[Lieu] A la demeure de Dame Ielée

[Mornagest]

Le petit groupe, composé de leur hôtesse, du comte Keldoth, du nain, de Mornagest et de Taliesin, arriva devant les grilles de l'imposante villa de Dame Ielée. Le seigneur Dilech avait décliné l'offre, soucieux de continuer à participer au festival qui se poursuivait encore au quartier commerçant.

Le jardin entourant la propriété était entretenu à merveille. De nombreux bosquets d'arbustes en fleurs ornaient de façon faussement anarchique la pelouse maintenue bien courte, tandis que des rosiers, des forsythias et autres rhododendrons offraient un ensemble coloré aux yeux des visiteurs.

Ils se dirigèrent vers la porte d'entrée, et, une fois à l'intérieur, Dame Ielée demanda à ses invités :

"Préférez-vous passer maintenant à table ? Vous devez être affamés, non ?", un sourire amène aux lèvres. Elle semblait plus jeune et plus belle à la lumière, que dans l'obscurité de la place. Taliesin nota cette différence avec amusement, tandis que Mornagest répondit, un peu plus détendu que quelques minutes auparavant :

"Pour ma part, vous savez que je ne refuse jamais une occasion de bien manger. J'accepte donc volontiers."

Les autres convives approuvèrent, et tous passèrent rapidement à table. Les domestiques s'affairèrent à proposer des mets tous plus délicieux les uns que les autres aux notables, et les conversations allaient bon train.

Le barde était assis au milieu de la table, entre Mornagest et Dame Ielée. Hasard ou pas, la situation lui plaisait assez. Le repas se déroulait bien, parfois entrecoupés d'éloges à l'égard du talentueux musicien qui leur faisait l'honneur de dîner avec ses admirateurs.

Timide, Taliesin se contentait de hocher doucement la tête et de bredouiller des "merci" à peine audibles.

Les autres parlaient de politique extérieure. Le commerce récent établi avec Manost et ses dépendances avait permis un net accroissement des bénéfices engrangés par la ville, et cela ravissait les riches commerçants. Les affaires étaient bonnes, pourvu que cela dure.

De son côté, Mornagest semblait à nouveau dans une phase plus sombre, malgré son regard moins dur. Que cachait-il ?

[Taliesin]

[Quête : le prophête gris]

Taliesin ne manqua pas de s’apercevoir de l’état d’esprit (pour le moins décalé par rapport à l'atmosphère festive ambiante) de Mornagest. Il hésita un moment puis se décida à l’interroger à ce sujet.

-Messire Mornagest ? Vous me semblez d’humeur bien maussade… Quelque chose vous proécuupe-t-il ?

Puis, sans attendre la réponse du Conseiller, il ajouta d’un ton affable :

-Vous n’êtes pas obligé de me répondre, bien sûr. Je ne voudrais pas me montrer indiscret.

[Mornagest]

Le Chancelier était à ce point perdu dans ses pensées, qu'il sursauta lorsque le barde lui adressa la parole. Le regard vague, il contemplait distraitement son assiette vidée de son contenu. Au moins n'avait-il pas perdu son appétit vorace.

Il tourna alors la tête vers Taliesin, et sourit tristement.

"Beaucoup de choses à gérer, comme vous vous en doutez. Même lors de mes moments libres, je ne puis m'empêcher de penser à Melandis, et aux innombrables problèmes à résoudre. Récemment, ce sont les convois de marchands qui nous ont causé le plus de soucis... Manost nous accuse de laisser les pillards rôder, mais ils se méprennent. Nous ne pouvons complètement assainir une zone aussi immense, en quelques mois."

Il s'interrompit soudain, puis plongea son regard dans celui du barde.

"Je vais cependant cesser de vous ennuyer. D'ailleurs je ne resterai pas longtemps ce soir. Les affaires m'imposent de me coucher de bonne heure. Ceci dit, venez me revoir demain, j'aurai un peu plus de temps à vous consacrer. Je m'en voudrais de manquer à mes devoirs d'hôte, même si j'y suis contraint."

Il paraissait maintenant complètement détendu, alors qu'il s'adressait à Taliesin. Comme s'il voyait en lui un soutien, une oreille attentive à ses ennuis, inhérents à son poste délicat et fragile. Qui savait s'il n'allait pas être, ce soir, la cible d'un complot visant à détrôner le pouvoir en place ?

Il reprit : "Du reste, les divertissements que Dame Iélée propose ne me tentent guère. Je vous prie de m'excuser, je partirai sous peu. Nous reprendrons cette conversation quand bon vous semblera. Je serai à mon bureau, à l'Antichambre du Conseil."

