La Couronne de Cuivre

Installée dans le Fort de Luménis, mais accessible par une autre entrée, la caserne principale de la garde luménienne en partage certaines installations et l'architecture martiale. Au-delà d'une salle d'accueil pourvue de plusieurs guichets, où les citoyens peuvent venir se plaindre des méfaits dont ils ont été victimes, se trouvent salles d'interrogatoire et d'entraînement, bureaux et dortoirs, sur plusieurs étages, au fin fond de couloirs et derrière les meurtrières.
Les gardes partagent la cour du fort et les écuries avec l'armée régulière, mais ont leur propre cantine, leur armurerie et bien sûr, leurs cellules.

***

Quête : Equité

Quittant l'Herbe Folle, Astrée se rendit jusqu'au fort, à l'extrême nord de Luménis. L'entrée de la caserne se situait dans le mur ouest et était, bien sûr, gardée. Comme la jeune femme était désarmée, personne ne lui chercha d'ennui et elle put gagner la salle principale. Deux guichets y étaient ouverts, chacun avec leur file de quelques personnes, mais il régnait, de manière générale, une certaine animation. Un ivrogne invectivait deux gardes en uniforme bleu ciel, tandis qu'ils l'entraînaient vers la porte du fond. Un homme lisait les nombreux avis affichés au mur de gauche. Une autre porte s'ouvrit sur un officier en grande conversation avec une jeune femme. L'un dans l'autre, l'endroit était bruyant et peuplé, sans la moindre trace de Reynald ou Tybert.

Astrée observait les lieux avec circonspection. Elle n'avait guère l'habitude de ce genre d'endroit, et ne s'y sentait pas à l'aise. Elle se dirigea néanmoins vers l'un des guichets, au hasard, et attendit patiemment son tour, un peu tendue. L'agitation ambiante n'aidait pas vraiment à la réflexion, et elle eût beau tenter d'ordonner ses idées de son mieux, elle se trouva quelque peu dépourvue quand on daigna enfin s'intéresser à elle. Ce fut d'une voix hésitante qu'elle formula sa requête.
" Bonjour... Je... Heu... Je crois que deux amis à moi ont eu des soucis avec la garde ce matin, en entrant en ville... ils m'ont fait parvenir un message, ils disent que ça n'est rien de grave, et... je voulais savoir ce qu'il en est... Et surtout, s'ils sont toujours là, j'aimerais savoir quand ils pourront sortir... Ils se nomment Reynald d'Erhedun, et Tybert. Ce sont des prêtres.
Elle croisait mentalement les doigts pour qu'on lui réponde qu'ils étaient déjà sortis ou n'allaient pas tarder, pour qu'elle n'ait pas à argumenter... mais une telle chance serait par trop inespérée.

Le préposé au guichet compulsa une seconde ses documents, d'un air parfaitement blasé, puis se tourna vers l'arrière et la pièce où travaillaient une douzaine d'hommes.
" Peyton, il est où ?
— Je crois qu'il est en bas.
— Les deux rigolos de ce matin, ils sont toujours au frais ?
— Je crois que oui."
Il se tourna à nouveau vers Astrée.
" Vos amis sont toujours en cellule, mais ils sortiront sûrement avant la nuit. Ça dépend de l'humeur du sergent. Elle dépend généralement du soleil. Vous pouvez les attendre sur le banc, là. Ou alors on peut leur dire où vous les retrouverez."

