La Couronne de Cuivre

venant de ici

Lothringen cligna des yeux, sentant la terre dure sous sa joue, puis les ouvrit avec effort. Il était étendu sur le sol d'une clairière, les membres aussi douloureux que s'il venait de tomber du ciel. Se redressant, il regarda autour de lui. C'était bien une clairière - de l'herbe, des troncs d'arbre, et un ciel d'encre sans étoiles, loin au-dessus de lui. Il était seul.

Il tenta de se remémorer les événements. Tout était arrivé si vite... Il n'avait pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. Une chose était sûre, il n'était plus dans le cauchemar de tantôt, à Melandis, dans le jardin lourd de menaces et de souvenirs. Mais il n'était pas non plus réveillé. Il s'était endormi dans un grand lit confortable à Graëlon, et il était parfaitement invraisemblable qu'on l'ait transporté durant son sommeil pour l'abandonner ici. Indemne. Et tout habillé, qui plus était...

Il se releva, s'étira, et commença son exploration. La clairière n'était pas anodine. Il la sentait imprégnée de pouvoir. Cinq piliers de cristal ponctuaient son périmètre. Quand il voulut s'approcher des arbres, il se heurta à une barrière invisible, et comprit que ces derniers délimitaient un espace d'où il lui était impossible de sortir. Il était prisonnier. Mais de qui ? de quoi ?

Qu'était-ce à dire ? Son maître expérimentait-il des tortures mentales d'un nouveau genre, plus indirectes, plus sournoises ? Il n'eut pas le temps de se poser la question bien longtemps. Un corps venait d'apparaître sur le sol de la clairière, non loin de l'endroit où il avait lui-même repris conscience. En s'approchant, il eut le souffle coupé. C'était Mornagest. Mais le Mornagest d'avant la métamorphose...

HRP : petit cadeau de circonstance.

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Il avait mal à la tête. Sentait le sol sous lui, savait qu'il était allongé. Avait-il subi une téléportation ? Il avait espéré, au vu du résultat de la dernière subie, qu'il s'était habitué à ces voyages instantanés. Mais ce qu'il ressentait à présent démontrait le contraire... il releva péniblement la tête et eut la vue masquée par une substance légère, douce et au contact familier. Des cheveux ? Il les écarta de la main, mais ceux-ci lui retombèrent devant les yeux. Comment se faisait-il ?

Il se redressa brusquement, pleinement conscient - réveillé eût été un terme inapproprié. Il regarda ses mains, ses bras, ses cheveux... il avait repris son apparence d'antan, celle du chancelier Mornagest, mélandien, criminel, et tout ce qui allait avec... il ressentit une vive peur en songeant à ce que cela pouvait signifier pour lui.

Puis, enfin, il vit Lothringen, non loin de lui. Où diable étaient-ils ? Cet endroit ne ressemblait à rien de naturel... il se mit debout.

"Lothringen ?" fit-il, un peu niaisement, mais méfiant. La situation paraissait trop étrange pour qu'il ne se méfiât pas des apparences. Peut-être le semi-drow n'était-il qu'une illusion...

hrp : merci, je vais l'ajouter dans mes messages pour ce rp

Une pensée identique venait de traverser le devin : si quelqu'un voulait le torturer à travers ses rêves, quoi de mieux que d'invoquer l'image de son amant ? D'un instant à l'autre, Mornagest pouvait se muer en cadavre sanguinolent et éventré, en goule vorace, ou même en Dorson Jaell'ym... Déjà le changement d'apparence de ce dernier semblait vouloir le mettre en garde contre sa nature maléfique.

"C'est bien moi", répondit le semi-drow avec circonspection. "Comment es-tu arrivé ici ? Je rêvais que j'étais à Melandis, au Jardin de la Mélancolie, et puis..."

Mais il n'eut pas le temps d'achever sa phrase qu'un nouveau corps surgit du néant sous leurs yeux - celui d'un elfe blond dont l'apparence n'était pas sans rappeler au manostien quelque chose de connu, mais de très lointain ; un souvenir du temps où il n'était encore qu'un mercenaire faisant ses preuves. Avec effort, il retrouva le nom : Taliesin. Le barde qui l'avait accompagné dans la quête de la relique de Helm, et dont il avait appris par la suite, grâce aux rapports d'espionnage et d'ambassades, qu'il avait été mêlé à l'insurrection des esclaves mélandiens, puis à la guerre civile luménienne. Il avait changé... vieilli. Pour ce qui était du mystère de leur présence en ces lieux, l'apparition du barde , qui était quasiment sorti de sa mémoire depuis le temps, changeait peut-être la donne. Allait-il en venir d'autres ? Instinctivement, Lothringen se rapprocha de Mornagest, tout en guettant les réactions de l'elfe.

Aux ténèbres de ses paupières closes succédèrent celles d'un obscur firmament, semblable à un abîme sans fond. Taliesin resta quelques instants à le contempler, se remémorant le Jardin de la Mélancolie, les ombres indistinctes et les statues mouvantes, le contact des doigts de la Nymphe sur sa peau...

Le rêve était entré dans une nouvelle phase. Aussi étonnante et sinistre que la précédente, à n'en pas douter.

Il s'assit, découvrit d'abord la clairière, la forêt, les piliers de cristal. Rien de familier, ici. Du moins est-ce ce que crut l'elfe jusqu'à ce qu'il découvre les deux hommes qui se tenaient non loin de lui. Son regard tomba d'abord sur un demi-drow dont les traits ne lui étaient pas inconnus.

-Conseiller Lothringen ? finit-il par lâcher, incrédule.

