La Couronne de Cuivre

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Le duo arriva au-devant d'une maisonnette sombre et à la façade noircie de poussière. Les fenêtres étaient rares et sans éclat. L'aspect général était glauque, et la porte en bois à moitié rongée par les intempéries et le temps renforçait cette impression, sans parler du heurtoir en bronze figurant une tête de démon des plus sinistres.

L'homme frappa à l'aide dudit heurtoir, selon un rythme spécifique : trois fois rapidement, une fois seule, puis deux coups espacés. La porte s'ouvrit peu de temps après, et il entra. La pénombre régnait dans la pièce.

hrp : je laisse le temps à Asmodeus d'indiquer s'il vous suit jusqu'ici, et à Manfred s'il entre directement. Quoiqu'il en soit, il y a deux occupants dans la pièce, en plus de ton guide, et personne ne parle pour t'accueillir. À toi donc d'engager la conversation si tu le souhaites

Chemin faisant, Silmandel fut en quête de repaires à prendre. Ignorant de quoi serai fait l’avenir, il fallait se tenir prêt à tout. Il persista également à chercher son compagnon et il lui sembla bien l’apercevoir, un peu plus loin, en arrière. Il n’osa le contacter, que ce soit par signe ou par magie. C’était trop risqué. Au moins savait-il ne pas être seul dans cette histoire, même s’il n’était pas sûr de la fiabilité de l’élu divin. Ce dernier avait peut-être la même interrogation à l’esprit. Quoi qu’il en soit, c’en était terminé de l’attente. Le plan avait changé, le but demeurait.

L’elfe ne fut pas trop incommodé par la pluie. Il avait l’habitude des voyages et des caprices du temps. Ceci dit, cela ne l’empêcha pas de se mettre à l’abri quand il en avait le loisir. Il marcha en silence. Il était de retour dans les bas-fonds. Si ça continuait ainsi, il finirait par les connaitre comme sa poche. Pour l’heure, il en était loin.

Désormais face à la masure, il la considéra avec curiosité. Son guide entra, il le suivit après un léger temps de retard. Cela pouvait passer pour de l’hésitation. En vérité, l’ensorceleur tenait à ce que son allié ait toutes les chances de localiser l’endroit. Impossible de dire, cependant, si l’élu divin continuait de le suivre.

Maintenant à l’intérieur, la mort pouvait frapper à n’importe quel moment. Songevent en était conscient mais, comme trop souvent, il en faisait abstraction. S’il fallait défendre sa vie, il le ferait, voilà tout. En attendant, il ne dit rien. C’était peut-être à son guide de l’introduire. Après tout, c’était lui qui l’avait conduit ici. Silmandel observa juste les deux autres. Faisaient-ils partie de ceux qui l’avaient accompagné au temple ?

Malgré les ténèbres assez importantes, Silmandel pouvait deviner les visages qui le fixaient depuis son entrée dans la maisonnette. Les traits qu'il regardait ne lui disaient rien, mais il n'était pas certain de n'avoir jamais vu ces deux hommes. De plus, il n'avait sans doute pas fait connaissance avec l'ensemble du groupuscule qui l'avait enfermé puis torturé, pour enfin accepter son aide improbable...

Un long silence suivit, finalement brisé par l'un des deux inconnus. Il s'exprimait d'une voix caverneuse, devenue rauque par la dépendance à une quelconque drogue à fumer. Difficile donc de lui donner un âge précis, mais certainement pas moins de trente ans, s'il était humain.

"Alors... qu'avons-nous là ? Un quelconque gredin qui mérite un châtiment adapté pour avoir découvert notre cache ?
- C'est le garçon qui nous a aidés lors de l'attaque du temple. Enfin... je pense que c'est un elfe, plus âgé qu'il n'y paraît", fit l'homme qui avait mené Silmandel jusqu'ici.
"Et que fait-il là ? Pourquoi l'as-tu laissé te suivre ? N'a-t-il pas mieux à faire que de se mêler de ce qui ne le regarde pas ?"

Il se tourna directement vers l'ensorceleur lorsqu'il prononça ces derniers mots.

« Je suis là pour parler à votre chef d’un service qu’il pourrait me rendre et des services que je pourrais lui rendre », répondit Silmandel avec son habituelle assurance.

