La Couronne de Cuivre

HRP : depuis ici.

Après de nouvelles moqueries, Pierre et Benoît revinrent sur leurs pas, guidés par les traces du diablotin. Au début, cette initiative semblait fonctionner mais, hélas, après avoir franchi deux intersections, ils se retrouvèrent devant une troisième qui ne comportait plus aucun signe. Le monstre avait dû tout effacer, profitant lâchement de la distance pour en avoir le temps. Quoi qu’il en soit, le duo était belle et bien perdu au beau milieu du dédale.

Le silence, toujours aussi pesant, fut alors troublé par ce qui semblait être des pas. Oui, des pas, des pas légers mais rapides qui s’approchaient depuis plusieurs directions. Ils paraissaient converger vers le duo. Pour l’instant, les lampes-torches ne révélaient rien et le démon était toujours parfaitement invisible.

Et voilà. En lâche accompli, le diablotin avait rameuté ses petits copains – même si Pierre pensa plutôt en termes de "diablotine" et de "petites copines". Il fut tenté de se ruer dans l’un des couloirs, afin d'éviter d’être encerclé par la horde d’ennemis pour l'heure invisible. Cependant, il résista à cette prime impulsion. S’élancer ainsi, c’était risquer de céder à la panique et, surtout, de se perdre complètement, alors qu’ils étaient encore à proximité d’une intersection où subsistait un signe. Sans compter qu’il aurait pu être séparé de Benoit… Alors non, il ne courrait pas. Pas tant qu’il restait une autre solution.

Faisant glisser son sac à dos de son épaule, l’enfant y rangea la boîte à outils de Christophe. Puis, de sa main désormais libre, il tira Glamdring et la brandit, ses doigts fermement serrés autour de sa garde de bois.

-Benny, est-ce que tu te souviens par où il faut aller pour retourner à l’endroit où il y avait trois signes ? souffla-t-il à l’oreille de son ami, sachant que celui-ci jouissait d’une excellente mémoire. On doit pas être très très loin, vu qu’on a un peu rebroussé chemin depuis le cul de sac… Mais si tu te souviens pas, c’est pas grave. On aura qu’à attendre qu’ils s’approchent, puis on essaiera de passer par le couloir où il y en aura le moins. En tout cas, on va leur montrer de quel bois on se chauffe !

Le gamin avait prononcé ces derniers mots à voix haute et d’un ton très assuré. Il n’en menait pas large, certes, et il avait probablement parlé ainsi autant pour se redonner du courage à lui-même que pour soutenir Benoit. Cependant, il avait bien l’intention de se battre, s’il le fallait. Comme il s’était battu contre l’armée de chats, dans le cauchemar. Son épée était devenue vraiment magique, alors : pourquoi une telle chose ne se reproduirait-elle pas ? Et puis, ils étaient deux, désormais…

Les deux garçons se trouvaient au cœur d’un croisement. Quatre couloirs s’offraient donc à eux, dont celui par lequel ils étaient venus. De ce couloir en particulier, aucun bruit de pas n’émergeait, le duo en fut bientôt certain. En revanche, des trois autres directions, il en allait autrement. Ce n’était heureusement pas une foule qui s’approchait. Mais difficile d’avancer un nombre tant l’écho pouvait tromper.

Bientôt, des formes apparurent à la lueur des lampes-torches. Il s’agissait de pantins en bois qui marchaient tout seuls, le même genre de pantins que ceux servant de support aux déguisements de M. Larouge. D’ailleurs, ils étaient déguisés. Une princesse, une fée, une reine, une bergère, un Chaperon Rouge, une guerrière, une magicienne... sept tenues de filles, sept adversaires. Mais il fallait y ajouter deux pantins sans habits. Benny, qui avait bonne mémoire, se souvenait que quand l’horrible ex femme du maître des lieux les avait punis, personne n’avait eu le temps dans la précipitation de remettre en place les déguisements empruntés. Ils étaient restés, en plan, à côté de leur support respectif. Peut-être fallait-il y voir une explication sur la présence des deux nudistes en bois. Peut-être pas...