Il se tourna ensuite vers le second individu, et son expression changea instantanément car, cette fois, il n'eut pas à fouiller dans ses souvenirs. Oh non, ce ne fut pas nécessaire : il sut parfaitement, d'emblée, à qui il avait affaire.

-Vous...

L'instant suivant, il était debout, les poings serrés. Sur son visage, plus la moindre surprise, mais une haine farouche, une détermination inébranlable. Bien des fois, amer, il s'était reproché de n'avoir pu occire le chancelier Mornagest quand il en avait eu l'occasion. Bien des fois, il avait espéré qu'une telle opportunité se présenterait à nouveau. Et voilà qu'elle s'offrait à lui, sur un plateau... Bien sûr, il ne s'agissait que d'un songe. Mais qu'importe.

-Cette fois, vous ne m'échapperez pas, sale ordure... gronda-t-il, faisant déjà un pas dans sa direction, levant les mains pour une incantation.

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Alors que Lothringen tentait de lui expliquer la façon par laquelle il était arrivé ici, quelqu'un d'autre apparut brusquement dans la clairière, sans doute de la même manière qu'il le fît quelques instants plus tôt. L'elfe se releva assez rapidement, et reconnut Lothringen. Ce visage lui était vaguement familier, mais il ne parvint pas de suite à retrouver son nom. L'expression du visage de l'elfe se mua instantanément, alors que leurs regards se croisèrent. Il bouillait d'une rage et d'une haine peu communes, sans qu'il sût pourquoi. Il eut l'explication presque aussitôt. Sale ordure... une tache de plus dans son passé torturé, ignoble, rempli d'atrocités commises dans un but qui lui échappait chaque jour davantage.

Cet elfe l'avait côtoyé quelque temps dans le seul objectif de s'infiltrer dans la bourgeoisie mélandienne et mener les esclaves à la révolte. Il avait assez bien réussi son coup, et Mornagest s'était à l'époque vengé en ordonnant des exécutions sommaires des rebelles qui n'avaient pu prendre la fuite. À l'époque... il en avait tiré une satisfaction sadique, presque jouissive. Le tableau n'avait pas été complet, car il manquait la tête de l'elfe...

Désormais, le seul fait de repenser à ces atrocités lui provoquèrent un haut-le-cœur. Comment... Comment ?! Malheureusement, le temps lui manquait à présent pour s'apesantir une fois encore sur son sinistre rôle dans ce massacre à grande échelle : l'elfe menaçait de l'attaquer. Il comprenait sa réaction... il aurait certainement agi de même s'il s'était retrouvé dans une telle situation. Mais pour l'heure, il devait se défendre. Ou tenter de parlementer, mais... quelque chose lui disait que l'elfe n'accepterait aucune explication, qu'il les prendrait pour autant de tentatives vaines et maladroites de le duper ou de lui mentir. Hélas, trois fois hélas...

Lothringen avait assisté à cette sortie du barde en demeurant bouche bée. Il n'avait pas anticipé que ce dernier pouvait connaître personnellement Mornagest ; s'il l'avait cependant connu à l'époque de la révolte des esclaves, alors sa réaction s'expliquait. Lothringen se rappelait son propre écoeurement, quand il avait appris que le chancelier était lui-même descendu dans la foule pour massacrer les insurgés... A présent, le secret de la survie de son compagnon était éventé, et les autres risquaient de suivre, mais le semi-drow n'avait pas le temps d'y songer davantage. Car l'elfe se préparait à incanter, et il ne pouvait lui permettre d'y parvenir... D'abord parce que la dernière incantation tentée dans ce rêve avait eu des effets plutôt insolites et troublants. Enfin parce que si le barde touchait à un seul cheveu de Mornagest, il l'achèverait lui-même.

Il se précipita à la rencontre de l'elfe et s'empara de son poignet. Il avait une poigne ferme, pour sa carrure...

"Assez, Taliesin ! Arrêtez ça ! Personne n'exécutera personne, ou il se retrouvera un contre deux ! Vous m'entendez ?"

Si quelqu'un les avait à dessein réunis, il devait rire bien fort...

Ses pieds se posèrent sur un sol meuble sans qu'elle ne sache comment. Elle en fut si surprise qu'elle manqua en perdre l'équilibre. Elle partit en avant, mit un genou au sol pour finalement se rattraper avec les mains. Elle resta les yeux fermés quelques secondes, totalement désorientée. Autour d'elle, elle entendit des éclats de voix. Quelqu'un criait non loin d'elle. Elle avait déjà entendu la personne mais n'arrivait pas à la remettre. Mais ce n'était pas ce qui la troublait le plus. Elle n'était pas seule.

Elle ouvrit les yeux, regarda autour d'elle. Trois hommes. Un homme grand de carrure à l'air férocement bourru, un autre dont le gabarit et le maintient laissaient à penser qu'il avait des ascendances elfiques - voire qu'il était un elfe, tout simplement. Ses yeux s'agrandirent quand elle vit le troisième. Le conseiller Lothringen !

Était-elle en train de rêver en fin de compte ? Un dernier balbutiement avant l'ombre ... Mais qui étaient ces gens et que faisaient-ils là ?

Elle essaya de rassembler ses pensées, regarda brièvement autour d'elle. Une clairière, des piliers. Elle essaya de se remettre debout. Le sol lui sembla tanguer sous ses pieds et elle décida qu'il valait mieux qu'elle s'asseye. Elle regarda de nouveau les trois hommes. Ils semblaient nerveux, comme prêts à se battre.

Le barde essaya de s'arracher à la prise du semi-drow mais constata bien vite qu'il n'y parviendrait pas. La fureur et la frustration illuminèrent brièvement son regard... puis un sourire cynique étira les commissures de ses lèvres.