[Taliesin]

[Quête : le prophète gris]

Taliesin rendit son sourire à Mornagest.

-Très bien, messire. Je vous rendrai donc visite demain avec grand plaisir.

Le barde aurait aimé aborder sur l’heure le sujet des esclaves. Mais le bureau du conseiller serait un endroit bien plus approprié à ce genre de discussions. De plus, l’attitude amicale du Mélandien l’engageait à ne pas se précipiter. C’était peut-être un masque, bien sûr ; mais si ce n’était pas le cas, il ne fallait pas tout gâcher en se montrant sous le jour d’un trop avide quémandeur.

Taliesin maîtrisa donc son impatience et reporta son attention sur le banquet. Avant la rencontre du lendemain, il devait encore affronter la soirée organisée par Damie Iélée et la remarque de Mornagest sur les divertissements qui allaient avoir lieu avait ranimé son inquiétude.

[Mornagest]

[Quête : le prophète gris]

Mornagest saisit sa coupe de vin et porta un toast silencieux à l'adresse du barde, dont il appréciait les nombreux talents musicaux, de même que sa sollicitude. Malgré son apparente sincérité, le Chancelier se devait de se méfier de tout le monde, même en ces lieux qu'il connaissait pourtant, pour y avoir passé quelques soirées dont l'épilogue pimenté le répugnait malgré tout. Il n'avait jamais été un adepte des orgies, et son coeur, même noirci par le temps et durci par les épreuves douloureuses, portait toujours au plus profond de lui, l'image torturée d'Helena. Jamais il ne pourrait l'oublier. Personne n'avait pu l'y aider, pas même le conseiller Lothringen, malgré son tact non feint, malgré son attention.

Sans s'en apercevoir, Mornagest fronçait les sourcils, tout en ressassant à nouveau ces infâmes pensées. Une moue rageuse mais triste se peignait sur son visage, tandis que les autres convives se levaient pour aller au salon.

Dame Iélée posa ses mains sur les épaules du Chancelier et lui susurra doucement à l'oreille :

"Mon cher, vous semblez bien soucieux. Puis-je vous aider à effacer la triste mine qui orne votre fier visage ?"

Mornagest saisit simplement les mains de la Dame, et les déplaça de ses épaules. Il se leva et se tourna vers elle.

"Iélée, nous en avons déjà discuté mille fois. J'apprécie énormément votre compagnie, mais je n'ai pas changé d'avis. Notre relation reste purement amicale."

Il avait parlé à voix basse, mais sans vraiment prêter attention à qui pouvait l'entendre. Nul parmi les invités n'ignorait le penchant que Dame Iélée avait pour ce grand guerrier, bâti comme un géant.

"Je ne vais d'ailleurs pas vous accompagner. Comme à mon habitude, je sais. Mais vous savez ce qu'il en est."

Il ajouta à voix plus basse encore :

"Tentez votre chance avec notre artiste. J'ai cru comprendre qu'il avait un petit faible pour vous". Il sourit à moitié à sa plaisanterie, qui n'en était peut-être pas une : qui savait si Taliesin n'était pas également un grand romantique ?

"Je suppose que je devrai patienter encore, dans ce cas. Mais vous me fendez le coeur, mon ami. A plus tard, alors. Et n'oubliez pas que je suis là, pour vous"

Le Chancelier la salua simplement, puis prit congé des invités. Il avait hâte de quitter cet endroit, et réfléchir seul dans l'air frais de la cité endormie. Il s'adressa enfin au barde :

"A demain, mon cher. J'espère que vous serez en état de vous déplacer jusqu'à l'Antichambre. Profitez bien de la soirée."

Il s'en fut vers ses quartiers, sentant la fraîcheur de la nuit et s'efforçant de profiter au mieux de ces quelques instants de solitude tant recherchée.

[Taliesin]

[Quête : le prophête gris]

Taliesin avait saisi l’étrange expression de colère et de tristesse mêlées qu’avait arboré Mornagest avant que Dame Iélée ne vienne s’entretenir avec lui. Le barde ne manqua pas de s’interroger sur les sombres pensées qui hantaient l’esprit du conseiller, même s’il ne pouvait bien sûr en connaître l’origine. Tout juste pouvait-il espérer qu’elles n’avaient aucun rapport avec lui.

Après le départ de Mornagest, le barde suivit Dame Iélée dans le luxueux salon où se massait déjà la majorité des invités. Tous étaient joyeux, volubiles, excités même, attendant visiblement avec impatience la suite des réjouissance.

Pour ne pas détonner au milieu de cette assemblée enthousiaste, Taliesin se composa une mine avenante et pleine d’entrain. Les choses sérieuses allaient bientôt commencer.