La mention des "deux rigolos" fit grimacer intérieurement Astrée. Etait-il possible que le sculpteur Sunite ait raison au sujet de l'humour douteux des Milites ? Qu'est-ce que Reynald avait bien pu faire pour se retrouver en cellule ? Non, c'était absurde, il n'était pas stupide au point de vouloir blaguer avec des gardes. Bon... Peut-être qu'il valait mieux ne pas le savoir, en réalité.
" Je... Je préfère les attendre ici..."
Ils sortiraient avant la nuit. C'était l'essentiel. Ca pouvait être dans quelques minutes... mais ça pouvait aussi être très tard. Trop tard peut-être ? Hum... Il avait dit "sûrement" avant la nuit. Donc oui, ça pouvait être trop tard.
Elle décida d'insister un peu. Il n'était pas certain que les gardes se montrent le moins du monde réceptifs à sa demande, mais ça ne coûtait rien d'essayer.
" Mais si c'est le sergent qui doit décider de l'heure où ils pourront sortir... Est-ce qu'il me serait possible de lui parler, s'il vous plaît ? Il se trouve que j'ai vraiment besoin de l'aide de ces deux clercs... bref, je voudrais savoir s'il est possible qu'ils sortent assez vite. Ou... peut-être qu'il y a une caution à payer ?"
Pour le coup, elle espérait que non. Ou alors, il fallait que la somme soit modique. Elle était déjà endettée virtuellement bien assez à son goût.

Le préposé au guichet eut une grimace sceptique, puis haussa les épaules.
" Si vous voulez, quand il remonte, je vous l'envoie. C'est pas interdit de parler avec le sergent, non. Mais faites attention de pas le remettre de mauvaise humeur. Parce que ça pourrait allonger le temps au trou de vos amis. Ou bien vous pourriez les y rejoindre. Enfin... pour ça, il faudrait que vous alliez loin... mais quand les gens s'énervent..."
Ses voisins de bureau acquiescèrent de concert, comme s'ils voyaient exactement de quoi il voulait parler.
" Bref, mettez-vous sur le banc. Il devrait pas tarder."

Astrée obtempéra en les remerciant timidement de leur aide. Elle n'avait pas l'intention d'agacer le sergent. Certes, les gardes avaient l'air de penser qu'il pouvait se vexer facilement, que sa démarche pourrait au contraire aggraver les choses. Alors... Est-ce que Reynald avait dit quelque chose qui pouvait l'avoir mis en rogne ? Hum... il en était parfaitement capable.
Et donc, il faudrait vraiment qu'elle fasse très attention à son attitude, à ce qu'elle dirait. Mais elle ne demandait pas grand-chose, après tout, et elle saurait le faire le plus humblement possible. En espérant que Reynald, après son séjour en cellule, ne mette pas à bas tous ses efforts, dans un élan de colère, en se montrant désagréable lorsqu'on viendrait le chercher. Mais non. Il était capable d'être parfaitement diplomate et raisonnable quand il le fallait, et après toutes ces heures en cellule, il avait dû avoir le temps de réfléchir à l'attitude la plus appropriée.
Assise sur son banc, elle lorgnait avec un vague sentiment de trac tous les hommes jaillissant de l'escalier menant au sous-sol. Aux cellules, sans doute. Il fallait vraiment, vraiment... qu'elle n'aggrave pas la situation. Qu'elle reste très humble, polie et discrète. Elle saurait.

Le sergent Peyton était un homme encore jeune, portant l'uniforme avec prestance, mais dont le visage reflétait son agacement avant même qu'il n'adresse la parole à Astrée. Il traversa la petite salle encombrée et vint se planter face à elle, le regard sombre, sur la défensive.
" On m'a dit que vous vouliez me parler des deux clercs qui sont arrivés en ville ce matin, dit-il avec mauvaise humeur. Ils sortiront quand la procédure sera bouclée."

Astrée leva les yeux vers l'homme, intimidée. Il n'avait pas l'air commode, l'attitude de quelqu'un qui ne voulait certainement pas perdre son temps pour une raison aussi futile que la garde à vue de deux prisonniers. Elle se leva de son banc, embarrassée.
" Ah... Bien sûr, je comprends bien. Mais je voudrais juste savoir... si vous savez combien de temps ça prendra. J'ai besoin de leur aide pour une affaire urgente... et importante. Et... J'espère qu'ils n'ont rien fait de trop grave, quand même ?

