[Attraction]Keffren la voyante

[Agrippa]

Ramper en-dehors de la clairière où se déroulaient les joutes oratoires pour échapper aux nains diaboliques n'avait pas été la partie la plus difficile de l'évasion d'Agrippa; encore avait-il fallu se remettre en position verticale, puis s'orienter parmi les tentes en faisant fi de l'étrange mouvement giratoire que donnait son cerveau endolori aux images qui lui parvenaient par ses yeux mi-clos.

Après un nouveau passage par l'auberge en plein air afin d'avaler une solide décoction dégrisante préparée par les soins de la matronne, Agrippa résolut de faire enfin quelque chose d'utile dans cette journée qui avait prit un tour déplorable.
L'anneau qu'il avait trouvé dans la crypte funéraire au cimetière de Luménis, pendant la lutte du haut-Conseiller et de ses alliés contre les nervis du Châtiment de l'Aube, était toujours rivé à son doigt par une force magique qu'il n'avait jusqu'à présent pas été en mesure d'identifier. Mieux valait arrêter de repousser son identification à une date ultérieure et tirer au clair les propriétés exactes de cet inquiètant objet.

Agrippa souleva donc quelques instants plus tard pour la deuxième fois de la journée les tentures de Keffren la voyante et disparut sans bruit dans la pénombre et l'encens.

[Althéa]

Althéa et Garfield couraient aussi vite que leurs corps respectifs pouvaient le permettre. Ils avaient pour le moment semé et les conseillers, et les sbires de l’acteur égocentrique … Mais combien de temps durerait leur répit ? Une seule manière de le prolonger : aller trouver la voyante. Hors d’haleine, suant, suffocant presque, ils couraient entre les tentes croyant croiser une connaissance à chaque intersection, n’en rencontrant aucune. A chaque nouvelle foulée, ils se croyaient sur le point d’être tirés d’affaire.

Les pans de la tente tant attendue leurs tendaient les bras. Mais quelqu’un se trouvait déjà dans la pénombre près de la voyante. Garfield et Althéa reconnurent Agrippa qu’ils avaient côtoyé pour des raisons différentes mais qu’ils connaissaient tous les deux.

[Garfield]

Ho mon dieu, Agrippa! Connaissait-il Althéa? Au pire des cas, il pourrait jouer la brève perte de mémoire...

Bonjour Messire, pourrions nous abuser un peu de votre apparente gentilesse et parler a lavoyante en urgence?

Mais Garfield avait peur: le prêtre ne semblait pas très frais... Il paraissait lutter pour garderlastation verticale. Pourvu qu'ilne fasse pas de gaffe, il devait en finir au plus vite avec cette situation génante.

[Agrippa]

Agrippa eu un instant peur d'avoir été poursuivi jusque dans sa retraite paisible par un des nains enragés de la clairière. Mais au lieu d'une de ces créatures avinées, c'était rien moins que le haut-Conseiller en personne et... la troublante jeune femme dont Agrippa avait fait la connaissance quelques heures auparavant, en ce même lieu, qui se présentaient.

Salutations, madame, dit-il avec douceur. Puis, avec moins de retenue dans la voix : Garfield! J'espère vous trouver en bonne santé, mon ami.
Se retournant vers celle qu'il croyait être Althéa, il continua aussi gracieusement que son état lui permit : Je vous en prie; si vous êtes pressés, faites-donc.
J'attendrai; la voyante est une des rares fidèles de mon dieu que j'ai rencontrés jusqu'à présent à Luménis. J'espérais pouvoir discuter quelques instants avec elle, mais cela n'est guère urgent...

Agrippa chercha d'un mouvement hésitant de la main une chaise où s'asseoir. Sa garce de tête ne tournait plus, grâce à la décoction, mais il n'était pas loin se sentir mal... et ceci toujours grâce à la décoction, il en aurait juré.

[Althéa]

A l’abri du corps de Garfield, Althéa avait regardé le jeune prêtre poser les yeux sur elle et lui parler avec retenue. Etre dans un autre corps avait pour avantage d’analyser ce qui la touchait de près avec un certain recul. Voir indirectement le regard que l’on posait sur elle mais aussi ce qu’elle pouvait renvoyer. Une étrangère si familière qu’elle découvrait peu à peu. Plus grande qu’elle ne se l’était imaginée, plus charpentée aussi. Et ces allures de chat sauvage chaloupé, toujours sur le qui vive. Etait ce parce qu’une autre âme l’habitait ou était elle toujours ainsi ?