[Mornagest]

L'alcool commençait doucement à produire ses effets euphoriques, et les conversations prenaient lentement un ton plus grivois, voire franchement libertin. Quelquefois, une plaisenterie plus osée encore venait pimenter le ton déjà fort léger des échanges, et bientôt, les convives passèrent à l'étape suivante. Des esclaves, pour la plupart des jeunes filles, vinrent rejoindre les invités de Dame Iélée, et la soirée se déroula comme Mornagest semblait le prédire, quelques heures auparavant.

Taliesin semblait embarassé par la situation, n'étant sans doute guère habitué à ce genre de sauteries, et il restait seul dans son coin, assistant, outré, à des scènes d'une crudté parfois insoutenable.

Tandis qu'il se forçait à contenir sa révulsion, Dame Iélée, dans le plus simple appareil, l'aborda d'une façon très univoque...

"Venez, mon chéri, n'ayez pas peur de moi ! Vous allez voir, c'est très plaisant..."

Elle tendit la main et lui caressa la joue du bout des doigts.

[Taliesin]

[Quête : le prophète gris]

Les premières lueurs de l’aube empourpraient l’horizon lorsqu’un Taliesin titubant apparut sur le porche de la demeure de Dame Iélée. La brise légère qui agitait les feuilles des hauts arbres du parc vint lui caresser le visage et faire voleter ses cheveux en bataille.

L’elfe poussa un profond soupir puis aspira à pleins poumons l’air frais du matin. Sa tête se remit brusquement à tourner et il dut s’appuyer sur un mur pour ne pas perdre l’équilibre. La nuit avait été mouvementée… Ce n’était certes pas la première fois qu’il participait aux réjouissances de hauts dignitaires, mais il devait avouer qu’il avait rarement vu une telle orgie. Et heureusement.

Certaines scènes auxquelles il avait assisté pendant la nuit lui revinrent à l’esprit, et il agita la tête pour les chasser. Il aurait mille fois préféré ne jamais les avoir vues… Mais il était trop tard.

D’un pas chancelant, le barde descendit les quelques marches du porche. Le garde qu’il avait recruté à la Mélandienne d’Argent s’avança en tenant par la bride leurs montures. Il examina Taliesin d’un air goguenard, puis l’aida à monter en selle.

Quelques instants plus tard, ils chevauchaient lentement vers l’auberge. L’elfe songeait avec délices aux heures de sommeil qui l’y attendaient. Après… Après, il faudrait se rendre à l'Antichambre du Conseil, pour retrouver Mornagest. Mais d'abord, dormir !

[Mornagest]

Les Lames Pourpres frappaient régulièrement. Bien entendu, il était délicat de reconnaître un crime perpétré par l'un de leurs hommes, d'un autre meurtre sordide commis dans les bas-fonds de Melandis. En général, c'était plutôt de fortes suspicions qui planaient, au lieu de véritables certitudes.

Rarement, les traces de leur passage étaient visibles. Jamais, un signe nettement identifiable, sinon pour brouiller les pistes en accusant plus ou moins directement une autre organisation, voire un tueur isolé. Mais jamais les gardes ne pouvaient établir de preuves tangibles quant à l'identité des responsables.

Cette nuit, ils ne dérogèrent pas à la règle. La villa d'Iélée, la réputée organisatrice d'orgies toutes plus décadentes les unes que les autres, fut assaillie par plusieurs personnages tout de noir vêtus. Ils neutralisèrent rapidement les mercenaires éméchés qui faisaient office de gardes personnels de la bourgeoise catin, avant de la trouver dans ses appartements, entourée de trois hommes et d'une jeune fille plus droguée que le reste de toute la demeure.

En quelques coups de lames, la sentence fut exécutée. Ils gisèrent tous, qui à terre, qui dans les draps rapidement souillés d'un rouge vif qui allait petit à petit coaguler... seule la jeune fille fut épargnée, et emmenée avec les hommes. Jamais on ne la revit à Melandis, d'autant que sa disparition ne suscita aucun émoi dans l'entourage des "malheureuses" victimes de cet assaut barbare.

Les assassins laissèrent une note, narguant ouvertement les gardes de Melandis, dans laquelle ils avertissaient les autorités que ce genre de raids risquaient de se répéter si les débordements des nobles mélandiens se poursuivaient de la sorte sans que le Conseil n'agisse. Avertissement en l'air, ou réelle menace ? Les rumeurs allaient bon train, mais les aristocrates de la ville se tinrent à carreau pendant un bon moment après cette sanglante nuit.