jaloux de ceux qui vivent. »
Attirés par les cris de l’hostile fantôme, plusieurs autres défunts se montrèrent. Mais Sophie leur échappait, cognant s’il le fallait. Cricri se rendit vite compte qu’effectivement il ne pouvait aider son guide, ni être menacé par les spectres. L’un d’eux avait essayé de lui sauter dessus. Le garçon sentit juste un courant d’air passer.

Portes et couloirs s’enchainaient. Le froid surnaturel s’était fait plus discret, un signe positif. Maintenant, un petit groupe de fantôme hurlants poursuivait la fillette. Ils ne manquaient pas également de prédire à Christophe des fins aussi tragiques que les leurs. Mais voilà qu’à l’occasion de la traversée d’un corridor particulièrement long, un second groupes de défunts apparut, barrant le passage. Voyant cela, Sophie blêmit, enfin on sentit en elle sa peur. Elle réagit toutefois au quart de tour.
« Prends Tony. Il montre de la patte la voie. »
Elle plaça la peluche dans les mains du garçon. Contre toute attente, il fut en mesure de tenir l’ourson. Il n’avait aucun poids, presque aucune substance, c’était comme avoir entre les doigts de la brume.
« Je suis morte dans la forêt, en fuyant le Domaine des Divorcés. La Dame Blanche a planté des fleurs sur ma tombe, des fleurs blanches. Déposes-y Tony. Bonne chance ! »
Sophie devait être, de son vivant, un garçon manqué. Pas à un seul instant sa peur ne la fit hésiter. Ce fut les poings serrés qu’elle fonça dans ses monstrueux semblables. Mais ils étaient si nombreux... Plusieurs remarquèrent le doudou et se précipitèrent sur Cricri, voulant le lui arracher.

Christophe, bien que poussé par sa peur,, commençait à avoir les jambes lourdes. Il réussit toutefois à distancer les fantômes. Leurs vociférations torturées ne furent bientôt plus que d’affreux souvenirs. Le vent lugubre, à présent, troublait à peine le silence. De sa patte spectrale, Tony indiquait les passages à prendre. Le décor était invariablement le même. Le marbre noir, les torches bleutées, les lourdes portes, parfois des cercueils...

« Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait... »
Une plainte, du regret, de la douleur... A un croisement, le garçon vit un autre fantôme, celui d’un adulte pour une fois, un jeune homme. Il était prostré, il pleurait, la tête dans les mains. Ce fut sa voix, surtout, qui attira l’attention de Cricri. Il lui semblait déjà l’avoir entendu, même si l’impression était diffuse.

Il eut d'abord un mouvement de recul, suspicieux. Et si c'était un autre fantôme qui voulait lui tendre un piège ? Mais l'homme paraissait réellement attristé... enfin, le spectre, plutôt. Et sa voix lui rappelait quelqu'un. N'était-ce pas le conducteur fou de la voiture qui avait percuté leur car, des siècles auparavant ? Christophe n'était pas en mesure d'en être tout à fait certain, mais il lui semblait bien que c'était lui. En tout cas, sa voix y faisait penser. Timidement, il l'appela.

"Euh... m'sieur ?"

Le fantôme, surpris, releva la tête. Son visage semblait avoir été picoré par des centaines d’oiseaux. C’était là, à n’en point douter, la cause de son décès. Il observa le garçon avec intensité. Comme frappé d’effroi, il recula.
« Tu... tu étais dans le car n’est-ce pas ?! Ho, merde, merde ! Je t’ai tué, c’est ça ? Pardon ! C’est tout de ma faute, tout ! Qu’est-ce que j’ai fais... »

L'aspect de l'homme aurait plu à Bellatrix : on voyait une partie de ses os crâniens, et malgré son apparence éthérée, il avait l'air vraiment effrayant. Christophe eut la nausée, mais parvint à se contenir parce que le monsieur n'avait pas l'air méchant.

"Comment ça se fait que vous êtes mort ? On vous a vu partir de votre voiture... vous êtes venus au Domaine des Divorcés vous aussi ?"

Les pièces du puzzle s'assemblaient peu à peu, mais il était difficile pour un enfant de huit ans de concevoir une suite logique à tout ceci.

« Le domaine des quoi ? Je ne sais pas... Je ne crois pas... J’étais sur la route, je voulais rentrer chez moi. Je... je fuyais... Mais mais qu’est-ce que j’ai fait ! »
Brisé, le pauvre homme eut bien du mal à continuer. Ses souvenirs étaient pour lui son châtiment. Entre deux sanglots, il parvint tout de même à articuler la suite.
« Je ne vous ai même pas aidé ! Je vous rentre dedans et tout ce que je fais, c’est courir ! Je suis sûr que les corbeaux m’ont puni. C’est eux qui m’ont fait ça... je le mérite... »

Il ne savait pas vraiment quoi répondre. C'est vrai, ils avaient eu peur de lui, même si lui-même serait bien allé le voir, ce monsieur, mais les autres l'en avaient dissuadé. Peut-être qu'il serait toujours en vie... il eut une boule dans la gorge en pensant cela.

"Je suis pas mort, en fait. Je suis dans un rêve... et je dois sortir d'ici, vous savez ? C'est pas ici que je dois être... vous voulez bien m'aider ? Y a des méchants fantômes qui me veulent du mal, si vous m'aidez, je pourrai retourner dans la maison..."