Son regard se posa sur Agrippa qui venait de parler à Garfield comme s’il le connaissait déjà. Elle tenta de deviner quels pouvaient être leurs rapports. Deux Luméniens manifestement. C’est en regardant de plus près l’adepte de Dénéir qu’un détail la frappa de plein fouet. Cela ne l’avait pas touchée lors de leur première rencontre quelques heures auparavant. Ou peut être s’était elle refusée à y prêter attention. Ces yeux dans lesquels se lisaient une centaine de questions sans réponses, ces yeux qui avaient l’air de vouloir analyser et comprendre chaque détail … Ces yeux réfléchis, donnant cet air absent … Les yeux d’Angelo. Le souvenir la transperça comme mille éclats de glace, rouvrant une brèche jamais véritablement cicatrisée. Elle se détourna plus vite qu’elle ne l’aurait voulu et dit doucement :

« Je vous remercie, cela ne nous prendra pas longtemps »

Plongée dans la brume de ses souvenirs, elle n’avait pas pensé au fait qu’il pouvait être embêtant qu’il assiste à l’entretien avec la voyante. Mais cela n’avait plus vraiment d’importance … Elle ne pouvait pas se sentir plus mal. L'espace d'un instant, un flot de haine la parcourut. Pourquoi ressemblait il à cet amour perdu ? Hélas, il n'y pouvait rien. Elle fit mine de donnner le médaillon durement gagné à la voyante afin de dissimuler son malaise

[Agrippa]

HRP

Originally posted by Althéa@mercredi 04 janvier 2006 à 20:44
Et ces allures de chat sauvage chaloupé, toujours sur le qui vive. Etait ce parce qu’une autre âme l’habitait [...]?

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une âme... de chat?? :hein: :rigoler: :rigoler:

Agrippa avait trouvé par le plus grand des hasards à s'asseoir sur un siège qui trainait miraculeusement dans la tente de la voyante. Le mobilier providentiel reçut de plein fouet le prêtre à bout de force, qui parvint tout de même à garder sa contenance. De toutes les manières, la pénombre empêchait très certainement Althéa et Garfield de se rendre compte du malaise physique contre lequel luttait leur interlocuteur.

Lorsqu'il releva les yeux, il crut l'espace d'une seconde que Garfield portait une expression de haine sur son visage pourtant aimable quelques instants auparavant. Peut-être son imagination lui jouait-elle des tours, mais dans le doute, Agrippa aurait bien volontiers pris un peu de distance pour laisser loin de lui ce sentiment d'incommoder le Haut-Conseiller.

Malheureusement, rester bien sagement ancré sur son siège était le seul effort qu'il était susceptible de réussir dans l'immédiat, et Agrippa prit le parti de feindre de s'intéresser aux représentations du dieu des Glyphes ornant l'intérieur de la tente.

[Althéa]

Althéa avait observé le prêtre tout en déséquilibre dont seule la façon de se tenir lui donnait presque le tournis. Il était ivre vraisemblablement. Elle se demanda combien de verres pourraient venir au bout d’un prêtre. Un, deux, trois tout au plus … Surtout que celui là n’avait pas l’air d’avoir une grande constitution ni un grand contenant. La fragilité d’un roseau. Et toujours ce regard … Elle tenta de détourner les yeux avant d’être rattrapée à nouveau par ses souvenirs. En vain. Sa gorge se noua et une larme fugitive roula le long de sa joue. Puis elle se souvint qu’elle occupait le corps d’un haut conseiller et qu’elle n’était pas seule.

Poussée par sa fierté et la peur d’être surprise, elle détourna la tête. Pourvu que ni le prêtre, ni Garfield ni la voyante n’aient remarqué son mal être … Elle ne le supporterait pas.

[Agrippa]

précision d'un prêtre outragé : je ne suis pas ivre, j'ai juste une crise de foi!!!
Non mais! :hips2: en fait c'est plus la potion magique dégrisante et la gueule de bois qu'autre chose...

La voyante s'était retirée derrière un rideau au fond de la tente probablement pour se reposer, et les trois visiteurs n'avaient rien d'autre à faire qu'à attendre qu'elle veuille bien se remettre à l'ouvrage; la divination n'était pas un art de tout repos.