Quoi qu’il en soit, il y avait neuf ennemis, trois dans chaque couloir occupé. Une fois assez proches, ils firent halte. Ce fut à cet instant que le diablotin se manifesta. Il apparut, derrière trois des diaboliques jouets, s’estimant sûrement assez en sécurité. Sur sa vile face, un rictus mauvais. Il jeta un regard noir aux deux garçons, ces deux sales mômes qui avaient osé se moquer de lui. L’heure était à la vengeance, à la punition !

« J’ai choisi avec soin, vous m’avez inspiré », dit-il de ca voix malsaine.

ils étaient dans de sales draps. Dans de très sales draps. Bien sûr, Pierre s'était vaguement douté qu'il y avait quelque chose de louche avec la collection de costumes que leur avait montrée monsieur Larouge et, surtout, avec les pantins qui les portaient. Mais il existait une grande différence entre avoir des soupçons et être confronté à la réalité. Et si devoir affronter une telle troupe aurait pu paraître totalement loufoque dans d'autres circonstances, il n'en était rien en ces lieux, en cette heure. Non, ici et maintenant, la situation était tout bonnement terrifiante, ne prêtait en rien à sourire. Néanmoins, le gamin sourit malgré tout. Largement, même. Car, une fois encore, il refusait de laisser transparaître sa peur.

-Heureusement que t'as pas mis de tutu, finalement... lança-t-il au diablotin, goguenard, le défiant du regard et de sa lame brandie. Sinon, on aurait pu se demander s'il y avait pas un garçon déguisé au milieu des vraies filles ! Mais là, on a pas de toute ! Y a juste sept filles courageuses et une fille peureuse qui se planque derrière les autres !

Peut-être n'aurait-il pas dû le provoquer ainsi. Sans doute, même. Cependant, il n'avait pas pu s'en empêcher. Et puisque l'affrontement paraissait inéluctable, pourquoi s'en priver ? Il fallait juste espéré que le signe tracé par Benny fonctionnerait, que sa propre épée ne serait bientôt plus de bois mais de lumière et qu'ils parviendraient à se forcer un passage dans l'un des trois couloirs obstrués. Parce que repartir en arrière était hors de question : l'infernale créature et ses sbires entendaient plus qu'à coup sûr les acculer dans l'impasse qu'ils avaient quittée peu de temps auparavant...

Le diablotin ne put réprimer une grimasse de frustration. Même maintenant, même en cette situation, l’affreuse tête blonde persistait à lui tenir tête, à le narguer ! Mais que faudrait-il pour qu’enfin lui et son ami cessent cet insupportable comportement ? On lui volait son rôle, on retournait son arme favorite contre lui ? Non, non et non !

« Attaquez ! Attaquez !!! » glapit-il, en brandissant un index plein de menace vers le duo.

S’il n’avait pas été à nouveau provoqué, peut-être aurait-il un peu discuté, peut-être que Benny aurait eu plus de temps pour chercher un rituel. Mais voilà déjà les neufs monstres de bois qui se jetaient en avant. La guerrière brandit son épée et se dirigea droit sur Piotr. De tous les pantins, elle était de très loin la mieux armée, la plus dangereuse. Néanmoins, il ne fallait sans doute pas sous-estimer ces paires de mains malveillantes qui se tendaient.

Le grimoire de Benoît s’arrêta sur une page, un sort contre les pantins, tout à fait ce qu’il fallait présentement. Hélas, il devint l’instant d’après évident que le symbole de protection n’avait pas fonctionné, que rien ne retenait les monstres et que, donc, le garçon allait être attrapé avant même de pouvoir lire la moitié du rituel. Peut-être était-il encore temps de fuir. Ou alors, il fallait se battre. A deux contre neuf, même le brave Pierre allait avoir fort à faire. Son épée de bois, pour l’instant, ne s’était pas mise à briller. D’un autre côté, il n’avait pas encore donné le premier coup.

Benoît cria à son ami que le symbole était inefficace mais aussi qu’il avait besoin d’une minute pour agir à nouveau. Il allait devoir faire confiance à son ami pour retenir les monstres tout ce temps. Ils pouvaient tenter de gagner du temps en reculant précipitamment dans le couloir et ainsi bénéficier de leur plus grande mobilité par rapport aux pantins de bois. Mais Benoît craignait que c’était précisément ce que la Diablotine avait prévu depuis le début. Un péril encore plus grand les attendait peut-être dans les ténèbres insondables, derrière eux.

