La Couronne de Cuivre

De là...

Chandara s’était rapidement endormie malgré ses craintes de ne pas trouver le sommeil à cause des émotions de la nuit. Elle était toutefois plongée dans quelque réminiscence de sa jeunesse quand le retrait d’Arthur se mua en maladresse et la réveilla en sursaut. C’est certainement ce qui expliqua sa première réaction :

- Laisse-moi dormir encore un peu, Marvin ! Le soleil n’est même pas levé…

Mais les effets de la pluie fraîche eurent tôt fait de chasser les dernières bribes de sommeil et Chandara se réveilla tout à fait en remarquant la silhouette du paladin juste à côté d’elle. Papillonnant des yeux pour accommoder sa vue, elle s’excusa d’une voix ensommeillée :

- Oh, c’est vous, Arthur ? Merci de ne pas avoir oublié de me réveiller. Pouvez-vous vous tourner un instant le temps que je me rende présentable ?

HRP : Bon, pour l'heure, je garde ça ici, si ça s'éternise, on transférera ailleurs...

" Ah heu... Oh, oui, mes excuses..."
Arthur fit volte-face en se demandant ce qu'elle entendait par "se rendre présentable". Mais il avait pris la bonne résolution de ne plus trop s'inquiéter de ce qui se tramait dans la tête des femmes, aussi ne s'interrogea-t-il pas longtemps. Il préféra ramasser le morceau d'armure qui l'avait trahi, reconnut son épaulière gauche, se demanda ce qu'elle fichait en plein milieu du chemin. Sans doute l'avait-il renversée quand, possédé par l'allip, il s'était dirigé vers la falaise. Il baissa ensuite les yeux sur sa propre couche complètement trempée. A bien y réfléchir, il n'était pas pressé d'aller se calfeutrer dans ces draps glacés. Bien sûr, il ne pouvait plus tomber malade, petit avantage de la profession conféré par Lathandre, mais ça ne rendrait pas son sommeil plus agréable...

HRP : pas de soucis ! On verra comment ça se déroule.

Le paladin ne perçut que des mouvements fébriles et une certaine agitation à la périphérie de son champ de vision pendant un peu moins d’une minute avant que Chandara ne se présente, arborant ses vêtements de la journée. La jeune femme ne donnait pas l’impression de venir de se réveiller en sursaut après une nuit de quelques petites heures. Arthur pouvait également nourrir quelques doutes sur la nature de ses préparatifs en constatant qu’elle ne semblait pas du tout dépeignée.

La jeune femme le rejoignit pour contempler l’intérieur des terres d’où un danger pouvait éventuellement approcher et s’arrêta à ses côtés, mais juste un demi-pas devant lui comme si elle voulait éviter d’avoir à croiser son regard. Une minute de silence passa ou presque avant que Chandara ne le rompe d’une voix incertaine :

- On n’y voit goutte ! Vous devez être fatigué de fixer les ténèbres depuis des heures. Vous pouvez utiliser mon couchage si vous voulez vous reposer un peu : il est encore chaud je pense.

Il ne put s'empêcher de sursauter. Etait-elle en train de lui proposer de... coucher dans son lit ? Il se sentit rougir, heureusement qu'il faisait noir. Bon, bien sûr, elle n'y serait plus, dans le lit en question, mais quand même, c'était des plus inconvenants. Il s'éclaircit la gorge dans son poing.
" Heu... Hum. Vous êtes gentille mais... hum... Je vais m'en tirer avec mes propres couvertures... Un peu de froid, c'est bon pour la constitution, ça... raffermit le caractère aussi... Enfin, c'est ce que disait mon instructeur à la commanderie... et puis je ne suis pas frileux, je ne l'ai jamais été, je me souviens que ma mère me disait toujours, en hiver, de remettre mon écharpe, mais je ne me rendais même pas compte que je l'avais oubliée et ensuite, évidemment, je m'enrhumais et elle était dans tous ses états, mais maintenant, je ne m'enrhume plus jamais, donc... ah... heu... Bref."
Il s'était mis à raconter n'importe quoi, de nouveau. Comme toujours. C'était un travers qu'il n'avait jamais réussi à vraiment maîtriser. Chez certains, la timidité s'exprimait par le silence, chez lui, c'était souvent le contraire.
" Enfin... Je vais vous laisser monter la garde. Vous pouvez encore changer d'avis, cela dit... Je ne suis pas vraiment fatigué."
Le mensonge et la galanterie allaient de pair, mais lequel était le plus paladinesque, dans le fond ?

Chandara se mit à rire bon cœur quand le paladin lui conta l’anecdote de son enfance. Mais son ton resta sérieux quand elle répondit. D’une part, elle sentait la gêne qui avait accueilli sa proposition et entraîné ce détournement de conversation. D’autre part, ce qu’elle avait à dire ne pouvait être sujet à plaisanterie et elle en concevait une grande honte. Mais cela ne ferait que l’attiser que de repousser le moment de l’aborder. Autant battre le fer tant qu’il était chaud : elle aurait au moins le soulagement d’être fixée ensuite.