L'urgence avec laquelle le Haut-Conseiller avait demandé à passer devant Agrippa contrastait étrangement avec cette attente dans un silence lourd d'impatiences accumulées. Plus le temps passait, plus le clerc sentait le poids de sa gêne l'écraser sur sa chaise. Aussi décida-t-il de rompre la glace et de discuter autant que faire ce peu avec Garfield.

Eh bien, Garfield, il semblerait que notre hôtesse soit indisposée; peut-être avait elle prévu que nous nous rencontrions ici-même, et a-t-elle trouvé que le moment était bien choisi de s'éclipser pour se reposer quelques instants en nous laissant discuter tous les deux comme des amis que nous sommes?

[Althéa]

Comme des amis que nous sommes … Alors, tels étaient les liens qu’entretenaient Garfield et Agrippa. Elle aurait dû le deviner. Quoi qu’il en soit, cela n’allait pas rendre leur situation moins compliquée. Que savaient ils l’un de l’autre ? Quels événements les avaient rapprochés ? Et cette voyante qui venait de disparaître pour couronner le tout. Et démunie pour démunie, il lui fallait répondre. Accepter la conversation, s’était s’exposer à un dialogue hasardeux. Refuser, c’était attirer les soupçons. Elle jeta un coup d’œil à Garfield pour guetter une réaction mais le conseiller demeura impassible.

« C’est heureux, dit elle en faisant sourire Garfield le plus aimablement possible, alors dites moi mon ami ce que vous devenez depuis le temps où nous ne nous pas vus »

[Agrippa]

Garfield ne semblait pas être enthousismé par l'idée de discuter, et le sourire sur lequel il avait terminé sa phrase était pour le moins inhabituel. Mais il fallait reconnaître que le temps durant lequel ils s'étaient battus côté à côté n'avait pas été propice à la bonne humeur du Haut-Conseiller.

Depuis l'obtention de la citoyenneté de notre belle ville, je me suis mis en tête de construire un temple en l'honneur de mon dieu, qui me serve de refuge et de foyer dans ma nouvelle patrie. Peut-être vous en souvenez-vous, je vous avais mentionné ce projet... bien téméraire, avec le recul.

J'y travaille régulièrement, dans les quartiers nords, prêt de la grande bibliothèque.

[Althéa]

Althéa hocha la tête sans rien ajouter d’avantage. En dire le moins possible était le meilleur moyen de ne pas se trahir. Surtout devant un prêtre bâtisseur de temple pour sa divinité. Elle pour qui adorer un Dieu se limitait à quelques prières occasionnelles se méfiait de ses gens là. Une dévotion totale, entière était au dessus de ses forces. On naissait homme avant d’être dévot. Et s’ils ne demandaient rien on irait les chercher le moins possible. C’était du moins son opinion sur la religion. Ce qu’elle en connaissait.

Avec un signe de tête, elle invita son allocutaire à poursuivre.

[Agrippa]

Le sujet ne passionnait peut-être pas Garfield, et après tout qui d'autre qu'Agrippa prêtait attention à son futur temple?

Une fois le temple construit, je pense que j'irai régulièrement hanter la bibliothèque, pour mettre à jour mon savoir et parler de ma foi aux érudits qui y travaillent. Ils constituent un public tout choisi pour une converion accélérée, termina-t-il sur un léger rire.

La discussion ne décollait décidément pas, et l'envie de sortir de la tente le prit à la gorge. Il décida de jouer franc-jeu.

Garfield, verriez-vous un inconvénient à sortir un instant pour prendre l'air? Je ne me sens pas très bien depuis mon passage à la voûte étoilée... Un elfe charmant du nom de Tal.. Tamiesin, ou quelque chose s'en rapprochant, barde de son état, m'a fait goûter une bierre remarquable, mais un peu trop forte pour mon malheureux estomac. Comme vous le savez, je ne suis pas un spécialiste des tavernes...

J'espère que votre amie ne m'en voudra pas de la priver de votre présence quelques instants?

[Althéa]

Ainsi, Agrippa connaissait aussi Taliesin. Comme le monde était petit ! Il n’aurait eu aucun mal à lui parler s’ils avaient été mis en présence. Mais comme tel n’était pas le cas, elle allait devoir composer avec. Même si le prêtre voulait discuter avec lui pendant que Garfield – du moins, celui qu’il pensait qu’elle était – attendrait la voyante. La proposition bien que non dénuée de sagesse l’arrangeait peu. Le conseiller Luménien ne serait pas là pour corriger les erreurs éventuelles. Elle allait devoir ruser.

