La Couronne de Cuivre

Quête : Le Berceau

Le chemin de terre se fit plus discret, réduit à une simple piste dans un décor de prairies fleuries et vallonnées, parsemées de bosquets et de haies. De temps en temps, ils marchaient au sommet d'une colline, quelques minutes plus tard, ils descendaient dans une sente encaissée entre des arbres ou des rochers. Puis ils entendirent la rivière, et ils la découvrirent un peu plus tard, au détour de leur route, laquelle s'y arrêtait net. C'était un cours d'eau d'environ deux toises de large, vigoureux et rapide. Deux barques étaient posées à l'envers sur la rive, et les vestiges d'un feu étaient abandonnés sur la berge. C'était manifestement un lieu épisodiquement fréquenté, bien qu'il n'y eut, pour l'heure, nulle trace d'une présence humaine. Les berges de la rivière étaient globalement praticables, mais c'était difficile de savoir sur quelle distance : son lit disparaissait rapidement derrière les arbres.

S'il y avait eu une route ou même un chemin assez fréquenté reliant Rivelfe à Champsdor, il aurait sans doute aucun figuré sur la carte.
Or... Ce n'était pas le cas.
Par conséquent, les berges de la rivière étaient leur meilleure option, à moins que la chance ne les fasse croiser quelques sente prometteuse.
Bref, c'est sans hésiter que le barde les fit bifurquer dans la direction appropriée.
Pour la suite... On verrait bien !

Il apparut rapidement au barde que si la rivière leur permettrait de ne pas se perdre, en suivre le cours serait ardu. Les arbres et les buissons profitaient de son eau nourricière et certaines zones étaient très touffues, ralentissant fortement leur progression. Parfois, marcher dans l'eau apparaissait comme une solution, mais leurs bottes en pâtiraient, aussi tracèrent-ils leur chemin à travers les taillis ou en tentant des contournements. Mais après une heure à ce rythme, il leur semblait avoir à peine progressé.

Il décida néanmoins de persévérer.
Quelle alternative avaient-ils ? Quand il n'y a pas de chemin... il n'y a pas de chemin : il faut bien faire avec.
Évidemment, si cela continuait à être aussi désagréablement fastidieux, il faudrait aviser, sans doute s'écarter de la rivière - au risque de la perdre - pour s'aventurer sur des terrains plus propices - en espérant qu'il y en ait.
Enfin, au pire, le soleil leur indiquerait toujours leur direction approximative.

A midi, ils s'arrêtèrent sur la berge, à la faveur d'une clairière ensoleillée. Baptiste paraissait épuisé, mais il se mit aussitôt à ramasser du bois. Victor, de son côté, retira ses bottes pour tremper ses pieds dans l'eau. Cordélia demanda à ce dernier si elle pouvait emprunter son arc et cassa de fines branches dans un bouleau voisin, pour en faire des flèches artisanales. Ensuite, elle s'éloigna.
" C'était rude, ce matin." remarqua Baptiste en empilant son petit bois en pyramide sur un coin d'herbe rase.

-Je sais bien, soupira-t-il. Peut-être les berges ou leurs environs immédiats finiront-ils par devenir plus praticables. Sinon... On se dirigera vers l'intérieur des terres.
Il lui sourit.
-Quoiqu'il advienne, rien ne nous oblige à faire d'interminables journées de marche : on n'est pas pressés et il sera toujours possible de prévoir un trajet de retour beaucoup plus rapide.

" Je me dis qu'en nous écartant peut-être un peu, cela suffirait. Tu ne crois pas qu'on pourrait suivre la rivière à sa végétation ou bien juste au son ? Il n'y avait pas de forêt sur la carte avant le second jour... Surtout des collines..."
Il haussa les épaules et lui emprunta son briquet pour allumer le feu.
" Bon, ça peut être des buissons de ronces, évidemment...
— On aurait dû chiper une barque. On l'aurait appelée l'Ecureuil 2."

Il sourit.
-Ça aurait eu de l'allure. Malheureusement, outre l'impossibilité dans laquelle nous aurions été de rendre la barque à ses légitimes propriétaires, je crains que nous ayons été encore plus fatigués : nous avons moins l'habitude de ramer que de marcher.

" Heureusement qu'on a emporté le baume pour les pieds de Galathée, parce que je vais en avoir besoin, dit Victor en exhibant un pied rouge écrevisse et trempé. J'ai perdu l'habitude, après tous ces jours dans le coche, puis sur le bateau...
— Tu as déjà eu l'habitude, ce qui n'est pas mal, répondit Baptiste. Moi j'ose pas regarder mon talon gauche. Je crois que le bas est incrusté dedans."