Cherchant ses mots, elle se mit à contempler ses pieds comme s’ils étaient soudain devenus un centre d’intérêt édifiant.

- Non, je n’ai pas changé d’avis : je vais monter la garde. Vous avez grandement mérité de vous reposer quelques instants. Cela me gêne d’autant plus de vous le demander mais pourriez-vous m’accorder quelques instants ? C’est un peu égoïste de ma part mais je dois avouer que je préfère vous en parler en privé… Si cela ne prend pas trop sur votre temps de sommeil.

Arthur perçut le changement d'humeur chez la paladine et cela l'inquiéta. Elle paraissait vraiment embarrassée. De quoi donc pouvait-elle bien vouloir lui parler ?
" Bien sûr... Je peux vous accorder... En quoi puis-je vous aider ?"
Il songea alors qu'il ne l'avait pas encore remerciée de lui avoir sauvé la vie. Un peu machinalement, il posa la main sur sa joue, à l'endroit où elle l'avait embrassé. Ça avait aussi été inconvenant, d'une certaine manière. Mais le charme avait été rompu et sans elle... Sans elle... Il ne voulait même plus y songer.

Chandara poussa un soupir de soulagement clairement audible avant de se tourner vers la mer et de perdre son regard dans le lointain. Elle ne tenait visiblement pas en place, gagnée par la nervosité. Elle répondit néanmoins d’un ton calme qui démentait son attitude :

- Je vous remercie. Et pas seulement pour accepter d’écouter mes excuses. Mais aussi parce que vous avez réagi avec tact devant ma conduite inqualifiable de ce soir. J’agis souvent avec impulsivité et je sais que c’est un handicap pour ceux qui partagent… notre vocation. Mais jusque-là, j’avais rarement agi de façon si ostensiblement idiote. Je nous ai mis en danger en attaquant le chef des éclaireurs alors que vous contrôliez parfaitement la situation. Et… avant cela… Je crois que nous savons tous deux ce qui s’est produit bien que je sois encore plus incapable d’expliquer ce geste-là. Je vous prie de trouver la force de m’en excuser. Inutile de vous dire que cela ne se reproduira plus, j'imagine ?

Il pinça les lèvres et hésita. Il avait envie de poser une main sur l'épaule de la jeune femme pour la stabiliser, pour l'obliger à le regarder aussi, parce qu'elle semblait avoir besoin de quelque chose à quoi se raccrocher. Ou quelqu'un. Mais il n'osa pas. Elle se méprendrait.
" Voulez-vous dire que vous ne me sauverez plus jamais la vie ? demanda-t-il alors, spontanément. Parce que c'est ce qui s'est produit. Et je ne peux que vous remercier de l'avoir fait."

La paladine fixa encore un instant l’horizon avant d’oser se retourner, le regard un peu humide – à cause des embruns du large à n’en pas douter. Elle adressa à Arthur un pauvre sourire avant de détourner de nouveau le visage et de répondre d’un ton où se mêlait de la reconnaissance avec un reste d’embarras :

- Bien sûr que non ! Enfin, je veux dire : je vous sauverai si l’occasion venait à se représenter. En tous cas j’essaierai de le faire… Mais ma conduite a été des plus inconvenantes. Vous devez me prendre pour une dévergondée de la pire espèce... Je suis soulagée que vous ne vous en formalisiez pas en tous cas. ET merci de votre compréhension. Et aussi de votre soutien : vous avez vraiment les qualités d’un paladin et d’un meneur d’homme.

Il rougit du compliment.
" Chandara, je ne mérite pas vos louanges. Si cette soirée a bien prouvé quelque chose, c'est que j'ai encore de sérieux progrès à faire avant de pouvoir prétendre être le chef de quoi que ce soit... Et je ne vous prends pas pour une dévergondée... Vous avez fait ce que vous avez cru bon, compte tenu des circonstances. Si vous aviez hésité, peut-être ne serions-nous plus là pour en parler. Sachez que..."
S'il lui disait que c'était déjà oublié, elle se vexerait à coup sûr, les filles étaient comme ça. S'il lui disait qu'elle pouvait recommencer quand elle voulait, il se prendrait une gifle. S'il lui disait qu'il aurait aimé avoir tous ses esprits au moment où cela s'était produit, plutôt que d'être à moitié possédé par un fantôme en goguette... Non ! Il ne pouvait pas dire une chose pareille !
Les dieux en étaient témoins, il était très fatigué.
" Sachez que... vous ne devez rien vous reprocher."