Il n’ajouta rien d’autre. Plus il en disait, plus il risquait de commettre une erreur. Avant, lorsqu’il était dans son ancienne compagnie et qu’il fallait négocier, généralement on lui disait de la fermer. A présent, il ne pouvait compter que sur lui-même, Asmodeus agissant de son côté.

Asmodeus s’était caché sous un rebord de toit à l’ombre d’une porte en voyant Silmandel et l’inconnu s’arrêter devant une maison et y entrer. L’élu divin adoptait l’attitude prudente de celui qui décèle un guêpier et ne veut pas y pénétrer la tête la première avant d’avoir évalué les forces en présence. Malgré l’attitude du petit elfe qui avait fait des efforts visibles pour l’attendre lors du périple nocturne, Asmodeus ne lui faisait pas tout à fait confiance, craignant un traquenard. Du reste, même si Silmandel n’était à l’origine d’aucune supercherie, il n’en était pas moins probable que le danger attendait tapi dans cette maison. Pour l’heure, l’élu divin choisit donc de guetter de son mieux la porte et les fenêtres de la masure, quitte à entrer plus tard en adoptant le même code que celui qu’il avait surpris.

Pour l'heure, Asmodeus décida de tenter une nouvelle comédie, frippant et remontant sa robe et ses cheveux dans l'espoir de passer pour un vagabond. L'eau qui dégoulinait de la toiture acheva l'artifice lui donnant une allure piteuse.

L'audace de la tirade de Silmandel arracha un sourire amusé à son interlocuteur. Il semblait apprécier ce trait de caractère.

"Un service, hein ? Je vois. Tu es du genre à vouloir montrer que tu sais faire plus que tu n'en es réellement capable, je suppose. C'est toi qui décides du sort que tu veux donner à ton existence, cela dit. Mais j'aimerais en savoir un peu plus sur le service que tu attends de nous. C'est que n'importe qui ne peut pas demander n'importe quoi à des gens comme nous, tu comprends..."

L'autre personne, qui n'avait pas encore parlé, émit un petit rire haut perché. Une voix de femme, très probablement. Sa coiffure courte donnait l'impression du contraire, mais en y faisant plus attention, Silmandel remarqua qu'elle avait plutôt une silhouette féminine. Sans doute une humaine, elle aussi.

Au-dehors, Asmodeus attendait sous la pluie, tandis que quelques rares personnes, à l'aspect encore plus louche que le sien, le croisaient sans oser lui accorder le moindre regard. Ici, la brute tuait pour quelques piécettes, le nécromancien était en quête de sujets d'études, les enfants s'échangeaient contre une poignée d'or... un élu divin à l'égo surdimensionné n'était donc pas ce qu'on pouvait trouver de pire dans les parages.

Allait-il attendre longtemps avant de prendre une décision ?

« Je comprends, je comprends. En fait, c’est assez simple. J’ai eu entre mes mains votre artéfact. J’ai constaté son pouvoir puisqu’il m’a permis d’occire le grand prêtre de la malchance, votre adversaire. J’ai besoin de ce pouvoir pour retrouver ma taille ordinaire. Car voyez-vous, je suis frappé d’un puissant enchantement. Seul l’artéfact devrait être en mesure de le briser. Je connais les risques et suis prêt à les prendre. Amplifier un seul sort, c’est tout ce que je demande. Après ça, je gage pouvoir être utile d’une façon ou d’une autre. J’ai de l’or, mais j’ai aussi 20 ans d’aventure derrière moi. Bien sûr, je sais garder les secrets, sinon je ne serais déjà plus de ce monde depuis bien longtemps. »

Disant cela, toujours aussi calme, l’elfe promenait son regard curieux sur ses interlocuteurs. Qu’est-ce que Asmodeus était en train de faire ? Il se le demandait.

Asmodeus n’avait aucune intention d’entrer dans ce guêpier sans avoir une bonne raison de le faire. Bien qu’il ne soit certainement pas en sécurité de nuit dans une rue glauque des bas quartiers de Melandis, s’introduire dans un repaire de cultistes maléfiques sans raison valable à donner ne faisait pas exactement partie de ses plans. A moins qu’un appel à l’aide ne lui parvienne ou qu’un danger plus pressant ne le menace, l’élu divin avait bien l’intention de continuer à observer les environs. Ce n’était pas de lâcheté, ça non, juste de la prudence et du sens de l’anticipation !