-L'absurdité des rêves me surprendra toujours. Lothringen, conseiller de Manost, Cité bénie de Helm, prenant la défense de Mornagest, chancelier de Melandis, la Cité du Chaos. Quelle bonne blague.

Il s'apprêtait à poursuivre du même ton acerbe lorsqu'un nouvel arrivant chut dans la clairière. Tournant la tête dans sa direction, il constata qu'il s'agissait d'une arrivante. Autre différence notable avec les deux autres occupants des lieux : il ne la connaissait pas.

Quelle nouvelle surprise est-ce là ? se dit-il par devers lui, tout en songeant que, peut-être, cette diversion lui offrirait la possibilité de reprendre là où il les avait interrompus ses projets meurtriers.

Pendant une fraction de seconde, elle eut la sensation désagréable d'être une pierre catapultée dans les airs et l'instant d'après, elle se retrouva au milieu d'une clairière, toujours à genoux sur le sol. Elle n'était pas seule, trois, non quatre personnes se tenaient autour d'elle : un elfe, un homme, un drow et une femme aux cheveux blonds. Son regard rougi s'arrêta plus longuement sur cette dernière et elle crut reconnaître son visage.

La tension pouvait se lire sur leurs traits, ainsi peut-être qu'une certaine défiance à l'égard des uns et des autres, et la tieffeline se demanda si elle devait se sentir en danger. Son corps était lourd et fatigué, elle n'aurait pas donné cher de sa peau si sa survie dépendait d'une fuite imminente. Le silence se fit pesant et Chance essaya de lutter contre une nouvelle vague d'angoisse, menaçant de la submerger à tout instant.

- Salut, finit-elle par articuler d'une voix enrouée. Voilà, les saluer, très bonne initiative ; cela lui ferait peut-être gagner du temps.

Son regard se posa à nouveau sur la blonde aux yeux glacés et quelques brides de souvenirs lui revinrent en mémoire. Elle était sûre d'avoir déjà vu son visage à présent, même si elle n'aurait pas su dire quand ni dans quelles circonstances.

Elle crut se rappeler son nom.

- Marla ?

Lothringen fut un instant déconcentré par l'arrivée de deux nouvelles personnes. L'une d'entre elles, une paladine, lui était vaguement familière ; elle avait dû lui faire un rapport, deux semaines plus tôt. La seule raison pour laquelle il se rappelait son nom était qu'elle était la jumelle du gouverneur de Manost. Le prénom, en revanche, Maria ou autre, n'y était plus. La dernière...la tieffeline... une parfaite inconnue. Combien de gens allaient encore débarquer dans cet espace somme toute restreint ?
Mais il examinerait cela plus tard. Il revint à Taliesin, à la menace immédiate qu'il représentait. Une « bonne blague » ? Il avait pensé cela aussi, au début. Quand il avait compris que la réflexion blessait Mornagest, il était passé à autre chose. D'un ton tout aussi sarcastique, tout en baissant la main et relâchant sa prise, il répliqua.

« Et vous, qui êtes-vous pour prétendre tuer sans procès quelqu'un qui ne se défend pas ? L'avatar de Shevarash, peut-être ? Ou le bras manchot de Tyr ? Je ne vois qu'un assassin...
Nous sommes tous bloqués ici, alors il serait bon que chacun se calme : peut-être cela nous aiderait-il à y voir plus clair. »

Le barde avait à peine prêté attention à l'arrivée de la tieffeline. En fait, c'est tout juste s'il lui avait accordé un regard : sa colère et son indignation étaient si grandes face à la tirade de Lothringen qu'il ne pouvait songer à autre chose qu'à lui opposer une réponse bien sentie.

-Y voir plus clair dans un songe dont chaque nouvelle péripétie démontre l'incohérence totale ? Voilà une idée aussi absurde que votre défense de ce laquais d'une impératrice tyrannique, de cet ignoble bourreau qui a sur les mains le sang de tout un peuple !

Il se tenait bien droit, défiant ouvertement son interlocuteur. Il n'allait pas trembler devant une figure de rêve, fut-elle l'ombre d'un haut personnage.

-Quant à savoir qui je suis... Je suis un rêveur, tout bonnement. Et voilà qu'on m'offre l'onirique possibilité de tuer l'ordure qui a massacré ou fait massacrer des centaines, des milliers de mes compagnons de lutte. Sans leur accorder le moindre procès, cela va de soi. Évidemment, je préférerais que cette opportunité se présente dans la réalité. Mais faute de grives, on mange des merles, n'est-ce pas ?

Non, pas Marla, avait-elle commencé, je m'appelle ..."

Elle s'interrompit, totalement incapable de poursuivre. Les mots qu'elle avait prononcé avaient une étrange couleur de déjà vu ... A qui avait-elle déjà dit cela ? Qui l'avait donc un jour appelée Marla ? Elle se tourna vers la silhouette encapuchonnée, tentant d'apercevoir un visage. Essayant surtout de se souvenir. Elle avait déjà entendu cette voix, elle en était certaine. Une seule personne l'avait nommée ainsi. A Melandis ... Enfin, elle se souvenait. Son regard s'éclaira.

"Angèle ... Et vous, vous êtes Chance."

Elle ne sourit cependant pas. Cette nouvelle apparition surgie d'un passé certes proche la rendait d'autant plus perplexe. Tout comme la conversation alentour. Le conseiller Lothringen ... Mornagest ... et une autre personne essayant de se venger. Elle n'était pas sûre de tout comprendre. Cela faisait des mois qu'il était mort, du moins supposé l'être. Mais par Tyr, qu'est-ce qu'un chancelier mort qu'elle n'avait d'ailleurs jamais vu, un conseiller manostien avaient à voir avec Chance et cet elfe vengeur qu'elle ne connaissait pas ?