" Ils ont fait les imbéciles, déclara le sergent. Surtout le rouquin. Un joli minois ne rattrape pas une grande gueule, surtout quand on se moque de la garde."
Il la regarda.
" Vous avez l'air moins stupide. Est-ce que vous oseriez vous porter garante pour eux ?"

Punaise... Qu'est-ce que Reynald avait bien pu faire encore ?
" Oui, bien sûr, je me porte garante d'eux, répondit-elle précipitamment. Je les connais bien et... d'ordinaire, ce sont plutôt de chouettes types. Même Reynald, celui qui a une grande gueule... je vous assure qu'il n'a pas un mauvais fond..."
Pourvu qu'il les laisse sortir...
" Et qu'est-ce qu'il faut faire, pour se porter garant ? Juste signer quelque chose ? Verser une caution ?"

Le sergent la regarda, circonspect.
" Ça dépend. Vous êtes luménienne ? Si vous êtes luménienne, une signature suffira. Mais je vous préviens, s'il est à nouveau appréhendé, quelle que soit la bonne excuse, non seulement il retournera au trou, mais vous pourriez l'y accompagner."
Il croisa les bras.
" Si vous êtes sûre, je vais demander à mon collègue de préparer les papiers et je vais aller les chercher. Mais je vous conseille de sensibiliser votre ami... à la vie en communauté."

Ça ne serait pas nécessaire. Reynald était capable de jouer les grandes gueules, de se montrer bravache voire insolent, mais il savait parfaitement se refréner quand il le fallait.
" Je suis citoyenne luménienne, répondit-elle calmement. Et je me porte garante sans hésiter. Je suis certaine, absolument certaine, qu'il ne cherchera plus le moindre ennui avec la garde."
Bon, peut-être avait-elle tort d'en être aussi certaine. Mais ses quelques heures en cellule lui avaient certainement servi de leçon, si tant est qu'il ait eu des velléités de provoquer à nouveau un garde. Il saurait faire profil bas, désormais.

Le garde parut sceptique mais finit par hausser les épaules.
" A vous de voir. Mais vous ne pourrez pas dire que je ne vous aurai pas prévenue."
Il retourna derrière sa porte et Astrée attendit à nouveau un moment. Quand il reparut, il tenait un parchemin à la main. Derrière lui se trouvaient Reynald et Tybert, encadrés par un trio de gardes. L'Eldathien avait l'air particulièrement placide, observant les lieux d'un oeil distrait, tandis que le Milite débordait littéralement de rage. Mais son expression s'adoucit lorsqu'il vit Astrée. Il fit mine d'aller vers elle mais un de ces cerbères l'immobilisa d'une main ferme sur son épaule. Le sergent Peyton tendit le parchemin à Astrée.
" Vous signez ici et là."

Dès qu'elle le vit entrer, Astrée adressa un sourire lumineux à Reynald, pleinement heureuse de le voir malgré les circonstances, et s'efforça de mettre dans son regard toute la douceur et la tendresse qu'elle pouvait. Il avait l'air furieux, et elle espérait qu'il ne ferait pas un esclandre. Le contraste avec Tybert, à qui elle sourit plus discrètement, était saisissant, comme toujours... et peut-être même davantage que d'habitude.
Elle détourna brièvement son regard de ses amis pour signer un peu distraitement les papiers, lisant en diagonale les paragraphes expliquant ce à quoi elle s'engageait, et les rendit au sergent Peyton.
" Merci...", fit-elle simplement, avant d'ajouter en se tournant vers les deux clercs, d'un ton mi-soulagé, mi-joyeux : Vous ne pouvez pas savoir comme je suis heureuse de vous voir, tous les deux !"
Les explications attendraient. Elle fit un pas hésitant vers Reynald, attendant que les gardes le libèrent pour oser s'approcher davantage. Elle voulait juste glisser tendrement son bras autour de sa taille pour l'entraîner dehors, espérant que ce simple contact suffirait à calmer la rage qu'elle lisait dans ses yeux. Sinon, il valait mieux qu'elle se tienne prête à lui couper la parole avant qu'il dise quoi que ce soit d'irrespectueux envers les gardes...