Cette fois, ce fut la femme qui répondit. Son ton était mielleux, mais sa voix était de glace, et elle donnait l'impression de sourire lorsqu'elle parlait.

"Bien, bien. Mais tout cela me paraît bien prometteur. Quel service pourrais-tu nous proposer, pour que nous acceptions de prendre nous-mêmes un tel risque ? Tu as vu l'objet, tu as constaté ses effets... ils peuvent s'avérer être plus aléatoires encore, sais-tu ? On ne maîtrise pas un artéfact divin en quelques instants. Toute une vie n'y suffit parfois pas. Alors... que proposes-tu ? L'or ne nous intéresse guère."

Au-dehors, la pluie redoublait d'intensité, tiède et chassée par le vent. Asmodeus fut rapidement obligé de trouver un autre abri, car il recevait en permanence de l'eau sur le visage, d'un côté ou de l'autre. Il aperçut quelques silhouettes non loin de l'endroit où il se tenait. Trois, des hommes, vue leur stature, qui s'approchaient de lui à pas lents et mesurés. Ils l'invectivèrent ainsi :

"Ohhhééééhoooo !? T'aurais pas d'quoi boire, mon pote ?"

« J’ai tué pour votre groupe, je peux le refaire. Je peux me battre pour vous, manipuler et espionner pour vous. C’est mon expérience et ma magie que je peux mettre au service de votre cause. De fait, je suis déjà dans le secret, autant en profiter. Mon aide, mis à part ce que je demande, ne vous coûte rien. Je ne suis plus un inconnu et notre première association a été couronnée de succès. Je sais que ma petite taille tend à ce qu’on ne me prenne pas au sérieux et c’est bien pour cela que je veux y remédier. Voilà ce que j’ai à proposer. »

Il n’y avait pas de mal à proposer quand on n’avait pas de parole. Silmandel, toujours imperturbable, jouait son rôle, à mi-chemin entre mensonge et réalité. Il ne savait pas encore, à vrai dire, de quel côté il allait se tourner. Il fixait à présent la femme puisque c’était elle qui s’était en dernier adressée à lui.

Un temps de silence. Les personnes présentes devaient méditer la proposition de Silmandel. Fallait-il prendre cet elfe au sérieux ? Il avait raison, sur ce point : sa petite taille ne l'aidait en rien pour se faire écouter. Finalement, ce fut l'autre qui répondit.

"Bien. De toute manière, la décision finale ne nous revient pas. Tu vas voir le maître. C'est avec lui que tu as... arrangé cette histoire, hier, finalement." Il se leva et fit signe à l'elfe de le suivre. Les autres demeurèrent immobiles.

Parfait ! Silmandel savait que le plus dur était sans doute à venir, mais au moins il avait triomphé des premières difficultés. Pour un peu, il se serait mis à siffloter. Mais il n’était pas aussi fou que ça, quand même. Depuis son arrivée à Mélandis, il avait fait beaucoup d’erreurs. Il espérait que par cette action, il allait rectifier le tir et enfin effacer les conséquences de sa toute première imprudence : la partie de cartes. Il suivit en silence, prêt à l’imprévisible, si l’on pouvait dire ainsi.

Ce genre de situation était hélas inévitable étant donné les circonstances aussi Asmodeus prit bien soin d’évaluer la dangerosité du trio l’ayant abordé, cherchant notamment à détecter la présence d’armes. Au besoin, il avait les moyens de se protéger des attaques les plus simples s’il ne s’agissait que d’ivrognes ou de banals bandits mais l’élu divin ne souhaitait prendre aucun risque, seul et sans renfort qu’il était. Il choisit donc de gagner du temps tout en évaluant la situation :

- Oui, j’ai toujours une petite bouteille sur moi pour la partager avec des amis. Mais c’est très fort, je vous le déconseille.

Tout en gardant à l’œil les trois hommes et en tentant de conserver ses distances, l’élu divin sortit une fiole de sa poche. Une composition personnelle qui provoquerait des douleurs atroces en quelques minutes et ferait se vider les ivrognes de leur sang par tous les orifices au bout de quelques heures s’ils ne trouvaient pas d’antidote puissant entre temps.