- J’ai trouvé quelque chose ! Il me faut juste une minute. Tu pourras les retenir ?

Il recula ensuite d’un pas en se plaçant derrière son copain, se sachant parfaitement inefficace en combat au corps à corps. Puis il se mit à lire aussi vite qu’il le put. Le temps était compté, peut-être même déjà épuisé.

Fuir, c'était soit se perdre, soit être séparés, soit se retrouver face à la Faucheuse qui avait pu fini par triompher du symbole dessiné par son ami. Soit les trois à la fois. C'est pourquoi Pierre écarta presque aussitôt cette solution. Non, il valait mieux combattre. Si son épée se transformait à nouveau, s'il en usait assez bien, peut-être parviendrait-il à accaparer l'attention des pantins et, ainsi, permettrait-il à Benny d'utiliser l'un des étranges sortilèges contenus dans les pages de son grimoire. De surcroît, si le diablotin avait lancé l'assaut sans tarder, c'était à cause de son ultime provocation... Il entendait donc bien réparer son erreur. Sans compter que battre en retraite devant la cohorte de l'infernale créature, ç'aurait été par trop honteux, par trop humiliant...

Voilà pourquoi il n'hésita pas une seule seconde quand l'autre garçon l'interrogea.

-Je vais essayer, souffla-t-il.

Puis, se campant solidement sur ses deux jambes, le gamin raffermit sa prise sur son épée et demeura immobile face aux pantins qui approchaient, prêt à frapper sitôt que l'un d'entre eux serait à portée.

-Vous ne passerez pas ! cria-t-il, par défi.

Il regretta seulement que sa voix ne soit pas aussi impressionnante que celle de Gandalf, dans le film...

Benny derrière, Piotr devant, l’un prononçant le sortilège salvateur, l’autre tenant à distance les pantins... enfin essayant. L’espace d’un instant, un voile d’inquiétude passa sur le méprisable visage du diablotin. Peut-être aurait-il dû constituer une troupe plus importante. Mais tout ça, ce ne fut qu’un instant, car cette fois, l’épée de bois resta de bois. Point de lumière, point de magie. Au moins le garçon parvint-il à placer ses coups, évitant largement le ridicule. Il croisa le fer contre la guerrière. Même sans artifice, sans doute aurait-il pu lui tenir tête. Hélas, elle n’était pas seule. Quelques secondes plus tard, Piotr était submergé sous la masse.

« L’autre, attrapez l’autre aussi ! Enlevez-lui son livre ! Vite ! », vociférait le démon, surexcité.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Quatre des pantins attrapèrent Benoît. Il réussit à ce qu’on ne lui arrache pas son précieux grimoire, mais deux mains de bois le lui refermèrent, mettant fin à la lecture, mettant fin, peut-être aussi, aux espoirs de victoire. Les deux garçons commençaient à recevoir des coups, toutefois, cela ne dura guère.

« Non ! Ne les abimez pas ! Tenez-les ! »

Maintenant, le diablotin jubilait, sautillait, ricanait. Maintenant que Pierre ne pouvait plus se battre, maitrisé par cinq pantins, son épée toujours à la main mais inutile, maintenant que Benny était tout aussi inoffensif, immobilisé par quatre jouets, le démon pouvait s’approcher. Et il ne s’en priva pas, allant même tout près de ses ennemis.

« Alors, vous avez toujours envie de vous moquer de moi ? Allez-y, moquez-vous, allez-y, juste pour voir ! »

Benoît était proche du désespoir tant il avait était si proche d’achever sa lecture à temps. Il ne lui aurait suffi que de quelques secondes de plus. La frustration avait brutalement remplacé l’euphorie au moment où il avait vu que son copain ne tiendrait pas. Il avait été courageux, valeureux, formidable à sa façon aussi ne lui en voulait-il pas le moins du monde. C’est envers lui-même qu’il pouvait adresser quelque reproche : il aurait dû lire plus vite au lieu de se laisse distraire par le combat. Il en voulait aussi à Diablotine, oh oui ! Terriblement ! Le monstre allait pouvoir se venger maintenant qu’ils étaient impuissants à lutter. Et en plus il les défiait. S’en était trop. Benoît répliqua d’un ton acide sans lâcher son grimoire :

- Se moquer de toi ? Bien sûr que non : pourquoi on se moquerait d’une peureuse qui se cache derrière des poupées de bois ? Et qui est incapable de faire la moindre chose par lui-même. Viens te battre sans elles et on pourra en rediscuter !