Elle commença à respirer plus vite. Il fallait qu'elle se calme. Elle referma les yeux un instant. Puis elle se retourna vers Chance puis vers Lothringen, seules personnes qu'elle connaissait. Puis elle dévisagea Mornagest, ce chancelier mélandien tristement célèbre pour avoir maté dans le sang une révolte d'esclaves et bien d'autres forfaits. Un des représentants de la ville du chaos. Cette cité tant haïe.

De l'autre coté du temps, une autre Angèle, aurait rejoint l'elfe dans sa colère. Mais elle sentait qu'un conflit rangé ne serait pas sans dommage. Il ne s'agissait pas d'un simple rêve. Elle en était certaine. Elle se tourna brièvement vers Chance dont l'attitude sur la défensive trahissait l'angoisse.

De l'autre coté du temps, elle savait rassurer. Mais elle se sentait lasse et totalement apeurée. Elle fit effort pour se lever, parvint à faire quelques pas de son coté histoire de lui montrer que si la situation venait à dégénérer, elle ne serait pas seule. Puis inquiète, s'accroupit à ses cotés.

"ça va aller ?", demanda-t-elle.

C'est tout ce dont elle était capable. Puis elle essaya de parler, ne parvint qu'à émettre un son inintelligible, toussa. Parvint à retrouver sa voix pour demander à tous.

"Pardonnez-moi de vous interrompre mais savez vous quel est cet endroit. Et ce que nous venons faire ici ?"

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Chaque phrase prononcée par Taliesin sonnait comme le glas de sa mort prochaine, comme s'il était en train d'être jugé par un tyrite. Il fermait les yeux, voyait défiler certains des événements dont il était le principal responsable. Et encore, l'elfe ignorait bien des choses quant à ses crimes passés...

Qu'y avait-il à dire pour sa défense ? Il ne pouvait pas récuser les accusations de Taliesin : tout était vrai. Et comment pourrait-il lui expliquer qu'il avait changé, qu'il n'était plus le cruel guerrier qu'il avait été, jadis ? Que ce profond changement était dû à Lothringen, son compagnon, son amant ? Impensable...

L'arrivée impromptue d'une femme, et sa tentative de calmer les choses, détourna son attention. Il ne pouvait décemment pas se ranger uniquement derrière Lothringen ; nul ne devait connaître la nature de leur relation... en revanche, cette inconnue tombait à pic ; il essaya d'embrayer sur sa voie.

"Hum... j'ignore où nous sommes, mais... il vaudrait sans doute mieux tenter d'en savoir plus avant de... discuter de tout cela."

Il tourna la tête vers la tieffeline qui était également arrivée, de la même manière qu'eux tous. Encore un visage qui lui était inconnu...

"Lothringen... vous qui êtes magicien, avez-vous une idée de ce qui nous arrive ?"

Lothringen n'avait pas gardé du Taliesin d'autrefois le souvenir de quelqu'un de sectaire, de vindicatif, de hargneux, aussi était-il déçu de voir ce qu'il était devenu. A aucun moment, il ne remit en question son parti-pris envers Mornagest, même s'il savait que ce dernier avait bien commis les crimes qu'on lui prêtait : le mélandien était mort, il avait changé, il avait eu sa part de souffrance et d'expiation... assez. Néanmoins, il ravala la réponse furieuse que les propos du barde lui inspiraient pour se tourner vers les autres. Le guerrier lui offrait une précieuse occasion de changer de sujet, il ne fallait pas la laisser passer.

« Je n'ai pas beaucoup de réponses.... Rêviez-vous du jardin de la Mélancolie, tout à l'heure ? » A leur réaction, il comprit que oui. « Lorsqu'un rituel y a été accompli, la déflagration a été immense... Sans doute avons-nous été aspirés par sa zone d'effet. »

Il soupira. L'essentiel lui échappait.

« Je ne sais pour autant ce qu'est cet endroit. De toute évidence, chacun de nous se comporte comme il est réellement, et non conformément au souvenir que les autres ont gardé de lui - ce qui me fait dire que nous ne sommes pas dans le rêve de l'un d'entre nous. Pour le reste... cette clairière est imprégnée d'un pouvoir immense dont je ressens l'aura, et pour l'instant, nous en sommes prisonniers. »

Il se tourna vers la tieffeline.

« Vous êtes ici la seule personne que je n'aie jamais vue. Je m'appelle Lothringen, je suis conseiller de Manost. D'où venez-vous... Chance ?»

Peut-être y avait-il un lien qu'ils ne connaissaient pas ? Sinon, le hasard et la zone d'effet du rituel étaient bien les seules causes de leur réunion...

Très vite, la tieffeline ne prêta plus aucune attention à son environnement, seuls résonnaient dans sa tête les paroles de la blonde. Angèle. Oui, maintenant elle se souvenait. Paladine de Manost, elle lui avait même sauvé la vie au cours d'une mission à Melandis. Melandis... La boule dans sa gorge grossit à mesure qu'elle cherchait dans ses souvenirs pourquoi repenser à cette ville lui était aussi désagréable.

- Excusez-moi, je ne me souviens pas de vous, souffla t-elle à Angèle. C'était un mensonge. À ce moment précis la tieffeline se souvenait très précisément de leur rencontre et de chaque mot qu'elles avaient échangé, mais pour une raison obscure, elle exagérait son amnésie passagère.

Apparemment, personne ici ne semblait connaître la raison de leur présence en ce lieu. Chance était probablement la seule personne à s'en moquer royalement. Si, comme elle le présentait, ceci n'était qu'un rêve, alors il n'y avait qu'une chose à faire : attendre que celui-ci veuille bien prendre fin. Elle releva les yeux vers le drow quand celui-ci s'adressa à elle.