L'homme mena Silmandel dans un long couloir nu et obscur, dans lequel plusieurs portes semblaient donner sur de petites pièces, à en juger par l'espacement réduit entre elles. À moins qu'il ne s'agît d'autres couloirs, évidemment. Au fond, une dernière porte close barrait le chemin. L'homme frappa, sans code particulier apparent, puis entra sans attendre de réponse. La pièce dans laquelle ils entrèrent était carrée, assez exiguë, et presque entièrement occupée par des rayonnages de bibliothèque, des objets divers et variés à l'utilité incertaine mais apparemment liée à la magie profane, des alambics, des colonnes de distillation, des ataraxiques, et même, suspendu au plafond, un boa géant empaillé, dont la gueule ouverte faisait face à Silmandel, bien qu'il fût situé trop bas pour être impressionné par la bête naturalisée.

La lumière était plus vive, ici, et l'elfe reconnut sans peine l'homme qui l'avait torturé, pour ensuite accepter sa proposition d'aide pour berner le grand prêtre de Beshaba. Enfin, berner, c'était peut-être un terme mal approprié au vu de l'état dans lequel il se trouvait désormais.

Il se redressa, délaissant la pile de parchemins qu'il compulsait attentivement, haussa les sourcils brièvement, puis sourit, toujours aussi étrangement que naguère.

"Tiens ! Mais c'est notre petit ami. Que me vaut le plaisir ? J'ignorais que tu cherchais à nous retrouver... sans quoi, j'aurais envoyé des gens à ta recherche..."

En raison de l'absence de siège, Silmandel devrait rester debout durant l'entretien.

Le trio qui approchait tranquillement d'Asmodeus se mit à ricaner bêtement, du genre de ricanement qu'on avait lorsqu'on avait trop bu.

"Eh, genre on sait pas supporter ?
- Allez, sois sympa, tu nous fais goûter ?
- Sssstu veux j'ai un peu d'or pour te démm... démo.... mager."

L’élu divin envisagea un moment de laisser les hommes s’en aller puisqu’ils n’en avaient pas après son argent, après tout. Les cadavres étaient parfois encombrants bien qu’Asmodeus douta que des autorités mènent une enquête poussée pour ces trois-là.

Puis un plan un peu fou germa dans la caboche dépravée d’Asmodeus : il pouvait peut être se servir de ces ivrognes pour faire savoir à Silmandel qu’il attendait dehors ou à tout le moins tester les défenses de la maison. Peut-être serait-il même possible de se glisser à l’intérieur à la faveur de la diversion.

- Je ne veux pas d’or. Mais un service vaut bien un service. Je vous donnerai ma meilleure bouteille si l’un de vous va frapper à la porte de cette maison. Vous savez qui habite là, peut-être ?

A en juger par l’apparence du bureau, son « vieil ami » n’était pas à prendre à la légère. Silmandel savait déjà qu’il n’avait aucun scrupule à torturer. Pour un peu, l’ensorceleur aurait pu avoir l’intimité grillée et mieux valait ne pas se demander à quoi il ressemblerait à présent s’il n’avait pas parlé. Certes peu impressionnable, il avait tout de même des limites et s’il n’y prenait garde, son imagination pouvait les mettre à mal. Et en cet instant, ce fut bien un soupçon d’appréhension qu’il éprouva. Il était seul, si les choses tournaient mal, il risquait fort de ne pas s’en sortir cette fois. Etrange qu’il se mette à réaliser sa propre témérité. Après tout, il n’était peut-être pas un cas désespéré...

D’apparence toujours aussi confiant, il se montra de surcroit très respectueux de son interlocuteur. Il devait absolument le convaincre. Le début de la conversation était plutôt positif. Il ne décela pas d’hostilité. A lui de poursuivre sur sa bonne lancée. Immobile, debout, il parla donc.