Pierre, qui était dans le même état d'esprit que son ami et qui n'entendait pas être en reste par rapport à celui-ci, s'empressa d'ajouter, méprisant :

-Laisse tomber, Benny ! Ça sert a rien de lui proposer de se battre d'homme à homme, tu vois bien que s'en est pas un ! Pis la dernière fois qu'il m'a combattu tout seul, il s'en est mordu les doigts, même s'il était beaucoup plus gros que moi, à ce moment-là ! Alors il va pas oser recommencer, c'est sûr... Ah, c'est toujours pareil, avec les trouillards !

Il adressa ce qu'il espérait être un sourire compatissant à leur ennemi.

-Mais c'est vrai que t'es super forte en peureuse, diablotine. Franchement, tu bats tous les records. En fait, t'es même tellement peureuse que ça doit vraiment pas être facile tous les jours, pour toi... En y pensant bien, tu me fais presque pitié !

Sans doute venait-il de signer son arrêt de mort. Cependant, puisqu'il tenait toujours Glamdring, puisqu'il n'était pas absolument impossible qu'elle finisse par retrouver son pouvoir, il subsistait un semblant d'espoir...

Le diablotin se fendit d’un sourire narquois. Les affreux gamins persistaient à le défier mais ils n’avaient plus que leurs mots. Ceci dit, c’était bien leurs mots que le démon avait tant de mal à supporter. Néanmoins, il avait cette fois acquis un avantage décisif et la perspective que cela lui offrait suffisait à le faire résister.

« Peureux ? Moi ? Oui, sans doute un peu, voir beaucoup. Je vous l’accorde. Peureux mais malin. Ne dit-on pas que la fin justifie les moyens ? Je gagne, vous perdez. Je m’amuse et vous êtes frustré. »

D’un pas dansant, il s’éloigna et déclara, joyeux.

« Rassurez-vous. Bientôt, vous n’allez pas être que frustré. On pourrait, tout d’abord, vérifier qui de nous trois est le plus fille ? Ho oui, ho oui, ça c’est une bonne idée ! »

Il s’applaudit lui-même. Puis, plus sec, il distribua des ordres aux pantins. L’un d’eux s’empara du grimoire de Benny, cognant pour y arriver si nécessaire, et le donna au démon. On vola aussi au garçon sa craie. Ensuite, on l’écarta de son ami de quelques mètres avant de le lâcher. Deux jouets de bois restaient derrière lui pour éviter qu’il fuie. Deux autres restaient devant le diablotin pour sa sécurité. Dans le même temps, à côté de Piotr, la guerrière brandit son épée et resta en position, prête à frapper. Si elle le faisait, nul doute que ça allait faire mal.

« Parfait, tout est en place ! On va pouvoir s’amuser. Petit Benny voici le jeu. Je dis, tu fais et si tu fais pas, elle cogne. »

Le monstre désigna la guerrière. Pour montrer qu’il ne plaisantait pas, Pierre prit un coup sur l’épaule, assez fort pour le faire grimacer.

« Et donc, je dis : mets toi tout nu. »

Benoît se sentit tout à fait démuni quand on lui arracha son grimoire. Il tenta bien de résister mais un coup sur les doigts le lui fit lâcher en un cri comportant autant de rage que de douleur. Si le jeu avait consisté à lui faire subir d’autres coups, il aurait sans doute bravé Diablotine mais c’était Piotr qui était menacé s’il n’obéissait pas. La fuite n’était pas non plus une option envisageable pour la même raison et parce qu’il ne laisserait jamais son précieux grimoire entre les pattes de l’affreux monstre. Il ne restait donc qu’à gagner un peu de temps et peut-être blesser un peu plus l’ego de leur tortionnaire, le seul choix restant : il commença à déboutonner sa chemise non sans répliquer d’un ton hautain :

- Tu vas voir ce qui te manque pour être un garçon : j’espère que tu ne seras pas trop déprimé. Quant à ta ruse, tu peux bien pavoiser : tu ne n’oses même pas nous proposer un défi sans tes pantins pour nous retenir : tu as peur qu’on se montre plus rusé que toi !