Difficile d'expliquer clairement ses pensées, mais il avait l'impression que ce qu'il disait était vrai. Que le monsieur pouvait vraiment l'aider. Et même... ça le consolerait sans doute de savoir qu'il aura pu se rendre utile.

« Oui, oui bien sûr que je peux t’aider ! Personne te touchera ! Ils sont où ces putains de fantômes ?! J’vais leur casser la gueule ! »
Le jeune homme serra les poings, une étincelle de conviction dans le regard. Christophe avait visé juste. Il offrait au tourmenté un moyen d’un peu se racheter. Et avec lui à ses côtés, il pouvait être sur d’être bien défendu.

Toutefois, le garçon commença à être rattrapé par cette sensation de froid surnaturelle, cette même sensation qui avait poussé Sophie à l’inciter à courir...

"D'accord !", fit-il, enjoué. Toute aide était bienvenue. Néanmoins... "... par contre, si ça vous embête pas, j'aimerais qu'on y aille vite. Le... l'ours en peluche me dit où je dois aller, et j'dois y aller vite, sinon je vais me faire attraper par la Mort... et j'veux pas !", acheva-t-il, tandis que sa voix se faisait plus aiguë à mesure qu'il parlait, à cause de la peur.

« Alors, allons-y ! »
Le jeune homme ne s’étonnait plus de rien. En même temps, il en avait lui-même vu beaucoup et sa seule condition relevait du surnaturel. Le plus qu’insolite duo se mit à courir. A nouveau les couloirs, les portes, les virages et aussi... les spectres. L’allié de Christophe s’avéra vite utile. Il envoyait valdinguer les infâmes morveux à grand coups de pieds si bien qu’il n’y eut personne pour tenter de voler le précieux nounours. La progression s’en retrouva considérablement facilité et la funeste menace de la Mort s’éloigna encore.

Voilà qu’au détour d’un énième corridor, un escalier apparut. Il montait en spirale dans une sorte de tour vertigineuse. Alors que les marches occupaient les côtés, le centre lui était vide. A mesure que le garçon s’élevait, ce centre devenait un trou de plus en plus profond. Tony désignait à présent les hauteurs. Il semblait y avoir, au sommet de la tour, une lumière blanche. La sortie ? Sans doute.

Or voilà, Cricri était déjà fatigué et les marches étaient aussi raides qu’innombrables. Il ralentissait. Le froid revenait.
« Plus vite, plus vite ! » l’encouragea le jeune homme.
En bas de la tour, il y eut un bruit, comme du tissu, comme un souffle...

La lumière était là, bien là, tout en haut, mais cette tour semblait ne pas finir. Telle une vis sans fin, il y avait toujours
d’avantage de marches.
« Allez ! Encore un petit effort ! »
Le fantôme aidait comme il le pouvait, surtout par la voix. On sentait qu’il avait envie de tirer le garçon, mais il ne pouvait le toucher. Lui, non, néanmoins, Tony, si. Quand, par hasard, il s’en rendit compte, il attrapa la peluche par une patte, cherchant à tracter Christophe. Hélas, cela ne put pas vraiment durer, le jouet risquait de rompre. Et le froid devenait de plus en plus intense. L’enfant le sentait jusqu’aux tréfonds de son être. Le bruit de tissus, le souffle funeste, la Mort se rapprochait. Elle était légère et, désormais, bien visible. Elle s’élevait par le centre dans sa sinistre robe noire. Sa faux luisait aux lueurs bleutées des torches.

« Tu y es presque ! »
Cette fois, plus de doute, c’était une constatation autant qu’un encouragement. L’escalier était bien éclairée par l’immaculée lumière. Les dernières marches furent les plus durs mais, si elles n’avaient pas été les dernières, l’enfant n’aurait même pas eu la force de les gravir. La Mort était presque sur lui, déjà prenait-elle sa faux. La dernière marche, enfin. Et une porte...
« Dis à tes amis que je suis désolés ! Je suis un sacré connard ! Ce qui arrive, je le mérite, pas vous... »
Christophe poussa la porte, s’effondrant presque sur elle. Dans son dos, il y eut un sifflement, celui de l’acier fendant l’air. Il bascula, eut l’impression de tomber. Tout devint blanc.

En sursaut, il se réveilla. Le voilà de retour dans la chambre de la Mort. Il était allongé sur le lit, dans une inconfortable position, celle qu’il avait prise en tombant de sommeil. Mis à part les courbatures et une pressante envie d’aller aux toilettes, il était en pleine forme. L’épuisement n’était qu’un souvenir. Dans ses bras, il y avait Tony. La peluche semblait à présent tout à fait ordinaire. Elle n’était plus un fantôme, elle ne bougeait plus, un jouet comme les autres... mais le jouet de Sophie.

La porte de la chambre était toujours verrouillée. Il y avait toutefois encore plus inquiétant. En regardant par la fenêtre, Christophe se rendit compte que c’était la nuit. On n’était pas allé les chercher ni pour le repas de midi, ni pour celui du soir...

Après quelques efforts, Christophe arriva à ses fins. Voilà la porte ouverte. En glissant un coup d’œil au dehors, il constata que le couloir-galerie était plongé dans le noir. Le seul bruit qu’il entendait, mis à part la tourmente hors du château, blizzard qui semblait ne pas vouloir cesser, était de la musique classique provenant, sans doute, de la salle à manger. Peut-être que M. Larouge s’y trouvait. Peut-être qu’il n’était pas encore si tard que ça...