« Alors sortons mon ami » dit il en soulevant un pan de la tente.

[Agrippa]

Le vent chaud venant des montagnes de fer s'engouffra dans la tente au moment où Garfield souleva le voile qui marquait la sortie. La douceur du souffle tiède caressa agréablement le visage fatigué d'Agrippa qui se sentit rapidement mieux.

Dites-moi, avez-vous des nouvelles des Mélandiens? L'ambassadeur Mornagest est rentré à Mélandis à ce que j'ai entendu dire.
Depuis l'échec du complot je me suis maintes fois demandé ce qui a fait que nous nous soyons battu côte à côte avec des individus tels que les talosiens, et que nous l'ayons emporté en fin de compte. Et pourtant... Je me surprend parfois à penser que j'irai volontiers leur rendre visite dans leur cité obscure.

[Althéa]

Voila maintenant qu’on lui parlait de Talosiens, de Mélandis et de complots. Fichtre, elle avait mis le pied dans un drôle d’engrenage. Surtout bien manœuvrer et s’extraire au plus vite de cette machine infernale. Il lui fallait trouver une réponse plausible.

« Non et j’en suis désolé. Ils sont retournés à Mélandis après la découverte du complot. Et vous ? ? »

[Agrippa]

Agrippa suivait sur sa pensée sans se rendre compte de la gêne qui envahissait le Haut-Conseiller.

Non, aucune nouvelles. Je ne sais si je dois ajouter "malheureusement"...
Mais quelles personnailtés, n'est-ce pas! Cette elfe, ne vous a-t-elle pas donné des frissons dans le dos? Et l'ambassadeur n'était pas mal non plus, quoique dans un style différent... Et l'autre aussi, évidemment.

[Althéa]

Une elfe, un ambassadeur qui donnait des frissons dans le dos. Comme si elle n’en avait pas maintenant des frissons dans le dos ! De qui cela pouvait il bien s’agir ? Sans doute de deux Mélandiens.

« Oui, répliqua t’elle du tac au tac, quel dommage qu’ils soient retournés si vite à Mélandis »

[Agrippa]

Mais qu'en est-il du troisième larron? J'imagine que vous allez lui réserver un traitement particulier. Il est d'ailleurs heureux que je puisse vous en parler.

L'acte de Ben-J est extrêmement grave, mais je tenais toutefois à vous dire que je souhaite prendre sa défense... en cas de procès. Je pense que vous comprendrez qu'il est dans l'intérêt de Luménis qu'on ne puisse vous accuser de rendre une justice personnelle.
Y a-t-il déjà un juge de désigné? Comment allez-vous qualifier juridiquement son acte?

[Althéa]

Althéa voyant que la supercherie marchait se détendit et répondit sans réfléchir….

« Je suis désolé mais je ne pense pas que la justice puisse être clémente envers ceux qui complotent contre notre cité. Mais si vous voulez prendre sa défense, ce n’est pas moi qui pourrais vous en empêcher. Après tout, nous sommes à Luménis cité de la lumière et non de l’obscurantisme »

… et ce fut là qu’elle commit une erreur.

[Agrippa]

Agrippa s'arrêta net dans son élan de compassion envers le Mélandien qui avait tenté de tuer dans le dos Mornagest, alors qu'Agrippa et le reste du groupe étaient en plein combat contre les traitres dans le sanctuaire de Lathandre.

Ben-J... un traitre envers Luménis? Que voulez-vous dire par là, Garfield?

Le clerc se demandait si Garfield se moquait de lui ou s'il n'avait fait que l'écouter d'une seule oreille.

[Althéa]

Visiblement, elle était allée trop loin dans son jeu et avait laissé entrevoir une de ses cartes. Son mensonge prenait l’eau dangereusement. Vite, colmater les brèches avant de sombrer. Si elle n’y prenait pas garde, Agrippa aurait tôt fait de tirer le voile et de tomber sur le pot au rose. S’il n’était pas déjà dedans.

« Mais oui. En trahissant, c’est Luménis toute entière qu’il trahit, vous ne pensez pas ? »

[Agrippa]

Cette fois-ci, ce n'était plus une simple affaire de concentration; le conseiller était visiblement troublé, et ses propos étaient complètement dénués de sens. Comment pouvait-il parler de Ben-J comme d'un traître à Luménis? On pouvait reprocher bien des choses à l'assassin mélandien, mais personne n'avait jamais attendu de lui de la fidélité envers la ville de l'Aube. A moins que...