Il n’avait cessé de déboutonner lentement sa chemise tout en parlant histoire que Piotr ne subisse pas les conséquences de sa diatribe.

« Ben voyons, montre-moi tout ça. Au fait, elle est déjà jolie ta coiffure. »

Le diablotin gloussa, bien plus endurant aux bravades verbales à présent qu’il occupait un rôle qui lui convenait. Il aimait jouer. Et un jeu dur restait un jeu, un jeu intéressant qui plus était. Restait à savoir si le jeu n’était pas trop dur. Sans doute pouvait-on dire qu’il avait échoué dans son propre cauchemar face à Piotr. Mais là, il tenait deux personnes, deux ami, c’était donc différent. Il avait des stratégies intéressantes à tester. Ils finiraient par craquer ces petits cons.

En attendant, il feuilletait le grimoire, y glissant des regards curieux. Du côté de Piotr, les pantins restaient docilement en position. Désormais, les lampes torches étaient tenues par les gardes de Benoît et, bien sûr, ils l’éclairaient.

Mais cela ne gênait pas tant que cela Benny de se dévêtir du moment que Bellatrix ou une autre fille ne risquait pas de le voir tout nu. Devant son copain, il n’éprouvait pas la même gêne. Et rabattre le caquet de Diablotine était une motivation supplémentaire. Toutefois, il avait décidé de prendre son temps juste pour laisser à Piotr le temps de tenter autre chose. S’il parvenait à attirer toute l’attention sur lui-même, il faciliterait à coup sûr la tâche à ce dernier :

- Encore un truc que tu n’auras pas : des cheveux à coiffer pour dissimuler ta tête vide aussi bête que ces pantins de bois. Et inutile de chercher à devenir intelligent en lisant mon grimoire : ce qui est décrit là-dedans est bien trop compliqué pour une petite Diablotine incapable de relever un défi.

Il avait fini de déboutonner sa chemise et la retira sans gêne apparente. Si le diablotin ne réagissait pas à ses nouvelles provocations, il commencerait à délacer une de ses chaussures.

Le diablotin ne répondit pas à Benoît. Au lieu de ça, il sembla s’absorber d’avantage dans la lecture du grimoire. Un sourire mauvais s’était définitivement imprimé sur sa face. Du coin de l’œil, il vérifiait ce que faisait Benny mais n’y portait pas plus d’attention que ça, alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire. Finalement, il déclara, doucereux :

« Ho, mais que vois-je ? Un rituel contre les diablotins ? Dis, tu le connaissais celui-là ? Il a l’air vachement bien ! »

Il retourna le livre vers son propriétaire tout en demandant à l’un des pantins de l’éclairer. Le monstre disait vrai, il avait effectivement trouvé le sort contre lui-même. Sans laisser le temps à la graine de sorcier de lire toute la page, il l’a déchira d’un geste sec.

« Non, en fait, il est nul. Tiens, au dos il y a un truc contre les succubes. J’espère pour toi que tu ne va pas en croiser. Hihihihi ! »

Sur ce, il réduisit la feuille à l’état de puzzle et dispersa les morceaux. Ensuite, il planta son regard infernal dans celui de Benoît et s’adressa à lui avec une effrayante froideur.

« Si dans dix secondes t’es pas à poil, ton ami prend un coup et ton grimoire perd une autre page. Et si tu dis autre chose, c’est pareil, un coup, une feuille. »

Les provocations faisaient leur effet mais sans doute pas celui voulu. Le monstre pouvait être affreusement méchant et il était loin d’avoir joué toutes ses cartes en la matière. Piotr, de son côté, se savait un peu oublier du démon. Néanmoins, les pantins assignés à sa surveillance demeuraient tout à fait en place, agissant sûrement comme des robots. Quatre le tenaient, un le menaçait de son épée. A lui de voir quand agir et s’il se décidait à agir...