Chandara avait clairement remarqué qu’Arthur avait cherché ses mots. Sans doute pour trouver une formulation diplomatique propre à la rasséréner. Le plus important était qu’il semblait sincère quand il parlait de son attitude. Pourtant elle avait été parfaitement choquante, non ? C’était là une attention touchante qui eut le mérite d’atteindre son but et de déclencher un nouveau sourire sincère de la jeune femme. Et cela tombait à point nommé car elle sentait qu’elle devait elle aussi lui faire passer un message et lui affirmer qu’il avait plus de talent qu’il ne semblait s’en accorder :

- Vous êtes encore jeune certes mais vous êtes sage et vous apprendrez vite. De cela, je suis sincèrement convaincue. Chacun doit trouver sa propre voie et la vôtre me semble tout à fait prometteuse. Vous êtes un modèle à suivre, indubitablement. Quoique je ne sois plus la bonne personne pour en juger. Surtout maintenant… J’ai tenté de suivre la mienne mais je crois que j’ai échoué. Mais je ne vous ai déjà que trop retardé et vous êtes certainement perclus de fatigue...

Un modèle à suivre, elle y allait fort ! Elle le connaissait à peine ! Mais elle était simplement polie, c'était une convention, il ne fallait pas chercher plus loin. Il ne tenta cependant pas de la détromper car elle avait subitement changé de ton et il réalisa qu'elle était triste. A nouveau, il imagina un geste qu'il n'osa poser. Il se sentait indiscret, voyeur, de la surprendre dans un moment de faiblesse.
" Vous avez raison, je suis fatigué et les journées à venir promettent de nous éprouver grandement..." commença-t-il en faisant un pas en arrière.
Puis il se sentit lâche et insensible.
" Mais je vous trouve très jeune, vous aussi, pour estimer que vous avez déjà échoué à suivre votre voie... Vous me semblez capable de vous dessiner mille voies, toutes plus formidables les unes que les autres. Que la première n'ait pas été la bonne... se révèle parfois une bénédiction. Nous avons plus d'une chance."
Il s'empourpra comme il réalisait qu'il s'érigeait en donneur de leçons. Lui, d'entre tous ! C'était risible.
"Mais pardonnez-moi, je parle sans savoir... Je vous souhaite bonne nuit, Chandara. Comme on le dit d'où je viens, l'aube vient toujours, et dans sa lumière, le chemin à emprunter paraitra plus clair... Je vous le souhaite."
Puis, sur une légère inclinaison du buste, il fit volte-face et retourna vers sa couche, rouge de confusion, conscient d'avoir été pompeux comme un vieux paladin lathandrite à la fin des agapes arrosées d'un solstice au hasard.

Chandara médita sur ces paroles rassurantes et optimistes. Arthur avait-il raison ? Avait-elle droit à une seconde chance ? Avait-il vraiment suggéré ce qu’elle pensait ? Mille et une questions qu’elle s’était déjà posées sans y trouver de réponse. Y en avait-il une qu’elle ne savait trouver ? Ou était-ce là une illusion faisant office de baume moral à son âme meurtrie ? En tous cas le paladin paraissait sincère. Pas tout à fait assuré que son conseil soit bien entendu peut-être mais il y croyait véritablement. Mais les deuxièmes chances étaient l’apanage de Lathandre, non celui de Helm. Un Garde qui échouait n’avait pas le droit à une seconde chance quand sa vigilance avait failli.

Consciente que le paladin venait de lui souhaiter la bonne nuit pour s’effacer poliment, Chandara interrompit le fil de ses pensées pour le libérer et lui permettre de prendre quelques heures de sommeil qui ne seraient pas du luxe : la journée promettait de réserver d’autres épreuves. ET les suivantes aussi s’ils y survivaient. La paladine répondit d’une voix douce et mélancolique à son confrère :

- Bonne nuit, Arthur. Et merci encore pour votre temps. J’ai apprécié notre conversation.

Elle jeta un regard en coin au paladin alors qu'il retournait se coucher. Arthur l'avait écoutée mais elle n'avait pas vraiment su saisir l'occasion, se convaincant elle-même que c'était juste pour éviter de le déranger, d'abuser de ses bonnes dispositions, de sa gentillesse. Mais une part d'elle savait que c'était autre chose qui l'avait dissuadée de poursuivre la conversation. C'était un sujet trop difficile à aborder. Il était encore bien trop tôt. Mais y aurait-il jamais un autre moment ? Aurait-elle droit à sa seconde chance ? Chandara faillit le retenir mais Arthur s'étendait déjà sous ses couvertures et elle y renonça, non sans un pincement au cœur. Au lieu de cela, elle entama son tour de garde, surveillant à la fois leur prisonnier et les alentours. Elle avait échoué en tant que paladine mais cela ne l'empêcherait pas de continuer d'appliquer les préceptes de vigilance de son dieu jusqu'au matin et au-delà. Son ancien dieu.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Petite conversation nocturne entre paladins

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