Bigre, si ça commençait comme ça, ils risquaient de trouver les jours suivants très douloureux...
-Si vraiment notre périple s'avère trop rude, j'aurais toujours la possibilité de nous convoquer des coursiers fantômes : grâce à eux, nous serions à Vauxgrisants en... une ou deux heures. Et le trajet de retour jusqu'à la maison nous prendrait moins d'une journée.
Mais ce serait dommage : ils manqueraient moult beaux paysages.

A la mention des chevaux fantômes, Baptiste pâlit.
" Heu... Je pense que ça va aller. C'est toujours les premiers jours les plus rudes... mais après, le corps s'habitue !" s'exclama-t-il avant de tousser, dérangé par la fumée qui s'échappait de sa pyramide.
Victor avait sorti les pieds de l'eau.
" Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi il n'y a pas plus de coursiers fantômes sur les routes. Ils vont si vite... Tous les services de messagerie de l'île devraient y recourir..."
Son expression se fit finaude.
" Mais voilà un créneau pour gagner plein de sous !"

-Peut-être, mais ça ne serait pas un métier très passionnant.
Il sourit.
-Il n'y a pas plus de coursiers fantômes parce que c'est un sort que peuvent uniquement lancer les ensorceleurs, les mages et les bardes : or, ce ne sont pas forcément les carrières les plus répandues... Et puis, s'il y en avait trop, ça ficherait le bazar, ça risquerait de causer des accidents...

" Mais quand tu invoques un cheval comme ça, tu ne dois pas rester à côté de lui, si ? Tu l'invoques et puis tu vaques à tes affaires. On pourrait lancer ça depuis la ferme. On se ferait plein de sous rapidement ! On pourrait embaucher d'autres ouvriers, acheter plus de vaches et de moutons, peut-être même le bois de Dame Millicent, et puis les champs de l'autre côté de la route. Imagine ! Livrer un paquet de Luménis à Solarcis en quelques heures ! Moi je dis que c'est à réfléchir. Combien de chevaux tu peux faire chaque jour ?"
Baptiste frissonna et rajouta du bois sur son feu, avant d'aller chercher deux sachets dans les fontes de minuit, ainsi qu'une petite casserole.

-Trois seulement : tu vois, pas de quoi faire fortune, répondit-il. Et puis...
Il haussa les épaules.
-M'enrichir n'a jamais été l'un de mes objectifs. Et la vie que nous menons actuellement me convient parfaitement.
S'il avait voulu faire fortune, il se serait fait barde de cour ou multiplierait les récitals pour la bonne société.

" Mais tu pourrais me les prêter, tes trois chevaux par jour. Ou juste un. Après, je ferais fructifier le patrimoine familial, c'est tout." continua Victor, bien décidé à aller au bout de cette histoire.
Baptiste avait installé sa casserole dans les braises et y jeta des légumes coupés en rondelles auxquels il ajouta de l'huile et des épices. Cordélia était toujours en vadrouille.
" Mais je n'aurais pas dû parler de ça. Vous allez me piquer mon idée. Alors que quand je serai grand, je serai à la tête d'un empire de messagerie formidable !" s'exclama encore Victor.

Il sourit.
-Ne te reste donc plus qu'à devenir barde ou magicien afin d'être en mesure de lancer ces sortilèges. Parce que ne compte pas trouver quelqu'un pour les lancer à ta place : les praticiens des arcanes n'ont pas des pouvoirs illimités et, d'ordinaire, ils préfèrent les employer à des tâches plus... intéressantes, disons.

" Mais je les recruterai, dit Victor. A l'université de la magie. Je les paierai bien. Je leur ferai même construire des tours sur mon domaine. Ils seront logés, nourris, blanchis, en échange de leurs chevaux magiques. Et tu connais les mages : ils veulent juste qu'on les laisse tranquilles. Alors au petit déjeuner, un cheval magique, et en échange : pas de dérangement de toute la journée. Honnêtement, mon plan est imparable. Je crois que tu es juste jaloux de ne pas y avoir pensé avant moi."

Il rit.
-On va dire ça.
Il secoua la tête.
-Mais bon courage. Et bonne chance. Convaincre des mages d'user invariablement, jour après jour, trois sortilèges, alors qu'ils pourraient utiliser ce pouvoir à faire progresser leurs recherches... Ce ne sera pas simple.

" Assez rapidement, je créerai un atelier de rédaction de parchemins. Comme ça ils n'auront même pas besoin d'épuiser leurs ressources, juste de lancer mon sortilège."
Il se tourna vers Baptiste.
" Dis, si tu deviens mage, tu feras bien ça pour moi, non ?
— Heu... J'ai pas encore décidé que je deviendrais mage.
— Mais c'est un oui ou un non ?
— Heu... Hum. Faudrait que je voie exactement...
— Et de un !"