Mais, contre toute attente, Reynald se contint. Une fois que les gardes se furent écartés, que le sergent Peyton eut replié les documents, qu'Astrée eut glissé son bras autour de sa taille, il lui sourit et posa les lèvres sur sa tempe, tout en fusillant les soldats du regard.
" Pas de cochonneries dans la caserne !" s'exclama Peyton.
Reynald faillit rétorquer quelque chose mais Astrée fut plus rapide que ses mots, peut-être pour la première fois, et Tybert prit la tête de leur équipage pour les entraîner à l'extérieur. La rue était large et fréquentée, surtout par des soldats et des gardes. L'Eldathien prit une profonde inspiration et jeta un regard vers le ciel.
" Merci, ma belle. Ces enflures de... Pas le moindre gramme d'humour ! Lathandre est un dieu drôle, pourtant ! Qui m'a foutu une bande de coincés pareille, je te jure... Mais tu es là. Le soleil a percé. Gloire soit rendue à Sunie !"

Astrée se mit à rire. Malgré les circonstances et la tension des longues heures de la matinée, elle était heureuse de le voir, d'entendre son verbiage incessant, de le retrouver pareil à lui-même.
" Tu m'a manqué, Reynald..., murmura-t-elle en l'embrassant tendrement avant de se serrer encore plus fort contre lui. Mais venez, tous les deux, éloignons-nous d'ici... Je ne sais pas si vous avez eu le temps de déjeuner, mais moi non. Je me trouverais bien quelque chose à grignoter. N'importe quoi..."
Elle les entraîna, par habitude, en direction de la zone portuaire. Elle avait un peu perdu la notion du temps, mais il lui semblait que l'après-midi était déjà entamé. Ils trouveraient certainement quelque chose à emporter, peut-être même une taverne quelconque, dans les ruelles du quartier du port. Il valait mieux éviter la Bienveillance, au cas où Kasumi soit de retour. Le risque était faible, mais on ne savait jamais.
Et une fois confortablement assis, elle leur raconterait.

Quête : Equité

Astrée avait pris la tête de leur course effrénée dans le Parc, connaissant les raccourcis, jusqu'à parvenir à la sortie. Ils ralentirent ensuite quelque peu leur allure : deux personnes courant à perdre haleine auraient peut-être pu paraître suspectes dans ce quartier trop calme. Astrée les conduisit par le chemin le plus court, coupant par quelques ruelles discrète, sans laisser à Reynald le temps d'admirer l'université et la bibliothèque qu'ils longeaient, ni le temple de Mystra qu'ils apercevaient non loin. Il aurait tout le temps d'y revenir le lendemain... ou un autre jour.
Ils ne portaient pas d'arme, ce qui leur éviterait de perdre du temps à l'entrée. Elle se contenta de saluer poliment les gardes et d'entraîner le Sorlyn à sa suite vers la salle principale. Il leur faudrait patienter, bien sûr, comme le matin, à l'un des guichets. Elle comptait bien obliger Reynald à prendre son mal en patience et à ne pas faire le moindre esclandre, même si l'attente durait un peu. Ce n'était ni le lieu ni le moment pour attirer l'ire des gardes.

Mais le Sorlyn finit par tirer sur la manche de la rôdeuse.
" Tu cours pour m'empêcher d'en placer une, mais ce n'est pas ici qu'on devait venir chercher nos affaires." annonça-t-il avec un sourire ravi.
Il la ramena dehors jusqu'à une porte cochère, située une dizaine de toises plus loin.
" Le type qui nous a arrêtés nous avait déjà dit où aller. Mais la vision divine de ton regard ensorcelant m'a vidé la cervelle."
Il frappa du poing à l'huis, et une petite fenêtre s'ouvrit dans la double-porte en bois. Après quelques minutes de tractation et une signature, Reynald se retrouva dépositaire d'une mule chargée de bagages. C'était un animal robuste et placide qui regarda son maître sans joie particulière. Le clerc compulsa la liste de leurs effets, qui avait été rédigée lors de leur arrestation, puis, satisfait, il s'apprêta à repartir.
" Tant que j'y pense... Peut-être devrions-nous nous renseigner sur les listes des entrants directement ici. Ça m'étonnerait qu'on garde ça aux portes."