- Je viens de... Puis elle se tut. Elle n'en avait pas la moindre idée. Elle aurait pu répondre Melandis, mais elle avait quitté cette ville il y a bien des mois maintenant. Je ne sais pas. Je ne me souviens même pas m'être endormie, finit-elle par répondre lentement. Une nouvelle vague d'angoisse, c'était proprement insupportable. Ses mains agrippèrent quelques touffes d'herbe qu'elle arracha nerveusement alors que ses mains se mirent à trembler. D'habitude, c'était une manifestation du manque, mais cette fois la sensation était différente. Alors elle réalisa que c'était la première fois depuis longtemps qu'elle n'était pas sous l'effet de la drogue, complètement défoncée. C'était comme se réveiller après une cuite monumentale...

Si les derniers jours de sa vie étaient noyés dans le flou, c'est parce qu'elle avait tout fait pour cela. Elle tenta de respirer calmement, ce n'était pas le moment de céder à la panique. Il lui fallait une dose, il lui fallait replonger dans l'apathie la plus totale, loin des pensées qui lui parasitaient l'esprit. Elle en avait désespérément besoin. La pleine conscience lui faisait peur, tellement peur...

Angèle se redressa lentement. Chance ne se souvenait de rien et c'était préférable. Au vu des tensions latentes, la neutralité dans un sens ou dans l'autre semblait le comportement le plus efficace. Et elle ne voulait pas se raccrocher à des souvenirs. Des simples regrets ne la retiendraient pas. Alors autant ne pas rendre son cheminement trop difficile.

Mais la tieffeline semblait plongée dans un état d'angoisse extrême. Elle la regarda quelques instants totalement démunie avant de s'accroupir de nouveau. Elle savait quel comportement était efficace pour ses propres crises. Mais elle n'était pas sûre qu'il s'agissait de la parade adéquate pour Chance. Elle risquait de ne pas apprécier le fait d'être enserrée, surtout par une personne dont elle ne se souvenait en rien. Assez près pour qu'elle l'entende, assez loin pour ne pas l'insécuriser d'avantage, elle lui souffla.

"Tout va bien. Je comprends que vous soyez angoissée. Mais essayez de respirer un peu, d'accord ? Juste un peu."

Elle avança la main, la recula. Elle se sentait gauche. Mais étrangement calme, presque résignée. Elle se tourna vers Lothringen, surveillant l'elfe du coin de l'oeil.

"Vous voulez dire que quelqu'un a lancé un sort ? Un sort assez puissant pour ramener un homme de la mort et entraîner aussi quelques rêveurs ? Qui aurait pu faire ça ? L'un de nous ?"

Taliesin demeurait convaincu qu'il se trouvait dans un rêve. Dans son rêve. Deux des personnes présentes, totalement inconnues, étaient à coup sûr de purs produits de son imagination délirante, rendue plus débridée encore par la maladie et par le remède qu'il avait avalé. Les deux autres, sur le plan physique au moins, ne différaient guère de ce dont il se souvenait les concernant. Certes, il y avait de troublantes incongruités au niveau de leur comportement. Mais là encore, quel besoin de chercher une cause extérieure ? Il s'agissait probablement d'élucubrations, d'inventions, d'extrapolations de son esprit enfiévré.

Que Mornagest arbore une mine embarrassée, voire contrite, et non plus son air arrogant et sanguinaire d'autrefois, cela pouvait tenir au fait que le chancelier ne soit plus entouré par une meute de gardes du corps serviles prêts à le protéger quoi qu'il advienne. Cela pouvait aussi être la manifestation d'un désir semi-conscient du barde, le désir de voir son ennemi regretter ses crimes... avant de les expier dans le sang.

Quant à Lothringen... Bien sûr, le semi-drow dont il se souvenait ne lui avait pas donné l'impression d'être prêt à défendre un tyran sanguinaire. Mais ne répète-t-on pas que le pouvoir corrompt ? De plus, Taliesin n'avait-il pas été trahi pour la énième fois seulement quelques jours plus tôt ? Dans ces circonstances, quoi de surprenant à ce qu'une ancienne et brève connaissance joue, dans ce songe, le rôle du félon qui foule aux pieds les idéaux de la cité qu'il a la charge de gouverner ?

Non, rien de réellement étonnant, dans tout cela. Quant aux étranges sensations qu'il éprouvait, elles aussi s'avéraient aisément explicables : elles provenaient certainement du lotus noir, ingrédient du mélange qu'il s'était administré pour combattre la Feuille Pourrie, ce mal qui le rongeait. N'ayant pas l'habitude de consommer pareille substance, il n'était pas familier, loin s'en fallait, des effets qu'elle produisait.

Il demeura donc immobile, les bras croisés, figé dans son attitude défiante. La jeune femme blonde tentait de réconforter la tieffeline : cette paire-là ne lui ferait donc pas obstacle. Il restait Lothringen, bien sûr, mais celui-ci finirait bien par baisser sa garde. L'elfe, s'il n'était pas pressé, comptait cependant agir sitôt qu'une opportunité se présenterait. Néanmoins, il commençait à se demander si ce cauchemar ne serait pas, au fond, aussi pernicieux que les autres. Placer à sa porter l'une des personnes qu'il haïssait le plus au monde, l'une des personnes à qui il devait nombre de ses malheurs, et l'empêcher d'exercer sur elle sa légitime vengeance... Imaginait-on situation plus frustrante ?