Il prit un air pensif.
-L'inconvénient des coursiers fantômes, c'est qu'ils font peur aux autres animaux, dit-il d'un ton dégagé. Par conséquent, plus ton entreprise prendra de l'ampleur, puis tu seras soumis aux protestations des fermiers, des éleveurs, des propriétaires de chats et de chiens, des cavaliers... Cela ne tardera pas à devenir difficile.

" Ils font peur aux autres animaux ? dit Victor, stupéfait. Mais c'est... nul. Enfin. Sauf pour les moustiques, les guêpes et les dragons rouges. Tu crois vraiment qu'un coursier fantôme, ça fait peur aux dragons rouges ? Parce que si c'est le cas, j'ai une autre idée d'usage qu'on pourrait en faire... Vois-tu, les dragons rouges ont des trésors...
— Je suis pas sûr qu'il y ait le moindre dragon rouge sur Hélonna.
— Bah, on ira sur Féérune. En dix minutes. Sur notre coursier fantôme."

Il rit à nouveau.
-Les dragons ne sont pas des animaux : ce sont des êtres intelligents, doués de conscience... Mais de toute façon, les coursiers fantômes n'effraient que les animaux tout à fait ordinaires : je ne crois même pas que les insectes soient concernés.

" Bah... Les dragons c'est des animaux, comme nous on est des animaux." dit Victor en haussant les épaules.
Cordélia reparut alors, brandissant fièrement une bécasse à bout de bras.
" Ha ha ! Cordélia a encore frappé ! Poulet au menu !"
Elle se tourna vers Taliesin.
" Enfin... J'suis pas sûre d'avoir le temps de le plumer pour ce midi..."

Il lui sourit.
-Bah, elle sera parfaite pour ce soir : bien joué !
Désormais, elle aurait même de quoi bricoler un empennage pour ses flèches improvisées.

Elle sourit.
" Cet endroit est tout simplement... foisonnant ! Je sais, il faut le respecter, tout ça, mais bon, on n'est jamais que des prédateurs... Si on prélève quelques bestioles pour se nourrir, ça ira, non ?
— Je l'avais dit, moi, on n'est que des animaux."

-Vous autres humains peut-être. Mais nous, les elfes, nous sommes des êtres supérieurs, que dis-je, des dieux ayant pris forme matérielle pour venir vous apporter nos célestes lumières...
Il sourit à nouveau.
-Pour le reste, je n'ai rien contre la chasse ou la pêche.

" Diantre, la mouche Voronwë vous a piqué, dirait-on !" s'exclama la jeune femme en riant.
Elle prit place dans le cercle, entre Baptiste et Victor. Celui-ci leur servit une fricassée de légumes et de lentilles, avec du pain.
" Ça devrait nous donner de l'énergie, dit-il.
— Avec le cheval, je dois qu'on est vraiment mal barrés aussi près de la rivière, reprit Cordélia. Trop de racines, de branches basses... Il n'a pas notre souplesse, votre canasson."

Bon et bien, puisqu'ils étaient deux à tenir ce discours...
-Pas de souci, nous nous en écarterons dès cet après-midi. fit-il en entamant son repas.
Il y aurait toujours moyen de garder une idée ne fut-ce qu'approximative de l'endroit où se trouvait le cours de la rivière. Et s'ils la perdaient... Bah, on saurait à qui la faute !

Ils terminèrent de manger en se plaignant des plaies et des bosses récoltées tout au long de la matinée — un catalogue d'horreurs, avant que Baptiste n'aille chercher les onguents de Galathée et que les deux gamins s'empoissent de pommades diverses. Enfin, ils purent repartir. A la faveur d'un groupe de bouleaux conciliants, ils quittèrent les rives de la Féconde et débouchèrent dans la lande. L'espace était effectivement plus dégagé et suivre la rivière se révéla plutôt aisé : on voyait les arbres rassemblés sur ses berges, profitant de son eau. Le ciel était légèrement voilé mais pas menaçant et ils reprirent leur marche, à un rythme nettement plus élevé. Parfois, les replis du terrain les forçaient à s'écarter du court d'eau mais ils le retrouvaient toujours un peu plus loin.
Ils firent encore une pause en milieu d'après-midi, pour se reposer et se détendre un moment, avant de repartir. La nuit finit par s'annoncer, et il fallut prendre une décision pour le bivouac du soir...

Mais il en laissa le soin à ses compagnons : autant qu'ils choisissent un lieu à leur convenance, ce qui ne manquait pas dans les parages. Sans doute, simplement, faudrait-il trouver un compromis entre un éloignement suffisant de la rivière pour éviter les moustiques et pas trop grand pour éviter qu'aller puiser de l'eau soit par trop fatigant. Cela lui fit penser qu'ils avaient toujours une gourde que Rremyn avait remplie pour eux à la fameuse source... Mais peut-être n'était-ce pas une idée de la tester en pleine nature, surtout pour lui qui risquait d'avoir les plus gros effets.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...

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