Que se passe-t-il? Perdez-vous l'esprit?

Un doute terrible s'empara soudain d'Agrippa. Parlait-il véritablement à Garfield, ou était-il la victime d'une illusion? La confusion la plus totale s'inscrivit sur le visage de son interlocuteur, ce qui le confirma dans ses doutes.

Vous n'êtes pas le Conseiller. Expliquez-vous... ou j'appelle la garde.

[Althéa]

Totalement acculée, vendue par elle-même … Si seulement elle avait su tenir sa langue au lieu de s’étaler lamentablement sur des événements dont elle ignorait tout. Inutile de chercher à se dépêtrer maintenant. Expliquer. Avec un peu de chance, il se montrerait compréhensif et pourrait même leur venir en aide. S’il la croyait du moins. Mais une seule personne valait déjà mieux que la garde. Elle sentit le rouge de la honte empourprer ses joues au moment où elle répondait :

« Hé bien oui. Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne suis pas celui que vous pensez. Du moins je le suis en apparence ce n’est pas moi. Et la personne dans la tente n’est pas ce qu’elle semble non plus. Pour tout vous dire, nous nous sommes retrouvés intervertis pour une raison que nous ignorons encore. Inutile de me regarder avec ces yeux là, je ne mens pas. Et fermez donc la bouche, vous allez finir par gober une mouche ! »

[Agrippa]

Agrippa ne savait pas s'il devait éclater de rire ou éprouver de la peine pour l'individu qu'il avait devant lui; dans tous les cas, c'était l'histoire la plus ridicule qu'il ait jamais entendue.

...Intervertis?

Garfield (ou la personne qui avait son apparence) gardait son sérieux, et Agrippa crut même voir une lueur de désespoir et d'indignation dans ses yeux. Appeler la garde n'aurait avancé à rien de très constructif, aussi décida-t-il de donner sa chance à l'absurde.

Très bien. Vous allez avoir une chance de me convaincre. Rentrons à l'inérieur de la tente, nous allons voir ce que votre acolyte aura à nous dire...

[Althéa]

Une fraction de secondes plus tard, elle le retenait par le bras.

« Attendez »

Le prêtre s’était retourné et la regardait interloqué.

« Je … j’aimerais que vous ne lui parliez pas de ce qui ce passe voyez vous … Il ne s’en remettrait pas. Il n’a aucune confiance et moi … Et si vous entrez dans cette tente en lui disant que vous êtes au courant de tout … Vous lui donnez raison. Je sais que vous n’êtes pas obligée de me croire mais … »

Les yeux de Garfield s’étaient fait doublement implorants.

[Agrippa]

Les dernières paroles sorties de la bouche de Garfield furent décisives pour Agrippa. Si l'explication donnée avait été de prime abord ridicule, le ton de sincérité et le désespoir qui transparaissaient à présent le déterminèrent à donner sa chance à son interlocuteur, quel qu'il fut.

Très bien. Que proposez-vous alors? Nous ne pouvons aller parler à votre compagnon à l'intérieur, et je n'appellerai pas la garde. A vous de me dire ce que vous vouliez faire dans cette tente...
Verriez-vous une objection à ce que je fasse usage de ma magie?

Agrippa avait cessé de regarder le corps de Garfield; il était profondément gêné à l'idée que l'histoire soit vraie, et qu'une autre personne soit enfermée dans cette enveloppe humaine.

Commencez plutôt par me dire qui vous êtes, et comment vous vous êtes retrouvé dans cette situation... Je commence à me faire du soucis pour ma santé mentale.

[Althéa]

Althéa eût un petit rire sans joie. Sa santé mentale. Oui, il y avait de quoi se faire du souci. Mais qu’aurait il dit s’il s’était retrouvé à sa place ? Il serait tombé dans la folie. Assurément. Elle-même se demandait combien de temps elle allait encore tenir. Et là, il ne serait bon pour personne de se retrouver sur son passage. Sa seule consolation était qu’ils avaient désormais un allié dans leur mésaventure. Pour le moment, il évitait de la regarder, trouvant l’idée qu’elle habite un corps qui n’était pas le sien aussi dérangeante que farfelue. Si on lui avait raconté cela à propos d’un autre infortuné, elle aurait éclaté de rire au nez de la personne et passé son chemin.