Astére acquiesça, caressant distraitement la mule entre les yeux.
" Ils gardent sûrement les archives quelque part dans le fort, c'est sûr... Donc tu as raison, on va demander. S'ils n'ont pas ça, ils sauront nous dire où elles sont gardées... Mais je doute qu'ils nous donnent l'information qu'on recherche juste sur notre bonne mine, ça doit être plus ou moins confidentiel. Quoique... peut-être que si c'est toi qui demande..., ajouta-t-elle avec un clin d'oeil.
Il avait bien dit, tout à l'heure, qu'il était capable de convaincre n'importe qui de lui donner n'importe quoi ? C'est le moment de le prouver ! Au pire, on leur dirait qu'il leur fallait un mandat officiel pour obtenir la liste des clercs, et elle se chargerait d'en obtenir un au Palais.

Reynald retourna à l'intérieur et se choisit un guichet tenu par une jeune femme accorte. Elle le regarda approcher avec inquiétude mais se détendit en moins de deux minutes. Il ne fallut que quelques phrases supplémentaires au Sorlyn pour obtenir ce qu'il voulait et il rejoignit Astrée à l'écart. La jeune femme eut une moue déçue en voyant qu'il était accompagné, mais revint rapidement à son travail.
" Les listes sont gardées quelques jours ici, le temps de faire les recoupements nécessaires. Ensuite, elles sont copiées en plusieurs exemplaires et gardées au Palais et à un endroit qui porte le ravissant nom de Salon des Naturalisations, si j'ai bien compris. Mais elle a eu l'air de penser qu'avoir accès à ces informations n'allait pas être facile."

" Tu veux dire que même ton charme irrésistible n'y suffira pas ?" traduisit Astrée, espiègle. Elle n'avait pu s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie en voyant avec quelle facilité il pouvait séduire n'importe qui.
Bon, le salon des naturalisations, je sais où c'est. Il ne reste plus qu'à convaincre le secrétariat qui soit notre affaire, au palais, de bien vouloir me donner un document certifiant que ce sont eux qui font cette demande... Je leur demanderai tout à l'heure."
Elle jeta un coup d'oeil au ciel.
" On va d'abord porter vos affaires à l'auberge... Cela dit, le Palais présidentiel est sur notre route, si je vois qu'ils ont l'air prêt à fermer j'irai tout de suite. Mais l'auberge n'est pas très loin, on devrait bien avoir le temps de déposer tout ça là-bas si on se dépêche un peu..."

Reynald se laissa conduire. En arrivant à proximité du palais, il ralentit et proposa à la rôdeuse de l'attendre pendant qu'elle vaquait à ses affaires. Il pouvait promener la mule dans la rue tout en admirant l'architecture pompeuse des lieux, cela lui éviterait d'avoir à revenir. Ce n'était pas son style de construction favori, mais elle valait qu'on prenne le temps de la regarder. A moins qu'Astrée n'ait besoin de son aide à l'intérieur... Mais vu son casier judiciaire, c'était sans doute malvenu.