Lothringen ne quittait pas des yeux le barde, dont l'attitude revêche signalait qu'il n'avait pas changé d'idée. Le semi-drow n'allait pas pouvoir relâcher son attention d'une seconde, et pourtant, il aurait aimé pouvoir examiner davantage cette clairière, voire recourir à la divination ou tenter deux trois choses... Difficile dans ces conditions de prêter suffisamment d'attention aux propos des deux femmes, mais pour ce qu'il en comprenait, Chance et Angèle se connaissaient, mais refusaient d'en dire davantage. Bien. Tout le monde ici avait ses petits secrets, apparemment. Cela leur faisait au moins un dénominateur commun.

Mais puisqu'on refusait de le renseigner, il n'était pas prêt à en dire plus que nécessaire, lui non plus. A la réflexion, il avait bien une petite idée de ce qu'il se passait... mais il ne la communiquerait qu'à Mornagest. Si toutefois il en avait l'occasion.

Angèle d'Aulfray avait posé une question. Une question pertinente, mais qui se noierait dans le flux des préoccupations des uns et des autres.

« Quelqu’un a lancé un sort, oui, sur la butte, au jardin : vous avez dû le voir. Le sort n'est pas forcément puissant, il a pu être altéré par le fait d'être lancé dans un plan parallèle... et nous entraîner dans un nouveau plan. Mais ramener le chancelier de la mort ? Ma foi, c'est inattendu, mais je ne peux que constater comme vous. Il reste des points assez absurdes. »

Il était bien placé pour savoir que Mornagest ne revenait pas d'entre les morts, mais puisqu'on lui servait une explication sur un plateau, il n'allait pas s'en priver...

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Hum... oui, le fichu lanceur de sorts à qui Mornagest aurait bien dit quelques mots, en toute camaraderie, bien entendu. Sans doute était-il responsable d'une partie de ce qui leur arrivait, mais cela n'expliquait pas leur présence commune... ni le début de leur rêve, là-bas, dans cet ersatz de jardin de la Mélancolie.

Il aurait voulu émettre des hypothèses, discuter avec ses compagnons d'infortune... mais il se sentait menacé par l'elfe, dont le regard haineux n'avait pas cillé depuis tout à l'heure. Il aurait du mal à le convaincre qu'il avait changé... quant au reste... la magie du lanceur de sortilèges semblait être une explication valable. Il n'allait pas en rajouter sur le sujet. Au contraire, orienter les débats sur la manière de sortir de cette situation serait une bonne idée.

"Nous pourrions peut-être tenter de retrouver ce magicien ? Il pourrait nous fournir quelques explications quant à tout ceci..." il désigna la clairière, sinistre et inquiétante, de son point de vue, d'un geste de la main. "Pour l'heure... je pense qu'il vaut mieux que nous nous concentrions sur le moyen de quitter cet endroit. Pour aller où, cependant.. je l'ignore." avoua-t-il. Beaucoup d'interrogations subsistaient.

Il prit le risque, tout en espérant montrer quelque signe de bonne volonté, de détourner son attention de Taliesin pour explorer du regard le décor qui les entourait. Qu'est-ce qui clochait ? Tout était... étrange, en fait. Tout semblait faux, issu d'une scène de théâtre. Est-ce qu'il y avait quelque chose qui, au contraire, paraissait normal ? Et qui serait "la" chose à laquelle prêter le plus d'attention ?

Chance avait hoché la tête. Elle ne comprenait pas pourquoi ses songes lui rappelaient le visage d'Angèle alors que les trois autres lui étaient inconnus. C'était rassurant, en quelque sorte, mais elle n'était pas dupe : la paladine n'était qu'une réminiscence d'un passé qui la hantait encore, rien de plus. Il y avait d'ailleurs quelque chose dans ses yeux de différent, quelque chose qu'elle n'avait pas vu lors de leur première rencontre.
La tieffeline avait changé elle aussi ; bien loin de l'exubérance et de l'insolence qui la caractérisaient autrefois, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. L'air profondément tourmenté, elle avait le visage de quelqu'un qui ne dort plus et mange peu.

Elle commença à faire le vide dans son esprit mais ses mains continuaient de trembler. Elle ne savait pas très bien si elle était réellement en état de manque ou si elle l'imaginait seulement. De plus, elle ne se sentait pas encore la force de tenir sur ses deux jambes mais refusait de rester là, toute seule, si les autres décidaient d'explorer les environs. Elle ne leur faisait pas particulièrement confiance mais leur babillage incessant avait au moins le mérite de la concentrer sur autre chose que sur son angoisse.

Les yeux d'Angèle s'étaient reportés sur Chance. Des ombres sous les yeux et les joues creusées. Du moins ce que laissait entrevoir la capuche. Et outre la tension une certaine apathie. Elle aurait voulu lui dire que tout allait bien mais ce n'était qu'un ténébreux mensonge. Tous voyaient bien qu'ils étaient projetés en un lieu qu'ils ne connaissaient pas. Cette clairière sans étoiles délimitée par de sordides pylônes. Et que les esprits de bons nombres d'entre eux étaient sérieusement échauffés. Il suffirait d'une étincelle et la situation finirait d'exploser.

Elle même n'aurait pas dû se trouver là. Un autre caprice du hasard sans doute. Peut-être lui suffisait-il d'attendre, tout simplement. Un autre lieu ... Mais pour l'instant présent, elle était ici. En compagnie de ces visages tendus, de ces personnes qu'elle ne connaissait que peu ou pas. Elle soupira brièvement, faisant volter comme à son habitude une mèche sur son front. Les mauvaises habitudes persistaient. Elle joua brièvement avec sa main d'épée. Geste que l'on pouvait attribuer sans mal à la nervosité. L'index et le majeur mirent plus de temps que les autres à regagner la paume. Et toujours cette sensation d'engourdissement désagréable. Ce n'était pas un simple rêve.