L’exécrable diablotin exultait. Il avait obtenu sa première petite victoire sur l’un des mômes. La soudaine docilité de Benny ne lui avait forcément pas échappé, tout comme l’expression de son visage.

« En voilà un garçon bien dressé ! Tu sais que t’es mignon comme ça ? Mais t’as l’air tout triste ? C’est à cause de ton livre ? Je commence à croire que tu l’aime plus que ton ami. Hihihihihi ! »

A sa propre initiative, l’un des pantins sans costume se mit à enfiler les habits de Benoît. Pendant ce temps, le monstre se remit à feuilleter l’ouvrage. Avait-il encore l’intention d’en déchirer une page ? Nous ne le serons jamais car voilà Pierre, poussé par sa colère, qui se jetait en avant.

Il parvint à s’arracher aux mains de bois. Il sentit dans son dos quelque chose le frôler. C’était la guerrière qui avait voulu le frapper. Assez rapide, il s’était déjà soustrait à la trajectoire de l’épée qui ne mordit donc que le vent. Dans le même temps, sa propre lame devint lumière immaculée, comme dans le cauchemar en enfer. Il n’eut qu’à faire quelques pas pour être sur le démon prit au dépourvu. Celui-ci tourna la tête au moment où le coup lui était porté. Par réflexe, il bondit de côté, un masque d’horreur sur son visage précédemment si joyeux. L’épée de Piotr lui entailla la cuisse. Son sang noir gicla. Perdant le livre, perdant l’équilibre, il tomba au sol dans un cri où se mêlait rage, peur et douleur. L’instant d’après, il avait disparu sans demander son reste.

Mais il restait les pantins. Ceux chargés de la surveillance de Piotr le fixait déjà. Le grimoire était au sol. Les lampes électriques étaient tenues par les jouets diaboliques. De plus, venant non loin de là, un autre cri s’éleva. Etait-ce le diablotin ? On aurait plutôt dit une fillette terrifiée. Et à cette distance, il était vaguement possible d’en déterminer la direction. Il fallait agir vite, très vite...

Pierre, armé de son épée magique, se lança sur les jouets diaboliques. En un même mouvement, les cinq auxquels il avait échappés se ruèrent à sa rencontre avec des intentions évidentes. D’un premier coup, le garçon décapita la princesse qui s’effondra dans un fracas de bois et de tissus. Du coup suivant, il pourfendit la fée qui s’abattit aussitôt sur son infortunée collègue. Deux en moins. Mais venait alors la guerrière qui sut parer la troisième attaque de sa propre épée. A son tour, elle frappa. Plus par chance que par maîtrise, Piotr dévia le danger et riposta. On eut dit un duel mais là encore, ce n’en était pas un. La reine, passée de côté, sauta sur l’enfant, le forçant à un écart. La guerrière, toujours là, s’acharnait. Et voilà que Pierre se sentit attrapé par derrière. Deux mains de bois se refermèrent sur son cou. C’était le pantin sans costume, le dernier qui restait. Profitant de l’occasion, la guerrière qui venait juste d’être repoussée, revint à l’assaut. D’un geste maladroit, le garçon se défendit, évitant le métal fusant droit vers son visage. Hélas, il en perdit son arme sous l’impact. Et la reine se rua sur lui. Autant dire que ça tournait mal. L’épée, toujours lumineuse, était au sol, un peu plus loin, vers Benoît.

Ce dernier avait également des soucis. Certes, il avait récupéré sans trop de mal son grimoire mais trois pantins s’étaient jetés sur lui et il ne put leur échapper. De plus, les lampes-torches avaient été abandonnés et arriver à lire avec leur lumière hasardeuse n’était pas une mince affaire. Se débâtant comme un beau diable, Benny repoussa l’un de ses adversaires. En restaient deux particulièrement tenaces qui voulaient l’immobiliser. Et où était le quatrième, celui qui avait pris ses habits ? Il n’était visible nulle part, s’étant sans doute éclipsé.