Quête : Equité

Quittant le Palais de Justice, Astrée entraîna Reynald vers le nord, en direction de la caserne... où il s'était effectivement fait quelques ennemis.
Elle ne releva pas son allusion au pouvoir de ramener à la vie les défunts. C'était quelque chose qui la mettait mal à l'aise. En même temps, elle savait que si Reynald venait à décéder dans cette aventure, elle serait probablement soulagée que Tybert puisse le ressusciter. C'était une réaction normale, humaine... Mais dans l'absolu, ça n'était pas une bonne chose, lui semblait-il. Elle se demandait ce que Neffen en penserait... Et puis, les magies divines humaine et centaure n'étant pas complètement compatible, pouvait-il réellement relever un centaure ? Non, décidément, elle ne pensait pas que ce soit une bonne idée. C'était contre nature, de relever les morts. Cela dit, sur le fond, il n'avait pas tort de penser que d'autres sortilèges que la téléportation pouvaient lui être utiles.

Elle passa la porte d'entrée de la caserne en réprimant un soupir. Toutes ses démarches, de file d'attente en bureau anonyme, étaient usantes, et elle avait la sensation de perdre du temps... Il fallait espérer que cette Elizabeth de Tempera se trouvait bien à la caserne, qu'ils ne l'attendraient pas des heures et des heures... Et qu'ils ne croiseraient pas l'officier qui avait coffré Reynald la veille.

Ils ne durent pas l'attendre longtemps car, contrairement aux espoirs d'Astrée, Reynald fut immédiatement reconnu par le sergent Peyton, qui se trouvait justement dans la salle principale.
" Quoi ? Encore vous ?! s'exclama-t-il, revêche, en les apercevant. J'espère que ce n'est pas pour déposer plainte, parce que je vous préviens : la garde était parfaitement dans son droit. Luménis est une cité tolérante, mais ça ne veut pas dire qu'on peut faire complètement n'importe quoi.
— Et bien ça promet..." souffla Reynald.

Et flûte... ce type se trouvait toujours exactement là où il ne fallait pas !
Elle devinait l'agacement de Reynald, elle le partageait, mais ça n'était vraiment pas le moment de se faire remarquer négativement. Aussi se contenta-t-elle de lui adresser son sourire le plus aimable.
" Oh, ça n'a rien à voir, je vous rassure. Il m'aide simplement dans mes démarches, au sujet d'un problème qui concerne la Trouée. C'est le magistrat en charge de l'affaire qui nous envoie ici."
Elle ne précisa pas le nom de l'officier qu'elle cherchait. Le sergent était capable d'aller lui dire tout le mal qu'il pensait de Reynald, ce qui ruinerait définitivement tout espoir qu'elle accepte finalement d'être téléportée.

Le sergent parut dubitatif mais il finit par hausser les épaules et s'éloigner, les abandonnant dans la multitude.
" Bon, on est partis pour faire la file." dit Reynald.
Et ils en avaient pour un bout de temps, vu le monde présent dans la pièce, devant les quatre guichets désormais ouverts. Des groupes de gardes entraient et sortaient régulièrement du bâtiment, seuls ou accompagnés de prévenus. Toute la faune luménienne était réunie dans ce hall et le bruit était impressionnant.
" Si tu veux, je fais un esclandre, ça ira plus vite."

Que c'était long... Décidément, elle aurait dû demander au sergent... en essayant de ne pas le laisser parler une fois dans le bureau ? Non, elle n'y serait pas arrivée. Mais de toute façon, peut-être que ça ne servait à rien d'avoir voulu éviter qu'il expose la mauvaise réputation de Reynald : il était peut-être fiché...
Sa proposition lui arracha un sourire
" Heu, non, tu évites... Bon, d'accord, j'aurais mieux fait de demander à ton sergent préféré, mais j'avais peur qu'il en profite pour nous introduire de façon tout à fait partiale auprès de cette Elizabeth... Et puis, les files d'attentes interminable, je commence à être habituée. Cela dit, si tu repères une guichetière potentiellement sensible à ton charme ravageur, je veux bien que tu tentes d'attirer son attention sans attendre notre tour... Mais discrètement, d'accord ?"