« Nous nous sommes croisés il y a peu ici même à cause d’un cheveu. Je suis sure que mon nom ne vous dira strictement rien mais je me nomme Althéa de Lochnohan. Comment je me suis retrouvée dans cette situation ? Cela, je l’ignore encore. Disons que cela s’est produit au moment où votre ami et moi nous sommes croisés à la voûte étoilée … L’instant plus tard, j’étais lui, il était moi … »

[Agrippa]

Si cela c'était passé comme "elle" l'avait dit, une magie bien sombre était à l'oeuvre, et Agrippa frissonna à l'idée de la personne qui avait eu l'âme assez corrompue pour imaginer une telle malédiction. Il n'y avait qu'une seule manière de savoir si l'histoire était vraie, et avec un peu de chance elle serait bientôt finie. Si l'enchantement n'était pas d'une puissance trop élevée...

Suivez-moi, et ne faites pas d'histoire. Je vais tenter d'utiliser ma magie pour vous aider.

Agrippa empoigna le corps du Haut-Conseiller et le tira après lui sous la tente, où la "demoiselle" attendait bien sagement.

Mettez-vous côte-à-côte, et ne bougez plus, j'ai besoin de me concentrer. Je n'utilise ce sort que très rarement, bien qu'il ne soit pas bien complexe. En l'occurence, je l'avais préparé pour une autre occasion dit-il en jetant un coup d'oeil à l'anneau qu'il portait à son doigt, mais cela attendra un peu.

Agrippa => Délivrance de la Malédiction ==> corps de Garfield

L'incantation s'effectua sans problème, et Agrippa sentit la puissance divine rayonner de ses mains vers ceux qui se tenaient devant lui. Il avait pris conscience de sa capacité à lancer ce sort il y a quelques temps, mais n'avait encore jamais eu l'occasion d'en constater les effets. En l'espace d'un battement de cil, les deux silhouettes qui se découpaient dans la pénombre de la tente s'intervertirent et commençèrent à s'agiter en tous sens, comme des personnes découvrant pour la première fois l'usage de leurs membres.

[Althéa]

Althéa avait porté ses mains à son visage sans trop y croire. Elle avait effleuré son nez droit, ses pommettes hautes, ses joues creuses … La malédiction avait elle pris fin aussi simplement ? Pour en être sûre, elle se tourna vers Garfield et ne croisa pas son propre regard. Elle eût un sursaut imperceptible. Peu à peu, elle retrouva la douce sensation de reconnaître le corps qui lui appartenait, d’en reprendre possession. Ses épaules quelque peu charpentées mais redevenues féminines, le poids rassurant de sa poitrine sans compter les détails encombrants qu’elle n’aurait plus à supporter.

Mais surtout, tout était rentré dans l’ordre. Elle était redevenue celle qu’elle avait toujours été. Tous ses défauts, ses petites qualités, ses complexes, ses fiertés … Elle se sentait complète. Tout cela grâce au jeune prêtre en face d’elle. Elle aurait pu se mettre à hurler et lui sauter au cou mais sa fierté la retint juste à temps. Elle lui laissa juste l’ombre d’un sourire et un léger : merci.

[Agrippa]

Veuillez me pardonner mon retard :fleur:

Althéa, à nouveau en possession de son corps, se tenait à quelques dizaines de centimètres d'Agrippa, et murmura du bout des lèvres le mot le plus simple du monde et en même temps le plus improbable qui fut : Merci.

Le prêtre se sentit gêné de la réaction d'Althéa; elle n'en avait pas assez dit, ou trop dit, mais ce simple remerciement sous la forme d'un mot solitaire l'embarassa. Et, même s'il ne se l'avouait pas à lui-même, il aurait probablement préféré que la jeune fille lui sauta au cou en toute simplicité.

Le sentiment d'avoir obligé le Haut-Conseiller et sa jeune amie le mettait également mal à l'aise. Après ses aventures d'ivrogne à la taverne, les péripéties de Garfield et d'Althéa avaient transformé un moment de divertissement et d'enrichissement culturel en une journée très particulière.

Comment vous sentez-vous? Mieux j'imagine? dit-il en esquissant un sourire.

Agrippa avait la tentation de rentrer paisiblement à Luménis en laissant derrière lui cette étrange rêve éveillé, mais quelque chose le retenait encore auprès d'Althéa.