Elle se tourna vers Mornagest, le guerrier imposant. La mâchoire crispée, presque voûté devant l'elfe blond comme s'il portait tout son passé sur ses épaules - et c'était sûrement le cas.

"Je pense que vous avez raison. Nous battre ici n'emmènera rien de constructif. Pour aucun d'entre nous."

Ses yeux se posèrent sur l'elfe, drapé dans sa colère. Charismatique au point d'attirer sérieusement le regard. Elle reporta finalement son attention sur Lothringen.

"Quelle sorte de sort cela peut-être ? Et où ce mage peut-il se trouver ? Il me semble que nous étions seuls quand les statues ont commencé à nous attaquer."

Mornagest avait parcouru du regard l'espace environnant. La clairière n'était pas immense, peut-être vingt pas de diamètre, leur laissant peu d'espoir de s'isoler les uns des autres. Elle était parfaitement ronde, comme si son cercle en avait été tracé au cordeau. Les troncs des arbres qui l'enserraient étaient trop... trop parfaits, trop droits, comme décalqués les uns des autres à l'identique. Les piliers de cristal étaient disposés de façon régulière sur le pourtour, de manière à former un pentagone isométrique, ou un pentacle, si on en reliait les bases. Il n'y avait absolument rien d'autre de remarquable.

Confiant dans le souvenir de leur apparence inidentifiable, Lothringen préféra hausser les épaules en entendant la réflexion de la paladine. Seuls, à vrai dire, non. Le Jardin était hanté par de nombreuses ombres, les autres étaient simplement plus éloignées de la butte qu'eux cinq. Mais quand bien même il aurait répondu la vérité sur le rituel, ça ne les aurait pas avancés.

« Peu importe, pour l'instant, c'est la sortie qui nous intéresse, pas la façon dont nous sommes entrés. Et il n'y a pas mille façons d'interagir avec un espace aussi restreint. »

Les piliers ou la magie, il ne voyait rien d'autre. Il n'osait pas tenter lui-même une incantation, car il en redoutait les effets imprévus. Si elle allait le tuer, ou le faire évoluer dans un nouveau plan, comme tout à l'heure, mais seul cette fois-ci, comme ç'aurait dû être le cas ? Il devinait trop bien l'effet des paroles de Taliesin sur son compagnon rongé par le remord – hors de question de les laisser seuls face à face. Et le risque était grand qu'une mort en ces lieux les tue dans leur sommeil pour de bon.

Ceci bien pesé, Lothringen se détourna ostensiblement à son tour, s'éloignant de Taliesin en direction de l'un des piliers. Le barde rabique voulait incanter ? Hé bien, qu'il incante. De la sorte, son obsession monomaniaque allait peut-être enfin servir à quelque chose...

Mais l'intéressé, soupçonnant une ruse, se garda de lancer toute action téméraire. Certes, il brulait du désir, du besoin, même, d'occire le chancelier mélandien, l'homme à cause de qui le sang des esclaves et des miséreux avait coulé en torrents pourpres dans les rues de la Cité du Chaos. Cependant, conscient des obstacles qui lui faisaient face, bien décidé à triompher de la malignité de ce rêve aussi tentateur que pernicieux, il comptait intervenir uniquement lorsque les circonstances seraient favorables, lorsqu'il il aurait la certitude de pouvoir parvenir à ses fins.

Or, réflexion faite, le meilleur moyen pour qu'une telle situation survienne était de pousser Mornagest et son défenseur à baisser leur garde. Aussi choisit-il de parler, espérant bien, ce faisant, prendre les autres au dépourvu.

-Nous sommes les cinq prisonniers d'une clairière dont le pourtour est garni de cinq piliers de cristal. Et comme cette correspondance constitue la seule cohérence apparente au sein de ce rêve délirant, m'est avis qu'elle mérite toute notre attention

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Examiner plus avant les piliers paraissait couler de source, mais encore fallait-il savoir qu'y chercher... de la magie ? Des runes ? Quelque message caché ? Ou un symbole dans leur disposition ? N'étant guère versé dans les arts occultes, et peu désireux de trahir sa connaissance intime de Lothringen, Mornagest préféra éviter de demander directement au semi-drow de tenter d'y déceler un quelconque indice. Évidemment... il n'aurait sans doute rien à y trouver, lui-même, mais il essaya tout de même, espérant détendre un peu l'atmosphère en agissant pour le bien commun, et en éloignant du tapis le sujet de discussion qui fâchait et faisait honte.

Il s'approcha donc du pilier le plus proche, l'observant de près, le frôla du bout des doigts. Curieux objet, dans un décor qui l'était tout autant... il avait beau remuer ses souvenirs, il n'avait jamais rien croisé de tel, même en rêve. Pourtant, les siens étaient plutôt du genre farfelus, naguère...

Inconsciemment, il attendit une réaction de la part de la matière froide et inerte. Toucher le cristal allait-il le précipiter dans un plan démoniaque ? Le pulvériser sur place ? Ou simplement ne rien provoquer du tout ?

Lorsque les doigts du guerrier effleurèrent la surface lisse et froide, il ressentit comme une légère décharge électrique à l'extrêmité de ses phalanges, et un bourdonnement sourd se fit entendre. Ce dernier s'éteignit dès que Mornagest retira sa main, et le silence se fit à nouveau.

Rien de tout ceci n'était réel, ce qu'elle croyait ressentir ne l'était pas non plus. Son corps réagissait en fonction de ce qu'elle croyait être vrai et l'état de manque dans lequel elle se trouvait n'était qu'une illusion, voilà tout. Mais elle était capable de contrôler tout ça, de ne pas se laisser dominer par l'angoisse. Elle fit le vide dans son esprit et le tremblement dans ses mains commença à s'apaiser. Puis elle commença à se répéter des instructions idiotes, comme « respire » ou « lève-toi », histoire de ne pas laisser ses pensées s'égarer trop loin. Technique idiote mais néanmoins efficace car la tieffeline se retrouva bientôt sur ses deux jambes.