« A vrai dire, Monsieur, il n’était pas vraiment dans mes projets de m’éclipser. Mais la fin assez chaotique de notre affaire en a décidé autrement. Notre ennemi commun n’est plus et me voilà débarrassé du sort de quête qu’il m’avait jeté. Notre association fructueuse m’a donné envie qu’elle se prolonge. C’est ma magie et mon expérience que je vous propose. Utilisez-là comme bon vous semble en échange d’un service que vous seul pouvez m’accorder. Comme vous le voyez, je suis toujours anormalement petit. C’est là l’effet d’un enchantement dont je suis victime. Il est puissant, trop me semble-t-il pour être brisé par un prêtre ou un mage ordinaire. Mais l’artéfact devrait n’en faire qu’une bouchée. Un unique sort amplifié, c’est tout ce que je demande. Je sais l’entreprise dangereuse. Je suis prêt à en assumer les risques, tout comme je suis prêt à me plier à toutes les précautions que vous jugerez nécessaires. »

Il se fit silencieux, réfléchissant aux propos de Silmandel. Un sortilège impossible à dissiper ? Il devait avoir... joué avec une magie décidément puissante. Ce personnage semblait vraiment téméraire. Trop ? La folie pouvait éventuellement expliquer ce manque de précaution, mais son discours paraissait bien clair. Était-il drogué ? Peu probable : la plupart des drogues laissaient des marques plus ou moins visibles sur leurs consommateurs. Peut-être était-il simplement... très joueur, après tout.

Au bout d'un long moment, il finit par lâcher :

"Mmh. Les conditions requises sont assez techniques. Lorsque tu as... attaqué le temple de Beshaba, tu as eu beaucoup de chance. Pour être honnête, nous ne nous attendions pas à ce que tu parviennes à rejoindre le grand prêtre. Le moindre sortilège, la moindre source de magie à proximité de l'artéfact, aurait pu déclencher une catastrophe, pour eux... et pour toi. Et c'est ce qui peut se produire à tout moment, avec un objet pareil. Tu comprends que le risque vient de celui qui lance un sort dans le but de le modifier, mais aussi... des parasites, disons. Quoi que ce soit, du moment qu'il ait une certaine énergie magique, peut être modifié par l'artéfact."

Il s'interrompit après son laïus. Il cherchait une solution pour aider le petit elfe, et finit par en trouver une possible.

"Le mieux serait de s'isoler avant de lancer un sortilège. D'être suffisamment éloigné de toute source de magie potentielle. Le... évidemment, c'est assez inhospitalier, mais le désert ferait l'affaire. Je ne me fie pas aux égouts : trop de gens mal intentionnés y circulent. Quant aux cryptes, on pourrait réveiller la moitié des morts-vivants. À moins que tu ne voies un autre endroit ?"

Les trois gars regardèrent Asmodeus, mais aucun ne répondit directement. Ils fixèrent la porte indiquée, sans avoir l'air de comprendre. Finalement, l'un d'eux lâcha :

"Ben... chaipas. J'connais pas les gens qu'y a d'dans. Enfin, p'têt qu'y a personne.
- Moi j'veux bien frapper à la porte. Surtout s'y a personne !"

Sans prendre le temps d'attendre une quelconque réaction ou réponse, il alla se poster devant la lourde et frappa comme un dingue, s'esquintant presque le poing dessus. Aucune réaction.

« Le désert ? Je n’ai rien contre. Et, effectivement, pour s’isoler, il n’y a sans doute pas mieux. »

Il faudrait juste qu’il s’assure d’avoir une gourde pleine car il n’avait pas oublier l’atroce sensation de soif inextinguible à laquelle il fut soumis à cause du jeu de cartes merveilleuses. Ne plus jamais jouer à ce jeu, il se le promis encore une fois. Il était bien trop dangereux. En tout cas, pour l’instant, tout allait pour le mieux. Il fut même frappé par l’attitude conciliante de son interlocuteur. Et dire que tôt ou tard, il faudrait le tromper... Quoi que, rien n’était sûr. Asmodeus n’était pas spécialement sympathique, il fallait l’avouer.