Pierre donnait tout ce qu’il avait. Les pantins eurent beau faire de leur mieux, le garçon s’arracha à leur étreinte. Sitôt libre, il se précipita en essayant de ne pas être à nouveau saisit. Il sentit l’air siffler à ses oreilles, un coup de la guerrière l’avait frôlé. Il sentit des doigts glisser sur sa veste sans parvenir à l’agripper. Il sentit un corps de bois entraver ses jambes, il tomba.

Il se retrouva nez à nez avec Benoît qui, contre toutes attentes, venait à peu près de réussir un exploit similaire, échappant à ses adversaires alors qu’il était moins physique que son ami. Entre eux deux, l’épée de lumière, à portée de main.

Sans perdre une seconde, Piotr récupéra sa fidèle arme, se dégagea à coups de pieds et se redressa alors que déjà les pantins étaient sur lui. Il frappa encore et encore, taillant en pièces les affreux jouets. Cette fois, il n’y en eu pas un pour l’arrêter, pas même la guerrière qui, après quelques échanges furibonds, perdit la tête dans un craquement sec. Elle roula sur le sol de pierre jonché de pantins brisés. C’était la dernière...

Sans doute le garçon allait-il être le premier surpris du résultat. Pas moins de six pantins venaient de trépasser sous sa main. Plus personne ne le menaçait, lui ou Benny... Après un dernier et glorieux éclat, l’épée redevint de bois.

HRP : je... vous... hais ! Je n’ai jamais fait autant de 1 et de 2 avec mes dés !

-Faut pas toucher à mes copains ! exulta Pierre, défiant les ténèbres et, si d'aventure il était toujours à portée de voix, leur ignoble tourmenteur.

En réalité, s'il était immensément heureux et soulagé, s'il n'avait pu s'empêcher de clamer haut et fort leur victoire pour enfoncer le clou, pour bien faire comprendre au diablotin, si besoin en était, qu'il avait perdu la bataille, le gamin n'était pas vraiment d'humeur à faire le malin. Au contraire, le déroulement des événements le laissait incrédule : il n'arrivait pas à croire qu'il était parvenu à terrasser tant d'ennemis... Peut-être l'indignation et la colère lui avaient-elles donné des ailes ou, plutôt, une adresse insoupçonnée ?

Peut-être. Quoi qu'il en soit, l'heure n'était pas aux réjouissances, car leur situation demeurait précaire. Glissant Glamdring à sa ceinture, il récupéra la torche électrique la plus proche et se porta aux côtés de son ami qui, bien plus que lui, avait souffert de cet horrible épisode.

-Ça va, Benny ? Ils ne t'ont pas fait trop de mal ? s'enquit-il, anxieux.

Déjà, il déposait au sol son sac à dos et entreprenait d'ôter son manteau. Refusant que le garçon endosse les costumes de fille des pantins, humiliation sans doute prévue par leur ennemi, il entendait bien partager ses vêtements avec lui.

Benoît était lui aussi stupéfait par la tournure des événements. La plupart des pantins étaient détruits. Les autres en fuite. Où étaient-il d’ailleurs, se demanda-t-il confusément. Mais bien plus important : Diablotine venait de recevoir une leçon cuisante. Le monstre n’avait pas voulu se battre à la loyale mais cela ne les avait pas empêché de triompher de lui à plate couture ! Enfin, c’est Piotr qui avait fait l’essentiel mais ils s’étaient serrés les coudes.

Le garçon accepta avec joie le manteau de son copain après avoir remarqué que le pantin portant tous ses effets faisait partie des fuyards. Le manteau enfilé en un tournemain, il se mit à récupérer les morceaux visibles de la page perdue. Peut-être parviendrait-il à la reconstituer. Et si Diablotine osait encore se présenter, il lui botterait copieusement l’arrière-train, na ! Il y avait cependant plus urgent à faire dès à présent. Une fille avait crié tantôt, très probablement Bellatrix. Il fallait la retrouver au plus vite aussi oublia-t-il les épreuves douloureuses qu’il venait de subir :

– Non, ça va. Mais il faut se dépêcher de retrouver les autres. Et merci : tu as été formidable !