Avec sa bénédiction, Reynald prit les choses en main. Plutôt que de chercher à attirer l'attention d'une guichetière, il aborda un groupe de gardes qui venait d'entrer, s'adressant à leur officier, une jeune femme brune qui se figea dès qu'il approcha.
" Dame, pardonnez-moi, mais voilà deux heures que j'attends. Pouvez-vous avertir Dame Elizabeth de Tempera que Reynald d'Eredhun se languit d'elle ?
— Se languit ? lâcha un des jeunots imberbes qui composaient l'escouade, avant de pouffer.
— Je vais voir ce que je peux faire, dit l'officier, en récupérant la main que Reynald avait saisie dans la manoeuvre.
— Vous me comblez."
La jeune femme s'empourpra puis fila avec ses hommes dans un couloir voisin. Reynald se retourna vers Astrée, souriant.
" Un... deux... trois..."
Il alla s'asseoir sur un banc.
" Treize... Quatorze... Quinze..."
Son sourire s'élargit.
" Vingt-six... Vingt-sept..."
La porte se rouvrit à trente-quatre, sur une femme de haute taille, en cotte de mailles. Elle devait avoir environ la quarantaine, blonde, et l'uniforme de l'armée luménienne sur les épaules.
" Qui est Reynald d'Eredhun ? gronda-t-elle.
— Magique." dit le clerc en secouant la main.

Pour le côté discret, ils repasseraient. A tous les coups cet officier était une vieille mégère pas du tout susceptible de se languir d'un bel amant... et de toute façon, elle n'avait pas le sens de l'humour, comme tous les gardes de la ville. Mais bon sang, ça lui avait pas suffit, l'autre jour ?
Telles étaient les pensées qui traversèrent en un éclair l'esprit d'Astrée, tandis que son visage s'empourprait en entendant Reynald déblatérer ses énormités.

Bon, certes, c'était drôle. Enfin, potentiellement drôle. Enfin, pour les spectateurs surtout... sauf si leur cible avait le sens de l'humour, ce qui relevait de la plus haute improbabilité. Malgré elle, elle ne put s'empêcher d'arborer quelques instant un demi-sourire en entendant Reynald compter les secondes. Le pire, c'est que ça allait marcher... Que cette femme allait apparaître... et... et... et ils allaient lui dire quoi au juste ? Son sourire s'effaça, son expression se décomposa, et elle se mit à fixer avec appréhension la porte. Ils étaient sensés la convaincre de coopérer, on les avait prévenus que ça serait difficile, et cet andouille venait d'aggraver dramatiquement la situation ! Mais quel idiot ! il comptait la convaincre comment, maintenant ?

" Reynald, je crois que je vais te tuer", souffla-t-elle au moment où l'officier en question apparaissait. Elle n'avait pas l'air contente... du tout ! Et lui, ça ne l'inquiétait pas plus que ça ! Alors qu'elle, elle avait la sensation qu'on aurait pu faire cuire un oeuf sur son front tant il était brûlant de honte.
D'instinct, elle se leva d'un bond et prit la parole, d'une traite, avant que Reynald tente la moindre plaisanterie.
" Je suis désolée, sincèrement désolée d'avoir du vous interrompre dans votre travail de cette façon... mais nous devions vous voir de toute urgence et... c'est de la part de Maître Félicien..."
Bon, c'était peut-être un peu embrouillé, mais il y avait l'essentiel...

L'officier s'approcha, regarda Reynald, puis Astrée, à nouveau Reynald.
" Vous faites honte à votre amie, Maître d'Eredhun, dit finalement la nouvelle venue. Ce n'est pas une bonne stratégie si vous entendez faire perdurer votre association.
— Astrée a le coeur solide.
— La pauvre."
Elle se tourna vers Astrée.
" Astrée. Ce nom me dit quelque chose. Vous êtes la Dame aux Centaures. La procédure est en cours, comme a dû vous le dire Félicien. Mais s'il vous renvoie vers moi, c'est que vous avez des éléments à me transmettre. Ou une proposition."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Caserne de la Garde Luménienne

[Lieu] La Caserne de la Garde Luménienne