« J’ai sur moi un parchemin de dissipation magique. Je ne suis moi-même pas capable de lancer ce sort. »

Ce n’était pas tout à fait l’effet voulu par Asmodeus mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même : d’une part, ses « agents » n’étaient pas parmi les plus efficaces et d’autre part il ne leur avait pas donné d’instructions assez précises. L’absence de réaction dans la maison lui apprit tout de même que les occupants n’étaient pas du genre à se déranger inutilement. Et peut-être aussi qu’ils avaient un moyen d’observer la rue. L’élu divin décida tout de même de tenter une dernière approche. Il indiqua au frappeur de portes la combinaison qu’il avait cru surprendre plus tôt et guetta une réaction, un peu en retrait. Mais l’homme accepterait-il la tâche sans rechigner ?

Pour se donner plus de chance, l’élu divin murmura une incantation dans ce sens :

Asmodeus ---> Injonction « Toque » --->Ivrogne

"Parfait, dans ce cas. Reste à trouver un moment pour nous rendre là-bas. L'agitation doit être certaine, aux portes de la cité, avec ces mouvements de l'armée... mais nous pouvons très bien partir vers l'est : de ce côté, il y a moins de passage. Cependant..."

Il laissa sa phrase en suspens, l'air faussement mystérieux. "... je suis en plein travail de reconnaissance. Je n'aimerais pas l'interrompre pour l'instant. Pourrais-tu passer plus tard ? Disons dans... deux jours ? Même heure, même lieu ?"

L'homme était imbibé d'alcool, et n'eut aucun mal à se laisser "convaincre" par Asmodeus qu'il pouvait frapper à la porte sans risque. Cette dernière s'ouvrit quelques instants après le code correctement composé. Une silhouette obscure, assez fine et probablement féminine, ouvrit, toisa l'inconnu ivrogne, et lui darda un regard mauvais.

"Que veux-tu, sac à vin ?"

Deux jours ? Mais c’était long ! Qu’allait-il faire d’ici là ? En même temps, protester n’était sans doute pas indiqué. Il s’en sortait très bien, ce n’était pas le moment de tout gâché par impatience.

« Dans deux jours, même lieu, même heure, compris. Faisons ainsi. S’il faut que je fasse quelques préparatifs d’ici là, vous n’avez qu’à me le dire. Ou si, d’aventure, je peux vous être utile entre temps, n’hésitez pas. Vous parlez de reconnaissance, peut-être un faux enfant ensorceleur conviendrait à ce genre de travail. »

Tout mais pas l’ennui, par pitié ! Et puis, cette histoire de reconnaissance serait peut-être amusante, sait-on jamais.

L’approche était risquée mais Asmodeus en avait assez de prendre la pluie au dehors. Aussi sortit-il de l’ombre interrompit-il la réponse de l’ivrogne :

- Asmodeus croit que votre base a été découverte par les suivants de Beshaba. Si vous en êtes d’accord, Asmodeus vient vous accorder son aide pour cette affaire.

L'homme sourit avec un amusement à peine voilé.

"Eh... très habile. Mais ces préparatifs sont secrets, et le resteront. Tu satisferas ta curiosité d'une autre façon, mon ami. Je ne voudrais pas avoir à te causer du mal pour avoir voulu trop en savoir sur nos activités... Allons. Vaque à tes occupations et reviens plus tard. Tu passeras bien deux jours à ta taille actuelle."

La ruse était risquée, mais la femme ne lui referma pas la porte immédiatement sur le nez.

"Qui est cet Asmodeus ? Et que fais-tu avec des abrutis avinés dans ce genre ?" Elle n'était guère plus amène, et semblait se tenir sur la défensive. Elle devait être habituée à se méfier de tout, et de tout le monde.

Tant pis. De toute façon, Silmandel avait déjà trop obtenu pour se plaindre, même en son fort intérieur.

« Très bien alors. A dans deux jours ! »

Il salua l’homme et entreprit de sortir du bureau. Son plan avait fonctionné à merveille ! Il avait localisé la secte, il l’avait même infiltré, il allait avoir une chance de mettre la main sur l’artéfact et de retrouver sa taille. Et tout ça, il l’avait fait tout seul, avec son intuition d’aventurier ! Ha, quand Asmodeus allait savoir tout ça ! Il allait l’impressionner, pour sûr ! Mais avait-il encore besoin d’Asmodeus au fond ? Là était la question.

Gagner la confiance des cultistes n’aurait rien de facile mais à cela l’élu divin s’attendait déjà :

- Asmodeus est la personne qui se tient devant vous, évidemment ! Quant à ces hommes, voyez-les comme des outils.