Elle s'intéressa de plus près aux personnes qui l'entouraient et, à part Angèle, elle était à présent certaine de ne pas connaître les autres. Ou alors étaient-ils tous trop enfouis dans ses souvenirs pour qu'elle les reconnaisse ? Le drow et l'humain s'étaient un peu éloignés, seuls Angèle et l'elfe étaient restés sur place et elle se mit à observer ce dernier avec curiosité.

- Qu'est-ce qu'il vous a fait, au juste ? finit-elle par lui demander tout bas, assez pour que lui seul puisse l'entendre. Ses yeux étaient à présent braqués sur l'humain, nul doute que c'était de lui dont elle parlait.

Il dévisagea la tieffeline, hésita un instant puis décida de lui répondre. Cependant, il le fit à haute et intelligible voix, espérant bien être également entendu de la jeune femme blonde. S'il parvenait à les convaincre toutes deux de la légitimité de son désir de vengeance, la donne pourrait être considérablement changée. Toutefois, si le rêve était aussi retors qu'il le soupçonnait, ses chances de réussite étaient bien maigres.
-Pour résumer, disons que je suis devenu l'un des chefs d'une révolte d'esclaves et de petites gens que j'avais involontairement contribué à déclencher, à Melandis. Nous avons été à deux doigts de prendre le pouvoir. A un cheveu, même. Mais cet homme, le chancelier Mornagest, a organisé la défense impériale, mandé des renforts et, finalement, nous à contraints à nous replier à travers le désert. Néanmoins, il ne s'est pas contenté de cela, ni de ses plongées au cœur de la mêlée la mêlée où, entouré de sa meute de gardes du corps, il pouvait apaiser sans risque sa soif de sang. Non, il a procédé à de massives exécutions sommaires de prisonniers... et à pire encore. Je n'ose imaginer le sort qu'il a réservé aux malheureux qui n'ont pu nous accompagner loin de cet enfer...
Il gratifia le Melandien d'un regard assassin.
-Si j'étais parvenu à l'abattre quand nous nous sommes rencontrés sur le champ de bataille, si j'avais pu l'empêcher de prendre alors la fuite... La Cité du Chaos serait peut-être un paradis, aujourd'hui.

Le récit de l'elfe ne déclencha aucun émoi particulier chez elle. Pourtant, la haine viscérale qu'il semblait lui porter faisait écho à un sentiment presque semblable qu'elle avait ressenti avec la même intensité dans le passé. Un sentiment qui l'avait presque rendu folle.

- Alors qu'attendez-vous, dit-elle toujours tout bas, qu'attendez-vous pour le tuer sur le champ ? Si vous pensez qu'il mérite de mourir alors tuez-le, c'est peut-être votre seule chance. Elle se tut quelques instants. Si tout ceci n'est qu'une illusion alors qu'avez-vous à perdre ?

Ses paroles résonnaient étrangement, comme si elle tentait de s'en persuader elle-même.

Angèle se redressa comme si Chance l'avait giflée. Des mots violents, définitifs. Un appel au meurtre. Elle regarda la tieffeline quelques secondes, choquée, incapable de parler. Quelqu'un méritait de mourir alors on le tuait, tout simplement sans sourciller ? Qu'était-il arrivé à Chance pour que de tels propos sortent de sa bouche ? Ou avait-elle toujours été ainsi sans qu'elle s'en rende compte ? Après tout, elle ne la connaissait pas. Melandis broyait ses âmes dans ses sombres fantasmagories. Elle en faisait des monstres ou ne les rendait pas. Ou si elle les relâchait, elle leur ôtait leur force vitale et leur donnait l'illusion de vivre. Et peut-être étaient-ils déjà morts. De véritables fantômes ...

"Non, vous ne le toucherez pas, dit-elle en se relevant tout à fait, il n'y aura pas de meurtre, pas ici. Ce n'est pas une solution. Et qui vous dit que c'est vraiment un rêve ? Je comprends votre rancune et votre envie de revanche ... Mais elles n'arrangeront rien. Et surtout pas ici."

Elle évita de reposer son regard sur Chance. Pas de colère, pas d'amertume ni envers le chancelier ennemi de Manost, ni envers la tieffeline. Simplement cette pesante sensation de fatigue. Et ce froid qu'elle continuait à ressentir alors qu'aucun des autres ne semblait souffrir.

"L'important est de pouvoir sortir d'ici."

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Le bourdonnement l'avait davantage surpris que la décharge électrique reçue. À vrai dire, il s'attendait à bien pire. Ces piliers devaient être la clef, ou du moins, une partie de la clef du mystère qui les entourait. Cinq piliers, cinq personnes... devaient-ils simplement tous en toucher un, simultanément ? Ça paraissait trop simple... mais comme le danger semblait minime, pourquoi ne pas essayer ? Il décida de proposer son idée à ses compagnons d'infortune.

"Vous avez entendu ce bruit ? Quand j'ai touché le pilier ? À mon avis, ils sont liés à notre présence ici... un pilier pour chacun d'entre nous. Non ? Nous devrions essayer d'en toucher chacun un, pour voir..."

Il n'avait pas entendu la petite conversation entre Chance, Taliesin et maintenant Angèle qui venait de réagir. Il essayait de trouver une issue... et, pourquoi pas, échapper au barde rancunier dont il ne savait que penser.

La Couronne de Cuivre

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