Sortant une pièce d’or de sa poche, il la lança en direction de celui qui avait toqué puis le congédia d’un ton sans appel :

- Allez-vous acheter une bouteille avec ça. La gnôle d’Asmodeus n’est pas faite pour vous en fin de compte.

Tandis qu'il revint dans la pièce principale, Silmandel vit que la porte d'entrée était ouverte, et que la femme était en discussion avec quelqu'un sur le seuil. Il ne pouvait pas voir qui était là, mais il entendit une phrase prononcée par la femme, à l'encontre du visiteur apparemment importun.

"Des outils davantage portés sur l'alcool que l'huile, à ce que je vois. Bon, l'idiot, je n'ai pas que ça à faire, j'aimerais que tu dégages de là gentiment, et que tu ailles fêter cet heureux événement avec tes amis. Tes élucubrations ne m'intéressent pas."

Elle fit mine de fermer la porte, esquissant à peine un regard en direction d'Asmodeus.

Tiens, mais que se passait-il ? Etait-ce une manigance d’Asmodeus ou toute autre chose ? Silmandel s’approcha, faisant halte au niveau de la femme et glissant un regard vers la sortie.

« C’est qui, celui-là ? », demanda-t-il à la glaciale demoiselle, d’un ton dédaigneux.

Jusqu’à preuve du contraire, il était du côté des cultistes et devait se comporter comme tel. Le tout était de savoir si c’était ou non un jeu d’acteur. En cet instant, l’ensorceleur n’aurait su le dire.

Asmodeus venait au moins d’avoir la confirmation que Silmandel était en apparente bonne santé et pas retenu prisonnier par les cultistes ce qui, loin de le rassurer, plaidait en faveur d’une trahison probable du jeune elfe. L’élu divin choisit tout de même de s’appuyer sur l’apparition fort opportune du larron pour répondre à l’aimable gardienne de la porte.

- Ne commettez pas l’erreur de juger Asmodeus sur son cortège ! Vous seriez étonné de savoir sur qui il peut s’appuyer. Au sein même de votre organisation d’ailleurs. Il souhaite rencontrer votre supérieur pour envisager une alliance mutuellement profitable.

Interrompue par l'intervention de Silmandel, la femme se retourna un instant et lui fit signe de patienter un instant. Puis, revenant à Asmodeus, elle lui lâcha :

"Écoute... c'est simple : soit tu dégages, soit tes copains et toi apprendrez qu'on peut beaucoup perdre en essayant de jouer au petit malin."

Cette fois, l'huis se referma devant l'élu divin, qui contempla un instant les planches avec une indignation toute prétentieuse. La femme sourit vaguement à l'ensorceleur, et répondit :

"Un crétin, dehors. Laisse tomber, on en voit parfois... ils abusent d'alcool, et ensuite, ils se croient les plus forts. Tu t'es arrangé avec notre chef, je suppose ? Vue ta mine réjouie, on dirait que oui. Bien. Maintenant, nous aimerions rester entre nous, si tu n'y vois pas d'inconvénient. Nous avons... fort à faire, comme tu dois t'en douter. Méfie-toi des imbéciles, dans la rue."

Elle fit signe à Silmandel, en direction de la porte qu'elle avait refermé quelques instants plus tôt.

« Effectivement, je me suis arrangé avec lui. Je reviendrai dans deux jours. D’ici là, si cet idiot s’attarde, je vais vous en débarrasser ! Bonne soirée ! »

Sur ces joyeuses paroles, Silmandel sortit. Trouvant Asmodeus du regard, il lui jeta, amusé :

« Toi, t’as dix secondes pour disparaitre, ou tu va voir comme je sais bien jouer ! »

Il illustra son propos d’un ample geste de la main. Toutefois, il en profita pour désigner du doigt l’élu divin et ainsi lancer un sort tout à fait adapté à la situation.

Silmandel --> Message --> Asmodeus

Ainsi il put lui murmurer les mots suivants sans risque d’être entendu.

« Retrouvez-moi au Luménien Noyé sous les traits de Maussade. »

La Couronne de Cuivre

[Quête] Relique du passé ; dans une sinistre masure

[Quête] Relique du passé ; dans une sinistre masure